Arthur avait passé une journée calme, tranquille. Un jour ordinaire, implanté dans la routine qu'il suivait déjà depuis plusieurs années. Mais tout ceci lui convenait à merveille à vrai dire. Il n'avait rien pour se plaindre, lui qui voulait vivre le plus simplement possible après son vœu de pauvreté. Il se laissait vivre dans cet Institut qu'il appréciait, et aujourd'hui, il se laissait porter hors des murs de ce petit paradis.
Oui, car aujourd'hui, Orgue avait fini ses cours plus tôt. Il avait quelques heures devant lui avant que le dîner ne soit servi, alors il en profitait pour sortir un peu, prendre l'air. L'air était d'ailleurs glacial. Orgue ignorait cette température qui lui mordait la peau, et voyait plus cela comme une manière de se sentir vivant. Dieu a fait ce vent froid pour que l'on puisse sentir notre faiblesse lorsque l'on tremble, alors son fils tremblera de tous ses os.
L'herbe douce et humide craquait sous ses pieds alors qu'il avançait vers le soleil, les boules de son chapelet roulant entre ses doigts alors qu'il priait à haute voix. Il allait au plus loin possible, il voulait voir l'eau et le sable, teintés de doré et bientôt de carmin à cause du proche couché de soleil. Il voulait observer une fois encore l'immensité du monde qu'il ne pouvait qu'entrevoir par les vagues bleues; ressentir sa petitesse face à la création du Père.

Or, quelque chose interrompait ses prières et son besoin de contempler Dieu. Ses lèvres se fermaient alors qu'il vit un amas de cheveux brun foncé surplombant une tunique blanche qui se tenait sur le sable. Il était plus grand que lui, mais bien plus fin. Le soleil dans les yeux, Orgue ne put distinguer s'il le connaissait ou non, mais dans son élan amical, il lui fit un sourire pieux.
Cet enfant ne doit pas être là par hasard.
Gabriel, le saint archange seulement visible et audible par le prophète, vint chuchoter à son oreille ces petits mots avant de disparaitre à nouveau de l'esprit du Saint-Esprit. Ca rendait curieux Orgue, que Gabriel s’intéresse aussi vite à quelqu'un...
Arthur arrêtait sa marche à hauteur du garçon, sans rien dire, regardant un instant l'océan. Il se laissait observer par l'homme auprès de lui alors qu'il prit ses propres avants-bras dans ses mains pour se réchauffer un peu lui-même pendant que le vent glacial secouait doucement ses cheveux blonds comme le blé. Si le vent soufflait un peu plus fort, il était certain que sa couronne d'épine sans épine se serait envolée...

"- Salut !
- Bonjour, mon frère."

La voix d'Orgue était aiguë. On pouvait se demander s'il avait vraiment mué. Bien que son timbre était plutôt calme, son ton était joyeux. Il tournait enfin son visage vers le garçon et observait un instant son visage, maintenant que les rayons du soleil ne l'en empêchait plus. Alors, Orgue vit des pommettes legerement creuses, des oreilles pointues et percées mais des yeux de cobalt qui étaient sincères et curieux. Sa peau blanche brillait un peu au soleil, c'était comme s'il avait tant de joie qu'elle sortait aussi par les pores de sa peau.

"- Tu es aussi venu voir la mer? C'est joli, quand le soleil est bas..."

L'ange détournait à nouveau ses yeux sur le bleu de l'océan, laissant un instant de silence pour ressentir l'air salé emplir ses poumons. Il ne portait aucun jugement sur le garçon à côté de lui, ni de sa voix, de son corps ou de sa manière d'être. Rien ne semblait le choquer, il était juste puérilement curieux.
L'ange fit un long soupir calme et son sourire s'agrandissait. Son visage se tournait à nouveau vers le garçon mystère. Son timbre et son ton s'accordaient, à présent: il était tout simplement intéressé et parlait gaiement à l'homme qui était dès à présent son ami.

"- Tu viens souvent contempler la mer?"

