contexte

Le jour de la Grande Division naissent quatre factions : une dictature basée sur les principes de l’Institut qu’on avait connu ; une communauté qui fonctionne sous forme de vote et de code pénal ; un groupe retrouvé piégé dans le bunker ; et une anarchie qui s’est ancrée en pleine Nature. Des tensions, étincelles existants déjà avant la Grande Division et la Révolution, ont fait naître une ambiance de guerre froide entre les factions. L’Institut Espoir n’existe plus, mais cette ambiance survivaliste, à qui l’emportera sur l’autre prend racine.

Il ne reste plus que l’Espoir. +

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Jeu 17 Mai - 21:52

Corps et âme


              L’extrémité de ma peau piquait, victime de cette salle sans chaleur. Je fermais les yeux, enfonçant mon âme dans une volonté extrême d'être ailleurs. Je n'arrivais plus à compter le temps que j'avais passé ici, le dos compressé contre cette table aussi inconfortable qu'à l'intérieur de mon être.
Cette chaleur sur mon corps n'avait rien pour mériter d'être nommée de la sorte. Elle n'avait rien de réconfortant, elle ne servait qu'à nourrir ce sentiment de nausée dans ma poitrine. Une texture de plastique frottait de manière désagréable sur mes cicatrices, me faisant grimacer de douleur et contracter mon ventre. Généralement, sa route ne s'éternisait jamais le long de mon corps. Je savais que cela allait s'arrêter au moment où j'aurais le plus peur. Jusqu'ici, le docteur ne s'exécutait qu'avec sa vue, scrutant avec toujours plus d'insistance ce fardeau qui me rendait "différent". Lorsque mon regard croisait le sien, j'avais l'impression que cette simple vision le dégouttait; que si je le laissais faire, il serait capable de me mutiler d'avantage, d'arracher cette bévue de mère nature avec les dents. Non, à ses yeux, je n'étais pas un être humain. A leur yeux à tous. Je n'étais qu'une chose à caractère ineffable, qu'une erreur à corriger, et a force de vouloir être gommée je ne finissais que par m'effacer. Cela ne servait à rien que de se dresser face à lui, et je le savais. Il allait forcément me le faire regretter à un moment où un autre, alors je ne me contentais que de fermer les yeux le plus possible et d'attendre que ça file.
Mais ses doigts lourds, ses doigts griffants, étaient descendus plus bas qu'à l'accoutumée. Mes yeux s'étaient ouverts brusquement; c'était trop que je ne puisse contenir.

Mon regard  devenu flou, j'ai fais taire cette consultation plus tôt qu'elle ne le devrait. Je ne sais pas ce qui m'a prit, à courir, fuir de la salle à une telle allure. Je voulais m'échapper, loin. Combien d'occasion de sortir de là m'a-t-on enlevé depuis cette période? De prendre l'air, de me retrouver assis(e) auprès de Soma, à observer le nombre de nouveaux nids qui avaient donnés naissance entre les branches des arbres? Cet être sournois me prenait tout, cet être trop fort pour moi. Et j'avais peur. J'avais peur qu'il me prenne ça.

Mes pensées totalement éteintes, j’enchaînais mes pas machinalement; eux qui heurtaient violemment le carrelage, créant un tapage infernal sur tout le long de l'allée. Je ne savais plus où me diriger; mes sens étaient floutés par un fluide translucide qui s’agglutinait sous mes paupières; je ne discernais qu'à peine  la silhouette des quelques gardiens qui essayaient de me retenir. Leurs gestes n'étaient pas brusques. Ils savaient qui j'étais. Ils savaient que je n'irais jamais trop loin, avec mes membres endoloris.

Ma cavale s'orchestrant avec fureur, je dégringolais presque le long des escaliers afin d'atteindre la sortie. Le contact soudain du soleil avec mes yeux trop clairs forçait à se clore le rideau de mes cils, poussant plusieurs de mes larmes à sauter par dessus mes joues. Je voulais garder les yeux fermés, mais j'avais manqué déjà plusieurs fois de trébucher. Mes oreilles percevaient des sons derrière moi et, étant persuadée que les gardes s'étaient obstinés, je ne voulais pas me faire prendre.
Un vent violent n'avait pas tardé à soulever mes longs cheveux pâles; tendis que je ne cessais de cavaler, les pousser en arrière leur donnait une allure de grandes ailes immaculées, se déployant derrière mon dos.

Je m'envolais.

Mais je n'étais pas le seul à battre des ailes; un autre animal effaré persistait à suivre mes pas, et le désespoir m'envenimait toujours un peu plus. Je ne pourrais jamais fuir. Je ne pourrais jamais fuir seul(e).
Combien de temps avais-je préservé cette idée dans ma tête, celle de m'éloigner le plus loin possible? J'avais perdue toute notion de seconde, de minute, ou d'heure. Tout était estompé par mes émotions, ma panique, mon sentiment de ne plus pouvoir encaisser. Pourtant je savais que ça irait mieux demain. Quand mes sanglots seront partis, c'est ce que je me dirais, encore et toujours, car c'est ce que mes parents voulaient pour moi.

Néanmoins, il arrivera bien un moment où je ne pourrais plus avancer.

Mon duo de pieds se stoppe, l'un à côté de l'autre, retenus par la vision de la mer s'étendant à perte de vue. Mes deux pupilles de verdure finissent par s’élancer au gré des vagues, émerveillées, alors que mes larmes continuaient à couler sans que je ne les retienne.
C'était fini, maintenant. J'étais cerné; je ne pouvais plus aller plus loin, je n'étais ni un poisson, ni un volatile. Pourtant j'aurais aimée avoir une telle opportunité, pouvoir trouver une porte de sortie via les abysses ou l'altitude, mais je n'avais rien de tout cela.

Mon corps s'écroule, comme s'il était poussé vers le bas par le soupir violent qui s'était échappé d'entre mes lèvres. Ces maudits muscles me faisaient tellement mal, me donnaient la sensation de mourir.  Je détestais cette enveloppe charnelle; autant sa faiblesse que sa marginalité. Je ne voulais plus qu'on la voit, je ne voulais plus qu'on la touche, je ne voulais plus qu'on la blesse d'avantage, à la fendre de tous les côtés. A ce moment là, c'était les seuls songes qui se répétaient dans mon esprit.

Mais les pas...Ils étaient toujours là. Je les entendais encore, mais je ne pouvais plus les fuir. J'avais bien trop mal, mon cœur avait envie d'imploser, et l'air me manquait. J’espérais que ce n'était que mon palpitant qui tambourinait de la sorte.

"A...Allez-vous en..." soufflais-je d'une voix instable et essoufflée.

C'était tout ce que je pouvais faire. Je savais que j'étais piégé; j'étais un oiseau en cage, ne pouvant se faufiler entre les barreaux de cet Institut, des mains de ce fichu médecin. Pourtant j'en avais envie, j'en avais besoin.
Je sentais encore cette présence derrière moi, alors mes poings s'étaient serrés. Je m'apprêtais à me détourner avec un mélange de fureur et de détresse, hurlant d'une voix bien trop masculine pour mon allure, mais j'ai été trop vite coupée dans mon élan.

Allez vou- "

Mes deux iris se retrouvèrent plongés dans un océan ébène. Quelques gouttes limpides dégoulinaient de son front sur un tapis d'ivoire, afin d'épouser les courbes de son visage épuisé.  
Mon expression, crispée par mes sentiments, s'est progressivement mise à tendre vers un profond étonnement. En réalité, il était dur de savoir s'il s'agissait de surprise ou de soulagement. Ces traits qui modelaient mon visage s'étaient juste lentement relâchés, me ramenant à mon impuissance d'enfant, tendis que de nouvelles larmes se résorbaient de mes yeux pour atteindre le sol.

Soma...

