"C'était ta soeur ?.."
Cette toux grasse devenait réellement embarassante.Code by Joy
Cela aurait pu me raisonner à ne plus passer mon temps dehors; mais subir la vision des couloirs de mon pavillon me mettait mal à l'aise, ces derniers temps. Je n'arrivais plus à marcher dans la cour sans y visionner cette estrade fraîchement démontée.
C'était toujours difficile pour moi d'analyser correctement ce que j'ai aperçu, ce jour là. De vraiment réaliser, même au fil des jours, que quelqu'un avait bel et bien été assassiné sous nos yeux à tous. De la main de mon docteur, de surcroît. Par celui que je vois en auscultation tous les matins.
J'aurais pue le remarquer, qu'il n'était plus le même depuis cette fameuse exécution; mais tous les visages de mon entourage avaient changés subitement. La plupart des patients que je connaissait par delà leur matricule se faisaient discrets depuis qu'ils ont entendus ce coup de feu...Je ne pouvais que les comprendre. Notre espoir à chacun était écrasé sous le poids de la peur et je ne pouvais pas y être insensible.
Plus personne n'était sûr au sujet de qui méritait notre confiance, dans le personnel. J'observais notamment mon corbeau se faire de plus en plus craintif à l'approche de n'importe quel médecin, souffrant de ne pas pouvoir d'avantage le rassurer qu'en lui parlant du ciel, de la nature, des oiseaux, avec ce sourire naïf qui m'as toujours fait défaut. Eux, au moins, étaient libres. Ils n'étaient pas étouffés derrière des barrières, à attendre de se faire abattre par une balle; si Z01 aurait eue des ailes, elle aurait pue s'envoler à tout moment, loin d'ici. J'évoquais souvent cette pensée durant nos nuits blanches, quand Soma et moi restions réveillés pour ne plus faire face aux cauchemars.
Mais le mal était fait, à présent. Et je préférais sentir mes muscles glacés par le vent des côtes que de me retrouver proie à ces flashs morbides, qui envahissaient à présent la cour centrale. Elle restera toujours hantée par l'odeur de la mort, quoi qu'on fasse.
Je traînais mon rhume dans les alentours du bâtiment jusqu'à finalement atteindre le lac. Un bel endroit. Ma mâchoire s'écarte jusqu'à ce que ça en devienne douloureux, exposée à une vision si apaisante. Je souffrais définitivement de mon manque de sommeil, mais je préférais ne pas m'en plaindre. Le fait de rester à côté de mon oiseau noir rendait la période nocturne la moins anxiogène de la journée, et ce même en nous sachant dans l'interdit. Cela devenait de moins en moins fréquent pour moi d'être seul(e), sans lui.
Une sensation étrange m'envahissait, comme si mon isolement en ce lieu n'avait pas lieu d'être.. J’espérais secrètement qu'il ne m'en veuille pas, tout en m'approchant du rivage.
Inconscient(e), j'enlève l'un de mes chaussons pour y tremper le bout du pied. J'ai tôt fait de le retirer hâtivement en la sentant encore glacée. Ce n'est certainement pas cela qui améliorerait mon état, mais à choisir entre ma santé et ma curiosité, le choix était toujours vite fait.
Mes yeux s'écarquillent lorsque j'aperçois une petite silhouette se dandiner frénétiquement sous l'écume avant de disparaître. Une nouvelle vient prendre sa place, et mon corps s'accroupit lentement afin d'observer ces poissons avec un petit sourire sage. Je m'efforçais à faire le moins de bruit possible, contrôlant jusqu'à la force de mes respirations, pour ne pas les effrayer.
Cela n'avait alors rien d'étonnant que dans ce silence, les pas du patient derrière moi faisaient écho de manière plus remarquable. Sans réfléchir une seule seconde, je poste mon doigt devant mes lèvres tout en soufflant un "Chuuuut..." au spectateur inconnu qui approchait non loin. Après tout, qui sait si les poissons avaient des oreilles.
Il est normal pour n'importe quel animal inoffensif d'avoir peur des humains, surtout lorsqu'ils possèdent parfaitement le pouvoir de les étouffer sous leur grande main, eux qui sont noyés dans une cage sous-marine.
Ils étaient comme nous, ces poissons. Moi aussi, j'aurais aimé ne pas avoir les avoir notifiés, les prédateurs. Ne jamais me sentir autant en danger dans cet Institut qu'à l'heure actuelle.