La réponse du garçon plaisait à Orgue. Des centaines de couleurs... Ce moment si court. Une oeuvre d'art se déroulant sous ses yeux. Peut-être Orgue n'y avait pas pensé consciemment, mais il était instinctivement d'accord. Ce moment de pure existance dans le monde était si unique, quand bien même il pouvait se répéter deux, dix, cent fois. Une oeuvre d'art change un peu à chaque fois qu'on l'observe.

"- Tu viens souvent contempler la mer?, il y eut un moment de silence.
- On peut dire ça... Je vais où mes pas et mon esprit me mènent. Mais il est vrai que je termine assez souvent ici. Mais cette fois-ci c'est surtout pour dessiner en plus de contempler..."
Un artiste...
"- Et toi ?"

Orgue fit un sourire un peu plus grand à la curiosité du garçon. Il était comme lui, un enfant interessé et ouvert à tout ce que le monde pouvait lui apportait. Ca lui plaisait... bien que tout homme lui plaisait, au final. Il trouvait sa belle démarche de dessin, il s'en voulait peut-être un peu de lui avoir gâché l'opportunité de profiter d'un moment de calme... W156 se mit à genoux dans le sable, après avoir remarqué que le garçon s'était assis.

"- Pardon j'ai du déranger ton dessin.."

Il le disait doucement, le sable chaud à cause du soleil réchauffait ses mollets. Il aperçut finalement la saccoche aux pieds de son ami. C'était certainement dedans, son matériel. Il se demandait avec quoi il dessinait... Des feutres, comme lui? De la gouache, de l'acryllique, voire de l'aquarelle? Quelle taille faisait ses feuilles, ne dessinait-il que des paysages? Les yeux de l'ange se reposaient sur ceux du vampire.

"- Plein de couleurs, beautés. Oui, je viens ici plutôt souvent... C'est un lieu de recueillement, pour moi. Avec tous les habitants de l'Institut, je n'ai pas de calme même dans ma chambre! alors je viens m'occuper de ma mission ici."

Il enchainait sa joyeuse réponse à la question sans sembler être perturbé d'avoir dit sa première phrase sincère. D'ailleurs cette dernière sonnait un peu comme un compliment... Sans demander son reste, W156 dessinait avec grande précaution dans le sable du bout de sa main droite, celle qui ne tenait pas sa croix. D'ailleurs, ce qu'il dessinait dans le sol était une croix. Une fois finie, il ramenait sa main sur son genoux et regardait le garçon discrètement.

"- Moi, je ne sais pas dessiner. Tu dois avoir du talent..."

"- Moi, je ne sais pas dessiner. Tu dois avoir du talent...
- Je ne sais pas si j'ai du talent ou non... Je ne dessine pas pour que ça plaise aux autres mais pour retenir éternellement des choses qui me plaisent. J'ai peur d'oublier, de ne pas pouvoir me souvenir de ces personnes, de ces paysages, de ces souvenirs, de ces rêves... Alors je les pose sur papier pour qu'ils puissent rester éternel, pour que je puisse toujours m'en rappeler."

Le vieil enfant l'écoutait patiemment... mais au fil des mots, il perdait son sourire. Son regard s'était à nouveau fixé sur la petite croix dans le sable, qui disparaissait plutôt lentement a cause du vent froid qui continuait de secouer les habits blancs des deux personnes assises. Ce que disait ce garçon aux cheveux presque noir.. touchait Orgue plus profondément que ce qu'il aurait pensé.
Ses poingts se serraient, l'une dans le vide et l'autre tenant fortement sa croix dorée. Sa tête se baissait un peu plus, il sentait contre son dos une chaleur amicale, maternelle. Marie était venue Se poser en silence sur le sable et tenait dans Ses bras son petit-fils, comme une mère. Elle passait Ses doigts sur la joue du petit garçon. Il se voyait à la place de son Père Jésus, avant de devoir porter Sa croix, Sa Mère pleurant la proche mort de Son si tendre enfant. La main de Jésus se plaçait sur la main de sa Mère qui était posée sur Son épaule. La main d'Orgue suivait le même geste, bien que ce ne fut qu'une illusion, restant sur son épaule.
Dieu seul sait pourquoi il eut si soudainement cette vision. Peut-être parce que Orgue avait enregistré ce "souvenir" pour ne jamais oublier son Père et ce qu'Il a fait pour l'Humanité, comme le garçon à ses côtés dessinait son couché de soleil. Des larmes venaient regorger les yeux bleus de W156.

