Atsuka n'avait jamais été aussi heureuse de prendre le bateau. Le trajet jusqu'aux côtes françaises déposait du sel sur ses lèvres rosées, lui permettant de goûter à une liberté sucrée. Cela faisait plusieurs mois qu'elle ne l'avait pas vu, son coeur battait à tout rompre. Et ce soir-là, elle allait en France, prenait le train jusqu'à Paris, pour sauter dans un avion quelques heures plus tard, une fois les contrôles terminés, en direction de Harvard. Elle avait été très heureuse pour Ulysse lorsque l'Institut avait accepté de le laisser étudier dans la prestigieuse université américaine mais la présence de son aimé lui manquait cruellement. L'avantage, c'est qu'il reviendrait un jour sur l'île en tant que médecin et qu'ils ne seraient plus obligés de se cacher. Quoique, avec la rumeur sourde d'une colère parmi les patients, elle n'était plus sûre de rien. Mais l'heure n'était pas aux sombres prédictions. Dans quelques heures, elle serait dans la chambre d'hôtel qu'elle avait dû réserver pour la nuit, rêvant de ses bras pour le lendemain, serrant contre elle le t'shirt qu'il lui avait laissé.

Son portable sonna à dix heures du matin et, pour une fois, la Japonaise n'eut aucun mal à se lever. Elle profita d'une longue douche avant de sortir ses vêtements d'un sac en bandoulière sobre. Un jean noir ; un haut à manches courtes de la même couleur que ses cheveux, qui dénudait son épaule droite ; une veste et des longues bottes à talons noires. Même si sa couleur avait été refaite récemment, elle ne put s'empêcher de remarquer que ses mèches étaient plus longues. Au lieu de chatouiller le creux de son cou, les pointes caressaient ses épaules. Elle hésitait à les raccourcir avant de retourner sur l'île ce soir. Atsuka haussa les épaules. Elle y réfléchirait plus tard. Elle termina de se coiffer, attrapa un foulard gris qu'elle enroula autour de sa nuque, retroussa les manches de sa veste et quitta la chambre. Elle partait relativement tôt alors que le rendez-vous n'était que dans une heure, mais le temps de se perdre plusieurs fois (elle ne faisait pas confiance à son sens de l'orientation) avant d'y arriver, elle préférait prendre ses précautions.

La doctoresse avait bien fait de prendre de l'avance, il fallait dire qu'elle n'allait pas au pas de course non plus, le nez en l'air pour observer autour d'elle. Le campus lui rappelait étrangement Todai, dans son organisation et la grandeur de ses bâtiments. Même la couleur était presque similaire. Elle arriva pile à l'heure, cherchant l'arbre qu'il lui avait indiqué. Elle sourit en l’apercevant, alors qu'elle n'était pas encore dans son champ de vision. Les pâles rayons du Soleil créaient de multiples reflets dorés dans sa chevelure et elle les observa quelques instants. Joueuse, elle fit un petit tour pour arriver derrière l'arbre et donc dans son dos. Atsuka se hissa sur la pointe des pieds et posa délicatement ses mains sur les yeux d'Ulysse.

-Devine qui c'est, dit-elle avec malice.

Il était évident qu'il allait savoir à qui appartenait cette voix et ces doigts fins, c'était simplement pour être plus joviale qu'un simple salut, même entre amoureux.









Avec Ulysse - Février 2020

La jeune femme sourit en sentant Ulysse sursauter légèrement alors qu'elle lui cachait la vue. Elle aimait toujours les petites réactions qu'il avait, elle pouvait presque imaginer ses yeux et sa bouche s'arrondir légèrement sur la surprise, lui donnant un air adorable. Il fit semblant de réfléchir, lui tirant un éclat de rire alors qu'il se prêtait au jeu.

-La Reine d'Angleterre ? Non, impossible, elle est si petite, elle ne pourrait pas me cacher la vue...

