Le Génie frappa à la porte et entra lorsqu’une voix féminine lui demanda de le faire.
- Bonjour docteur.
Le docteur Hawthorne était une femme que l’on pouvait qualifier de belle malgré son visage qui commençait à trahir la quarantaine. Il fallait dire que ses cheveux roux et bouclés contrebalançaient cette impression, sans compter que les lunettes lui allaient décidemment bien. Mais le Génie n’était pas là pour ça. Il avait un objectif bien précis en tête aujourd’hui, mais pour ça, il devait d’abord voir dans quel état d’esprit elle était aujourd’hui.
- Bonjour Alexander. Monte sur la balance s’il te plait.
Il s’exécuta. Il était convaincu que maintenant, elle savait bien différencier qui de Cap ou lui lui faisait face, mais elle continuait à refuser de les appeler par leurs noms respectifs. C’était toujours Alexander. D’habitude, ça le faisait un peu râler, mais s’il voulait obtenir ce qu’il était venu chercher… Il fallait mettre un peu d’eau dans son vin.
- 60 kilos 3. Ton poids se stabilise on dirait. Bien !
Elle avait l’air contente en voyant ça. Il était vrai que lorsque Cap avait commencé à se laisser dépérir, leur corps avait connu une chute de poids assez importante avant qu’il ne se force à le faire remonter. Habituellement, le Génie ne mangeait pas. C’était Cap qui s’occupait de ça, pas lui. Il n’avait jamais d’appétit. Mais bon, il avait bien dû apprendre à se nourrir correctement. Au moins, cet épisode avait l’air de mettre sa médecin de bonne humeur alors…
Toujours sous sa supervision, il s’assit sur la table d’examen, la laissant promener son stéthoscope sur sa poitrine. Lorsqu’elle le retira, il lui demanda.
- Je me posais la question : comment est-ce qu’on devient médecin à l’Institut ?
C’était une question qu’il avait posée de manière à la rendre banale, juste pour voir si elle était d’humeur à répondre à ses sollicitations, mais en réalité, une réponse à ça pouvait déjà s’avérer intéressante. Car en réalité, la vraie question qui se cachait derrière celle-ci était « comment l’Institut recrute-t-il et embauche-t-il ses médecins ? Sur quels critères ? ». Et il prit un air qui se voulait curieux, comme s’il posait la question parce qu’éventuellement, ce projet de carrière pourrait être le sien.
Chance Neutre
→ Devenir médecin
Il lui posa une question. Tout en poursuivant son auscultation, elle répondit :
«En choisissant les bonnes études, tout simplement. Il suffit de travailler. »
Elle l'écoutait d'une oreille, attentive à ce qu'elle faisait.
La réponse de sa médecin avait été assez laconique. Il n’y avait pas grande différence entre dire ça et ne rien dire mais qu’importe. Il n’allait pas en rester là. Après tout, elle lui avait répondu c’était ça. Il n’insista pas tout de suite, la laissant écouter son cœur et ses poumons. Il fallait rester docile, lui laisser l’impression qu’elle maitrisait tout de A à Z. Le docteur Hawthorne était ce genre de personne avec qui il ne fallait pas jouer la force et l’intimidation mais plutôt la subtilité et l’amadouement.
Lorsqu’elle enleva le stéthoscope froid de sa poitrine, Il reboutonna sa chemise d’uniforme et remonta sa manche, préparant le terrain pour qu’elle puisse prendre sa tension. Il connaissait bien le protocole qu’elle suivait maintenant, et elle ne dérogeait jamais au moindre détail. La rigueur scientifique.
Il profita du fait qu’elle se retournait, à la recherche du tensiomètre, pour la relancer.
- Oui, je me doute que ce n’est pas en étudiant Aristote et la rhétorique que je deviendrais médecin. Dit-il avec une pointe d’humour.
Peut-être que de cette façon, il arriverait à capter suffisamment son attention et son intérêt pour qu’elle lui réponde quelque chose de plus intéressant qu’une phrase convenue qui ne lui apportait rien. Il n’était pas sûr que l’humour fonctionne beaucoup avec elle – après tout, ses rides d’expression indiquaient plus une tendance à froncer les sourcils qu’à rire – mais c’était un procédé qu’il utilisait si rarement que ça l’interpellerait peut-être. Et puis, ça faisait plusieurs semaines qu’il préparait soigneusement le terrain, à lui poser des questions sur les examens qu’elle lui faisait passer, à discuter avec elle des avantages et des inconvénients des rayons X et autres aspects techniques de la médecine. Il avait gardé une carte dans sa manche qu’il abattait maintenant : le coup du « moi aussi je veux être médecin ». Bon, en réalité, si un jour il sortait d’ici, ce qui l’intéressait vraiment ce serait plutôt l’astrophysique mais à défaut, neurochirurgien, ça le tentait bien aussi.