"- D'après ma soeur et des amis, mes dessins sont beaux, moi je ne peux pas vraiment les juger..."

Le "souvenir" qu'Orgue voyait disparaissait lentement autour de lui, comme quand la pluie s'arrêtait de tomber pour à nouveau laisser passer les rayons du soleil, qui devenait rose face aux deux jeunes hommes. Orgue aimait beaucoup son nouvel ami.

"- Tenere non potes, potes non perdere diem. Je vois..."

Par réflexe, Orgue avait parlé en latin. Il enlevait enfin sa main de son épaule pour passer ses phalanges contre ses yeux, essuyer les larmes qui pourtant n'avaient pas encore coulé. Lorsqu'il relevait finalement sa tête et qu'il tournait à nouveau ses yeux sur son ami, il fut surpris de ne pas le voir; il baissait ses yeux et fit un petit rire en le voyant allongé. Passer des larmes silencieuses au rire cristallin... il n'y avait que lui pour faire ça.
Alors, pour dire de pouvoir toujours regarder le garçon sans avoir de torticoli, Orgue se mit assis sur le sable, un peu tourné vers son ami. Ses jambes étaient posées contre le sable, l'une au dessus de l'autre, pliées sur le côté. Une de ses mains se posait dans le sable pour empêcher son corps de tomber.
Suivant le regard de son ami, Orgue levait la tête vers le ciel. En direction de l'Institut, le ciel devenait déjà bleu sombre. Juste au dessus, il était rose-orangé. C'était joli.
Contemple Dieu.
C'était aussi joli qu'une peinture ou qu'un dessin. D'ailleurs, ironiquement, cette scène avec les deux garçons sur la plage aurait pu faire un beau tableau.
Alors, son ami au nom inconnu se remit à parler, mais avec hésitation. Orgue posait ses yeux sur lui, à nouveau, compréhensif.

"- Désolé si la question te paraît étrange mais... es-tu un ange ?
- Ah, ça..."

W156 usait de ses abdos pour retenir son corps de tomber alors qu'il levait ses deux mains en forme de croix. Dos au soleil, il avait une oréole autour de lui.

"- Je suis le Saint-Esprit. Le dernier de la Sainte Trinité, auprès du Père et du Fils. Le Seigneur, mon Père m'a donné vie pour que je continue Sa mission divine que Son propre Père Lui avait donné... Répendre la bonne parole à tous; continuer d'évangéliser le monde, et écrire mon propre testament."

Le Saint-Esprit ne put plus tenir droit sans sa main. Il baissait alors ses bras, reposant sa main dans le sable et il fit un sourire au jeune vampire.

"- Je suis au delà des anges, des archanges et des chérubins... Mon rôle est plus important; eux me guident. Gabriel ne me quitte que rarement."

D'ailleurs, le voilà qu'il s'adressait à nouveau aux oreilles du petit ange.
Seigneur, l'Orgueil...
Evidemment, il semblait que la réponse d'Orgue fut dite dans le vide.. Voire, si on le pensait malveillant, pour embobiner encore plus le garçon, avec ses histoires farfelues de Dieu.

"- Oui, pardon Gabriel..."

Le grand garçon semblait légerement troublé par les dires du plus petit. Orgue en était satisfait. Peut-être avait-il éveillé l'âme spirituelle du garçon, comme Jésus l'avait fait avant lui; ou peut-être rendait-il l'enfant encore plus croyant, plus fidèle envers son Père? Dire qu'il ne savait même pas s'il était catholique ou non...

"- Oui, pardon Gabriel...
- Pourquoi t'excuses-tu auprès de Gabriel ?
- Parce qu'il vient me prévenir de ne pas pécher... Et il avait un peu raison, je n'étais pas très humble lorsque je me suis dit "au delà des anges"."