Code by Joy
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Mar 22 Mai - 2:01

Corps et âmeFt. IANDELLI Swann








J’étais assis sur le rebord à regarder l’horizon depuis maintenant trois heures. Mes pieds nus se balançant doucement dans le vide. Notre rebord. Sur mes genoux, une feuille de papier subissait mes esquisses. Notre refuge. Le bruit du frottement de la mine pour seul compagnon, je divaguais, laissant mes dessins sans formes prendre l’apparence d’oiseaux blancs, de cygnes et de nuages. Allait-il venir, aujourd’hui ? Mon regard attiré par l’abîme, le vide appelant le vide, je remarquais soudain le nid de merle sur une branche non loin. En son sein, des oisillons paillaient, jetant sur ma solitude une nouvel éclairage. L’étincelle immature dans mes yeux mourut cependant bien vite : Je me sentais comme ces oisillons, ouvrant le bec, piaffant d’impatience et d’anxiété. Privé de l’ombre réconfortante des ailes de leur mère, vacillants au bord du vide avec leurs corps incertains. Lequel allait finir par tomber, lâché trop tôt dans ce monde si injuste ?

J’avais tenté d’aller le retrouver, la veille, le jour d’avant, et encore celui d’avant. Mais je n’avais trouvé qu’une porte close et un garde hostile. On m’interdisait mon oxygène, et je me mourrais. Comme ça. Plus les jours défilaient plus je me sentais m’éteindre comme une flamme privée d’air à consumer. Est-ce que que c'était pour ça? Je le consumais?

Les séances avec son docteur, leur rythme semblait s’intensifier. Swann était-il… malade ? Son état était-il en train de dégénérer, sans que je le sache ? Je restais là, impuissant et suppliant de sa présence. Ne pouvant rien faire d’autre qu’attendre, en regardant l’horizon inaccessible. Espérant entendre un souffle, un pas derrière moi. Je me retournais doucement, superstitieux : espérant secrètement de la voir apparaître. Mais je ne fus que confronté au vide du couloir et aux éclats de voix des autres patients, un étage plus bas.

...Stupide...corbac...

Une larme de frustration roula sur ma joue et s’écrasa sur l’un de mes oiseaux, laissant l’encre s’étendre comme une mare de sang. Comme un bouillard noir. Sombre. Envahissant et rampant. Etait-ce possible qu’il refuse tout bonnement que l’on continue à se voir ? Ça n’aurait pas été la première fois que l’on me juge toxique. Je l’étais. Je souhaitais aspirer la moindre étincelle de vie que Swann pouvait m’offrir, me l’approprier, la faire mienne. Mais si il m’en laissait le droit, l’occasion, alors ce n'était pas mal, si ? j’espérais un jour pouvoir lui rendre au centuple cette force qu’il me donnait sans le savoir. Personne ne voulait jamais m'en laisser le temps.

Je pliais soigneusement mon dessin pour le ranger dans la poche près de mon cœur et laissait le stylo sur le rebord de la fenêtre avec le reste des papiers, espérant trouver un dessin ou un mot en revenant le lendemain. Je ne voulais rien laisser de ma part, aujourd’hui. Épris d’un sentiment d’injustice profonde, j’étais vexé, et égoïstement en colère de me retrouver laissé en plan. Profondément démuni, aussi. J'enfilais mes chaussons et empruntais les escaliers, laissant mes semelles glisser au bord des marches, appelant la chute.

Si tu te brise la cheville, tu ne pensera plus à ce qui te fait mal ici.

Je portais la main à mon uniforme au niveau du sternum et le serrais entre mes doigts. C’était ma voix.  

Le bruit d’une course me tira de ma transe morbide, et je levais les yeux au moment où une tornade passait en courant dans l'allée au bas des marches. Une tornade blanche, à la course gracile et aérienne. Une sylphide dont je reconnu immédiatement les mouvements. Mes yeux s’agrandirent et mon cœur manqua de jaillir de ma poitrine. Je l’avais voulue si fort qu’elle avait finir par apparaître. Je l’avais... invoqué. Je sautais les dernières marches pour courir à sa suite dans les étages inférieurs. Des gardes tentaient mollement de le retenir avant de le regarder s’enfuir, et je les bousculais bientôt sur mon passage. D'où était-il apparu, et où allait-il, ainsi porté par le vent?

Je courrais après mon ange comme un fou, mon ange qui me fuyait comme un agneau fuit un loup. Je me retrouvais dans ces cauchemars qui hantaient mes nuits depuis quelques jours, à poursuivre un but inatteignable, à vouloir rejoindre la lueur de ma bougie au bout du tunnel, sans jamais en voir la fin. Le souffle court, la brique sur ma poitrine semblait plus lourde que jamais. Si proches et pourtant trop loin, il me semblait pouvoir caresser le bout ses ailes si je tendais la main. Mais en réalité, mes jambes me portaient tout juste tandis que les cailloux et les débris se trouvant sur le sol entaillaient la plante tendre de mes pieds. J’avais abandonné mes chaussons quelques foulées plus tôt en manquant de chuter, et cavalait à présent pieds nus, à la poursuite de mon fragment de ciel bleu qui s’échappait. Son prénom mourrait dans cette gorge qui me brûlait, ma voix ne voulant - ne pouvant - pas l’appeler. Il volait si vite, comme porté par le désespoir, mais mon désespoir à moi, lui, me ralentissais, me coupait les jambes.

Retourne toi… ne me… fuis…Il te fuit…

Nous avions déjà atteint le port quand je vis au loin Swann s’arrêter au bord du quai, me laissant le rattraper en quelques foulées. Je me trouvais à présent derrière lui, à deux pas, incertain. Pourquoi avait-il couru à perdre haleine jusqu’au bord de l’eau, pourquoi n’avait-il pas plutôt couru jusqu’à notre fenêtre, me retrouver ? Effondré devant l’horizon, mon petit oiseau semblait s’être brisé les ailes, et je ne savais pas comment. En colère d'abord, puis inquiet de ce comportement qui ne lui ressemblait pas, je restais interdit. Démuni, en sueur et les poumons en feu, j’entrouvrais la bouche quand sa voix, étouffée, lourde de sanglots me coupa dans mon élan :

"A...Allez-vous en..."

… Non, non non non… Oui… tourne les talons… détale… rejet .. tu l'as cherché


On m’avait encore volé ma voix, même si mes lèvres et les mouvements saccadés de gauche à droite de ma tête traduisait ce « NON » que mon cerveau hurlait. Je continuais de m’approcher, les mains tendues vers lui, presque timides. Je ressentais le besoin de le toucher et de la ramener à moi, un besoin inédit. Mais mon visage réclamait le refuge de ses cheveux et de son cou. Je ne comprenais pas sa fuite, ses pleurs. Toute mes cellules me hurlaient de me rapprocher de cette personne qui pourtant semblait vouloir me chasser loin.

Aussi, quand il se retourna furieusement pour me hurler une nouvelle fois de partir, je n’écoutais pas le message idiot que sa voix n’avait pas eu le temps de terminer. Car ce qui me parlait, c’était son expression, blessée, mais dans laquelle je lu le soulagement de me voir. Je laissais à mon tour mes larmes couler devant ce triste spectacle, et m’écroulais à ses cotés. Glissant mes mains tremblantes de chaque côté de ses joues baignées de larmes, je plongeais mon regard dans deux oasis de verdures au milieu d’une mer de sel.

« S’il te plait, s'il te plait laisse-moi rester… » implorais-je, pitoyable, la voix faible et brisée par l’angoisse de me voir rejeté malgré tout ce que je venais de lire dans ses yeux.

Son uniforme était débraillé, comme si il s’était rhabillé à la va vite pour fuir un monstre sous son lit. Je laissais l’une de mes mains quitter son visage à regret pour réajuster son uniforme, et mon œil fut attiré près de sa clavicule, offerte à la vue…et sur laquelle trônait une cicatrice fraîche. Sans réfléchir, je fis machine arrière et tirait doucement le tissu pour dénuder d’avantage l’épaule de ma mésange brisée. Des entailles. Partout.

souillée … cassée … casse, fracasse…


Ma bouche se crispa, et mon visage s’assombrit soudain et ma voix monocorde ne fut plus qu'un grondement sourd.

