Kheidra explorait l'Institut pour la énième fois depuis son arrivée, mais il lui semblait découvrir de nouvelles choses à chaque fois, comme par exemple ces quelques graffitis qui ornaient le mur Est du bâtiment principal, probablement les noms d'anciens résidents que le temps et les intempéries avaient effacé aussi sûrement que leurs matricules avaient dû se perdre dans les archives du médecin en chef. Kheidra, agenouillée, avait passé de longues minutes à tenter de lire les lettres de ce mystérieux graveur, à observer l'enroulement maladroit du J et la géométrie approximative du N de ses initiales. Jon Nachweis ? Non, Jessika Namenlos ! Ou un quelconque John Nobody ? Les possibilités, infinies, titillaient l'imagination trop fertile des jumelles qui entrapercevaient déjà les scénarios les plus fous et les personnalités les plus grandes. En petit comité autour de ce fragment de mur, elles attiraient l'attention des patients les plus curieux et des médecins les plus méfiants qui passaient derrière elles en un va-et-vient incessant, trop pressés toutefois pour s'attarder sur deux gamines qui encombraient le chemin. Ce fut finalement une femme de ménage qui leur ordonna d'un regard sévère de déguerpir, ce que Kheidra fit non sans une expression boudeuse mais le regard malicieux de ses rêveries précédentes, si bien qu'elle passa le reste de l'heure à rechercher d'autres traces du fameux "J.S." à travers toute la cour et les couloirs extérieurs adjacents. De cet homme - ou femme ! - mystère, cependant, elle ne retrouva rien, même parmi les nombreuses inscriptions qui criblaient les bancs paresseusement étendus au soleil. En revanche, ce fut un tout autre inconnu qui attira son attention, un inconnu tout en chair, que le temps n'avait pas encore effacé, et qui se trémoussait sur ses mains en de lestes mouvements réguliers qui captèrent le regard de Kheidra de l'autre bout de la cour.

Les deux jumelles s'approchèrent timidement en se tenant la main, scrutant le grand acrobate qui se pliait à cet étrange exercice. Comme l'écrasante majorité de l'Institut, c'était un patient, et comme la non moins grande autre majorité, il était plus âgé que Kheidra. Son ample tee-shirt blanc, relevé sur son menton sous l'effet de la gravité, révélait un corps athlétique et une peau pâle, tout en dissimulant assez mal une moue mutine et un regard malicieux. Mais le détail le plus surprenant, bien sûr, était le fait qu'il se trouve à l'envers, se déplaçant avec une aisance remarquable sur ses mains tout en jouant du poids de ses jambes au prix de la contraction visible de ses muscles abdominaux et de l'étirement de fines cicatrices mal dissimulées. Kheidra était ébahie, et si sa timidité méfiante la contraignait à un mutisme lancinant, son visage restait figé en une expression de surprise émerveillée. Pouvait-elle aussi se joindre à l'acrobate ? Il n'était pas sans lui rappeler ces singes de cirques qu'elle avait autrefois l'habitude d'apercevoir dans quelques dessins animés. Peut-être n'était-il pas un patient mais un voltigeur ? Un gymnaste en visite ? Ou juste un adulte un peu moins ennuyeux que les autres ! En tout cas, il éveillait la curiosité enfantine de Kora et Heida, ainsi qu'une pointe d'envie des deux sœurs qui mouraient d'envie de se joindre à lui, mais qui n'osaient pas rompre ce spectacle dont elles se délectaient.

Le clin d'oeil que finit par leur lancer l'inconnu les tira de leurs hésitations. Il s'approcha d'elles et fit quelques autres pas, toujours dans son amusante posture, avant de finalement se redresser d'un bond et de les saluer d'un air théâtral qui arracha un grand sourire aux deux petites, jusque là encore hésitantes à montrer leur enthousiasme. Le soleil découpait sur le mur la silhouette de l'acrobate comme un grand projecteur venu saluer sa représentation.

-Bonjour toi ! lança-t-il en se penchant vers Kheidra.

Ses grands yeux étaient d'un gris franc et expressif qui suffit à apaiser l'habituelle méfiance des jumelles déjà bien entamée. Kheidra lui rendit son sourire et après une hésitation finit par applaudir, d'abord timidement puis plus vigoureusement.

-Oui, bonjour ! C'était trop cool ! s'exclama-t-elle de sa voix double délicatement relevée par son accent.

Son regard hésita entre le mur derrière le garçon avant de revenir vers lui avec une excitation et une curiosité mal camouflées.