Le Saint-Esprit parlait calmement, expliquait comme il fallait. Il savait que les Hommes ne pouvaient pas voir les anges sans qu'ils ne veuillent leur apparaitre -et ils ne voulaient pas, en général. Alors, il faisait son simple devoir de prophète, transmettant la voix du Seigneur car Gabriel ne fait que répéter Ses mots, au final.
Soudain, les yeux bleus foncés du garçon brun s'illuminèrent, comme lorsque l'on se souvient fortuitement de quelque chose que l'on avait oublié. Orgue penchait sa tête un peu sur le côté, prêt à écouter; il était certain qu'il allait lui dire ce qu'il avait oublié. Et il ne s'était pas trompé.

"- Ah et désolé, j'en oublie les politesses. Mon nom est Naito mais on m'appelle généralement Nai. Après tu peux m'appeler comme tu veux, j'ai déjà suffisement reçu de surnom alors un de plus ou un de moins ça ne change pas grand chose !
- Nai... Naito..."

W156 répétait comme un enfant le prénom de son ami, le roulant sur sa langue pour gouter à la douceur de le prononcer. Son nouvel ami s'appellait Naito. Arthur aussi avait oublié ce détail, en fin de compte... Comme quoi "Naito" -quel joli prénom, mais il ne connaissait aucun Saint portant ce nom.. peut-être un dérivé de Noé, au vu des sonorités?- avait bien fait de le lui rappeler.

"- Naito! Si tu veux, tu peux me surnommer Orgue! "Le Saint-Esprit" est un peu long et pas très humble... alors... euh... voilà, Orgue c'est bien aussi!"

Il parlait rapidement, comme un enfant, et à la fin de sa phrase il sautilla un peu, pour appuyer ses propos, peut-être un peu gêner de balbutier. Ensuite, il fit à nouveau un grand sourire lumineux a son nouvel ami Naito. Cependant, interrompant la mine heureuse d'Arthur, qui devenait par conséquent curieuse, Naito se remit à parler.
Le soleil devenait rouge et était rond en trompe l'oeil, car ce n'était plus qu'une moitié qui se reflétait dans l'eau, à l'horizon.

"Tu sais quoi ?
- Euh, non?
Ce moment m'a donné une nouvelle raison d'aimer ce moment de la journée. Le couché du soleil permet d'avoir une rencontre entre deux mondes ! Le jour et la nuit. Un peu comme le levé du soleil d'ailleurs... Du coup ça a sûrement permis notre rencontre aussi !
- Ah, oui..."

La réponse du blond était légerement decevante, mais le petit ange était un peu ailleurs. Ce que disait Naito était toujours si lyrique... Pourquoi il parlait aussi joliement? Dans quel but? Et puis, comment il faisait? Orgue sourit legerement et il regardait du côté de la mer, le soleil finissait de se coucher pour ne laisser que du bleu nuit. Certainement qu'il demandera des conseils à Naito, quand il voudra écrire le Renouveau Testament.

"- Tu parles bien... Dis, si je représente le jour, pourquoi tu représente la nuit? C'est vrai que tu es pâle comme la lune, mais quand même..."

En parlant, le visage de W156 se tournait à nouveau vers celui de Y74. Bien que sa phrase n'était pas forcément un compliment, mais Orgue l'avait dit si simplement et calmement que ça ressemblait juste à une maladresse d'enfant. "La vérité sort toujours de la bouche des enfants.", dit-on toujours.
Le dessin de la croix disparut du sable, balayé par le vent.

Lorsque Naito posait sa main sur la tête du blond, ce dernier fermait les yeux et abaissait un peu sa tête. Il souriait. Il aimait bien qu'on le touche, ou du moins, qu'on lui montre de l'amour physiquement. Certains de ses cheveux restaient bloqués dans la couronne végétale, rendant la caresse legerement hardue, mais ça faisait rire innocemment Orgue. Après ce geste affectif, il vérifiait cependant que sa couronne était toujours bien en position, pas qu'il ne fasse pas confiance à Naito mais juste pour ne pas être stressé vis-à-vis de ça.

