Il contemplait alors cette pièce dans laquelle il vivait depuis plusieurs mois déjà. Tout était propre, pas une poussière pour combler un espace vide. Tout était rangé, rien n'était laissé au hasard ni n'était pas à sa place. Les ombres dansaient selon le bon vouloir des rayons du Soleil, procurant un bien être rare chez Ulysse.
Il gardait alors les yeux ouverts pour profiter de cette matinée qui osait perturber les habitudes du jeune homme, mais il ne s'en plaignait pas. Au contraire, il appréciait d'autant plus le spectacle qu'il était rare.
Il écoutait sa respiration calme et apaisée, les gazouillements des oiseaux et les pas dans le couloir, témoignant d'une journée neuve qui débuta.
Il se redressa finalement au bout d'une demi-heure, s'étant permis de rester dans son lit afin de profiter de cette matinée. Assis, il observa encore le sol qui apparaissait de plus en plus distinctement à Ulysse. Il leva les yeux vers ses commodes, ses luminaires et ses divers objets de passions.
Finalement, il posa un pied sur le sol, puis l'autre.
Il le sentait dans tout son corps : cette journée allait être différente. Oui, différente. Mais en quoi ?
Voilà encore une chose qu'il ignorait. Il aurait aimé comprendre de suite en quoi tout allait être différent ce jour-ci, mais étrangement cela ne le perturbait pas tant que ça. Parfois, ne pas comprendre, ne pas avoir la situation bien en main n'était pas si désastreux.
Il prit deux serviettes et ses affaires de toilettes, ainsi qu'un uniforme propre, puis alla aux sanitaires. Il profita de l'eau chaude qui brûlait sa peau et qui s'écoulait le long de son corps. Ses cheveux lui retombaient devant ses yeux, laissant des gouttes s'échapper sous son regard. La vapeur d'eau venait de ses pores, et ses pieds étaient devenus rouges.
Il stoppa le jet d'eau et se moussa le corps. Il se rinça ensuite et lava ses cheveux. Il sortit de la douche, une serviette autour de son bassin et une sur ses épaules. Il s'essuya rapidement puis quitta les sanitaires tout habillé, les cheveux un peu séchés.
Il se sentait revigoré. Il se sentait presque vivre. Ce sentiment ne le quittait plus depuis un moment sans qu'il comprenne.
Mais il s'en fichait un peu depuis un moment, en réalité.
Il déposa ses affaires dans sa chambre avant de partir se nourrir. Il prit un repas équilibré pour un petit-déjeuner, et repartit le coeur léger dans son espace privé. Il attrapa un bouquin qui reposait sagement sur son bureau et s'y installa pour lire la suite.
Il l'attendait. Elle allait venir pour discuter de son cerveau si exceptionnel.
Il était impatient.
Elle avait parfaitement prévu la suite de sa "nuit". Elle avait eu une telle difficulté à retomber dans les bras de Morphée, se tournant et se retournant sans cesse sur son matelas, qu'une fois les yeux à nouveau fermés, elle n'avait pas entendu son réveil strident rompre le silence de sa chambre. Comme une fleur, elle avait ouvert les paupières bien trop tard. Neuf heures et demie, alors que sa première consultation était à dix heures. La jeune femme ne comprit pas tout de suite l'urgence, reposant sa tête sur l'oreiller. Avant de sursauter et de se lever d'un bond, tordant légèrement sa cheville droite à la réception. Elle jura, contre elle-même et contre les évènements, attrapant à la volée un short gris, faussement déchiré aux bords,et un débardeur noir s'attachant au cou. Elle s'engouffra comme une tornade sous la douche, allumant l'eau froide à fond afin de s'achever de se réveiller. Elle serra les dents sous la morsure du liquide et frotta vigoureusement sa peau et ses courts cheveux. Après les avoir séchés grossièrement à la serviette, elle les coiffa en y passant ses doigts, sauta dans ses Doc Martens bordeaux et fila hors de sa chambre. Tant pis pour le maquillage, elle devait avoir des cernes de vingt pieds de long, mais c'était ça ou être en retard et ce n'était pas acceptable.