- Que se passe-t-il Génie ?
- C’est Cap. La mort de notre sœur… Il le vit mal. Très mal.
- C’est-à-dire ?
Le patient retire son haut d’uniforme. Son corps est mutilé, notamment aux niveaux des avant-bras et du ventre.
- Mon dieu. Je te prescris toute de suite quelque chose.
Transcription annotée d’un enregistrement audio : 05/06/18 »
Ce matin-là, quand Cap se réveilla, il n’avait aucune idée du jour où l’on était. Dehors, il faisait plutôt beau, le soleil entrait timidement dans sa chambre, faisant danser la poussière. Tout était calme. Tranquille. Il avait l’impression vague que quelque chose n’était pas normal. Qu’il manquait quelque chose notamment. Mais alors quoi ? Il n’en avait aucune idée. Il haussa les épaules, n’ayant pas envie de se prendre la tête avec ça.
Il se leva, alla prendre sa douche et son petit déjeuner. Toutes les personnes qu’il croisait tirer une tête étrange. A croire qu’ils se rendaient à un enterrement. Bon, d’accord, sur terre y avait mieux que la cantine de l’Institut – même s’il n’y avait pas vraiment de quoi s’en plaindre – mais quand même, ça méritait pas une tête pareille !
« Hein ? Qu’est-ce que t’en penses Génie ? »
Seul le silence lui répondit. Bizarre. Il alla frapper à sa porte : pas le moindre signe de vie. Etait-ce ça la sensation de vide qu’il avait éprouvé au réveil ? C’était vraiment étrange. Ca arrivait que le Génie refuse de lui répondre mais là… On aurait dit qu’il n’était tout simplement pas là. Qu’il s’était absenté. Cap rigola tout seul en imaginant le Génie parti faire des courses. Il avait du mal à voir comment il avait bien pu s’en aller mais après tout pourquoi pas. Au moins, pour une fois il n’aurait pas ses critiques en continu dans la tête, ça serait reposant. Autant en profiter tant qu’il n’était pas là !
Une fois qu’il eut terminé son petit déjeuner, il alla se promener. Il avait une idée bien précise en tête. Profiter de l’absence du Génie pour en faire un maximum qu’à sa tête. Il avait bien envie d’aller faire un tour au lac. Voire dans le lac. En cette saison, l’eau devait encore être froide mais bon, askip c’est bon pour la circulation donc pourquoi diable se priverait-il ? C’est donc d’un pas énergique qu’il s’y rendit, s’amusant à varier les façons de se déplacer une fois hors de vue des agents de sécurités. Sur les mains, en roulant tel un ninja, en rampant façon commando… Son uniforme était totalement maculé de terre. Qu’est-ce que le Génie aurait râlé s’il avait été là ! D’ailleurs, finalement, ça l’ennuyait un peu d’être seul. Il n’avait même pas le plaisir de le faire tourner en bourrique, ça rendait ses bêtises un peu décevantes.
En plus, sur le chemin, de drôles d’image lui traversaient l’esprit. De la neige. Trois corps frigorifiés. Un coup de feu. Du sang. Un immense chagrin l’envahissait, sans qu’il n’en connaisse la raison. Il ne s’interrogea que le temps de refaire l’un de ses lacets avant de secouer la tête et de bien vite chasser ces pensées désagréables. Décidemment, un tour dans l’eau glacée du lac lui ferait le plus grand bien !
Alors qu’il arrivait au bord du lac, il vit qu’il y avait été devancé.
- Bonj…
- Chuuuuuuuuuut !
Il s’immobilisa. Une silhouette aux cheveux longs, qu’il prit tout d’abord pour une fille, se retourna brusquement et lui fit signe de se taire. Il pencha la tête sur le côté, interrogatif. Pourquoi devait-il se taire ? On n’était pas dans une bibliothèque. Cependant, il accepta l’ordre. Il ferma une fermeture éclair imaginaire sur sa bouche avant d’enlever ses chaussures pour faire moins de bruit en s’approchant de nouveau.
Finalement, la silhouette n’était pas si féminine en s’approchant. Elle aurait très bien pu être celle d’un garçon. Du coup, c’en était un ? Il haussa les épaules. Après tout quelle importance ? Garçon ou fille, il voulait juste comprendre pourquoi on lui avait dit de se taire. Alors, il suivit le regard de l’individu à côté duquel il s’était accroupi mais il n’y voyait rien de remarquable.