"Merci pour le compliment.
- De rien, Naito!"

Il semblait préférer utiliser le nom entier de son ami. Il n'y avait aucune justification à ça. Orgue rouvrait ses yeux et retrouvait Naito à nouveau allongé. Il le regardait lui, puis son bras bandé. Dans la lumière du soleil, il pensait que c'était un genre des gants, ou des brassards, mais c'était bien des bandages... Lui aussi en avait? Ca lui rappelait son docteur, Monsieur Hans. Lui aussi, il portait toujours des bandages autour de ses avants-bras...

"Je préfère la nuit. La lumière me fait moins mal aux yeux et puis je n'attrape pas de coup de soleil au moins ! Et puis... On me surnomme le vampire, bien que le sang des autres ne m'intéresse pas, enfin pas à boire je veux dire..."

L'ange devint un peu tendu à cette information. Son nouvel ami était... un vampire qui... buvait du sang pour de vrai...??? Par reflexe, Orgue reculait un peu son torse, dans la crainte. Les vampires étaient des fils bâtards des démons, enfin, de ce qu'il savait. A vrai dire, il n'avait pas lu beaucoup de livres sur les vampires, pour ne pas se corrompre soi-même. Le Diable était donc en possession de l'homme si proche de lui?? Orgue était troublé, un peu paniqué. Il ne pensait pas trouver un démon sur cette île du Paradis!

"- Et d'après mes souvenirs, les vampires sont des êtres de la nuit. Voilà pourquoi je peux représenter la nuit je pense."

Alors que Naito finissait de parler, Orgue s'était saisit de son petit pot qui pendait à sa corde, posée dans le sable désormais froid. Il avait ouvert le bouchon et s'était approché du visage du démon. Prenant un peu du liquide qu'il y avait dans son bocal, il déposait ses doigts mouillés sur le front du vampire, humidifiant sa peau et ses cheveux un peu trop longs. Alors, il attendait un peu, puis devenait surpris de l'absence de résultat, ses yeux se plissant de stress. Il retirait ses doigts du front du vampire, mettant sa main autour du pot en verre.

"- Tu... ça ne marche pas?... Tu n'as pas mal?..."

Peut-être parce que le Saint-Esprit n'avait pas fait un total exorcisme? C'était si étrange... Normalement, les démons craignent plus que tout l'Eau Bénite. Peut-être qu'Orgue n'en avait pas mis assez. Alors, soudain, le petit ange regardait son chapelet. Avec ses gestes, la croix en or était collée à l'épaule du démon. Il ne réagissait pas non plus?? Orgue ne comprenait plus, il était completement perdu, tout comme un enfant sans parents dans un magasin. Les yeux bleus et troublés du petit blond se posaient à nouveau dans ceux bleus foncés de Naito, cherchant desespérement la réponse à cette enigme vivante. Il parlait avec hésitation, appréhension et un peu de crainte. Ce serait si dommage que son nouvel ami qu'il aimait déjà tant était un suppo du Diable...

"- Tu.. t'es pas.. un vrai démon.. si?"

"- Tu.. t'es pas.. un vrai démon.. si ?"

Ses grands yeux inquiets fixaient intensément Naito. Il cherchait où pouvait être le mal, dans ce bleu profond qu'il avait face à lui. Il avait beaucoup de mal à le trouver; il n'y en avait pas! Pourquoi Diable... Pourquoi était-il désigné comme un démon?
Mais sa contemplation des iris bleus se finissait assez rapidement alors que Naito fit un rire soudain. Surpris, Orgue se reculait, arrivant par miracle à ne pas renverser sur soi de l'Eau Bénite et il regardait avec étonnement son ami. Il.. riait?
Le rire... C'était bien une action du Diable, le rire. Le rire méchant, narquois. Le rire qui aliène, le rire qui possède l'âme et la corrompt. Voilà le rire de Satan. Mais... Là, dans le rire doux de Naito, il n'y avait rien de tout ça. Son rire était innocent, nerveux et amical. Arthur continuait de fixer avec de grands yeux le vampire.