« Qu’est-ce ... qui s’est passé ? »

©️  YOU_COMPLETE_MESS
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InvitéInvité
Mar 22 Mai - 22:54

Corps et âme


              Je sentais quelque chose en moi s'ébrécher, alors mes yeux le distinguaient plus profondément. Soma s'approchait de par des pas indécis, étendant devant lui ses deux bras frémissants, comme pour m'atteindre. D'un geste à la fois machinal et naturel, le bout de mes doigts s'était posé délicatement sur l’extrémité des siens, lorsqu'il fut assez près.
J'étais devenu nostalgique de la caresse des ailes de mon corbeau, de ces moments hors du temps que nous partagions, au bord de notre fenêtre. Il a volé jusqu'à moi, ne m'abandonnant pas, même après ma course intrépide.
Qu'est-ce qui le motivait autant à vouloir constamment apaiser mon âme ? Pourquoi, alors que cela semblait tant consommer son corps ? Aux contacts de nos peaux, je ne sentais que d'avantage nos membres trembler, comme s'ils allaient se briser les uns contre de les autres; ma peur, qui semblait s'être mise en suspens lorsque je fut en contact de ses yeux, se mit à s'acharner de manière encore plus violente qu’auparavant.

Il s'écrasa, juste en face de moi, s'écroulant comme si il avait été vidé de sa force vitale. Cette chute fit s'écarter mes paupières avec brutalité; mes doigts se faufilent entre les siens et le saisissent vigoureusement, comme par peur qu'il m'échappe. J'avais l'impression de voir un phœnix tomber du ciel, s'écrasant à mes côtés sous une fumée cendrée. Nous étions tous les deux consumés, mais le sentir près de moi m'avait fait renaître quelque peu; je ne suis pas seule. Et, à vrai dire, je ne l'ai jamais été. J'avais eue cette chance.

Je serrais fortement nos paumes les unes contre les autres jusqu'à ce que ses genoux n'atteignent le sol. Lorsque je me suis décidé à quitter ses doigts, c'était pour aller soutenir ses épaules. Mes lèvres s'étaient entrouvertes; je voulais lui demander si ça allait. Je voulais m'excuser. Je voulais le raisonner sur l'acte insensé qu'il venait de faire. Lui dire que ce n'était pas la peine, qu'il devait penser au ciel. Aux oiseaux, au soleil, à cet objectif que nous nous étions promis atteindre, perchés à nos avions. Je voulais que ma voix résonne dans ses oreilles, peu importait la manière.
Mais ça m'avait bloqué. Je ne comprenais pas pourquoi voir des larmes couler de ses yeux m'avait tant déchiré.

"S’il te plait, s'il te plait laisse-moi rester…"

Je sentais ses deux mains, tremblotantes, venir se nicher contre mes joues humectées. Je savais, rien qu'en entendant ces mots, que je n'oublierais jamais le ton qu'il avait prit pour le restant de mes jours.
Mon teint devint presque blafard, tendis que je me remémorais toutes ces occasions perdues. J'avais envie de lui dire que je ne m'envolerais jamais sans lui. Qu'il était mon frère de vol, que le cygne ne part jamais sans le corbeau. Mais, me croirait-il ? Me croirait-il, alors que cela fait si longtemps que nous nous sommes pas croisés, ni même aperçus ? Si longtemps qu'il doit m'attendre au bord de cette fenêtre, les ailes déployées. A patienter pour quelque chose qui n'arrivait jamais.

Les doigts d'une de mes mains partirent à la rencontre de sa peau, l'effleurant afin de recueillir ses larmes; mais finalement, une fois qu'une goutte d'eau fut rentrée en contact avec l'un de mes ongles, ils s'y frottèrent de manière plus assumée. Je voulais les chasser. Je ne pouvais pas les tolérer. Elles avaient beau le libérer de la manière la plus spontanée qui soit, elles me faisaient mal. Cela ne lui allait pas, de pleurer. Cela ne m'allait pas, pas du tout, de le voir pleurer.
Alors je m’exécutais égoïstement. Tout en m'efforçant à garder une certaine douceur, j'essayais de sécher ses sanglots maladroitement, intensifiant mes gestes avec la volonté de lui communiquer toute ma chaleur. J'en avais presque oublié les miennes, ayant déjà peintes leur chemin le long de mes joues. Mes yeux pâles demeuraient limpides, vagues, ailleurs. J'étais en conflit avec moi-même; me battais pour supporter, tant bien que mal, cette sensation de l'avoir brisé. J'aurais aimée qu'il voit la manière dont mon regard hurlait pour son pardon.
Mais son attention était ailleurs.

L'une de ses mains cessa de supporter mon visage pour aller tirer le bas de mon haut, sûrement poussé par une envie perfectionniste de me rhabiller correctement. Je le laissais faire sans broncher, comme un enfant obéissant se laisserait vêtir par sa mère. Mes pupilles ne le quittaient pas, restant concentrées sur lui; je pouvais voir ses iris foncées parcourir le haut de mon corps du regard.
Il m'était impossible de l'ignorer. Cette intense douleur dans mon estomac. J'avais toujours eu peur d'être jugée, mais cette peur là était autrement plus impressionnante à mon coeur.
Je n'avais pas envie d'être jugé par lui.

J'avais plongée mon regard dans le sien, suivant le moindre de ses mouvements, l'admirant avec l'émerveillement qu'il m'avait toujours inspiré, mais également une certaine anxiété. Ils avaient beau être de la même teinte, sa paire de yeux encore humides n'avait absolument rien de comparable avec ceux de mon docteur.
Ma vision s'arrête au même rythme que la sienne; alors que mes songes étaient engouffrés dans les abysses de cette mer d'encre, je sentais le tissu de mon uniforme glisser le long de mon bras, dévoilant d'avantage mon épaule à l'air frais. De manière curieuse, ma tête pivote en direction de cette partie de mon corps qu'il fixait. Pourquoi mon épaule ?..

Mon coeur loupe un bon lorsque je notifie ces lignes rouges, creusant mon tégument comme une blessure de bête sauvage. Ma furie m'avait tellement transcendée qu'elles avaient échappées à ma vision; je ne les avais même pas senties m'arracher la peau, lorsque le docteur essayait de me retenir du mieux qu'il pouvait.
Je n'avais pas à m'en aller, mais c'était la seule envie qui m'envahissait. M'échapper. Et cette envie me regagnait peu à peu, alors que mes yeux retombaient sur Soma. Je voyais son expression gagner une aura obscure, se tendre par le choc. Et sa voix, Dio, sa voix...Ma poitrine bourdonnait à chacun de ses mots, figeant sur place le moindre de mes muscles.

"Qu’est-ce ... qui s’est passé ?"
"Rien."

Je me suis soulevé, d'une énergie que je ne me serais pas crue avoir avec la douleur que j'endurais dans chacune de mes articulations. Immédiatement, mon premier réflexe fut de cacher les griffures sous ma main, baissant la tête, comme recouvert d'opprobre.

J'avais peur. J'avais honte. J'étais déboussolé. Je ne savais pas quoi faire. Je marchais à reculons, m'éloignant de lui, me rapprochant de la mer. Pourtant je ne voulais pas le perdre.
Cela faisait déjà longtemps, que nous nous retrouvions au bord de cette fenêtre. Que nous observions la nature, ensemble; qu'il m’appelait la mésange, et que je l’appelais le corbeau. Que son regard se faisait si doux à ma présence, et que sa chaleur m'apaisait.
Et si il savait ? Si il savait, ce qui me rendait si étrange ? Si il avait conscience de mon corps mal bâti, que penserait-il ? Est-ce ses yeux deviendraient aussi durs, aussi froids, que ceux de mon docteur ? Que ceux de tous les autres ? Est-ce qu'il m'en voudrait de fuir les mains de ces gens qui veulent m'aider ?  Est-ce que ce lien qui nous lie se détruirait, par ma faute ?

