Aussi, elle attendit devant la salle de soin qu’il occupait que sa séance soit finie et l’accueillit avec un grand sourire, un plateau de collation dans les mains. Elle aimait les choses bien faites, elle aimait manger et la convivialité alors elle s’était dit que c’était un bon moyen de nouer le dialogue de façon agréable et… de façon à l’amadouer un peu, il fallait bien l’admettre. Un héritage de sa mère, qui lui avait souvent répété alors qu’elles cuisinaient ensemble que l’attention d’un homme ne s’obtient que lorsqu’on tient compte de son estomac. On verrait bien si avec ce médecin l’adage était également payant.
- Bonjour Docteur Myers, je peux entrer ? Demanda-t-elle avec un sourire amical. Si vous avez le temps, j’aurais besoin de votre avis sur un projet.
En réalité, normalement, s’il lui répondait qu’il n’en avait pas, de temps, ce serait certainement qu’il se défilait puisqu’elle avait vérifié son emploi du temps avant de venir et qu’il avait fini sa journée. La secrétaire avait tout bien planifié, comme un plan de bataille. Car ce projet lui tenait vraiment à cœur. Elle avait réalisé que la plupart des patients aimaient beaucoup les animaux et elle avait entendu dire que ces derniers pouvaient être très bénéfiques contre certains troubles, notamment le stress et la dépression mais aussi tout ce qui concernaient les difficultés mentales et sociales. Et comme elle tenait énormément au bien-être des patients, elle avait décidé de faire son possible pour mettre en place une thérapie qui accueillerait des chiens ou des chats. Peut-être les deux et pourquoi pas, même des oiseaux, des gerbilles, des lapins pour faire plaisir à Ulysse ou des tortues ? Mais pour cela, elle allait avoir besoin d’un argumentaire scientifique en béton, et elle comptait sur le médecin qui lui faisait face pour le lui fournir.
Son laborieux projet fut néanmoins réduit à néant par la visite d’une personne qu’il ne s’attendait pas à voir, surtout avec un tel plateau de gourmandises dans les mains.
– Entrez donc, mademoiselle Dessanges ! Je ne refuse jamais personne, surtout avec un tel fardeau dans les mains.
Le docteur accompagna ses paroles d’un grand geste de la main et débarrassa son bureau de toutes sortes de babioles rigolotes – dont un petit mannequin articulé en bois et un porte-stylo en forme de cochon qui rit – pour faire de la place et poser le plateau.
– Dites-moi tout ... Je perçois l’œil du tigre en vous, continua t-il d’un ton amusé en invitant la jeune femme à s’asseoir en face de lui. De quoi avez-vous besoin, exactement ?
Adieu repos tant mérité, il le regrettera toute sa vie. Où en tout cas jusqu’à ce qu’Agnès s’en aille. Pour l’instant, il se contenta de la regarder droit dans les yeux tout en lorgnant de temps en temps sur les victuailles, un petit sourire charmeur involontaire sur le visage. Après tout, pourquoi ne pas faire contre mauvaise fortune bon cœur ? Tant qu’il ne s’agissait pas d’un projet stupide ou de quelque chose qui n’avait rien à voir avec lui… Quoi qu’en y repensant, cela ne l’empêcherait pas de disposer de quelques collations en attendant le repas du soir.
Agnès eut un sourire en coin. Apparemment elle avait eu raison d’employer cette stratégie. Elle le laissa donc débarrasser son bureau, même si ce grand balayage de la main la fit légèrement grincer des dents. Le Docteur Myers n’était visiblement pas quelqu’un de très soigneux on dirait. Cependant, elle essaya de ne rien laisser paraître et posa le plateau sur l’espace libéré, s’asseyant sur une chaise en face de lui à son invitation, toujours souriante, la plus avenante possible.
– Dites-moi tout ... Je perçois l’œil du tigre en vous. De quoi avez-vous besoin, exactement ?
Un rire gêné s’échappa de la gorge de la secrétaire. Elle était tout aussi grillée que le pain qu’elle avait emmené sur son plateau.
- Ca se voit tant que ça ? Demanda-t-elle à moitié embarrassée, à moitié amusée en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille.
Elle préféra ne pas répondre immédiatement à la question du médecin, prenant le parti de commencer leur goûter avant tout. Elle attrapa la bouteille de jus de fruit qu’elle avait ramené et leur servit deux verres avant de demander.
- Confiture ou Nutella pour vos tartines ?