- Pourquoi est-ce qu’il ne faut pas faire de bruit ? Lui chuchota-t-il à l’oreille.
"C'était ta soeur ?.."
J'étais fasciné par ces petites ombres dansantes. Elles virevoltaient insouciamment sous l'eau pendant que j'hésitais à perturber leur balade du bout des doigts. Pour l'avoir déjà expérimenté auparavant, interpeller ainsi la surface du lac crée de jolis échos aqueux en forme de cercles. Je me demande si ces drôles d'animaux trouveraient cela aussi joli, de leur point de vue.Code by Joy"Pourquoi est-ce qu’il ne faut pas faire de bruit ?"
Ce souffle vint caresser mon oreille tel un chatouillis, que je vint chasser spontanément d'un frottement d'épaule. Je constatais de mes grands yeux verts la présence à mes côtés d'une manière plus évidente que précédemment. Je ne pensais pas que cet inconnu irait m'approcher d'aussi près, alors mes pupilles le dévisageaient avec un certain étonnement. Sans trop faire attention, je me laissais mon âme plonger la tête la première dans ses deux iris très claires. Elles semblaient grises, quoi qu'elles tiraient légèrement sur le l'émeraude, elles aussi; peut-être était-ce le reflet des feuillages des arbres, qui sait ? Leurs branches s'agitaient sous les caprices du vent, au même rythme que sa crinière brune déjà bien livrée à elle-même. On aurait dit ceux de Soma, mais avec plus de couleurs.
Un léger sourire vint étirer mes lèvres à cette pensée. Mes doigts étaient dorénavant décidés à aller se plonger dans l'eau, alors ma main se glissa sous deux alevins qui se tournaient paisiblement autour; je pouvais sentir leurs écailles caresser timidement ma paume, mais n'osais pas les sortir vers l'oxygène. Je les accueillais juste au dessus de ma peau pâle, qui faisait contraster leurs teintes sombres."...On dirait qu'ils n'ont pas peur, finalement." soufflais-je à voix basse. "Tu as l'air d'être rassurant. Ils n'ont sûrement pas envie de te laisser tout seul..."
J'avais sortie cela de manière ingénue, alors que mon attention était happée de manière un peu mélancolique par le fretin. J'eus tôt fait de zieuter à plusieurs reprise le visage de mon compère avant de me rendre compte que ma répartie était peut-être un peu décalée."Ah! Euh...Je parlais des poissons !" me repris-je assez promptement en indiquant ces créatures du regard. "Enfin, n'entend pas par là que je veuille te laisser tout seul ! Je-"
Ma toux me coupa dans mon élan d'anxiété, me forçant à retirer vigoureusement ma main de l'eau pour aller couvrir ma bouche. Les poissons semblaient avoir fuit en même tant qu'elle, se camouflant de sorte à ce qu'on ne puisse plus les voir. Mes pensées avaient une sacrée tendance à fuguer un peu à leur guise, elles aussi; heureusement que mon rhume les avait stoppées à temps.
Je me penchais au dessus du rivage, tentant de repérer la moindre nageoire avant d'abandonner, munis d'une mine assez dépitée. Un léger silence laissa le vent s'exprimer un court instant; j'en profite pour observer de nouveau le patient qui se trouvait à côté de moi, remarquant que celui-ci n'était plus chaussé. Maintenant que j'y pense, c'était probablement la raison pour laquelle je ne l'avais pas entendu approcher."Tu es venu pour tremper les pieds ? Tu sais, j'y ai mis le mien tout à l'heure, et l'eau est très froide !" confiais-je alors au garçon d'un ton plus assumé, maintenant qu'il n'y avait plus personne à déranger.
Son regard se troubla. Lore… Il y avait quelque chose qui clochait. Pourquoi avait-il envie de pleurer d’un coup ? Lore… Il bloquait sur elle sans trop savoir pourquoi. Des pensées, des images tournaient dans sa tête à l’évocation de sa sœur sans qu’il n’arrive à réellement les saisir, comme lorsqu’on essaie de se souvenir d’un rêve. Un rêve qui avait des allures de cauchemars.
- ...On dirait qu'ils n'ont pas peur, finalement. Souffla-t-il à voix basse. Tu as l'air d'être rassurant. Ils n'ont sûrement pas envie de te laisser tout seul...