Espérant qu’il avait désormais son attention, il embraya.
- Mais j’imagine que l’Institut ne recrute pas les diplômés d’une petite fac de médecine peu réputée, si ? Vous avez fait quelle école vous ?
Avec une petite touche de flatterie, puisqu’il sous-entendait par-là qu’elle devait avoir fait des études de prestige, peut-être aurait-il quelques informations intéressantes cette fois-ci.
Coup de bol !
→ Les études et la médecine
Son écriture était plus légère qu'à l'accoutumée. Le fait que son patient se montre aussi agréable et intéressé envers elle - ou plus particulièrement la médecine, domaine qui plaisait à la femme - était sûrement la cause. L'atmosphère semblait plus détendue.
- J'ai étudié à Londres. Mais il faut savoir que ce n'est pas facile. C'est entre 9 et 15 ans d'études. Je vais te la faire courte car il y a plusieurs façons d'étudier. Moi, j'ai fais trois ans à la fac, puis j'ai été en stage pendant deux ans. Les quatre ans qui suivent sont majoritairement du travail en hôpital.
Et parce qu'elle était de bonne humeur, elle ajouta :
- Tu viens de France. Là-bas, il me semble qu'il est bien vu de faire des études tout de suite, une fois le bac obtenu. En Angleterre, si tu as voyagé avant tes études, tu seras bien vu. Petit conseil si tu veux étudier là-bas.
Elle prit ensuite son dictaphone. Il était temps pour l'auscultation psychologique. Est-ce qu'elle pourrait faire parler Cap aujourd'hui ?
- D’accord, merci du conseil. Répondit-il poliment.
Puis, alors qu’elle prenait son dictaphone pour l’entretien du jour, il prit le temps de réajuster son uniforme avant descendre de la table d’auscultation. Alors qu’il s’installait sur la chaise qui faisait face à son bureau, il décida de pousser un peu plus loin la conversation. Après tout, ce qu’elle attendait de lui, c’était qu’il discute n’est-ce pas ? Et puisqu’elle n’avait pas l’air de prendre l’initiative, il prit le parti de lui donner un sujet à exploiter.
- Parfois, je me dis que ça ne doit pas être facile pour vous non plus, ici. Travailler sur une île, en plein milieu de l’océan… Les gens et les commodités de Londres doivent vous manquer un peu, non ? L’Institut doit garantir pas mal d’avantages pour que vous préféreriez travailler ici plutôt qu’ailleurs.
Avec ces mots, il cherchait à engager ses sentiments pour la rendre un peu plus bavarde. Pour le coup, s’il arrivait à connaître les prérogatives officielles des médecins, ça pouvait vraiment lui servir. Et si jamais ça ne fonctionnait pas et qu’il voyait que la question ne lui plaisait pas, il pourrait toujours embrayer comme quoi sa famille lui manquait et lui donner du grain à moudre pour ses notes sur sa psychologie.
Coup de bol !
→ Et en privé, ça donne quoi ?
Flattée qu'un patient s'intéresse à son métier, et comme la conversation lui plaisait depuis tout à l'heure, elle se sentait d'humeur à bavarder :
- Tu ne crois pas si bien dire. Déjà, l'Institut est prestigieux, c'est une chance de pouvoir travailler ici. Je ne suis pas juste médecin, je suis bien plus. Et, on est bien payé, tu te doutes bien. Et on est nourri, logé, et dans de très bonnes conditions. Et plus nous montons en grade, mieux sont les conditions.
De plus, si Londres me manque, j'ai le droit de revenir le week-end. Ce que je ne fais pas, le trajet m'épuiserait. Mais j'ai cinq semaines de congés à prendre quand je veux dans l'année, d'un coup ou séparément, et c'est très bien comme ça. Trajet qui nous est offert, qui plus est. Donc oui, il n'y a que des avantages à travailler à l'Institut Espoir.
Elle alluma cette fois-ci le dictaphone, prête à interroger Cap, ou du moins à se renseigner sur son sujet. Intéressant qu'une des personnalités puisse être à ce point dans le mal, et que ce ne soit pas le cas de l'autre. Pourtant la dépression devrait être situé dans la même zone du cerveau ... Fascinant ce patient.
Mais, malgré elle, elle coupa le dictaphone.
- Pourquoi t'intéresses-tu à cela ?
Il n’eut pas le temps d’y réfléchir beaucoup plus : elle contrattaquait avec une question à son tour.
- Pourquoi t'intéresses-tu à cela ?
Hum. Le coup du « parce que je m’intéresse à vous » ne fonctionnerait pas avec elle. Elle était intelligente et ce n’était pas assez subtil. Aussi il répondit en haussant un peu les épaules.