La médecin ne prit même pas le temps de manger, cavalant à perdre haleine vers le Bâtiment. Elle pénétra dans l'aile X et monta les marches quatre à quatre jusqu'au premier étage. Enfin arrivée devant la chambre 156, celle de son premier patient donc, elle s'accorda une pause et se laissa tomber dos au mur, sa cage thoracique se soulevant de manière irrégulière, témoin de sa respiration erratique. Elle avait eu la présence d'esprit d'emmener une bouteille d'eau, dont elle bu la moitié en quelques secondes. Elle attendit quelques minutes que les battements affolés de son coeur ralentissent, avant de se relever, essuyant l'eau sur ses lèvres d'un geste de la main. Elle remit en place ses mèches bleues, avant de retenir un juron car elle n'était pas passé prendre ses dossiers. Tant pis, il était trop tard. Elle toqua à la porte pour signaler sa présence mais n'attendit pas la permission pour entrer. C'était devenu un code entre eux, il l'avait autorisée à rentrer du moment qu'elle indiquait être là avant, sauf si elle recevait l'injonction contraire évidemment. Elle tenta de camoufler sa fatigue avec un sourire approximativement joyeux. Enfin, il était joyeux, sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi d'ailleurs au vu des circonstances, mais elle ne pouvait empêcher l'influence de la mauvaise nuit passée sur son visage.
-Bonjour Ulysse! Qu'est-ce que tu lisais? demanda-t-elle en remarquant le livre dans ses mains.
De plus, pour la plupart des gens, lire faisait passer le temps assez vite. Pas pour Ulysse, qui en ayant terminé cinq pages venait de faire passer une minute. Pourtant, l'écriture n'était pas si grosse que ça...
Il entendit finalement des bruits de pas rapides dans le couloir. Il reconnut de suite les chaussures qui créaient ce son si particulier, avec le poids plume qui les portait : Atsuka.
Avec une joie non dissimulée, il se mit à observer l'espace entre le sol et le bas de la porte, laissant l'ombre de sa médecin pénétrer timidement sa chambre. Il s'imaginait déjà comment son amie allait entrer dans la pièce. Avec gêne ? En poussant la porte si rapidement qu'elle en trébucherait et qu'il serait obligé de se lever pour la rattraper ? Avec nonchalance ?
Il sentait son cœur prendre temps de place dans sa poitrine que, cette fois-ci, il s'interrogea sur sa situation : qu'est-ce qu'il se passait ?
Il n'eut pas le temps d'approfondir la question, la voilà dans la chambre, le dossier sous le bras. Pour lui, les séances de soin étaient des prétextes pour qu'ils puissent se voir sans être dérangés.
La première chose qu'il remarqua chez elle, c'étaient ses cheveux trempés, à peine essuyés. Ceux d'Ulysse avaient eu le temps de sécher, bien qu'ils étaient encore humides. Mais les mèches d'Atsuka goutaient... Elle s'était probablement levée avec précipitation. Deuxième indice : les traits fatigués de sa médecin.
Dans un élan d'inquiétude, il se leva de son lit, posant son regard sur toutes les pores de son visage. Elle avait beau sourire d'un rictus toujours aussi excitant à observer, Ulysse savait reconnaître sa nuit... Pas assez reposante. Il ne savait pas pourquoi elle n'avait pas suffisamment dormi, mais ce n'était jamais bon signe. Peut-être qu'elle était avec quelq... Non, non.
-Bonjour Ulysse! Qu'est-ce que tu lisais?
- Tout va bien ? Demanda-t-il en même temps qu'elle.
Il ouvrit la bouche, surpris qu'ils aient pris la parole en même temps. Puis, il jeta un coup d'oeil à la première de couverture de son livre, avant de le poser sur sa table basse.
- Ça ? C'est un best seller de Gilles Legardinier, "Quelqu'un pour qui trembler. Tu as l'air d'avoir mal dormi, tout va comme tu veux ?
Dans un geste protecteur et amical, Ulysse posa sa main dans le creux du bassin de sa médecin pour la guider vers le lit, où il lui demanda de s'asseoir.
Quelque chose... Etait différent.
Mais quoi ?
-Tout va bien ?
Un léger rire secoua ses épaules quand ils ouvrirent la bouche en synchronisation parfaite. Il s'inquiétait trop, qui aurait cru qu'elle viendrait à considérer un patient comme une des personnes les plus proches d'elle dans tout l'Institut, il est vrai qu'elle n'avait pas réellement cherché à se faire des amis. Déjà car forcer le naturel était ridicule, puis car son temps était quand même restreint et qu'elle voulait surtout aider sa soeur, qu'elle n'avait toujours pas réussi à croiser malheureusement. Gentiment, il accepta de répondre à sa question avant de s'enquérir davantage de son état.