Cap cligna plusieurs fois rapidement des yeux, comme s’il émergeait soudain d’un autre monde. Il fixa son interlocuteur, le regard encore absent, essayant de comprendre ce qu’il venait de dire. Oui, il avait décidé par défaut d’utiliser le masculin en attendant de savoir. Ce n’était peut-être pas très correct de sa part s’il s’agissait d’une fille mais bon. Il le faisait dans sa tête alors il ne pouvait pas savoir et donc, pas lui en vouloir. Et puis, c’était en attendant d’en avoir le cœur net, il pouvait toujours se corriger après. D’ailleurs, il peinait un peu à réintégrer la réalité.
- Ah! Euh...Je parlais des poissons ! Enfin, n'entend pas par-là que je veuille te laisser tout seul ! Je-
Il s’interrompit, pris par une quinte de toux, tandis que lui éclatait de rire. Ah mais oui ! Les poissons ! Donc c’était à cause d’eux qu’il ne fallait pas faire de bruit ! Il comprenait mieux !
- Tu es venu pour tremper les pieds ? Tu sais, j'y ai mis le mien tout à l'heure, et l'eau est très froide !
Oh, c’était vrai ça aussi. Comment avait-il pu oublier ? Enfin, il avait la tête un peu ailleurs aujourd’hui, c’était un peu bizarre, il n’était jamais dissipé comme ça en dehors des cours.
Il sauta sur ses jambes se remettant debout.
- Yep ! Et pas que les pieds d’ailleurs !
Il se débarrassa joyeusement de ses chaussettes qu’il envoya valser aux quatre vents, tout comme les deux pièces de son uniforme, ne gardant que son caleçon. Il se jeta à l’eau d’une seule traite. C’était vrai qu’elle était froide. Ca faisait un bien monstre ! Il plongea brièvement la tête sous l’eau, histoire de se mettre complètement à bonne température.
- Ah ! Elle est fraîche ça fait grave du bien ! Tu viens ? Demanda-t-il spontanément.
Cependant, il n’avait pas plus tôt prononcé ces mots qu’il se rappela qu’il ne savait toujours pas s’il avait à faire à un garçon ou à une fille. Il passa une main dans ses cheveux, embarrassé. Il espérait qu’il ne l’avait pas brusqué. Lui, il s’en fichait de se mettre en caleçon devant une fille, si c’en était une. Il avait l’habitude avec sa sœur. Mais il n’était pas sûr que ce soit réciproque.
- Enfin, si t’en as envie hein ? Te force pas. Ajouta-t-il avec un grand sourire qui masquait mal sa gêne.
"C'était ta soeur ?.."
Le garçon me dévisageait fixement, son regard s'assombrissant peu à peu d'une douleur que je n'arrivais pas à identifier. La culpabilité s'emparait légèrement de moi; assez naturellement, je commençais à me questionner sur le moindre de mes faux pas. Peut-être n'aimait-il pas les poissons? L'eau, la peur, la solitude, voire même ses propre pieds, ma propre voix, mon physique si androgyne que peu appréciaient?Code by Joy
Mais finalement, après quelques battements de cils, il semblait avoir regagné lentement un émotif bénin, allant jusqu'à être prompt à rire de l'une de mes phrases. Un peu gêné, mon regard valsait ici et là, confus et un peu prit au dépourvu par ce comportement assez lunatique. Ma foi, j'étais habitué à côtoyer toute sorte de malades ici, alors ce genre de réaction n'allait pas jusqu'à faire naître en moi un mal-être démesuré; ne pas être toujours très compris, cela faisait parti de mon quotidien."Yep ! Et pas que les pieds d’ailleurs !"
D'un bon assez agile, il s'était remit sur ses deux pattes et mon esprit ne pouvait dorénavant plus s'empêcher de le comparer à un lapin. Un lapin brun, à la voix assez enjouée; mais c'était juste parce qu'il sautait haut. Constatation qui me glaça de nouveau lorsque, en deux temps trois mouvement, il s'était débarrassé de ses habits pour se jeter dans l'eau sans réflexion. Me trouvant juste adjacent, je m'étais pris les éclats de sa chute en pleine figure, tendis qu'une masse aqueuse alourdissait désormais autant mes cheveux que mon uniforme blanchâtre. Dans un léger cri, mes bras étaient venus s’entrelacer, tentant vainement de pallier à l’électrochoc soudain qu'avait subit ma peau sous le poids des flots. Un gage de tout sauf de réconfort à mon être enrhumé."Ah ! Elle est fraîche ça fait grave du bien ! Tu viens ?"