Ce pot de Nutella était un peu son trésor. Ce n’était pas facile d’en faire importer sur l’île alors pour qu’elle le partage avec lui, c’était dire si l’affaire était importante. Puis, tout en tartinant une tartine pour lui et une tartine pour elle, elle se lança.
- Dites-moi Docteur Myers… Que pensez-vous de la zoothérapie ?
Il choisit tout d’abord la confiture, qu’il fit tourner dans ses mains et regarda attentivement, puis la reposa pendant que son interlocutrice partageait ses tartines.
- La zoothérapie… Médiation qui utilise la proximité d'un animal domestique ou de compagnie, auprès d'un humain souffrant de troubles mentaux, physiques ou sociaux pour réduire le stress ou les conséquences d'un traitement médical ou des problèmes post-opératoires… Donc tout benef ‘ en théorie.
Walter fit une petite pause, le temps d’avaler un bon morceau de tartine, et reprit.
« Reste à voir comment s’y prendre et les différentes possibilités à envisager en fonction des patients et des animaux disponibles. Peut-on faire venir des animaux depuis le continent, où faut-il les héberger ici ? Est-il même possible de créer tout un élevage, si cela fonctionne ? Si cela se fait, il faudra un dossier en béton. Mais je ne voudrais pas paraître défaitiste, parce que ça reste quand même une bonne idée ! Mais surtout, il faut voir qui parmi tout le personnel médical connaîtrait suffisamment les animaux médiateurs pour pouvoir analyser toutes les situations qui se présenteraient. Savoir écouter et parler autant avec l'animal qu'avec le patient, en quelque sorte. »
Walter sourit à la jeune femme. Il était texan, après tout, et a grandit dans un élevage de chevaux et de chiens, donc il connaissait quand même un peu. Il ne savait que trop bien que deux animaux n’ont pas la même méthode de communication. Un chien et un chat sont par exemple « ennemis » car, outre la différence de taille, certains gestes et postures ne signifient pas la même chose. Tout en étalant un peu de pâte à tartiner, ll ne put s’empêcher de sourire quand vint le souvenir du temps où la vieille Misha, sa chatte du temps ou il avait 10 ans, découvrait pour la première fois un chiot du nom de Max qui ne demandait qu’à jouer. Quelle pagaille cela avait donné !
- Délichieuses, ches tartines ! articula t-il difficilement.
Agnès rigola doucement. Le docteur Myers avait le goût du jeu de mots, c’était plutôt drôle. Elle terminait de tartiner un morceau de pain avec la confiture – yes ! pas le nutella – qu’il avait choisi en l’écoutant parler.
- La zoothérapie… Médiation qui utilise la proximité d'un animal domestique ou de compagnie, auprès d'un humain souffrant de troubles mentaux, physiques ou sociaux pour réduire le stress ou les conséquences d'un traitement médical ou des problèmes post-opératoires… Donc tout benef ‘ en théorie.
Agnès lui tendit sa tartine, dubitative. Pourquoi « en théorie » ? Elle s’était pas mal renseignée sur internet et à part le risque d’allergies, elle n’avait pas vraiment trouvé d’inconvénients sérieux à cette pratique. Bon, il fallait toujours s’assurer que les animaux étaient bien éduqués et que celui qui s’en occupait savait s’y prendre mais elle ne doutait pas une seconde que l’Institut était capable de se procurer ce genre de personne.
- Reste à voir comment s’y prendre et les différentes possibilités à envisager en fonction des patients et des animaux disponibles. Peut-on faire venir des animaux depuis le continent, où faut-il les héberger ici ? Est-il même possible de créer tout un élevage, si cela fonctionne ? Si cela se fait, il faudra un dossier en béton. Mais je ne voudrais pas paraître défaitiste, parce que ça reste quand même une bonne idée ! Mais surtout, il faut voir qui parmi tout le personnel médical connaîtrait suffisamment les animaux médiateurs pour pouvoir analyser toutes les situations qui se présenteraient. Savoir écouter et parler autant avec l'animal qu'avec le patient, en quelque sorte.
La secrétaire acquiesça tout en lui tendant la seconde tartine.
- Très bien résumé, Mister Holmes. Répondit-elle, rebondissant sur la plaisanterie qu’il avait lancée.
Les paroles qu’il lui avait servies semblait lui indiquer qu’il était intéressé et plutôt pour le projet. Elle eut un léger sourire, se félicitant d’avoir choisi de s’adresser à lui. En plus, le sourire qu’il lui tendait lui laisser croire qu’il s’y connaissait bien en animaux.