-Pourquoi tu faisais ça ? T'es un acrobate ?

Puis avec une nouvelle hésitation, elle demanda :

-...Je peux jouer aussi ?

L'acrobate parut surpris tandis qu'il observait Kheidra, laquelle lui rendait son regard avec la même curiosité. Il partit néanmoins dans un rire franc et communicatif, et s'exclama :

- Eh ben ! On peut dire que vous êtes synchro vous deux !

Kheidra sourit et haussa les épaules, habituée à ce genre de commentaires. Elle n'en tenait plus rigueur depuis longtemps, elle savait que les adultes - et même les autres enfants - ne parvenaient pas à assimiler l'existence de l'identité commune des jumelles.

Prenant un air songeur, le garçon ajouta après quelques instants :

-Hum… J’peux vous faire passer une audition, pourquoi pas. Vous me montrez ce que vous savez d’jà faire ?

Tandis qu'il s'adossait nonchalamment contre le mur, Kora et Heida se consultèrent du regard, prises au dépourvue. Ce qu'elles savaient faire ?

"On sait faire du hautbois..." sembla penser Kora d'un clignement d'yeux.

"...Mais y'a pas de hautbois ici..." sembla répliquer Heida tout aussi silencieusement.

"De la botanique ?"

"Pas de plantes non plus ici...Et puis, c'est pas très impressionnant."

L'impressionner...Oui, les jumelles voulaient impressionner le grand acrobate, lui qui témoignait d'un tel talent et d'une énergie si vive. Mais comment faire ? Leur regard dériva vers le mur. Pouvaient-elles répéter un exercice aussi complexe que celui que le garçon venait de réaliser ? La peur du ridicule se disputait à la fierté impétueuse de Kheidra, dont les rêves s'emplissaient déjà d'images folles de cirques auxquels elles avaient déjà assisté par le passé. Le garçon avait parlé d'une "audition", cela signifiait-il qu'un spectacle allait se tenir ? Ou elles pourraient participer ? Les mains des jumelles se serrèrent plus fort sous l'effet de l'excitation. Un spectacle : voilà qui pourrait tromper l'ennui qui poissait les murs de l'Institut ! Peut-être que leur papa pourrait y assister ! Il serait drôlement fier de les voir aux côtés d'une troupe d'acrobates ! Y aurait-il de la musique ? Des animaux ? Des décors ? Leurs esprits s'enflammaient d'espoirs nouveaux.

Mais cela ne réglait pas la question de comment réussir cette audition.

Une idée leur vint soudain en désespoir de cause. Heida s'avança alors près du mur et se mit à genoux sur le sol dur et rêche de la cour. Kora, prenant appui sur le mur, entreprit alors de monter sur son dos, sans qu'aucune des deux sœurs ne se soucient des traces noires que les chaussures de Kora laissaient sur l'uniforme blanc d'Heida. Tandis que la première passait une de ses mains sur la tête de la seconde, cette dernière commença à se relever, vigoureuse sous l'effort que supporter le poids de sa sœur lui demandait. Kora se retrouva ainsi à plus d'un mètre du sol, encore courbée pour s'appuyer sur le mur, mais tandis qu'Heida stabilisait leurs deux masses en lui attrapant les chevilles, désormais sur ses épaules, Kora retira fébrilement les mains du mur et les étendit perpendiculairement à son nouveau corps de géante. Kheidra était désormais bien plus grande que l'acrobate. Son minois était froissé dans par l'effort et la concentration, mais un sourire demeurait au coin de ses lèvres.

Kheidra porta un regard vers l'acrobate, légèrement déséquilibrée par son propre poids, mais très fière de son petit tour.

-Ta-daaaaa ! s'exclama-t-elle avec un grand sourire.

Pour achever leur petit numéro, elle s'essaya à quelques pas en direction du pas-si-grand acrobate. Mais si les deux premiers pas se révélèrent plutôt réussis, le troisième arriva à bout de l'équilibre de Kora qui, avec un petit cri de surprise, commença à plonger vers l'avant. Heida, alarmée, fit quelques pas précipités dans la même direction pour accompagner sa chute, mais cela ne fit que retarder le moment inévitable où les deux soeurs, entrainées par leurs poids, s'écroulèrent sur le grand garçon qui - par volonté de sa part ou par accident - se trouvait sur leur chemin. Son corps amortit heureusement leur chute, et lorsque Kora se redressa à moitié en se frottant la tête, seule une petite bosse ornait cette dernière. Heida n'avait pas de dommages à déplorer.