"- Dé-Désolé. Je ne m'attendais absolument pas à cette question et tu m'as surpris du coup."

L'ange rebouchait lentement le pot de verre avec le bouchon en liège, lentement et silencieusement. Il observait longtemps le vampire avant de répondre, perdu. Était-il un démon ou un ange, au final??!

"- C'est... c'est rien...
- Non je ne suis pas un vrai démon. Beaucoup me surnomment le vampire à cause de ma maladie. Je ne m'attaque à personne et heureusement ! Je suis juste atteint du syndrome de Renfield en phase 2,  il m'arrive donc de consommer mon propre sang, d'où le surnom."

Naito avait à nouveau son sourire sur ses lèvres. Les yeux bleu foncé brillaient à nouveau, comme le ciel parsemé d'étoiles au dessus de la tête des deux garçons. Orgue devait se l'avouer: il n'avait pas compris grand chose. Il était malade.. buvait son sang... Mais c'est qui, Renfield?? Quoiqu'il en soit, Orgue hochait légerement sa tête alors que son cerveau procédait avec lenteur, toujours sceptique.

"- Mais je n'ai aucun lien avec le Diable, ou quelque soit le nom que tu lui donnes."

Orgue laissait sortir un soupir et une onomatopée de soulagement. Son ami n'était pas un suppo de Satan... Sauvé! Que cette nouvelle était belle! Alors, heureux à nouveau, Orgue reprit son sourire joyeux, qui lui allait bien mieux. Peut-être qu'il y avait des larmes de joie dans ses yeux, mais à cause de la noirceur de la nuit, on ne pouvait pas en être certain.

"- J'ai eu si peur... Dieu merci!"

Ses mots sortaient d'eux mêmes de sa bouche. Il se penchait alors au-dessus de Naito et il lui fit un gros câlin, ses bras boudinets passant autour de son torse. Tant pis pour le vampire, Orgue s'était déjà trop attaché à lui, ce sera très dur de s'en débarrasser... Et c'était facilement devinable, vu l'absence d'hésitation qu'il avait eu pour le prendre dans ses bras.
Orgue tenait un petit instant Naito contre lui, ne le pressant pas trop fort puisque son poids était déjà écrasé sur son ami... il ne fallait pas non plus l'étouffer complétement! Mais cette embrassade lui faisait plaisir... il ressentait le chaud du corps de Naito contre le sien, et dans le froid glacial de la nuit, ça le rassurait.
D'ailleurs, en parlant de froid, Orgue reniflait: son nez coulait. A vrai dire, son nez et ses joues étaient tout rouges. Il s'écartait de Naito avec un grand sourire, puis il passait son doigt sous ses narines. Ses doigts aussi, étaient devenus rouges; ceux mouillés par l'Eau Bénite étaient violets, même. Son regard se déplaçait alors vers l'Institut. Il était tard, maintenant... En plus, Orgue commençait à sentir son ventre le secouer par la faim... Soudain pris de mélancolie puérile, Orgue avait l'air legerement triste, comme un enfant fatigué de sa sortie après avoir trop marché. Il parlait doucement, sans quitter des yeux le batiment illuminé au loin.
Les gardes vont être inquiets.

"- Il faudrait rentrer, non?..."

Le grand vampire bougeait à côté d'Orgue, qui ne cessait de contempler le bâtiment au loin, briller. Il était flamboyant, il croyait voir une superbe cathédrale, un lieu saint gigantesque; mais surtout, sa maison, comme la maison de son Père et du Seigneur. La maison de tous ses fils et filles, de tous les croyants et tous les bons de ce monde. Orgue... avait des étoiles dans les yeux. Submergé d'une soudaine envie de courir jusqu'à chez soi, d'être au chaud et auprès de pas seulement ses compagnons, mais aussi ses amis.
Or, pour le moment, il avait un autre ami qui l'attendait. La main tendue passait devant ses yeux, Orgue pourrait presque en sursauter s'il ne tremblotait pas déjà par le froid. Il levait ses yeux sur le vampire et prit, sans hésitation, sa main. Il se mit à genoux puis se levait, frottant ses genoux pour enlever le sable. Alors, il rendit le sourire à Naito et se mit à marcher à ses côtés. Il gardait sa main dans la sienne, il la serrait fermement, mais pas fortement. Il ne voulait juste pas la lâcher... malgré le vampire, W156 était très tactile. Si toutefois il voulait quand même l’ôter de là, Orgue n'en dirait rien et le lâcherait, mais... savoir qu'il était à ses côtés avait quelque chose de rassurant, dans tout ce noir.