- Ça ? C'est un best seller de Gilles Legardinier, "Quelqu'un pour qui trembler". Tu as l'air d'avoir mal dormi, tout va comme tu veux ?
Joignant le geste à la parole, il l'invita à prendre place sur son matelas alors qu'un délicieux frisson remonta le long de la colonne vertébrale d'Atsuka, diffusant une vague de chaleur très agréable, la rassérénant un peu. "Quelqu'un pour qui trembler"... Le titre semblait poétique, mais elle ne savait pas quel genre de roman pouvait s'intituler ainsi et elle ne pensait pas qu'Ulysse était du genre à lire des histoires à l'eau de rose. Ce n'était probablement pas ça en vérité. Avec un sourire, elle s'assit sur son lit et l'invita à la rejoindre.
-Cauchemar, rien de grave ne t'inquiète pas pour moi. Sinon, je ne connais pas du tout. C'est quel genre de roman?
L'objectif, comme presque toujours car elle n'aimait pas inquiéter les autres ni parler de ses problèmes, était encore de faire diversion. Elle était persuadée que son livre ne parlait pas d'une banale romance et, en vérité, trembler d'inquiétude pour une personne n'était pas qu'un sentiment amoureux. Atsuka en était la preuve vivante tant elle mourrait d'envie de faire sortir sa petite soeur du huis-clos que constituait cette île. Pour le rassurer davantage, elle lui adressa un large sourire, plus radieux qu'à son entrée dans la pièce, elle était à l'aise en sa présence, c'était comme si la lumière jouant dans les mèches dorées se reflétait dans les yeux du jeune homme et qu'il lui transmettait sa chaleur par le regard. C'était décidément un lien très étrange qu'ils avaient tissé au fil des mois.
Elle souriait, comme d'habitude. Elle lui donnait l'occasion d'admirer, une fois encore, son visage enjoué, quoique fatigué et tiraillé par la nuit.
Cauchemar, rien de grave ne t'inquiète pas pour moi. Sinon, je ne connais pas du tout. C'est quel genre de roman?
Un cauchemar ? Quel type de cauchemar ? Est-ce qu'il revenait souvent ? Ou est-ce que c'était rare pour elle, de cauchemarder ? Avait-elle des problèmes dont elle ne voulait pas parler ? Se sentait-elle en danger ou malheureuse ?
Ses lèvres brûlaient de lui poser tout un tas de questions sur sa santé, son bien-être et tout le reste, mais elle avait été claire dans sa phrase. "Rien de grave", et "ne t'inquiète pas pour moi" sont des synonymes de "je ne souhaite pas en parler". Des sortes de codes sociétales.
Il jeta un coup d'oeil vers son livre, et en lut à nouveau le titre. S'il l'avait commencé, c'était avant tout parce que sa mère trouvait nécessaire qu'il lise non seulement des best-sellers, mais en plus des romans à l'eau de rose pour "l'inspirer". A quoi cela pouvait-il l'inspirer ? Il ne comprenait pas les décisions de sa mère, parfois.
Il haussa les épaules.
- C'est une histoire d'amour que m'a envoyé ma mère. Tu peux m'en parler, tu sais. Annonçait-il.
Il se tourna à nouveau vers elle, plongeant son regard si profondément dans le sien qu'il venait d'éteindre sur le bouton "OFF" de son cerveau. Ce qu'il aimait faire un plongeon dans les yeux de sa médecin...
Pourquoi, d'ailleurs ? Pourquoi aimait-il cela tant que ça ?
Il cligna des yeux, s'humidifia les lèvres, et balaya ces pensées de sa tête. Il devait se concentrer sur elle.
- Ça revient souvent ? C'est quelque chose qui te pèse ? De mon expérience, je sais qu'il ne faut pas garder les choses trop souvent pour nous.
Il écarquilla les yeux, sentant qu'elle pouvait mal interpréter ce qu'il disait, et se rattrapa en bégayant :
- Enfin, je... Je ne prétends pas être la personne qu'il te faut pour te, te confier mais... Enfin voilà quoi...
-C'est une histoire d'amour que m'a envoyé ma mère.