En effet, elle est fraîche, oui.
Claquant des dents, je lui adressais timidement une œillade avant d'offrir le fardeau de ma crinière à l'herbe du rivage, l’essorant maladroitement de mes doigts trop fins. Ses mèches bistres étaient dorénavant aussi gorgées que les miennes, maintenant qu'il avait noyé l'intégralité de son crâne dans les profondeurs du lac. Il été doté d'un visage démontrant une large joie malgré le silence; je l'observais dubitativement tout en hésitant à répondre. Mes yeux jonglaient entre lui et les flots, les flots et lui, puis se baissèrent finalement au niveau de mes genoux. De ce corps bien trop amoché.
Quelques souvenirs d'école me revenaient en tête; ces cours de piscine où je me trouvais continuellement sur le bas côté. Au fil du temps, j'avais bien trop peur d'aller me changer avec les autres et de toute manière; je ne savais même pas réellement si j'étais apte à nager. Moi et mes parents n'allions pas souvent à la mer, sauf pour pécher ou pique-niquer près des mouettes. Nous avions beau sortir souvent, nous n'avions ni le temps ni les moyens de partir en vacances autre part que chez la famillia, à la capitale."Enfin, si t’en as envie hein ? Te force pas."
La manière dont il se grattouillait l'arrière de la tête m'extirpa un léger rire. Je me penchais légèrement au dessus de l'eau, toisant le moindre mouvement à la surface, puis demandant d'une toute petite voix."Elle est profonde ? Il n'y a pas de requins ?"
L'effroi faisait presque trembloter ma voix, mais cette conscience au delà de ma candeur savait que sa source ne provenait pas des squales. Les pupilles que j'avais redirigé vers lui, cette fois, étaient perçantes et cherchait à le cerner; même si peu de gens en arborait dans cet Institut, je n'étais jamais à l'abri de retomber sur ces visages là. Ces expressions crispées d’écœurement qui crachent des rires moqueurs et ne s'animent que de rejet.
Pourtant chez ce garçon, je ne percevais rien d'autre qu'un entrain assez innocent, que je me sentais presque apte à partager. La flotte rendait mes habits lourds et j'aimerais bien m'en débarrasser."Est-ce que tu me protégerais, s'il y avait des requins ?"
Mon attention était centrée sur lui, tendis que j'attendais sa réponse, y accordant beaucoup d'importance.
Sans trop y penser, je me disais que s'il me répondait positivement, ça ne pouvait juste pas être quelqu'un qui pourrait me vouloir du mal. Cet inconnu avait l'aura d'une personne en qui on veut faire confiance.
- Elle est profonde ? Il n'y a pas de requins ?
Ah. Ca les requins c’était autre chose. Ca tombait bien, il se sentait d’humeur joueuse ! Il était d’ailleurs à deux doigts de faire semblant d’être emporté par le fond par un carnassier imaginaire mais le ton quelque peu plaintif l’en dissuada. Le regard scrutateur, il semblait attendre une réponse bien précise de lui qui faisait remonter son instinct de grand frère.
- Est-ce que tu me protégerais, s'il y avait des requins ?
Un immense sourire se peignit sur ses lèvres. Comme si c’était la peine de lui demander deux fois ! Enfin… Même de lui demander tout court…
- Ah… T’es au courant pour les requins du lac…
Il prit un air peiné, ne pouvant s’empêcher cette facétie. Cependant, il ajouta sans trop laisser de suspens.
- T’inquiète pas pour ça, moi les requins d’eaux douces, j’en mange pour mon quatre heure ! Y zont pas intérêt à s’montrer !
Il bombait exagérément le torse, les bras en arrière, dans une posture qui se voulait héroïque mais qui se trouvait finalement être plus comique qu’autre chose. D’ailleurs, celui-ci fut rapidement complété lorsqu’en voulant faire le malin avec une caricature de kung-fu, il bascula en arrière avec un cri de surprise. Heureusement qu’il était remonté à un endroit où l’eau était moins profonde, sinon il aurait eu de l’eau plein le nez, la bouche et les yeux. Il cligna plusieurs fois des yeux, surpris avant d’éclater de rire. Il donna une grande claque dans l’eau, comme si c’était elle la responsable de sa chute, avant de faire mine de chercher quelque chose des yeux.
