Et c'était le jour où elle allait le découvrir. Debout, sur les pontons, elle attendait Eizenija. Il faisait nuit, elle avait attendu que tout le monde s'endorme pour s'en aller et savoir si elle allait pouvoir s'échapper de cette île de malheur.
Et comme Eizenija était la seule personne en qui elle avait de l'estime, elle ne voulait pas partir avant de lui dire au revoir.
Et c'était là la seule démonstration d'affection dont elle était capable.
Marga m’a donné rendez-vous au beau milieu de la nuit. Or, Marga ne donne jamais de rendez-vous, elle laisse les gens venir à elle. C’est notre dynamique : je suis celle qui sollicite, qui allait dans sa chambre à 3 heures du matin pour vérifier qu’elle dormait bien. J’ai toujours un briquet sur moi pour ses cigarettes. C’est sûrement dû à nos anciens métiers respectifs : la chirurgienne pose des rendez-vous et attend ses patients alors que l’infirmière court à droite et à gauche de patients en patients.
J’aimerai blaguer et me dire que la raison de cette rencontre au port dans la nuit c’est parce qu’elle a enfin tué Victor et qu’elle va me demander de l’aider à cacher le corps mais j’ai peur de comprendre le choix de ce lieu et de ce moment. Il n’y a pas mille raisons pour demander à sa meilleure amie de nous rejoindre au port au milieu de la nuit.
Depuis qu’elle est aux électrons libres, je vois bien qu’elle n’est plus aussi pétillante qu’avant. Son aura cruelle l’a transformé en boule de nerfs. Elle n’est pas faite pour ce genre de vie, et aucun des groupes imposés ne lui convienne.
Alors je suis là, à marcher le long de la frontière, avec mes docs aux pieds et mon gros manteau en fourrure bleue. Je me suis maquillée pour elle de mon plus beau rouge à lèvres métallique et utilisant un peu de mon eye-liner feutre, bien qu’on ne voit rien dans le noir.
Même pas froid malgré mes bas résilles. J’ai jamais froid. Du moins pas ma peau, mais mon cœur lui est gelé.
Marga j’ai super peur. J’espère qu’elle va me faire une proposition en béton, qu’elle ne va faire ce que je pense qu’elle va faire.
J’arrive au ponton, espérant ne croiser aucun électron libre - juste par flemme de parlementer, pas parce que j’ai peur d’eux. Elle est au bout, près d’un bateau à moteur qui rugit impatiemment. Elle droite, somptueuse, et a même retrouvé de son allure de méchante Disney qui lui sied si bien. Il ne lui manque plus que l’odeur de tabac froid, et là je retrouve ma Marga. Elle appartient vraiment à la nuit, à moins qu'elle n'en soit sa créatrice.
Je reste loin d’elle, les mains dans les poches de ma doudoune. Je veux la regarder, l'ancrer dans mes souvenirs. Le temps effacera les détails de ce moment, je veux empêcher ça.
- Tu es trop vieille pour fuguer, je la hèle au loin, taquine au mieux.
Doucement, j'arrive sur le ponton mais je n'arrive pas à m'approcher vraiment d'elle. Le bois craque sous mes pas, les planches s'entrechoquant entre elle. On les entend à peine avec le moteur du bateau.
Je ne sais pas quoi dire, je veux juste monopoliser la conversation pour empêcher de Marga de me ramener à la réalité. Je ne veux pas qu'elle prononce une phrase qui ruinera tous mes espoirs.
- Je pense me lancer dans la création d'un magazine de l'île, pour pouvoir écrire les tests de personnalité. Quoique, je ne suis pas psy.
Tiens, je devrais presque demander à Géryl. Y'a du potentiel.
- Ou alors j'abandonne mon job d'infirmière et je me lance dans l'astrologie. Après tout, y'a zéro astrologue ici, et c'est super important.
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