Elle haussa un sourcil interrogateur. Cela se voyait qu'il n'appréciait pas particulièrement ce type de fictions, pourquoi une mère conseillerait un genre qui n'intéresse son fils ? D'autant que ce n'était pas de la grande littérature, agréable et facile à lire mais sans plus donc la culture n'était pas un argument. Décidément, elle avait bien du mal à comprendre la logique des parents, à commencer par les siens. Elle ne savait pas quoi dire pour continuer, son cerveau fatigué tournait dans le vide à cause de cette nuit agitée. Elle sursauta quand Ulysse retourna d'ailleurs sur le sujet :
-Tu peux m'en parler, tu sais.
Elle se mordilla légèrement la lèvre inférieure, hésitant entre ne rien dire ou lui en parler, sans savoir par où commencer non plus. La solution qui demandait le moins de réflexion était la première et elle ouvrit la bouche pour s'engager sur cette voix quand il prit à nouveau la parole.
-Ça revient souvent ? C'est quelque chose qui te pèse ? De mon expérience, je sais qu'il ne faut pas garder les choses trop souvent pour nous.
La jeune femme jouait nerveusement avec l'anneau à son majeur droit. Elle le savait pourtant, qu'il ne fallait pas ruminer des pensées négatives et en parler pour aller mieux, mais elle ne voulait ennuyer personne avec ses soucis et encore moins ses patients. Ulysse davantage que les autres, pour une raison qu'elle ne saurait expliquer. Mais elle ne voulait pas lui montrer son côté vulnérable et trop penché vers le passé, c'était une sorte de faiblesse qu'elle se refusait.
-Enfin, je... Je ne prétends pas être la personne qu'il te faut pour te, te confier mais... Enfin voilà quoi...
Atsuka soupira. Pour elle, il n'y avait pas de bonne personne à qui se confier, c'était son rôle pas celui des autres. Cependant elle le remerciait secrètement de son inquiétude. C'était touchant et ça lui faisait plaisir, en plus de lui faire du bien. Elle se décida tout de même à lui expliquer.
-Mes parents ont envoyé ma petite soeur dans cet Institut il y a onze ans et c'est pour l'aider que j'ai voulu faire médecin. Mais depuis que je suis arrivée je ne l'ai pas croisé, depuis son départ j'ai perdu contact avec elle et j'ai peur qu'elle m'en veuille. Ou que notre relation ne soit plus du tout la même, je ne sais pas à quel point elle a changé, j'ai peur de ne plus la comprendre. De plus, elle va atteindre sa majorité mais je ne sais pas si on l'autorisera à repartir ou si tout ce que j'ai fait n'aura servi à rien. C'est une crainte qui revient régulièrement oui, c'est pour ça que je t'ai dit de ne pas t'inquiéter ça ira mieux plus tard.
Elle avait tout déballé d'un coup et en effet, son coeur était plus léger mais, malgré son discours qui se voulait rassurant, elle avait perdu son sourire, ses yeux s'étaient éteints, passant d'un bleu lumineux à un gris vide, et deux larmes se formaient à leur coin, menaçant de rouler sur ses joues creusées à tout instant. Elle ferma un instant ses paupières et déglutit pour faire passer cette envie de pleurer. Ce n'était ni l'endroit ni le moment.
Il ouvrit la bouche, prêt à retirer ce qu'il venait de proposer, quand elle le coupa dans son élan :
-Mes parents ont envoyé ma petite soeur dans cet Institut il y a onze ans et c'est pour l'aider que j'ai voulu faire médecin.
Le coeur d'Ulysse se serra lorsqu'elle décida de lui avouer ses malheurs. Il se sentait complètement idiot de se sentir heureux alors qu'elle commençait à raconter pourquoi elle cauchemardait, mais c'était incontrôlable. Il regarda son œil droit, puis le gauche, et ainsi de suite, captivé par ce sentiment qui grandissait.
-Mais depuis que je suis arrivée je ne l'ai pas croisé, depuis son départ j'ai perdu contact avec elle et j'ai peur qu'elle m'en veuille. Ou que notre relation ne soit plus du tout la même, je ne sais pas à quel point elle a changé, j'ai peur de ne plus la comprendre.
Il opina, lui permettant de savoir qu'il l'écoutait et qu'il la comprenait, alors qu'il ne faisait rien de tout ça. Les mots arrivaient à ses oreilles, mais il n'arrivait pas à en déchiffrer le sens. Il était bercé par sa voix qui chatouillait ses tympans.