- Enfin ! D’habitude j’ai mon super acolyte pour m’aider, tout ça mais…
Il posa le regard sur le garçon trempé qui lui faisait face.
- Oh ! Mais serait-ce un potentiel remplaçant ?
Remplacer ton super acolyte ? C’est qui ton super acolyte d’habitude ? Tu remplacerais Lore ? Pourquoi tu remplacerais Lore ? M’enfin, ce n’est pas comme si elle rejouera un jour avec toi… Oui mais…
Cap pencha la tête et la tapa à plusieurs reprises, comme pour faire sortir de l’eau de ses oreilles. En réalité, il était un peu consterné. Cette voix… Ce n’était pas celle du Génie. Bon sang ! Qu’est-ce qu’il lui arrivait aujourd’hui ?! Son insouciance se fissurait, remplacée par une autre contrefaite à l’intention de celui qui ne se décidait toujours pas entre la berge et la baignade. Mais l’inquiétude le gagnait lentement mais sûrement.
Ah… T’es au courant pour les requins du lac…
Ma tête se hochait doucement, à plusieurs reprise, accueillant sans peine l'empathie qui étreignait peu à peu les iris nuageux du vaillant nageur. Il fallait bien être fou pour se jeter dans un lieu où l'on risquait d'être dévoré, n'est-ce pas ?
T’inquiète pas pour ça, moi les requins d’eaux douces, j’en mange pour mon quatre heure ! Y zont pas intérêt à s’montrer !
Tu manges les requins ?!
J'écarquillais les yeux lorsque ce que je croyais être un patient se transforma en super-héros, dont il manquait juste l'uniforme coloré et la cape au vent. Ébahis, je l'admirais se statufier comme si des muscles saillants, des ombres grasses et des nuances trop contrastées étaient venues orner la case de BD dans laquelle nous nous trouvions. J'y croyais soudainement dur comme fer, comme un enfant à qui on vendrait l’existence du père-noël.
Woooaaaahh !
Agitant vivement mes mains devant moi, comme pour brandir des ponpons imaginaires, je m'étais définitivement donné l'objectif de l'encourager aveuglément. Malheureusement, cela eut plus l'air de lui porter la poisse.
Alors qu'il s'apprêtait à asséner magistralement l'une de ses techniques secrètes, afin de venir à bout du monstre des mers sans trop se mouiller, il se fit prendre de revers et manqua de se faire enrober par le lac malveillant. Ce retournement de situation inattendu ne manqua pas de me faire expirer d'effroi; mais il en fallait bien plus pour espérer venir à bout du Super chasseur de requins !
Il s'était redressé avec l'adresse d'un samouraï, riant au nez de son adversaire dans le but évident de l'intimider ! Cela ne dura pas plus longtemps avant qu'il ne lui porte le coup de grâce; la super giga claque des ténèbres ! Hurlant sous le gourou de ce fouet foudroyant, l'eau sautilla de frayeur avant de se rabaisser à sa place ! Une victoire assurée; à peine s'était-il remit de son combat qu'il balayait déjà l'horizon à la recherche d'un nouveau adversaire !
...Il est...trop fort !
Enfin ! D’habitude j’ai mon super acolyte pour m’aider, tout ça mais…Oh ! Mais serait-ce un potentiel remplaçant ?
Hein ? Où ça ?
Pris d'adrénaline par l'action ambiante, je zieutais tout autour de moi avec un grand sourire, recherchant ce fameux assistant avec entrain. Mais à part des brindilles et quelques arbustes, je ne vis pas d'âme qui vive.
J'allais lancer au super-héros mon regard le plus intrigué avant que je ne me rende compte que c'était sur moi, et bien sur moi, qu'il portait son attention.
...Moi ?!
Je pointais du doigt mon visage ahuri, l'avisant se vider les oreilles. Sans hésitation, mon crâne s'agita pour un "non", propageant autour de moi toute l'humidité qui avait pris le contrôle de ma frange.
Non non non non non non. Pas moyen. J'ai trop peur moi. Je...
Je posais finalement mes yeux sur un point vague et distancier, détournant la tête de mon camarade. Ces monstres regagnaient ma mémoire jusqu'à flouter ma vue. Ceux qui venaient hanter mon sommeil, qui jonchaient les allées, qui m'auscultaient depuis petit, et qui rodaient dans mon corps. Ceux que je voulais fuir.
Le bout de mes doigts tremblotait sous l'effet d'un effroi certain; je m'en servais pour enlacer chacun de mes avant bras, faisant mine de me réchauffer.