Je me trouvais dégouttant(e). Immonde et hideux/se. J'étais écœurée à sa place de m'être tenu si proche de lui, que mes caprices aient étés la cause de ses larmes.
Les jambes tremblantes, je reculais, toujours plus encore; répétant en boucle le même mot, comme possédé par cette idée. Pourtant, ma voix se faisait de plus en plus vacillante au fur et à mesure.

"Rien. Rien. Rien. Rien. Rien. Rien. Rien."

Code by Joy
Anonymous
InvitéInvité
Sam 2 Juin - 3:24

Corps et âmeFt. IANDELLI Swann

Il faut… Le frapper… le couper… lui arracher ses beaux cheveux… par poignée… effacer son air supérieur …


Je tremblais, les yeux fixés sur les plaies de ma mésange sans vraiment les voir. Ma prise sur son vêtement se resserra tandis que je le ramenais instinctivement au plus près de moi. Le parfum de sa peau, celui de ses vêtements, tant de détails qui auraient dû m’enivrer et auxquels j’étais pourtant soudain devenu insensible. Mes pupilles avaient ce mouvement saccadé, signe que mon imaginaire avait pris le dessus. Et quel imaginaire. La colère avait pris le pas sur le chagrin et je ne pensais désormais plus qu’à une chose, courir et refaire ce chemin que j’avais parcouru à bout de souffle, retourner à l’institut. Monter ces marches et aller déchaîner ma frustration sur ce docteur qui avait effleuré la peau de celle qui ne devait faire l’objet que de toutes les tendresses. Je n’avais jamais ressenti une haine aussi puissante pour quelqu’un d’autre que moi-même. Il fallait qu’il paie. Que tout le monde paie. Que tout brûle.

"Qu’est-ce ... qui s’est passé ?"

"Rien."

Swann s’arracha à mon emprise, me forçant à revenir sur terre comme une chute violente. L’envie de courir loin de lui s’envola en l’espace d’une seconde. Il s’éloigna vivement de moi, cachant à mon regard l’objet de ma rage, comme honteux. Je me redressais à mon tour, le regard creusé par une colère bien difficilement contenu, les points serrés. Les sourcils froncés, le visage figé dans une expression batarde, entre la douleur et le ressentiment.

…RIEN ? RIEN ! ….RIEN RIEN RIEN…abusé… NON… RIEN ? ..


Il n’y avait que nos deux âmes sur le port, et pourtant c’était une vraie cacophonie. Tout le monde s’indignait, et à raison. Comment pouvait-il me balancer en pleine face ce mensonge, à moi qui ne voulait que le protéger, le venger, le soigner. Rien. Tous ces « riens » qu’il me dissimulait, fuyant mon avancée inexorable en reculant toujours plus près de l’eau.

« J’ai tout vu, Swann. Qu’est-ce que c’est ? C’est lui, c’est ça ? »
redemandais-je d’une voix dépourvue de toute chaleur humaine. « Qu’est-ce que ça veut dire ?!» éclatais-je finalement, ma voix se brisant sur cette interrogation vaine.

"Rien. Rien. Rien. Rien. Rien. Rien. Rien."
Répéta-t-il, d’une voix de plus en plus instable.

Comment pouvait-il avoir l’air si misérable, comme si tous ces « riens » étaient des traces au fer rouge, destinées à l’humiliation. Je m’approchais, le cœur en miette, ne le lâchant pas des yeux. Même si je voyais clairement que ma bougie souhaitait s’éteindre à ma vue, je ne comptais pas la laisser faire. Je ne le permettrais pas. Jamais. Swann avait ce don envers moi, un don dont il n’avait sans doute jamais eu conscience. D’un regard, d’un mot, d’un geste, il jetait un voile sur les voix et les bruits parasites, ramenant toute mon attention sur lui, et m’offrant l’illusion d’une vie silencieuse. Paisible. Je n’en avais pas toujours conscience, mais ce dont j’étais sûr, c’était que sa présence m’apaisait dans les moments les plus difficiles. Je voulais également être son oasis, son abri. En ce moment, comme à tant d’autres avant cela, il était mon monde et ma priorité. Je voulais devenir son principal besoin, qu’elle n’ait plus jamais envie de me fuir ainsi, que cette crise s’étouffe. Mon ange déchu reculait, fuyant mon approche avide, encore un peu et il allait basculer dans l’eau. Je m’avançais brusquement, parcourant le dernier mètre comme un chat saute sur une souris. Je le ramenais à moi avec force, plaquant son corps frêle contre le mien, l’enfermant de mes bras dans une cage de chaleur et d’acceptance. Je ne voulais plus la laisser partir, plus le laisser se perdre. Ma respiration s’apaisa, sentir son contact sur moi était comparable à un dégel total de tout mon système sanguin. Je restais là quelques instants, dans un de nos moments suspendus. Ferme, ignorant toute tentative d’échapper à mon étreinte. Attendant qu’il se calme, calant mon souffle sur le sien, je le berçais doucement. Je pressais mes lèvres sur sa tempe et murmurait contre la douceur de ses cheveux de temps à autres. Des mots rassurants : Respire. Je suis là. Je reste. Des mots qui nous était adressés à tous les deux.

« Si je te lâche, tu dois promettre de ne pas sauter à l’eau… »
finis-je par dire, résigné à ne plus lui poser de questions qui puisse le replonger dans cet état de panique. Je relâchais la pression et desserrais mon étreinte avec prudence. L’avais-je serré trop fort, dans mon élan ? Les mains sur ses épaules, je l’éloignais de moi à contre cœur pour l’observer et plonger dans ses iris émeraudes en quête… d’une étincelle de vie ?  

« Tu n’as qu’à me le demander, Mésange. » grinçais-je tout près de son visage, les dents serrées. « Tu n’as qu’à me le demander, et je vais lui faire la même chose. Je m’en fiche, s’il est plus grand, plus vieux. Si tu me le demande j’irai l’éplucher avec mes propres ongles, comme il l’a fait avec toi. »

Lui arracher la peau, comme à une clémentine.

« Demande-le moi. Donne-moi le droit. »

©️  YOU_COMPLETE_MESS
Anonymous
InvitéInvité
Mer 6 Juin - 14:07

Corps et âme


             Mes pieds se synchronisaient un à un, frôlant la tremblote. Cela n'empêchait pas leur démarche de paraître inénarrable et de s'imposer à moi avec fermeté; m'approchant peu à peu de l'inconnu, m'éloignant tout doucement d'une chaleur familière qui m'était si chère.
Aurait-il été naturel que de jeter ne serait-ce qu'un bref regard derrière moi? Je commençais à maudire ce jus salé, pressé de mes sentiments jusqu'à en perturber mes sens. Si ma vision brouillée arrivait à atterrir autre part que sur la silhouette floue qu'affichait mes chaussons, cette destination ne se résumait qu'à lui; mes deux perles d'émeraude tentaient parfois de le distinguer entre mes mèches aux reflets azurs. Elles fuyaient aussitôt, vivement, en constatant le nouvel habit qu'avait vêtit la douceur de son visage, lorsqu'il s'approchait à ma rencontre. C'était sûrement la première fois de ma vie, que mes yeux virent sa peau laiteuse s'altérer de tant de fureur. A cette distance, j'aurais pu confondre ses iris avec leur centre, comme si ce flot de ténèbres engloutissait tout jusqu'à son cœur.
Ce loup blessé me guettait, continuant sa course à pas feutrés; sa voix grognait à en faire frisonner le sol sous mes pieds, d'une affliction tellement amère.

"J’ai tout vu, Swann. Qu’est-ce que c’est ?"
"Rien."
"C’est lui, c’est ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ?!"
"Rien."

Je m'attardais d'avantage à me répéter qu'à rechercher le rythme ordinaire de mon souffle, alors mes poumons, déjà broyés par le tranchant de mes larmes, me rappelèrent vite à l'ordre. Notre avancée émettait un grincement lent et dangereux, pendant que cette panique soudaine ayant prit un contrôle total sur mes émotions, me donnait l'impression que tout allait trop vite. Le bruit de mes inspirations tranchaient sèchement l'air, gonflant ma cage thoracique de manière douloureuse. Ce corps entier qui faisait l'objet de ma plus profonde rancœur se vengeait à présent de mes abus, mon cœur s'acharnait et le monde qui m'entourait semblait vouloir ma mort.
Ma paume de main se serrait durement contre ma nuque jusqu'à ce que mes ongles fusionnent presque à ma chair, amplifiant une mutilation qui pourtant ne me donnait pas l'impression de souffrir.  J'avais l'esprit tellement ailleurs; si seulement des ailes pouvaient dés maintenant poignarder mon dos, permettant à cette coquille vide d'aller le rejoindre.