-P-Pardon ! balbutia Kora en faisant quelques pas vers l'arrière. Es tut mir leid...

Les jumelles étaient habituées à ce genre d'accidents, elles pour qui l'aventure était tout un art. Mais généralement, elles n’entraînaient personne d'autre dans leurs bêtises.

Kheidra eut un air penaud, ne sachant pas si l'acrobate allait accepter leurs excuses. Et, pire que tout...

-...On est quand même prises pour le spectacle ? demanda Kheidra d'une petite voix fluette pleine d'espoirs.

L'acrobate ne sembla pas tenir rigueur à Kheidra pour son petit accident. Pendant qu'il se relevait d'un seul bond avec une aisance remarquable, Heida vint aider Kora à se mettre debout et elles s'époussetèrent mutuellement, vérifiant que chacune allait bien, même si elles le savaient déjà. Heida fit remarquer sa bosse à Kora, et cette dernière grimaça avec malice, ce qui les fit pouffer toutes les deux. Rassurées, elle se tinrent la main à nouveau et firent face à l'adolescent qui les observait d'un air intrigué.

-Oui, oui bien sûr ! s'exclama-t-il alors. Faudra travailler un peu bien sûr mais je suis sûr que vous y arriverez.

Kheidra fut un peu soulagée, mais plissa les yeux en remarquant que son interlocuteur paraissait soudainement distrait par autre chose. Peut-être qu'il disait ça pour les rassurer ? Les jumelles préféraient se dire qu'il disait la vérité, même si elles étaient un peu dépitées : si seulement elles n'étaient pas tombées...

- Vous venez d’Allemagne ? reprit précipitamment l'acrobate. D’Autriche ? C’est quoi votre nom ?

Kheidra écarquilla les yeux, surprise, puis un grand sourire enthousiasmé vint éclairer leur visage. Il avait reconnu leur langue ? Peut-être qu'il était allemand aussi ! Un peu excitées, les jumelles se présentèrent sans leur numéro habituel :

-Kora ! déclara vivement la susnommée.

-Heida ! répondit de même sa soeur.

-Mais ensemble on préfère s'appeler Kheidra, dirent-elles ensemble.

Posant un regard curieux vers l'acrobate, elles hésitèrent un instant puis déclarèrent :

-On est allemandes...Deutschland, und wir kommen aus Bayern.

Cela faisait quelques temps qu'elles n'avaient pas parlé allemand et cela leur fit du bien. Elles se demandèrent si l'autre parlait aussi leur langue, sinon il n'allait rien comprendre.

-Und du ? T'es allemand aussi ? Et c'est quoi ton nom ?

Dans le doute, Kheidra avait repris l'anglais : mieux valait utiliser une langue qu'elle était sûre qu'il connaisse.

traductions:

Kheidra perçut le poing tendu de l'acrobate dans leur direction comme une confirmation, et avec enthousiasme elles vinrent taper leur propre petit poing noir contre le sien en un geste amical. Les jumelles ne l'avaient pourtant jamais pratiqué avec d'autres enfants à l'école, c'était un geste de "bro", et les jumelles n'avaient jamais eu de "bro" puisqu'elles faisaient chacune office de sœur, de moitié et de meilleure amie de l'autre. Mais pour une fois, alors que jamais le monde ne leur avait semblé aussi grand et solitaire qu'à l'Institut, elles étaient heureuses de cette marque amicale.

-Ich komme aus Trier, déclara alors l'adolescent avec autant d'enthousiasme que les deux soeurs. Ich heiβe Alexander aber du kannst mich Cap namen.

Kheidra gloussa, simplement heureuse d'entendre sa langue maternelle prononcée par un tiers. Cap ? C'était bizarre comme nom, mais ça lui allait bien !

-Cap...Ou pas cap ? plaisanta Kheidra avec un petit rire amusé, pensant naïvement que ce jeu de mot avec son surnom était fortuit.

-Enfin, chuis allemand mais un allemand de pacotille, poursuivit l'autre. En fait j’ai passé la plupart de ma vie en France où j’ai déménagé tout p’tit. Du coup j’parle mieux la langue de Molière que celle de Goethe.

Kheidra haussa les épaules : elle n'avait jamais aimé la littérature, alors que ce soit Goethe ou Molière, elle n'avait jamais lu leurs écrits malgré les nombreuses protestations de son père. Par contre, les jumelles étaient légèrement déçues qu'il n'ait pas habité en Allemagne - enfin, au moins parlait-il leur langue !