Il tenta de se concentrer davantage, mais à chaque fois qu'il essayait, son esprit vagabondait une nouvelle fois à réfléchir sur ses cheveux ou sa bouche. Pourquoi ? Pourtant, ce sentiment ne l'avait pas dérangé depuis un moment, alors pourquoi maintenant il faisait une fixette dessus ?
-De plus, elle va atteindre sa majorité mais je ne sais pas si on l'autorisera à repartir ou si tout ce que j'ai fait n'aura servi à rien. C'est une crainte qui revient régulièrement oui, c'est pour ça que je t'ai dit de ne pas t'inquiéter ça ira mieux plus tard.
Lorsqu'elle ferma ses lèvres définitivement, confirmant qu'elle venait de terminer de parler, il lâcha :
- Je vois...
Alors qu'en réalité, il était toujours en train de chercher à comprendre le pourquoi du comment. Ses yeux vifs se posaient sur chaque parcelle de son visage, jusqu'à ce qu'il remarque la tristesse qui venait de remplacer ses traits fatigués.
Elle venait de fermer les yeux, voulant probablement faire passer une envie de pleurer...
Comment réagir ? Fallait-il qu'il l'enlace ? Or ils étaient patient et médecin, c'était donc interdit... Mais après tout, ils ne formaient pas un couple, donc rien d'inquiétant. Ce ne serait qu'amical.
Pourquoi ce mot le dérangeait ?
Ulysse secoua la tête, s'empêchant de repartir dans ses élucubrations, et pianota sur son pantalon. Fébrile, sa mai droite passa dans le dos d'Atsuka, la prévenant qu'il allait agir physiquement, avant de complètement l'enlacer, ses cheveux bleus sur son épaule gauche. Il caressa, de sa main droite, la colonne vertébrale de sa médecin. Il sentit une drôle de palpitation dans son ventre et dans la pulpe de ses doigts qu'il décida d'ignorer sur le moment. Ses questions ne devaient pas l'empêcher de se concentrer sur l'instant présent.
Après quelques secondes de silence, il chuchota :
- Je comprends ton ressenti. Pas personnellement, mais j'imagine que ce doit être terriblement dur au quotidien d'être toujours inquiète quant à ta sœur. C'est pour ça que c'est OK de pleurer.
Les mots d'Atsuka venaient, enfin, d'atteindre son cerveau pour qu'il puisse déchiffrer les syllabes. Et ce qu'il venait de dire était sorti si naturellement qu'il ne se souvenait même plus des mots exacts qu'il avait employé. Il savait juste qu'il voulait la rassurer, peut-être même la protéger. Mais comment protéger quelqu'un lorsque ses démons sont psychologiques ? Encore une question à résoudre.
-Je comprends ton ressenti. Pas personnellement, mais j'imagine que ce doit être terriblement dur au quotidien d'être toujours inquiète quant à ta sœur. C'est pour ça que c'est OK de pleurer.
Ces mots murmurés résonnèrent étrangement dans l'esprit de la jeune femme et une unique larme coula le long de sa joue.Elle réussit à retenir les autres et essuya la fugitive, avant de refermer ses bras autour du torse d'Ulysse à son tour, comme par réflexe. Se sentant bien, elle referma les yeux plus sereinement et laissa son corps se détendre, s'appuyant légèrement plus contre le blond, visage au creux de son cou. Respirant profondément, elle finit par rouvrir les lèvres :
-Merci.
Elle n'avait pas envie de se détacher de lui, elle se sentait protégée contre ses inquiétudes et appréciée dans les bras d'Ulysse. C'est pour cela qu'elle l'avait enlacé aussi, pour lui faire comprendre qu'elle tenait aussi à lui et c'était comme un remerciement silencieux, même si elle avait fini par l'exprimer oralement.
-Merci.
Il ouvrit la bouche sans pour autant dire quoique ce soit. Les mots étaient coincés dans sa gorge, incapables de sortir.
Il cligna plusieurs fois des yeux, muet. Il ferma la bouche et se rendit compte qu'il arrivait à sentir le shampooing d'Atsuka, mais surtout qu'il appréciait cette odeur qui envahissait son espace.