Ma semelle pivota soudainement vers le bas, d'une manière qui s'extirpa de mon contrôle, laissant mon talon instable. Ce n'est qu'à présent au final, que ma tête avait osée se mouver promptement vers l'arrière, faisant presque sortir de ses moules mes deux globes oculaires effarés. Je constate au dernier moment l'étendue océanique qui écartait les bras à mon corps en échec; j'avais beau avoir ouvert la bouche pour m'égosiller, je n'avais même plus assez d'air pour le faire. Et pour ainsi dire, je n'avais même pas eue le temps.
Mon corbeau avait déployé son plumage comme un automatisme; il n'aurait même pas eu besoin d'être poussé par l'air pour bondir jusqu'à moi, munit d'une telle force dans son élan. Son inquiétude soudaine semblait avoir tout dérobé, et le loup s'était transformé en une entité somptueuse ne faisant plus qu'un avec les éléments. Soma ne tarda pas à venir agripper mon poignet avant de m'attirer vers sa poitrine dans un choc qui s'était fait presque douloureux. Mon être s'écrase contre le sien avec une facilité déconcertante; ma voix explosant dans un sanglot alors que chacun de mes membres s'agitait, hébétés par l'impact.

Ses bras resserrèrent leur étau autour de mes os, bloquant toujours plus la nervosité de mes muscles. Il m’entraînait doucement dans un mouvement balancier, tel que l'offrirait une mère à son enfant tourmenté. J'étais enseveli par cette chaleur qui m'étouffait tendrement, jusqu'à faire taire ma voix criarde, ne se résumant plus qu'à quelques caresses invisibles tout près de son oreille.
Sa bouche glissait doucement de temps à autre de chaque côté de ma tête; elle qui s'était reposée sur son épaule, la respiration finalement douce, les paupières closes. Alors que la moindre bride restante de mon esprit était partie s'exiler dans ses murmures, la chamade de mon palpitant était guidée par la sienne vers un semblant de paix.
Cet embrassement si réconfortant, je n'arrivais même pas à le relier à quelconque sensation de mon passé. Ni ma mère, ni mon père, ne m'avait un jour fait don d'une étreinte aussi intense, si bien que nos corps auraient pus se fondre l'un dans l'autre.

Après quelques instants, je sentais cette agréable sensation bouillonnante s'évaporer peu à peu dans l'air, ce qui m'arracha mollement des blandices de Morphée. Le garçon me repoussa avec délicatesse du refuge que représentait ses bras, ramenant peu à peu mes yeux fatigués à la réalité. Je distinguais maintenant clairement ses prunelles goudron ressortir de sa peau nuageuse, dont le contact avait été aussi doux que du coton à mes joues mouillées. Déjà nostalgique, j'essuyais ma peau humide, déformant mon faciès au passage de ma main. Après avoir perdue ce contact, j'étais soudainement envahi par une sensation âcre de ne plus être entier(e).

"Si je te lâche, tu dois promettre de ne pas sauter à l’eau…"

J'hoche la tête plus ou moins vigoureusement pour l'assurer. De toute manière, là n'avait pas été mon attention; je me tourne de moitié avant d'observer d'un œil un peu secoué la surface maritime dans laquelle j'avais manqué de me noyer. Savais-je au moins nager convenablement, pour ne pas couler dans de telles abysses? Je me serais sûrement combattue un moment contre la surface, comme un animal hors de ses moyens, avant de finalement me laisser écraser sous l'épuisement. Si Soma n'avait pas été là, je...

"Merci..." soufflais-je d'une voix faible, tout en essayant de rediriger timidement mon regard dans le sien.

Nous nous dévisagions un instant, comme motivés par la même volonté de s'assurer que l'autre avait bien recouvré la raison. A nous deux, nous pourrions croire que nous étions parvenus à nous réparer beaucoup mieux que la plupart des docteurs qui nous auscultaient chaque matins, et cela avait un côté aussi fascinant qu'exaspérant.
Je froissais nerveusement les manches le mon uniforme, hissant ma vision vers la voûte du ciel contre laquelle quelques pigeons se frottaient insouciamment. Je me redemandais souvent si nos avions en papier avaient traversés le port, et où est-ce qu'ils avaient atterris. Arriverais-je à les retrouver un jour? Arriverais-je à effleurer de nouveau d'autres horizons de ce monde, ces doux souvenirs auprès de mon père et ma mère, cette enfance loin de cette île?
Et si mes ailes ne me portent plus, durant ce voyage...Arriverais-je à garder Soma à mes côté, pour qu'il me sauve comme aujourd'hui? N'était-ce pas là un désir égoïste?

"Tu n’as qu’à me le demander, Mésange."

Un petit picotement vint attaquer mon échine lorsque ses paroles furent traduites à mon esprit. Mes pupilles retombèrent à son niveau, me permettant de constater que son visage n'était plus qu'à quelques souffles du mien. Je profitais de ses soupirs comme s'ils m'avaient toujours appartenus, mes iris encrées dans les siennes, figées de manière impassible. Alors que j'étais perdu dans les profondeurs de son regard, je pouvais sentir d'ici sa rage prête à exploser à tout instant, affublant sa mâchoire de stridentes crispations.

"Tu n’as qu’à me le demander, et je vais lui faire la même chose. Je m’en fiche, s’il est plus grand, plus vieux. Si tu me le demande j’irai l’éplucher avec mes propres ongles, comme il l’a fait avec toi."

Un flux d'air force le passage de mes narines, à l'entente de cette répartie. J'avais encore l'impression que son aura ne reflétait que l'obscurité de son âme, et cette vision de cet adolescent au bout du couloir, assit au rebord de cette fenêtre, me regagnait sans cesse. Lorsque quelques temps en arrière, les paroles de cet oisillon sauvage avaient retournés mon être, jusqu'à m'en éveiller de la peine...
Mais à présent, bien que ses mots avaient tendance à forcer le barrage de mes paupières avec toujours plus d'ardeur, j'apprenais peu à peu à apprivoiser mon corbeau. A assimiler sa lumière, comme les pénombres de son cœur.

Son cœur...Ma main alla doucement se loger sur ce côté de son pectoral. Je sentais ses battements s'affoler légèrement, exactement comme le premier jour, mais cela ne me surprenait plus autant. La différence à présent était que je ne m'agrippais plus à lui pour retrouver l'équilibre, mais bien pour qu'il regagne le sien; j'avais espoir de pouvoir canaliser cette folie meurtrière dans la paume de ma main, ça et tout les autres tourments qui le hantaient, qui s'étaient déversés dans ses larmes lorsque nous étions assis face à face.
D'un grand calme, je me hisse doucement sur la plante de mes pieds afin d'aller poser mon front contre le sien. Le vent venait faire s'agiter les mèches de cheveux entre nos deux crânes avant que notre proximité les emprisonne, créant joliment un ying et un yang de part leur teinte. Un symbole d'harmonie.
Mon regard verdâtre, d'ordinaire doux et d'une candeur pure, était bloqué dans l'emprise de ses deux bijoux cendrés; les rayons du soleil venant les faire étinceler tout deux d'un éclat mélancolique.

"Demande-le moi. Donne-moi le droit."
"Non."

J'avais lancée cela d'une grande fermeté, tout en resserrant d'avantage l'emprise de mes doigts. Mes sourcils s'étaient froncés et mes prunelles claires transperçaient ces aires foncées qui s'imposaient sous ses cils.