-Quand on sortira de l'institut, tu pourras venir nous voir en Allemagne ! s'exclama Kheidra avec un grand sourire. On te fera visiter et tu verras : Es ist besser als in Frankreich!

-Oh mais on espère au moins que tu as déjà vu la Schwarzwald ? s'étonna Kora en jetant un regard interloqué à Heida.

-...C'est la plus belle forêt du monde ! C'est un peu loin de chez nous, mais avec notre papa on y va tout le temps ! compléta Heida en réponse, jetant le même regard complice à sa soeur.

Y penser leur serra un peu le coeur : la verdure et la nature leur manquait. Tout ce qu'il y avait ici, c'était une forêt brûlée et quelques parterres de fleurs minuscules.

Les longues balades en forêt de Kheidra avec son papa lui manquait.

Cap ne semblait pas partager l'engouement de Kheidra pour la Forêt Noire, mais elle ne lui en tenait pas rigueur. Elle hocha la tête un peu mollement à ses paroles, refroidie par la nostalgie qui empoignait son cœur, mais redressa vite les yeux quand l'acrobate reprit la parole :

-Sinon, vous savez, il y a une forêt ici aussi. C’est pas la Schwartzwald et elle a eu… Un gros accident disons, mais on peut y faire un tour si vous voulez ?

Kora et Heida se consultèrent du regard, reprenant leur entrain d'un seul coup. Une forêt ? Celle qui était brûlée ? Les jumelles l'avaient aperçue de loin mais peut-être restait-il quelques arbres ? Ou de jeunes pousses perçant le voile des cendres ? Ou même une autre forêt, cachée derrière un bâtiment ? L'imagination de Kheidra s'enflammait et un sourire flotta sur ses lèvres.

-Oui, ce serait super ! répondit-elle sans hésiter.

Les jeux à vivre dans une forêt étaient innombrables : escalade, cache-cache, poursuite...Sans compter les découvertes et les aventures, car derrière chaque rocher pouvait se cacher une sorcière grimaçante, une fée malicieuse, ou un de ces étranges gnomes qui peuplaient la Schwartzwald. Après tout, si Kheidra était loin de chez elle, alors les créatures magiques pouvaient aussi voyager, non ?

Et puis un souvenir d'un jeu précédent revint en mémoire aux jumelles, le jeu qui l'avait mené à se perdre dans la cour : la recherche de pistes concernant un fameux "J.N". Kheidra cilla à se souvenir, puis gonfla sa poitrine en une posture presque solennelle.

-Mais, Capitaine Cap, on ne peut pas partir sans avoir retrouvé "J.N" ! Ce serait injuste pour ce noble aventurier s'étant échoué sur l'île il y a super longtemps !

Sa voix double semblait être sérieuse, mais ses yeux avaient la malice du jeu que l'on engage sans réticence. La recherche de "J.N" était devenue la nouvelle quête des deux enfants, ayant déjà oubliés leur envie précédente de faire partie du cirque du garçon. Sur le ton de la confidence, Kheidra se mit sur la pointe des pieds, une fille de chaque côté du grand Cap pour pouvoir murmurer à chacune de ses oreilles - même s'il demeurait encore trop grand pour cela.

-Personne ne connait son vrai nom, commença Heida. C'est un secret que les gnomes ont volé. Mais nous, on a retrouvé ses initiales. C'est sûrement important !

-...Il faut le retrouver ! conclut Kora d'un air entendu.

-Avez-vous une piste, Cap-itaine ? conclut Kheidra avec un sourire.

Ce surnom l'amusait, il convenait bien à l'acrobate ! Peut-être qu'avant d'être un patient, il était capitaine d'un navire, d'où son surnom ? Après tout, il semblait vieux !

L'espace d'un instant, Kheidra crut que Cap allait refuser et cela la déçut légèrement. Elle ressentait une pointe de tristesse dans le regard du garçon depuis le début de leur rencontre et elle ne comprenait pas. Pourquoi semblait-il si joyeux s'il était triste ? Est-ce qu'elle avait dit quelque chose de mal ? Pourtant, Cap ne semblait pas fâché. Au contraire, il se releva et vint ébouriffer les cheveux crépus des jumelles qui protestèrent en chœur mais ne purent retenir un sourire malicieux devant ce geste affectueux qui leur rappelait tendrement leur père.