Ce silence ne l'arrangea pas puisqu'il fallait occuper son cerveau avant qu'il ne s'occupe tout seul. Alors il posa son regard un peu partout dans la pièce, mais il n'avait rien à découvrir sur cet endroit : c'était sa chambre.
Alors il se concentra sur son incompréhension du moment.
Il regarda le cuir chevelu de sa médecin qui perdait de son bleu, et laissa son corps réagir. Il écoutait avec attention ce que ses réactions physiques avaient à lui dire. C'est ainsi qu'il percevait très clairement les battements interrompus et vifs de son coeur qui cognait avec ardeur sa cage thoracique, la nervosité et l'excitation qui passaient de son estomac aux paumes de ses mains jusqu'à la pulpe de ses doigts, la chaleur que lui transmettait Atsuka et qui s'échappait dans tout son corps.
Il n'était pas sûr. Il voulait observer ses yeux dans une glace, pour s'assurer si à la simple pensée d'elle ses pupilles s'élargissaient et si ses joues s'enflammaient. Mais il avait déjà sa réponse.
Il cligna plusieurs fois des yeux une nouvelle fois. Comment ? Comment pouvait-il s'en assurer ? Il était si passionné dans sa tâche qu'il ne savait même pas si elle lui avait adressé la parole.
Alors il se détacha d'elle, et se mit à ressentir une déception et un mal-être alors que lorsqu'ils étaient collés, il se sentait reposé et détendu. Alors il l'enlaça à nouveau, allant jusqu'à plonger son nez dans son cou. Il était enivré par son odeur, si bien que sa tête se mit à tourner. Il ferma alors les yeux, s'imprégnant totalement de cette chaleur qui se dispersait dans son ventre.
Ulysse s'éloigna à nouveau, mais resta toujours silencieux. Il ne se rendait pas compte qu'à cet instant, il pouvait être extrêmement terrifiant. Il agissait bizarrement, coincé dans son mutisme.
Mais il continua son expérience. Il approcha son visage de celui d'Atsuka lentement, sans jamais détourner le regard, ses yeux fixés sur ceux de sa médecin. Il ne s'arrêta que lorsqu'il sentit la respiration d'Atsuka rebondir sur ses lèvres.
Il voulait l'embrasser.
Il avait sa réponse. Il n'était pas certain, n'ayant jamais ressenti une chose pareille, mais à présent il en était sûr. Il l'aimait. Il était amoureux. Et surtout, il voulait l'embrasser.
- Je comprends, murmura-t-il
Quand ils se détachèrent, le froid la mordit et une cruelle sensation de manque l'envahit. Exactement au même moment, ils firent un geste pour se rapprocher de nouveau, pourtant sans avoir communiquer. Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale en sentant la respiration d'Ulysse sur sa nuque,le visage enfoui dans ses cheveux blonds si doux. Par réflexe, elle passa ses doigts dedans, fermant encore une fois les yeux. Il s'éloigna encore tandis qu'elle affichait rapidement une moue déçue mais cette fois, il ne se recula pas autant, restant proche de son visage en silence, la fixant de son regard doré. Elle cligna des yeux et, en un instant, il s'était encore rapproché. Sous le coup de la surprise, Atsuka avait failli se reculer mais se retint, essayant de comprendre ce que faisait son patient et pourquoi il le faisait. Mais elle n'arrivait pas à en saisir le sens, aussi elle se contenta de pencher légèrement la tête sur le côté, sans bouger davantage.
Il était proche. Très proche. Trop proche. Un éclair de panique passa dans ses pupilles. Elle ferma ses paupières comme pour se soustraire à son regard. Elle sentait le souffle d'Ulysse caresser son visage,et sa présence toujours aussi rapprochée d'elle, comme une aura qui la coupait du monde. Cette proximité était dangereuse, elle n'était pas sûre de réussir à se refréner et faire taire ses envies s'il ne se décalait pas rapidement. Depuis quelques mois déjà elle se battait contre cela et aujourd'hui,il ne lui facilitait pas la tache.
- Je comprends.
Ce si simple murmure à peine terminé, Atsuka plaqua ses lèvres contre celles d'Ulysse, ne pouvant résister davantage. Elles étaient si douces qu'elle souhaitait que ce contact ne s'arrête jamais. Perdue dans une tornade de sentiments, elle ne reprit conscience que trop tard de son geste et, les joues écarlates, elle rompit brusquement le baiser.