"Ce sont les mauvaises corneilles, qui s'acharnent à déchiqueter avec leur bec ce qui est déjà mort!" Les yeux papillonnants, je finis par ajouter d'un ton plus sensible, tout en retirant doucement ma main de son uniforme; "Mon corbeau à moi, il est différent de tous les autres..."

Le mien...Il a une autre manière d'engloutir la mort. Le mien donne la vie. Il fait pousser des ailes, fait naître des oiseaux, rattrape des anges déchus et apaisent leur cœur. Il dessine joliment, et même s'il affirme le contraire, est capable de partager tellement.  
S'il écoutait sa colère et se mettait ainsi en danger, m'empêchant probablement de m'abriter dans ses bras ou ne serait-ce que le revoir de nouveau, je ne lui pardonnerais pas. Je n'y survivrais pas, non plus.

Je finis par me reposer sur la totalité de mes pieds, avant de faire de nouveau volte-face vers l'eau troublée. Mon mouvement fut accompagné par une longue traînée de cheveux brillants que le ciel faisait étinceler; tout comme ceux de mon ami, ils s'agitaient par de légères danses qui pourraient rentre hypnotisé le moindre individu qui y nicherait sa concentration sans crier gare.
Mon regard perdu au gré des vagues, ma main revint gratter ces traces de griffures près de ma clavicule. Le sourire peu franc que j'esquissais me trahissait, mais le rythme de ma voix avait reprit sa constance habituelle, témoignant tout de même d'une évolution de mon état.  

"Ce n'est plus la peine de vouloir me venger. C'est fini. Il ne l'a pas fait exprès, Soma. C'est moi, qui me suis mal comporté."

Tout semblait vouloir me faire culpabiliser de mon attitude envers le docteur. J'étais constamment en retard à chacun de nos rendez-vous, me présentant la boule au ventre à quelqu'un qui faisait de son mieux à chaque instant pour m'accorder un avenir. L'avenir que mon père souhaitait pour moi. Comment voulais-je espérer pouvoir retrouver mon corbeau comme antan, à notre refuge rien qu'à nous, si je retardais constamment l'échéance de ma guérison de par mes mauvaises décisions? Pourquoi n'arrivais-je plus à supporter cette condition que je subis pourtant depuis toute ma vie?  
Tout serait plus facile, si j'acceptais docilement les mains que l'on me tend. Si je gagnais confiance en cette assemblée médicale qui ne souhaite que mon bonheur.

Ces coupures sur mon ventre se mirent à me brûler à chacune de mes expirations. Oui, que mon bonheur.

J'agitais frénétiquement la tête de droite à gauche, les paupières fortement fermées. Ce n'était pas seulement mon frère d'envol que je voulais convaincre par ma tirade. Car moi aussi, ma lucidité était étripée par les doutes à foison.
Mais je ne désirais plus qu'il s'inquiète comme aujourd'hui.

"C'est moi le problème. Ils veulent juste m'aider...Lorsque je serais guéri, tout redeviendra comme avant."

Je tourne une dernière fois mon visage dans sa direction, mon sourire préservant une grande tendresse à son égard. Néanmoins, ces forêts de verdure de chaque côté de mon nez persistaient à lui tourner le dos; fixant un point invisible, quelque part vers le sol.
Je n'assumais par de le réconforter avec des propos auxquels je n'arrivais moi-même pas à croire.

"Je te le promet, Corvo..."

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Mer 20 Juin - 1:09

Corps et âmeFt. IANDELLI Swann













Non.

Je me figeais, traversé par l’intonation de sa voix, et l’expression glaciale de mon visage se fissura ; laissant apparaître une lueur d’incompréhension. De détresse. « Non » ? L’éclat de ses sanglots résonnait encore dans l’air tout autour de moi, bourdonnant. C’était désormais une marque, au fer rouge, un souvenir que je savais enlisé dans les tréfonds de ma mémoire. Mais le Swann qui me faisait face était apaisé. La douceur de ses traits n’avait jamais été aussi sublimé que par ce calme après la tempête. Par ces joues rosies du passage de mes mains, par ses cils auxquels perlaient encore les vestiges de ses larmes. Mon visage me cuisait, à la fois perturbé par cette aura de sagesse et la beauté du tableau qu’il dépeignait. Et surtout, j’avais honte. Ce n’était pas un sentiment qui m’était familier, et pourtant je le reconnaissais et l’accueillais comme un vieil ami importun. Je ne connaissais plus la honte, car je n’avais plus admis qu’elle s’invite depuis que j’ignorais le monde autour de moi. Mais voilà, Swann était mon puit de lumière. Mon hublot vers l’extérieur. Et elle s’était faufilée avec lui. Sans trop savoir pourquoi, la culpabilité commença soudain à m’enserrer la gorge. Je n’aimais pas la manière dont il me regardait. La fermeté dans ce si petit mot. Tout coïncidait : j’avais dit quelque chose de mal.

J’avais envie de le contredire, de le secouer, de lui extirper sa bénédiction, de la lui arracher des lèvres. Par la force, par la douceur. Mais voilà. D’une infliction de sa voix si étrange, si claire ; D’un regard azuréen, déterminé, souligné par des sourcils adorablement froncés ; D’un contact de cette main, légère, immuable tout contre ma poitrine ; Je m’étais changé en statue de sel. Incapable d’aller contre sa volonté, impérieuse et primordiale, je sentais mon cœur frapper ma cage thoracique comme s’il ne rêvait que de traverser ma chair pour aller se réfugier entre ses doigts. Il y avait toujours trop de tissu, entre nous. Inconsciemment, je m’étais de manière infime rapproché de mon ange déchu, accentuant la pression de ce contact si doux. J’accueillais avec fébrilité son front contre le mien, laissant mon poids se reposer à peine sur lui dans un vertige, tout mon être ayant déjà l’impression de chuter dans une vertigineuse satisfaction.

"Non. Ce sont les mauvaises corneilles, qui s'acharnent à déchiqueter avec leur bec ce qui est déjà mort! »
Le contact rassurant sur ma poitrine se fit plus léger et disparu, me laissant hagard, comme un animal nouvellement apprivoisé, se demandant encore comment il avait pu s’abandonner autant. "Mon corbeau à moi, il est différent de tous les autres..."

Le sien… le tiens… le moindre …pour toi

Un frisson inconnu me parcouru l’échine à cette tournure de phrase, et une douce chaleur vint se blottir là où sa petite main venait de m’abandonner. C’était ma mésange qui l’y avait logée. Je fus presque aussitôt effrayé par la portée de cette réaction. Depuis l’éclatement de ma famille, j’avais toujours rejeté en bloc toute forme d’appartenance. Qu’elle ait pris le visage d’un foyer, au travers de ma tante, ou celui d’un sanctuaire avec l’Institut. Il avait fallu que je croise le chemin d’un bel oiseau pour que j’en comprenne le sens et que je lui invente un nouvel aspect. Swann était tout cela à la fois, il était mon adulé. La seule à qui j’autorisais tant d’emprise, pour la simple et bonne raison qu’elle n’en abuserait jamais.  Oui, l’appartenance est un sentiment bien capricieux. Mais je n’avais plus aucune crainte à me dire en moi-même ces trois petits mots que je n’osais pourtant lui souffler : Je suis tiens.

Swann me tourna le dos, se rapprochant de la berge, bien plus calme désormais. La messe était dite, et je suivais ses principes aveuglément. Je me contentais de faire quelques pas à sa suite, lessivé de toute volonté d’aller contre ses paroles. Je cherchais en vain la flamme de la colère pour la raviver, me réfugier dans son feu familier et douloureux. Mais je ne me heurtais qu’au coton que la voix et la présence de ma mésange laissait derrière lui, perdant mon regard dans les fils d’argents flottant derrière sa silhouette menue.

"Ce n'est plus la peine de vouloir me venger. C'est fini. Il ne l'a pas fait exprès, Soma. C'est moi, qui me suis mal comporté."


Je ne lachais plus des yeux, guettant la moindre félure dans son sourire figé. Je connaissais cette excuse de ne pas « faire exprès », et cela m’empêcha d’ouvrir davantage les lèvres pour exprimer mon désaccord. Aucun comportement cependant ne justifiait à mes yeux que l’on blesse mon oiseau, et surtout pas en essayant de l’emprisonner dans ses mains.