- La curiosité, sans doute.
Puis il avisa le dictaphone, qu’elle tenait toujours à la main. La led rouge qui indiquait son état de fonctionnement était éteinte. Elle ne l’avait pas encore allumé, ce qui était inhabituel. Etait-ce le signal de sa réceptivité ? Cela voulait-il dire qu’il pouvait prendre un peu plus de risques ? Bon. Il tentait sa chance.
- Mais vous savez, ce que vous venez de dire… Ca me donne une idée pour aider Cap. On pourrait…
Il se tut. Fit mine de se raviser. Effectua un geste devant lui, comme s’il balayait les mots qu’il venait de prononcer.
- Non, non. Oubliez. Je ne devrais pas vous parler de ça.
L’interdit. Est-ce que comme 95% des gens, elle allait insister pour savoir, maintenant qu’il lui avait clairement signifié qu’il ne l’estimait pas en droit d’entendre ce qu’il avait à dire ? En tout cas, il comptait bien là-dessus.
Coup de bol !
→ De quoi ? On peut vraiment aider Cap ?! Mais dis !
Son patient se décida à parler de Cap. Sans se faire attendre, elle alluma de nouveau son dictaphone, prête à écouter ce qu'il avait à dire pour Cap. Mais il se ravisa. Elle fronça les sourcils, interloquée. Elle se demandait vraiment comment ce qu'elle venait de lui raconter pouvait les aider d'une quelconque façon. Et pourtant, il resta muet comme une carpe, comme si il lui était interdit de lui dévoiler ses précieuses pensées.
Elle se pencha en avant, lui prêtant toute son attention.
- Eh bien, quoi ? Je suis ta médecin, je peux tout de même savoir ce que tu penses pour aider Cap.
Sans s'en rendre compte, elle bloqua avec sa main l'entrée du son du dictaphone. Tout ce que l'on entendrait de cet enregistrement serait sa peau sur le micro...
- Eh bien, quoi ? Je suis ta médecin, je peux tout de même savoir ce que tu penses pour aider Cap.
Sa réaction à elle, en tout cas, était bien celle qu’il attendait. Il avisa même la main qu’elle plaça devant le micro. Etait-ce intentionnel ou fortuit ? Dans tous les cas, ce nouvel élément lui donnait envie de sauter sur l’occasion mais il était trop raisonnable pour ça. Il devait continuer à assurer ses arrières, aussi il fit mine d’hésiter entre se soumettre à l’autorité et sa « peur » de parler. Il prit la parole en se tortillant un peu les mains, les yeux sur le bureau, comme s’il avait peur d’affronter celui de sa médecin.
- Je… Je ne sais pas. Je n’ai pas envie qu’à cause de ça vous me preniez pour un de ces pseudo-révolutionnaires. En plus ce n’est peut-être pas une si bonne idée tout compte-fait, mais…
Il s’interrompit quelques secondes, se mordillant la lèvre comme si l’envie d’en parler devenait plus forte que sa crainte d’être mal catalogué. Puis, il prit une inspiration et se lança.
- En fait, notre famille manque énormément à Cap. Je sais qu’il aimerait énormément pouvoir reparler à nos pères. Alors vous me direz, il pourrait leur écrire une lettre bien sûr, mais en sachant qu’elles sont lues par des inconnus avant de partir de l’île…
Il leva les mains, en signe d’apaisement de peur qu’elle ne prenne mal cette dernière phrase.
- Je ne veux pas critiquer le système, bien évidemment. Je sais que des règles comme ça sont essentielles au bon déroulement des choses. Mais vous commencez à cerner un peu Cap j’imagine. Il est tellement fier… Je pense que ça lui ferait du bien de se confier un peu à nos parents mais le fait de savoir que quelqu’un d’autre qu’eux puisse lire cette lettre, ça le bloque vous comprenez ? Du coup…
Son expression se teinta d’embarras et il recommença à se tortiller légèrement sur sa chaise.
- Du coup je me demandais si, à l’occasion, lorsque vous retournerez à Londres… Vous accepteriez d’emmener un courrier pour nos parents avec vous voilà tout…
Il s’interrompit quelques instants, s’assurant par un coup d’œil que le micro était toujours obstrué avant de reprendre.
- Je comprends parfaitement que ça vous mette dans une position délicate, mais si vous acceptez, je pense vraiment que ça ferait beaucoup de bien à Cap. Et puis après tout, rien ne vous empêcherait vous de lire la lettre à son insu. Dans tous les cas, il vous connait, j’oserais même affirmer qu’il vous fait confiance. Alors à choisir, je suis sûr qu’il préférerait que ce soit vous qui lise ce courrier plutôt qu’un employé l’administration.
