Jimin Lee attendit qu'ils se soient suffisamment éloignés du lac, jetant des regards autour d'eux pour s'assurer qu'ils étaient bien seuls et qu'il n'y avait pas une oreille indiscrète, avant d'ouvrir la bouche et de passer pour une folle de Music Hall.

- Merci, tente-t-elle avant de poser une main sur sa bouche.

Merde, ce n'était pas encore passé. Elle détestait parler en chantant. Seuls B11 avait eu cette « chance », si on pouvait appeler ça de la chance. C'était la seule qui arrivait à la mettre suffisamment heureuse pour provoquer ce symptôme qu'elle avait elle-même appeler Music Hall. Mais c'était vraiment gênant ! Elle préférait parler en vers. D'autant plus qu'elle ne trouvait pas sa voix particulièrement belle.

- Désolée, poursuit-elle en gardant sa main devant sa bouche. Je ne peux pas le contrôler pour le moment.

Elle s'arrêta un instant. Seigneur, ça faisait trop longtemps, ses cordes vocales lui brûlaient presque devant ce soudain effort artistique. Et elle n'osait plus regarder Hyppolite. Il devait la prendre pour une folle à chanter sans prévenir ni raison. Elle lâcha sa main pour cacher son visage avec ses deux mains. Elle avait honte de ne plus contrôler sa pathologie. Déjà lors de sa séance avec Aeden, elle avait senti sa peau s'échauffer en repensant au passé. Et là elle se mettait à chanter pour deux trois compliments ? Qu'est-ce qui lui arrivait à la fin ? Qu'est-ce qu'il avait dans l'air de cette île, qui l'empêchait de contrôler ce qu'elle contrôlait depuis six ans ?

HRP:

Jimin Lee releva doucement la tête quand Hyppolite se racla la gorge. Elle ne posa ses yeux sur lui que lorsqu'elle perçut un léger fredonnement.

- C'est une très belle soirée, j'espère que ma photo ne t'as pas froissée.

Lui, qui avait une voix grave presque suave un peu plus tôt, montait soudainement dans les aigus en chantant. Une voix qui se cassait à chaque syllabe prononcé. Elle était tellement surprise par son geste, qu'elle le remarqua à peine, la bouche entrouverte sous l'étonnement.

- Oups, on dirait bien que je n'ai pas pu m'en empêcher aussi.

Il appuya son propos d'un clin d’œil malicieux. Elle cherchait à comprendre, mais son cerveau s'était soudainement arrêtée. Elle eut instant l'impression qu'il se moquait d'elle, mais ça n'allait pas avec la personnalité qu'il lui avait montré plus tôt. Tentait-il de... de la mettre à l'aise ? C'était la première fois qu'on ne la regardait pas étrangement quand sa pathologie se déclenchait. Ses paupières papillonnant rapidement, ses joues s'enflammèrent sous l'émotion. Seigneur ! Qu'est-ce qui lui arrivait ? Pourquoi son cœur battait aussi vite, alors qu'elle n'avait pas peur et quelle n'était pas en colère ?

- Ce... Ce n'est pas... Ce n'est pas pour rire, finit-elle par dire d'une voix de nouveau normal. C'est une vraie malédiction que je croyais contrôlé jusqu'à mon retour sur l'île, ajoute-t-elle moins fort en détournant les yeux.

Elle était vraiment gênée par la situation et elle ne savait plus où se mettre. Sans compter qu'elle ignorait encore si elle pouvait vraiment faire confiance à l'agent d'entretien du chef des médecins. Il pouvait soit être son pire ennemi, soit son plus grand allié dans son désir de renverser l'Institut.

- Vous l'avez sûrement compris plus tôt, mais j'ai été patiente ici. Sauf que ce que tout le monde ignore... C'est que je n'ai pas été réellement guéri comme tout le monde le croit. Et je me met sûrement en danger en le disant à quelqu'un.

Voilà, c'était dit. Il ne restait plus qu'à attendre sa réaction.

Jimin Lee ne regardait pas Hyppolite, se contentant de marcher à ses côtés alors qu'ils se dirigeaient vers le bâtiment qui abritait les chambres de tous les employés de l'Institut. La réponse mit du temps à venir, mais elle imaginait très qu'il se demande pourquoi elle lui disait ça. Si les rôles avaient été échangé, c'est ce qu'elle ferait. Elle eut un léger sursaut quand il se racla la gorge, tant elle s'était habitué au silence.

- Jimin Lee je ...

Il s'arrêta rapidement et elle tourna les yeux vers lui pour voir son expression. Il ne semblait pas à l'aise à ce moment précis.

- Je ne sais pas quoi te dire. Qu'est-ce que tu attends de moi en me révélant ça ?

Il s'arrêta de nouveau et Jimin attendit qu'il termine avant de répondre à sa question.

- J'ai à la fois beaucoup de questions à te poser et aucune. Mais surtout je ne saisis pas pourquoi tu courrais un danger en le révélant. Tu n'as pas été guérie : et alors ? L'Institut ne vas pas te poursuivre en justice pour cela. Je... Je suis un peu perdu.

C'est vrai que ça devait être étrange de l'entendre dire qu'elle pouvait se mettre en danger. Elle eut l'impression qu'il ne voyant pas l'ampleur de ce qui se tramait ici. Il ne semblait pas comprendre les abominations que certains médecins faisaient endurer à leurs patients.

- Je n'attends rien en te révélant ça. C'est juste... Je voulais juste expliquer mon mutisme de tantôt. Je ne voulais pas que vous imaginiez que... Que je vous faisais la tête pour une quelconque raison.