"C'est moi le problème. Ils veulent juste m'aider...Lorsque je serais guéri, tout redeviendra comme avant."


Je pose mon regard austère sur lui, lorsqu’il se tourne finalement vers moi. Mais ses yeux fuient les miens, préférant le spectacle des pavés du port. Sans ces perles de jade pour reconnaitre mon existence, je me sens redevenir invisible.

"Je te le promet, Corvo..." murmura-t-il finalement, son accent chantant m’arrachant un frisson.

Je m’approche, imposant ma présence à ses côtés, ne le lâchant pas des yeux malgré son évidente fuite. Comme à mon habitude, je ne me souciais pas de paraitre oppressant ou menaçant. Je voulais juste qu’il me regarde, qu’il me fasse exister à travers ses yeux, encore un peu. Je lui relevais le menton d’un geste de la main, l’obligeant à m'accorder son tendre visage et à me montrer de nouveau la luxuriance de ses iris.

Faux sourire…fausse mésange …masquée…


« Fausse mésange »
répétais-je, en plein accord avec ce qui se scandait au creux de mon oreille. Je sondais encore une seconde la commissure de ses lèvres rosées, et finit par lui offrir un sourire triste. « Tu me mens, et moi je vais être obligé de te croire. »

Comment pouvait-il en être autrement ? Je soupirais et retirais ma main de sous son menton pour lui rendre sa liberté.Je lui tournais le dos et m’asseyais sur le rebord du quai, guettant les eaux troubles avec soudain milles questions en tête au milieu de la tristesse d'être ainsi victime de ce mensonge aussi blanc que sa chevelure.

« Comme avant ? Je ne connais pas le Swann d’avant, et je n’ai pas envie qu’il revienne. Je préfère la mésange qui s’asseoit au bord de la fenêtre avec moi le soir, et je ne vois pas pourquoi on devrait la changer. »


Un genou serré contre moi, je contemplais l’étendue insondable dont les remous me rappelaient mon propre vague à l’âme. Je sentais la présence de Swann a mes cotés, j’avais envie de son contact contre mon épaule, et me languissais secrètement d’un passage de sa main dans la jungle de mes cheveux. Non loin de nous, le bateau servant au ravitaillement de l’île était amarré, son propriétaire trainant sans doute du côté de la capitainerie à discuter avec les gardes. Le son des vaguelettes, clapotant contre sa coque. Le chant des mouettes, le vent salé fouettant mon visage, asséchant mes lèvres. J’aimais la mer. Je n’aurais jamais pensé un jour la maudire à ce point. Elle était notre douve, le mur infranchissable de notre prison aux allure de palace.

« De quoi est-ce que tu es censé guérir ? Est-ce que ça vaut la peine qu’on te maltraite, qu’on te torde dans un sens où tu ne devrais pas aller ? Je ne veux pas qu’on te change.» Je marmonnais pour moi-même plus que je ne parlais à ma mésange, chamboulé par ce que son fatalisme impliquait.

Est-ce que ça veut dire que tu vas bientôt partir ? fut une question que je n’osais formuler, de peur de la réponse trop réelle qu’elle allait amener.

Partir, et me laisser de l’autre côté du pont-levis. Incomplet.
Anonymous
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Mar 3 Juil - 1:46

Corps et âme


             
"Je te le promet, Corvo..."

Le son de ses pas me parvenait, froissant le silence ambiant, étouffant jusqu'au tracas des mouettes. Cette sculpture massive en marbre blanc, d'un visage pourtant bien trop émotif, s'était finalement animée de la noblesse d'un aigle. Son seul regard feignait ma colonne, picorait l'arrière de mon cœur et m'étouffait brutalement d'une douleur aiguë; la moindre parcelle de mon semblant d'assurance s'en voyait soudain galvanisée. J'aurais aimé rester là, immobile, niant d'être accablée par cette prestance déstabilisante. Mais nous avions beau être séparés, par delà les mèches laineuses s'enroulant à nos oreilles, les couches de lin qui distançaient nos peaux et la chair qui entravait nos cœurs; nos souffles ne réclamaient que de s'agréger sans cesse, abdiquant toute idée de temps ou d'espace.
Ça a toujours été ainsi, entre moi et mon corbeau; j'avais accueilli cette réalité, cette alchimie entre nos deux âmes, sans jamais trouver utilité à la traduire.
S'imposant toujours et encore, un drap d'obscurité avait tôt fait d'envelopper mes détails, coloriés uniquement par mon regard olive; la silhouette de ce garçon me dominant, je n'avais d'autre choix que de faire taire ma liberté dans la profondeur de cet œil aussi glaçant qu'ardent.

"Fausse mésange."

Sa main me rapprocha autoritairement de son teint livide, tranchant brièvement mes ailes et m'encageant dans son emprise. Ce message abstrait avait causé un fracas trop vraisemblable à mes tympans; une souffrance aussi agréable que celle d'un muscle brûlé, délivré après avoir été lacéré trop longtemps sous des chaines. Aussi douce qu'une étreinte, que l'attention d'une personne chère. Aussi amère qu'une claque ou que l'ignorance d'un être aimé. Je subissait tout d'une expression incertaine; observant la peine étirer ses lèvres, autant que cette étincelle désireuse éveillant ses pupilles lorsqu'il baissait sa vision vers les miennes. Silencieuse, naïf, comme nouveau-né assimilant difficilement tout ce dont cet univers trop complet veut le remplir.

"Tu me mens, et moi je vais être obligé de te croire."

Mes cils tiquèrent à l'entente de cette voix brisée; mon esprit saisissant lequel d'entre nous venait réellement d'être condamné. Mon animal noir se déchargea d'oxygène comme on cracherait une poignée de sang; cette bouffée lourde de chaleur fut le dernier présent qu'il me déposa avant de retirer calmement ses doigts de mon port de tête, regagnant sa stature avec dignité. C'était trop dur pour moi que de refouler ma fascination, lorsque je devinais avec quelle force cet homme assumait le fardeau s'affaissant sur ses épaules; son allure intimidante camouflait une tendresse que j'étais capable de reconnaître, de repêcher du précipice sans fond qui se creusait  entre ses paupières, à chaque fois qu'il s'attardait sur mon apparence. Cette crevasse dans laquelle je me noyais bien trop souvent, m'isolant de tout ce qui puisse exister, juste le temps d'un battement d'aile. Cet abîme n'illustrant que mon reflet, me prouvant que je mentais autant à lui qu'à moi-même.  

Mais avais-je le choix ?

Le scintillement lunaire de ses joues, ce mélange étoilé de sueur et de larmes séchées, fut éclipsé rapidement par un nuage de chevelure brumeuse. Se posant au rebord de l'eau, narguant les vagues du bout de sa patte griffue, j'observais mon oiseau cendré toiser un nouveau vide par delà les abysses. Un gouffre plus bleuté et vivant que celui que nous défions jour après jour à notre balcon, mais dans lequel je le sentais sombrer plus profondément qu'à l'usuel.

"Comme avant? Je ne connais pas le Swann d'avant, et je n'ai pas envie qu'il revienne. Je préfère la mésange qui s'assoit au bord de la fenêtre avec moi le soir, et je ne vois pas pourquoi on devrait la changer."

Taciturne, je basculais doucement ma tête sur le côté, laissant mes cheveux poursuivre les flots dans leur exil vers le limon. Mon attention n'accueillait plus que ses tourments si similaires aux miens, cette mélancolie fuyant posément par ses paroles. Je me savais incapable de panser cette plaie dont moi et mon corps absurde étions auteurs. Car moi non plus, je ne voyais pas pourquoi je devrais changer.