Voilà. Il l’avait dit. Il avait tenté le coup. Ne restait plus qu’à espérer que sa médecin serait sensible à ses arguments et à sa persuasion.
Coup de bol !
→ Au nom de la science
Elle pensa bien sûr que le Génie pouvait la berner, mais pourquoi ferait-il ça ? Elle le connaissait maintenant, et elle savait qu'il tenait à deux personnes : Loreleï Hexe et Cap. S'il perdait les deux, il pourrait bien disparaître aussi; et trouver un cas similaire à celui d'Alexander Hexe était impossible. Il avait déjà perdu Lore, et pour Cap c'était une affaire en cours.
- Je serais à Londres pour Noël. Remets-moi ta lettre le 23 Décembre, lors de notre séance. Avec l'adresse. J'irais la poster. Ils vivent en France, c'est ça, vos parents.
Elle ôta sa main de son dictaphone éteint. La séance était différente.
- Je ne la lirais pas. Je m'en fiche.
Ce qui l'intéressait, c'était le résultat.
- Par contre, je suppose que tu attendras une réponse. Tu la voudras de façon habituelle ? Par courrier via le bateau, ou de façon plus personnelle ?
C'était intéressant d'avoir uniquement affaire au Génie. Elle le trouvait différent. Jamais il ne prenait d'initiatives. Intéressant, intéressant ...
Elle se demanda : si Cap mourrait, qu'adviendra-t-il du Génie ?
- Je serais à Londres pour Noël. Remets-moi ta lettre le 23 Décembre, lors de notre séance. Avec l'adresse. J'irais la poster. Ils vivent en France, c'est ça, vos parents.
Il opina légèrement de la tête, laissant transparaître le soulagement qui l’habitait. Après tout c’était logique vu la crainte qu’il avait exprimé plutôt quant au fait d’être mal catalogué.
- Je ne la lirais pas. Je m'en fiche. Par contre, je suppose que tu attendras une réponse. Tu la voudras de façon habituelle ? Par courrier via le bateau, ou de façon plus personnelle ?
La surprise l’envahit mais cette fois-ci, il la jugula. Et bien ! Il ne s’était pas attendu à une réaction si positive ! Sa médecin anticipait même la suite des choses, prenant l’initiative de lui proposer plus que ce qu’il demandait. Le cas de Cap devait vraiment lui tenir à cœur. Au-delà de son intérêt purement scientifique, se pouvait-il qu’un certain attachement commence à se créer ? Il n’osait pas parier là-dessus.
Il eut un sourire reconnaissant.
- C’est vraiment généreux de votre part docteur. Je pense que Cap apprécierait que vous lui remettiez un courrier en main propre mais je ne veux pas vous importuner plus que je ne le fais déjà. Je vous laisse choisir ce que vous pensez le mieux pour vous et lui.
Il se sentait plus détendu à présent, rassuré sur la suite des choses. Si le docteur Hawthorne pouvait lui permettre d’échanger avec le monde extérieur sans passer par l’administration, ce serait une grande victoire et un grand pas en avant pour la Révolution mais il ne souhaitait pas tenter plus sa chance. Il avait pris suffisamment de risques pour aujourd’hui, et lui laisser le choix, se remettant à elle, lui semblait le plus judicieux pour la suite. La plupart du temps, témoigner de la confiance aux gens les incitait à vous faire confiance en retour, ce qui lui permettrait, éventuellement, de mettre en place un réseau de communication parallèle sur le long terme. Il ne lui restait plus qu’à réfléchir au contenu de la lettre qu’il ajouterait à la suite de Cap mais il avait le temps, et il avait envie de se consacrer pleinement à la séance de soin. Etre un patient modèle pour la remercier en quelque sorte.
- Merci docteur, vraiment.
Pour la lettre mais aussi pour tout le reste. Il avait beaucoup appris aujourd’hui. Probablement plus qu’elle ne s’en rendrait compte…
- Ouvre-moi ! Ouvre-moi !:
- Je pense qu'on peut dire que c'est la fin de cette preuve ! *Danse de la joie*
Résumé des lancés de dès :
- 1 neutre
- 4 chanceux
- 1 pas de chance
PREUVE REUSSIE
→ A demain.
Alors qu'elle voulut préparer le dictaphone pour la prochaine séance, elle se rendit compte qu'il était en fait allumé depuis le début et qu'il avait tout enregistré.
Elle haussa les épaules. Qui irait écouter ça ?
- Le docteur Hawthrone ira déposer une lettre fin décembre pour la famille d'Alexander Hexe sans que personne ne soit au courant.
- Un enregistrement de la conversation est sauvegardé.
- Le docteur apprécie un peu plus son patient, et son cas ne la rend que plus motivée.
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