- Et si vous commenciez par me montrer ces inscriptions ? proposa l'acrobate. On y trouvera sûrement des indices ! En tout cas, moi, je suis sûr que c’est une aventurière.

Kora et Heida se consultèrent du regard. Une aventurière ? Oui, les filles étaient souvent plus aventureuses que les garçons après tout ! Leurs petits minois s'éclairèrent devant l'approbation de Cap et elles lui prirent chacune une main pour le tirer derrière elles.

-En route vers les Inscriptions du Grand Passé, Cap-itaine ! rugirent-elles d'une seule voix, amenant à leur suite le garçon.

D'un pas rapide Kheidra le conduisit jusqu'au mur Est du bâtiment principal où les gravures délavées avaient attiré son attention. La femme de ménage qui l'avait précedemment chassé n'était pas en vue, au grand soulagement de Kheidra qui s'approcha du mur et indique du doigt les initiales "J.N". A vrai dire, si le J était encore assez bien visible, le N ressemblait également à un S, à quelques égratignures près.

-Si c'est une aventurière, elle s'appelle peut-être Jessika Namenlos, déclara pensivement Kora en se remémorant leurs idées précédentes.

-Mais les gnomes ont effacé le reste des indices, alors on n'en sait rien...avoua Heida avec un soupir.

Les deux enfants étaient très concentrées dans leur jeu, et tandis qu'elles réfléchissaient, elles prêtaient peu attention aux autres inscriptions qui peignaient presque le bas du mur. Peut-être, autrefois, des enfants ennuyés ou des ados en crise avaient décidé de laisser leur empreinte dans ce monde, car d'autres initiales et noms plus ou moins récents, plus ou moins bien discernables, étaient également présents, mais en plus petits que le fameux "J.N". Des dates également se trouvaient ici et là, accompagnés de minuscules (et ridicules, souvent) petits dessins. Et, évidemment, on pouvait également retrouver les inimitables "Machin Truc", mais les noms étaient toujours aussi inconnus à Kheidra. Le Génie ? C'est pas un nom ça ! En plus le tout avait été sauvagement rayé, comme si celui qui avait découvert ces inscriptions moqueuses ne les avait pas vraiment apprécié.

Le tout en faisait, réellement, un mur des Inscriptions du Grand Passé, selon Kheidra.

-On compte sur vos lumières, Cap-itaine ! déclara finalement avec aplomb Kheidra.

Avec impatience, Kheidra laissa Cap analyser les inscriptions. Avec ses yeux d'acrobate, peut-être voyait-il des choses qui lui avait échappée ! Est-ce que les acrobates voient mieux que les gens normaux ? C'était une bonne question. Les jumelles la ruminèrent avec attention pendant quelques instants.

- Désolé les filles, je ne vois rien de plus que ce que vous avez déjà trouvé.

La voix de Cap les tira de leurs pensées. Surprises, elles se tournèrent vers lui et croisèrent son regard dépité. Le sourire des deux sœurs se fana sous la déception, et elles secouèrent la tête d'un air têtu.

-Non, tu as dû mal regarder ! protesta Kheidra. Regarde encore !

Le garçon ne voulait-il pas jouer à leur jeu ? N'aimait-il pas l'exploration ? Ou l'imagination de Kheidra était-il encore trop fertile ? Elle se rembrunit en baissant les yeux, et Cap reprit encore la parole :

- Mais j’ai entendu dire que les gnomes aimaient traîner près des sources d’eau douce. Peut-être qu’on pourrait en capturer un au lac pour l’interroger ?

Avec une légère hésitation, Kheidra releva le regard. Le lac ? Son regard s'égara sur le mur que cachait en partie l'acrobate, mais déjà son imagination s'était réactivée. Son regard s'éclaira à nouveau, les deux sœurs ayant toujours adoré se baigner. Elles étaient également soulagées que Cap accepte de continuer ce jeu d'aventure avec elles, c'était bien plus amusant à trois !

-On n'y est jamais encore allé ! confièrent-elles avec un certain embarras. On ne savait pas que les gnomes aiment les sources d'eau...

"C'est logique" songea Heida. "La terre est aux nains et l'eau est aux gnomes !"

"Et les trolls ont les villes !" acquiesça en écho Kora.

Leur détermination téméraire fusa à nouveau, et elles eurent un sourire plein de certitude.

-Qu'attendez-vous pour nous montrer le chemin, Cap-itaine ? demandèrent-elles avec une insolence malicieuse.

Elles commençaient à vraiment bien aimer ce garçon.