- Délichieuses, ches tartines !
- Ah ah ! Merci.
Elle but une gorgée de jus de pomme puis entreprit de faire un croissant à la confiture pour le docteur. Il avait bon appétit et Agnès avait toujours plaisir à nourrir les gens, notamment quand le plaisir était si évidemment partagé.
- Vous avez l’air de bien vous y connaître. Vous seriez donc d’accord pour m’aider à monter un dossier à présenter au conseil d’administration ? Je sais que ça risque d’être un peu compliqué mais je sais surtout que la plupart des enfants ici adorent les animaux. Ca les aiderait à mieux supporter l’Institut…
Elle suspendit sa phrase, se mordant la lèvre inférieure. Elle avait failli dire une bien belle bêtise. Elle ne voulait pas laisser sous-entendre qu’elle réprouvait certaines méthodes de l’Institut, surtout en face d’un médecin. Elle ne connaissait pas encore assez bien le docteur Myers pour savoir son opinion sur la question, il ne fallait pas qu’elle mette les pieds dans le plat comme ça. Elle se rattrapa de son mieux.
- Un environnement médicalisé est souvent anxiogène, surtout pour les plus jeunes.
– Ça fait des années que je n’avais pas touché à un pot de noisettes... dit-il après avoir mordu dans un nouveau morceau, les yeux plein d’étincelles et de remerciement. Si vous avez d’autres projets du même genre, n’hésitez pas, dit-il d’un ton amusé.
Il savait qu’il y avait quelques « têtes brûlées » de temps à autre, mais même s’il était devenu un peu moins naïf avec le temps – surtout en ce qui concerne une certaine W05 – cela ne l’empêchait pas de tenter d’être un bon médecin quoi qu’il arrive et de laisser les rumeurs être des rumeurs : pas de preuves, pas de raisons de croire. Ce n’est pas comme si l’Institut était une prison déguisée en hôpital et était dirigée par un tyran…
Non ?
Ah ! Il était donc Texan ! C’était ça cet accent qui la titillait depuis qu’ils avaient commencé à discuter ? Il mâchait un peu ses mots et par moment à cause de sa prononciation si loin de l’anglais britannique qu’elle avait appris, par moment, elle devinait ses mots plus qu’elle ne les comprenait.
- Donc, si je peux l’être d’une quelconque façon et que les enfants de l’Institut sont volontaires, pour moi c’est à 100 % ok ! En tout cas, il faudra aussi penser au bien-être des animaux également, mais ça, ça dépend surtout des animaux en question. Un Appaloosa n’a par exemple par les mêmes besoins qu’un chien ou qu’un lapin et n’a pas non plus le même caractère, vous imaginez bien.
Agnès hocha la tête affirmativement. Elle ne savait pas trop ce qu’était un Appaloosa mais elle supposait qu’il devait s’agir d’une espèce de cheval puisque c’était ce dont il était question. Et ayant passé une grande partie de ses vacances d’été enfant à la ferme de ses grands-parents, elle se doutait bien que les animaux avaient des besoins différents, en fonction de leur espèce mais aussi de leur caractère. Elle grimaça quelque peu en se souvenant de la fois où Dypsie, l’un des deux chiens de la maison, l’avait mordu à sang pour lui avoir soulevé les oreilles alors que Calypso adorait ça. Elle devait avoir une dizaine d’années à l’époque mais ça l’avait marquée même si son bras n’en avait gardé aucune trace.
– Ça fait des années que je n’avais pas touché à un pot de noisettes... Si vous avez d’autres projets du même genre, n’hésitez pas.
Oh ! Toute à son souvenir, elle n’avait pas remarqué qu’il s’était servie dans son pot de nutella. L’espace de quelques instants, elle en fut un peu déçue mais se raisonna vite en se disant que si elle l’avait apporté, ce n’était pas pour qu’il le regarde.
- Et bien merci de confirmer ce que je pensais docteur Myers ! Je vais essayer d’en toucher quelques mots à monsieur Elpida et si j’ai son feu vert, je n’hésiterais donc pas à faire appel à vous pour monter le projet ! Dit-elle tout sourire en se levant.
Elle rassembla de nouveau ce qu’elle avait ramené sur son plateau.
- Je ne vais pas vous embêter plus longtemps pour aujourd’hui, j’imagine que vous avez des choses à faire et que j’ai déjà suffisamment pris de votre temps.
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