-Désolée! Je t'ai même pas demandé avant, en plus c'est interdit, je... p-pardon! Je vais y aller je crois, ça vaudra mieux!
S'excusant platement et se tordant les mains, la jeune femme se leva, particulièrement embarrassée et paniquée, et se dirigea vers la porte de la chambre. Elle avait certainement tout gâché.
Tout ce que les romans d'amour décrivaient était vrai. Son ventre bondissait agréablement, son coeur ne savait plus à quelle vitesse battre, ses poils se hérissaient, son corps se réchauffait au simple contact de leur bouche... Il se sentit revigorer, il se sentit vivant comme il ne l'avait jamais été. Lui qui ne comprenait rien aux sentiments, tout devint limpide.
Il ne savait, cependant, pas comment s'y prendre. Alors il ferma les yeux, profitant simplement de cet instant faste. Mais c'était à ce moment précis qu'elle décida de rompre le charme, les joues virant au rouge. Adorable.
-Désolée! Je t'ai même pas demandé avant, en plus c'est interdit, je... p-pardon! Je vais y aller je crois, ça vaudra mieux!
Il la regarda, incrédule et perplexe. Elle devint une véritable tornade d'embarras et d'interdits qui décida de ficher le camp le plus rapidement possible, si bien qu'elle était déjà prête à passer le pas de la porte.
Ulysse décida de devenir plus féroce qu'une tornade et s'avança si rapidement vers elle qu'il eut l'impression de s'être téléporté.
Ni une ni deux, il l'embrassa à son tour avec une force et une maladresse qui n'allaient définitivement pas ensemble. Il rattrapa le coup en prenant son visage dans ses mains et en caressant avec douceur la joue de celle qu'il aimait. Il finit par glisser ses mains le long de son corps pour entourer son bassin de ses bras pour la sentir tout contre lui.
Il finit par se détacher, l'air abasourdi. Il n'avait jamais été aussi entreprenant, et il en déduisit que c'était la peur qui l'avait fait bondir de son lit.
Il déglutit, les joues probablement aussi empourprées que celle d'Atsuka.
- Ils ne pourront le savoir que s'ils le découvrent... Ce qui n'arrivera jamais. Et ne me demande pas la permission, tu l'as déjà., susurra-t-il
Son coeur battait à tout rompre. En soi elle ne regrettait pas son geste, mais craignait ses conséquences. Elle imaginait les pires situations, entre autres que le jeune homme allait rapporter l'incident à l'administration et elle serait radiée de l'ordre des médecins, sans avoir pu ne serait-ce qu'approcher sa soeur et son objectif. Etrangement, ce qui lui ferait le plus mal, ce serait le jugement et l'éloignement d'Ulysse. Si ce n'était pas déjà le cas, elle restait persuadée que, même sans la dénoncer, il la haïrait. De nouvelles larmes, cette fois-ci de rage contre elle-même et de désespoir, commencèrent à poindre au coin de ses yeux. Une litanie d'insultes se déversa dans son crâne.
Toutes ses interrogations et inquiétudes s'évaporèrent au contact des lèvres d'Ulysse, qu'elle n'avait pas entendu se lever tant elle était prise par ses pensées. Surprise par ce geste brusque et rapide, la respiration d'Atsuka se coupa tandis qu'elle accentuait la pression contre sa bouche, inconsciemment. Ce fut à son tour de fermer les yeux et de profiter de l'instant, en sentant les mains du jeune homme parcourir ses joues, son cou, puis ses côtes et ses hanches avec une douceur inouïe. Elle entoura finalement ses épaules de ses bras, se mettant presque sur la pointe des pieds pour que l'une de ses mains se perde dans les cheveux blonds tandis que l'autre, appuyait tendrement sur sa nuque. Ils finirent par se détacher l'un de l'autre, les joues rouges, la respiration sifflante et les yeux brillants.
-Ils ne pourront le savoir que s'ils le découvrent... Ce qui n'arrivera jamais. Et ne me demande pas la permission, tu l'as déjà.
Un grand sourire, à la limite de la niaiserie, se dessina sur les lèvres d'Atsuka. Elle n'avait jamais été aussi heureuse de transgresser des règles. Elle l'embrassa à nouveau, furtivement tant elle avait peur que ce moment se brise, puis enfouit sa tête aux creux du cou d'Ulysse, murmurant contre sa peau sucrée :
-Ce sera notre secret...
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