Mais le monde, lui, le pouvait; ne parlant ni le langage de la mer, de la terre ou les simagrées du ciel, il ne m'était pas possible que de déférer les caprices du destin. Pourtant, j'étais persuadée que tout ceci devait avoir un sens, que mon entourage cherchait uniquement à gommer une erreur néfaste dans un engrenage si bien huilé, ma destruction se qualifiant comme le prix de cette utopie tant prisée. J'étais une nuance foncée dans un tableau clair, un fléau flétrissant la beauté d'une société violentée par chaque regard qu'elle m'adressait. Cette violence à laquelle, pour une raison obscure, Soma avait été épargné.
Ce gars...C'était comme s'il avait toujours vécu isolé dans une bulle, ignorant une réalité bien trop impure pour être esquissée sur ses pliages. Lui entre un million, nous pouvions deviner d'une seule œillade ce qui le démarquait. Ce qui le rendait si détaché. Si solennel. Si différent. Nous nous ressemblions presque, sur ce point.
Pourtant...J'avais la sensation que ça ne pouvait pas durer. Et que ça n'aurait pas pu durer, de n'importe quelle manière. Alors que le vent poussait contre mes oreilles, que la houle claquait contre le bois du débarcadère, j'entretenais l'impression que cette pointe de dégoût, si torturante, manquait à toute son attitude. Absence anormale, que mon devoir m'obligeait à corriger, participant moi aussi au peaufinent d'un cosmos dont je ne faisais pas parti. A ma propre annihilation.

Et je l'avais accepté, d'un sourire sans émotion.

Nourrissant discrètement ma proximité avec la largeur de son dos, j'arrivais à percevoir quelques brides de ce qu'il murmurait à l'océan, d'un ton aussi trouble que l'écume s'écrasant à son orteil amoché.

"De quoi est-ce que tu es censé guérir? Est-ce que ça vaut la peine qu'on te maltraite, qu'on te torde dans un sens où tu ne devrais pas aller? Je ne veux pas qu'on te change."

Je m'abaissais à son niveau, m'agenouillant juste derrière lui et contemplant l'horizon par dessus son épaule. Alors que ce dernier semblait captivé par un énième navire pirate, infiltré agilement en appâtant la sécurité avec des vivres – j'avais cerné leur petit jeu depuis le début; il ne peut y avoir que de l'or dans ces coffres -, j'hésitais à lui proposer puérilement un pillage improvisé à base de branches de bois et de lancers de chaussons. Un paquebot nous aurait permis de fuir cette situation par les hautes mers, errer ensemble en solitaire à la recherche de quoi que ce soit à conquérir, allonger sur notre tombe un essaim de rêves épanouis. Je ne voulais pas périr ici, le tout en ayant perdu espoir. Et ce n'était pas non plus l'avenir que je lui souhaitais.

"Tu te souviens encore, de quand nous nous sommes rencontrés ?"

Un léger rire se fondait à cette rhétorique. J'avais beau le redécouvrir au fil du temps, l'accumulation des jours n'estompera jamais cet hier à nos cœurs. Un beau soleil d’Août avait enrayé la croisée de nos chemins; j'avais partagé la fin de mon repas avec cette créature impressionnante, ne pouvant le discerner entre une corneille et un félin. Je ne lui voulais rien, à part quelques dessins, quelque chose à raconter aux hirondelles.
Soupirant(e), j'écrase le peu d'air distançant mon menton de sa clavicule. La fraîcheur des côtes réfrigérait mes poumons, éclaircissant la musique jouée par mes cordes vocales.

"Cela faisait déjà plusieurs années, que j'étais piégé..." Tatouée des traits d'un(e) imbécile heureux/se, je comptais les nuages et mes explications s'élançaient insouciamment; "Je passais mon temps à observer les fleurs se multiplier. Les oiseaux appeler leur moitié à l'arrivée du printemps, les fourmis réunir leurs semblables pour porter le double de leur poids. Les abeilles, s'épanouissant avec l'altitude, malgré leurs minuscules ailes..."

Ma discipline s'égare dans un gloussement, celui-ci ayant perdu toute innocence. Il m'allait mal. Il était âcre. Laissait ma bouche pateuse de par sa seule raisonnance.

"J'ai toujours admirée cette planète ! Cette nature dans laquelle j'étais bloqué, me rappelant sans cesse à quel point que n'y ait pas ma place !"

Cet écho jubilatoire fit naître un silence pesant, laissant l'azur infini trouer froidement nos ossements. Comme mon camarade, je n'osais plus me détacher des éclats atlantes. Malgré moi, j'étais apeuré du portrait qu'il devait afficher par delà la mélanine de ses boucles.
Un esprit malicieux rongeait mes entrailles, perpétuant à me réprimander de toute la détresse dont je l'asservissais aujourd'hui. Il attisait en moi un mélange de honte, de tristesse, de colère, ne fleurissant qu'en une marre de buglosses larmoyantes. Prétendre m'exprimer au nom de mon cœur était détestable, si je ne reconnaissais même plus les vibrations de ma propre voix.

"Je m'y étais résigné, tu sais ? Vraiment.

Mais toi...
"

Toi...

Toi...

J'avais finalement osée recentrer mes égards vers celui qui en réunissait les mérites; encadrant mon nez de porcelaine, mes deux perles d'émeraudes roulaient le long de sa nuque.

Toi, tu m'as laissé une place, sur ce balcon. Sans même que je te la demande, tu me l'as envoyée à dos d'origami, d'un coup de poignet.
Un endroit où je n'avais pas besoin de tout ça. Où je pouvais imposer ma présence en ce monde, avoir le droit en ta compagnie, sans devoir te ressembler ou non. Etre fort ou non. Utile ou non.
Tu m'as transformée en oiseau de papier; toi, tu ne m'as définit que par des ailes. Rien d'autre que des ailes. Et avec un peu d'élan, et tu m'as emmené tout près du ciel.
Là où on avait plus besoin de destination, ni de but. A part être ensemble.


Retenir mes bras de venir enserrer sa taille n'était même plus envisageable. Devenant friand(e) de  nos étreintes, même des plus maigres, je sentais ce à quel point sa présence voulait prendre le rôle de tout ce qui sillonnait mes veines. Ingénue comme je l'ai toujours été, j'avais cru avoir amadoué un fauve, lorsque moi-même m'appuyais contre ses palpitations pour subsister.

Tu m'as donné un sens.

"J'ai l'impression que tu ne le vois pas. Hein ? Soma."

Mes yeux étaient revenus le chercher, soudainement convoiteux d'acculer les portes de son fort intérieur. Renfilant le costume de l'enfant, celui qui ne comprend pas, qui séduit de par sa légèreté, ses lacunes. De la même manière que, lui, captivait de par la véhémence de ses émois, la profondeur de sa voix, cette puissance qu'il camouflait derrière un dévouement que peu serraient capables d'imiter. Je ne réalisais qu'à peine la chance représentée par sa présence contre moi, l'immolant dès lors sous les mains d'un démon destructeur, chargé d'achever tout ce que l'on m'offrait.

Je ne méritais pas sa compassion, cette tolérance étourdissante qui n'avait pas lieu d'être. Cela sonnait comme une évidence; ce que je lui révélerais aujourd'hui devrait suffir à ce que notre lien se fane définitivement. A ce qu'il n'abandonne ses reste qu'aux tréfonds de mes souvenirs.
Je ne présageais pas les choses autrement.

Mes derniers gestes tremblaient de deuil alors que mes doigts glissaient lentement le long de son uniforme, caressaient la longueur de son torse, de sa gorge, jusqu'à épouser les formes de son visage et venir obstruer chacune des images se présentant à lui. Vu comme ça, n'importe qui aurait pu croire témoigner à la candeur d'un gosse, prenant par surprise la première personne venue, lui masquant les yeux et la questionnant bruyamment d'un "C'est qui ?" emplit de frivolité.

Mais plus que m'amuser, je voulais le couper de tout.
Le couper de la mer.
Le couper du port.
Le couper de l'Institut.
Le couper du monde.
Le couper de moi.

Je voulais savoir ce que son coeur, lui, a toujours vu en "Swann".

"Je suis une fille ou un garçon, pour toi ?"

Je me plierais à sa réponse. Et plus que n'importe quelle autre, j'y vouerais obéissance.

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