Après une relativement longue marche -longue, notamment à cause des ténèbres et des satanés cailloux qui ont failli faire tomber Orgue à plusieurs reprises-, les deux amis étaient enfin arrivés dans la cour centrale. Heureusement que Naito l'avait aidé à rebrousser chemin, sinon le pauvre W156 se serait complétement perdu...
Certains gardes de l'Institut Espoir regardaient les deux enfants avec mépris tandis que d'autres les pressaient à rentrer. Et ce qu'ils faisaient. Dans le bâtiment, l'air était bien plus chaud, ce qui faisait à nouveau renifler Orgue à maintes reprises... son nez coulait, il serait certainement un peu malade dans les prochains jours, mais être sorti était vraiment la meilleure chose qu'il aurait pu faire ce soir. Naito était un petit don du ciel. Or, c'était bientôt l'heure de la séparation... Après tout, ils étaient loin d'être dans le même dortoir.

"- Attends, Naito!...

Orgue s'arrêtait de monter les escaliers. Il avait eu une idée en tête tout le long du voyage... Mais il n'osait pas parler. Pour une fois, il semblait timide et reservé, mais il ne voulait pas laisser passer sa chance. Il ne le reverrait peut-être plus pendant un moment, il devait accomplir son petit plan. Alors, il prenait son courage à deux mains. Il rougissait et ses yeux bleus évitaient ceux de Naito, gêné. Ses doigts jouaient avec les boules de marbre de son chapelet, quittant la main de son ami.

"- Tu veux bien que... que je fasse un dessin... sur ton bandage?.." puis il reprit plus vivement, " E-Et si tu veux pas c'est pas grave, hein! Je comprends!..."

"- E-Et si tu veux pas c'est pas grave, hein ! Je comprends !..."

Naito faisait un petit rire. Il trouvait ça débile? Orgue fit une petite moue déçue, fixant ses pieds avec grand intérêt. On aurait dit un enfant puni. Néanmoins, à la nouvelle réponse du vampire, Orgue relevait sa tête et ses yeux lentement. Il avait la bouche légèrement ouverte et observait son ami avec une surprise qui devint rapidement de la joie. Il faisait un grand sourire et prit à nouveau la main de Naito, de ses deux siennes. Il semblait d'ailleurs un peu sautiller sur place tant la réponse positive le remplissait de ravissement.

"- Oh! Merci merci! Tu es trop gentil merci!"

Alors gai de cette nouvelle, Orgue réflechissait déjà à quoi dessiner sur le bras de son ami. Il avait plein de plans, pleins de scènes et de détails qui allaient dans tous les sens dans sa tête, mais c'était bien trop difficile à réaliser pour un novice du dessin, surtout sur un papier qui faisait la hauteur d'une carte d'identité. Mais il restait rêveur, reniflant car son nez coulait toujours.
Il s'assit et fit asseoir son ami à côté de lui dans les escaliers, car le dessin serait plus facile à pratiquer assis que debout. Ensuite, il prenait délicatement un des bras de son ami pour le mettre sur ses genoux... mais Orgue remarquait seulement maintenant son manque d'équipement. Oui, lui n'avait pas de stylo... Alors il regardait le sac que portait Naito à son épaule. Puis, il le pointait du doigt alors qu'il relâchait le pauvre bras de son ami.

"- Dis, tu peux me passer un crayon bleu, euh, rouge et noir? S'il te plait, Naito!"

Ses phrases était toujours aussi énergiques, sautillantes. Il ne prenait pas gare à baisser le volume ni le ton de sa voix. Il avait oublié qu'on était le soir, voire la nuit et que du bruit pouvait déranger des gens...