Je n'arrive pas à manger ce qui me fais peur, moi. Je ne suis pas comme toi...Ou...
Ma poigne se refermait, un reniflement nasal s'étant chargé de ponctuer mon hésitation. Une hésitation allant jusqu'à faire blêmir mon teint.
Je n'avais pas envie de m'en rappeler...La foule... Les gardes... Les barrières... Mon médecin... Ce coup de feu...
La fille de l'estrade...
Hum. Visiblement, le gars n’avait pas compris l’invitation. Oh ! Ou alors c’était parce que c’était une fille et qu’il avait dit « mon » ? Aurait-il dû dire « ma » ? Ah mais il était bête. En anglais c’était la même chose de toute façon. Donc ça ne pouvait pas être ça. Il garda un regard insistant en espérant qu’il finisse par comprendre. Et cela finit effectivement par arriver.
- ...Moi ?!
Bah oui toi banane ! Tu vois quelqu’un d’autre dans les environs ? Enfin, à moins que son coéquipier ne soit invisible, oh ce serait tellement cool un coéquipier invisible !
- Non non non non non non. Pas moyen. J'ai trop peur moi. Je...
Le regard de son interlocuteur se perdit dans le vague alors que le lac était plutôt genre grand calme plat. Oui, cette blague était nulle mais il était tellement décontenancé par les tremblements de celui-ci qu’il ne savait pas comment réagir autrement. Sans compter que ceux-ci faisaient monter l’espèce d’angoisse qui montait et l’étreignait lui-même, doucement, comme un câlin prêt à vous étrangler. L’inquiétude et le malaise qui montait chez son camarade ne faisaient qu’augmenter le sien déjà sous-jacent. Il se releva, sortant de l’eau et s’approcha. Il fallait qu’il le calme. Il fallait qu’il se calme. Sinon, tous les deux allaient plonger de concert. Il s’apprêtait à le prendre dans ses bras lorsque sa voix l’interrompit dans son mouvement.
- Je n'arrive pas à manger ce qui me fait peur, moi. Je ne suis pas comme toi...Ou...
Ne le dis pas. Ne le dis pas. NE LE DIS PAS !
- La fille de l'estrade...
Trop tard. Il l’avait dit. Il l’avait dit. Sa réalité, l’illusion qu’il s’était construite, vola en éclats.
Cap s’effondra sur les genoux, les jambes coupées. Le sang. Qui coule. Qui coule sans arrêter. Qui se vide. Ce silence avant les cris. La pression des mains des vigiles sur ses bras. Cet éloignement qui permet de mieux appréhender l’horreur. L’inimaginable. Le corps sans vie de sa sœur.
Son corps fut parcouru d’un long frisson. Etait-ce le froid ou l’horreur ?
- Elle avait un nom.
Sa voix était monocorde, sourde. S’il s’était entendu parler, il ne l’aurait pas reconnue. Le malheur, la détresse, le désespoir… Tout ce qui l’envahissait à présent était tellement intense qu’elle se précipitait par tous les pores de sa peau, s’entrechoquant et se bloquant l’accès mutuellement, tant et si bien que rien ne pouvait s’échapper en dehors de cette neutralité contrefaite, si peu naturelle pour lui. Sa voix ne tremblait même pas.
- Loreleï Hexe.
Son nom lui faisait mal. Mais elle l’avait tellement répété, encore et encore…. Elle avait tellement détesté son numéro, elle s’était tellement battue pour que les gens prononcent son nom… Même devant Barrabil, c’était la dernière chose qu’elle avait souhaité de lui. Il ne pouvait pas laisser qui que ce soit ignorer son nom. Elle n’était pas un numéro. Elle n’était pas la fille de l’estrade non plus. Il leva les yeux qu’il avait obstinément gardés au sol depuis ce mot fatidique. Les planta dans ceux de celui qui lui faisait face. Se répéta.
- Elle s'appelait Loreleï Hexe.
Son regard insistait pour qu’il le retienne. Il lui interdisait de penser à elle comme étant la fille de l’estrade, ou la fille à lunettes ou pire… Celle qui était morte. Parce que pour lui, elle était infiniment plus que ça. Soudain, quelque chose se brisa en lui. Ses yeux se remplirent de larmes. Il conclut malgré sa voix qui brisait.
- C’était ma sœur.
Son monde s’écroulait de nouveau.