Il prit ses mains dans les siennes, comme pour les réchauffer amoureusement, avant de se tourner vers elle. Atsuka n'eut pas le temps de prononcer un autre mot que des lèvres chaudes et douces prenaient fougueusement possession de sa bouche. Une vague de papillons s'envola pour se loger au creux de son ventre. Son amour lui avait manqué, tout son être lui avait manqué. Sa peau sucrée, ses cheveux dorés, ses yeux si beaux... Se laissant aller contre lui, elle entoura son cou de ses bras et répondit à son baiser, d'abord délicatement puis passionnément. Ils se détachèrent après quelques instants et, d'abord, Atsuka pensait que c'était pour ne pas attirer l'attention. Les habitudes avaient la vie dure... Avant de se rappeler qu'ils n'étaient pas à l'Institut et qu'il y avait de toute façon beaucoup trop d'étudiants à Harvard. Même si elle détonait un peu parmi eux, avec ses cheveux d'un bleu vif.

-J'ai une surprise pour toi...

Elle écarquilla grand les yeux à son tour. Comment ça une surprise ? Mais le voir lui suffisait amplement !  Elle allait protester quand il l'entraîna par la main à l'extérieur du campus.

-On va où ? Allez, dis-moi !

Malgré son insistance quelque peu enfantine, Ulysse résista (oui, même aux yeux du Chat Potté) et garda secret leur point d'arrivée. Ce n'est que quand ils se retrouvèrent face à un vrai restaurant japonais, traditionnel, qu'elle comprit. Cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas mangé un vrai repas de chez elle. Ses yeux s'embuèrent très légèrement et elle lança un "merci !" enjoué avant d'embrasser Ulysse à nouveau.

Le fourbe ne lui avait même pas laissé le temps de faire sa ruse pour payer en douce, qu'il l'avait déjà lui-même mise en place. Atsuka le regarda avec un air faussement outré, promettant que ce serait à son tour de lui offrir le déjeuner la prochaine fois. Ils se dirigèrent alors vers un parc. Si le vert ne dominait clairement pas dans les villes américaines, leurs espaces naturels avaient toujours parus immenses aux yeux de la Japonaise. Ils s'adossèrent côte à côté à un large tronc d'arbre, les doux rayons du Soleil caressant leurs visages et leurs mains entrelacées. Ils restèrent à se regarder là, sans parler, leurs yeux échangeant pour eux. Elle ne savait pas pourquoi, elle avait un mauvais pressentiment... Il y avait un peu de poids dans l'air.

-Atsuka, je crois que les patients vont bientôt se soulever contre l'Institut... Ce n'est qu'une question de temps maintenant... Mais je ne sais pas quoi faire.

La doctoresse soupira. Cette conversation devait forcément arriver, vu le climat tendu à l'Institut. Et ils devaient en parler, leur avenir était en jeu.

-La seule chose dont je suis certain, c'est que je veux rester avec toi.

Elle arrêta de respirer pendant quelques secondes, son coeur ayant loupé un battement. Ses doigts se resserrèrent autour de ceux d'Ulysse, tandis qu'elle s'allongeait sur l'herbe et posait sa tête sur les genoux de son aimé. Elle regarda son visage angélique avec un sourire à la fois heureux et mélancolique. Tout aurait été si simple en dehors de cette île de malheur...

-Moi aussi je veux rester avec toi Ulysse... J'aimerais continuer à aider les patients à l'Institut mais pas comme Elpida le veut. Je ne peux pas l'approuver. Cependant, les autres patients ne le savent pas forcément.

Après tout, elle portait une blouse blanche et était techniquement du côté de ses collègues médecins et sous l'autorité de la hiérarchie. Aux yeux des possibles insurgés, elle ne serait qu'une tortionnaire de plus. Parce qu'elle n'avait rien dit. Mais en même temps, que faire face à la folie de la direction ? Elle poussa un nouveau soupir.

-Je ne sais pas quoi faire non plus... Je ne veux pas de cette direction mais, d'un autre côté, je ne peux pas cracher sur mon employeur...

Elle laissa passer un silence.

-Et toi, de quel côté es-tu ?

Atsuka le savait suffisamment intelligent pour apporter un avis moins binaire, peut-être même une solution à ce problème. Mais elle craignait qu'il ne soit totalement dans le camp des révolutionnaires, elle avait entendu le nom de certains de ses amis dans la bouche de vigiles. Et elle ne pourrait pas supporter d'être séparée de lui.









Avec Ulysse - Février 2020