Jimin Lee s'arrêta un instant pour réfléchir aux bons mots à employer.

- Et disons que si on apprend la vérité sur mon départ, on pourrait... On pourrait trouver louche mon retour sur l'île.

Elle avait montré une certaine résistance avant qu'on lui conseille de donner l'illusion de sa guérison. Si elle revenait en tant que médecin, parce qu'elle voulait guérir les autres comme on l'avait guéri, c'était plausible. Mais si on apprenait qu'elle était revenue alors qu'elle avait menti pour fuir l'Institut... On la questionnerait à coup sûr sur ses véritables intensions. Et là, bonjour les ennuis. Elle n'avait jamais été une bonne menteuse. Omettre une information ou contourner la vérité, c'était plus facile. Et moins dangereux de mettre les pieds dans les plats.

- Je n'ai aucun problème à répondre à des questions, mais...

Elle s'arrêta de marcher et se retourna vers Hyppolite pour le regarder en face.

- Promettez-moi de ne rien dire. Promettez-moi que vous ne direz à personne que je n'ai jamais été guéri de ma pathologie.

Jimin Lee pouvait voir que ça demande agaçait son vis à vis, alors qu'il s'agenouillait dans la neige. Elle garda le silence pendant que sa main jouait dans la neige. Finalement, elle n'aurait peut-être pas dû lui en parler. Peut-être aurait-elle dû simuler une sorte de bipolarité, résultat de la guérison de sa pathologie. Avec ses cours de psychologie, elle aurait bien réussi à étayer cette hypothèse. Mais plus elle inventerait des choses, plus elle risquait de mettre les pieds dans les plats et de se faire coincer. Déjà jouer la patiente guérie qui revient pour pouvoir donner une chance à ces jeunes enfants d'être eux aussi guéri était difficile. Elle ne voulait pas s'enfoncer encore plus.

- Tu dis ne rien attendre de moi mais tu veux tout de même ma parole. Tu es compliquée.

Il est vrai que sa demande contredisait ce qu'elle avait dit, mais... Pour elle, demander quelque chose en échange revenait à demander quelque chose de même calibre, or, elle ne demandait pas à ce qu'il lui confit un secret contre le sien. Là était la différence de son point de vu. Elle ne s'attendait pas à en apprendre plus de lui, même si elle lui en réveillait plus sur elle-même. Jimin Lee revint à la réalité lorsqu'il lança une boule de neige et la regarda tomber plus dans la poudreuse.

- Est-ce que tu peux reprendre depuis le début ? Je suis un peu perdu. Et je ne peux pas te faire une promesse sans comprendre ce qu'il y a derrière.

Depuis le début ? Ouf, ça risquait d'être long. Mais s'il avait besoin de ça pour accepter de garder le silence...

- C'est une longue histoire, commence-t-elle en regardant autour d'elle. J'avais treize ans quand j'ai développé une sorte de moyen de défense contre ceux qui me persécutaient à l'école. Ma pathologie est émotionnelle. Quand j'ai peur ou que la colère monte en moi, ma peau devient brûlante. Un an plus tard, mes parents m'envoyaient ici pour qu'on me guérisse. En étant loin de mes parents et de ce que je connaissais, j'en ai développé une autre. Quand je suis triste ou mélancolique, je me mets à parler en vers. Ce que je suis incapable de faire quand je ne le suis pas. Puis la joie de me faire enfin une vraie amie grâce à B11... J'ai commencé à chanter sans pouvoir me contrôler.

Jimin s'arrêta un instant, replongeant dans ce souvenir gênant et drôle à la fois. Elle ne chantait pas particulièrement bien et Elizabeth l'avait regardé avec la bouche grande ouverte sous la surprise avant d'éclater de rire quand elle s'était mise à rougir, les deux mains plaquées sur la bouche. B11 n'avait pas arrêter de la charrier après ça, essayant toujours de la faire chanter pour s'amuser.

- Une médecin m'a suggéré un jour, que si je voulais quitter cet île et retrouver une vie normale, je devais faire en sorte qu'on croit que j'étais guérie. Après trois ans, j'ai réussi et j'ai proclamé devant mes parents qui me rendaient visite, que j'étais enfin guérie. Mon médecin n'a pas trop apprécié. Le fait que je sois guérie... Il voulait me garder pour comprendre comment j'étais guérie. Malgré tout ce qu'ils disent, ce n'est pas parce qu'ils réussissent à nous guérir, qu'ils nous laissent partir.

Elle évita volontairement de dire pourquoi elle avait tant voulu quitter l'île. Hyppolite ne semblait pas comprendre comment fonctionnait l'Institut. Que cet établissement avait un côté sombre qui était un véritable cauchemar pour certains patients. Jimin n'avait pas eu la chance d'avoir un médecin prévenant qui lui aurait fait aimer l'endroit comme Elizabeth aurait voulu qu'elle l'aime. Comment avouer à un homme aussi gentil, du moins en apparence puisqu'elle ne le connaissait que depuis quelques heures, que si elle avait évité le viol durant ses années à l'Institut, c'était seulement parce que sa pathologie la protégeait lorsque la peur l'envahissait ? Et c'est aussi une chose qu'elle n'avait pu discuter avec son amie, dont la libido l'empêchait de réellement comprendre sa situation.

Jimin Lee avait la bouche sèche d'avoir autant parlé, mais aussi la peur d'être démasquée si on entendait leur conversation. Et aussi parce qu'il faisait de plus en plus froid. Peut-être devraient-ils poursuivre leur chemin jusqu'au bâtiment. Ce serait bête de tomber malade en discutant dehors en plein milieu de la nuit.