Si tu crois tout ce que tu lis,
tu ferais mieux de ne pas lire.
N’ayant pas d’idée de ce que je pourrais visiter ou ce que je pourrais faire, l’infirmier me proposa de m’emmener à la bibliothèque. Il semblait beaucoup aimer cet endroit quand il en parlait, mais je n’en avais pas grand-chose à faire en réalité. Pour moi, lire trop pourrait me noyer dans des informations que je ne voulais pas connaître. Après tout, non seulement je pourrais être amené à être plus séparé de ma famille de cette façon, mais en plus il existait un proverbe japonais qui disait : “Si tu crois tout ce que tu lis, tu ferais mieux de ne pas lire.”. J’étais assez bête pour ne pas savoir comment gérer ma vie, alors comment aurais-je pu être capable de démêler les informations que je serais amené à lire ? Pourtant, silencieux comme une carpe, je suivis l’adulte en regardant ses pieds.
Il faisait un peu plus frais, surtout à l’intérieur. J’avais donc un gilet sur les épaules, ce qui cachait également mes cicatrices aux poignets. Même la chaleur humaine de la bibliothèque silencieuse ne me donna pas envie de l’enlever. Pour quoi faire, de toute façon ? Ce n’était pas comme si cela me donnait trop chaud.
Seul parce que l’infirmier avait d’autres choses à faire que me chaperonner, je me mis à déambuler lentement en ce nouveau lieu. Pour éviter de croiser tous les regards qui pourraient se poser sur moi, je gardai le regard baissé sur le sol juste devant mes pieds. De temps en temps, je regardais les étagères, ce qui s’y trouvait. C’était très varié et pour tous les goûts, comme pour toutes les nationalités. Un peu comme s’il avait été prévu que des étrangers viennent là. A moins que ce soit des patients étrangers qui les aient demandés ? Je ne saurais le dire à vrai dire.
Avec un tout petit peu plus d’intérêt, je passai dans la section réservée au Japon. Il y avait des mangas, bien entendu, mais également des romans, de la poésie, des encyclopédie… Quand je disais que c’était pour tous les goûts, fallait croire que je n’étais pas loin de la vérité. Pourtant, ce n’était pas comme si j’avais cherché à le vérifier.
C’est là que j’entendis quelqu’un parler japonais. La façon dont cette personne écorchait ma langue maternelle me fit grimacer, mais je ne dis rien. Petit à petit, je pus constater que je me rapprochais de cette personne qui semblait réciter les mots de vocabulaire dans l’ordre alphabétique. Il y avait même des noms tout autant écorchés. Au début, je crus pouvoir passer sans rien dire, mais lorsqu’il se mit en tête à prononcer ornithorynque, je ne pus m’empêcher de le reprendre en passant comme si de rien n’était :
Kamonohashi.
Ce n’était pas un mot simple, mais si cela pouvait lui montrer un peu la prononciation, c’était le principal. A mes yeux, c’était vraiment tout ce qui importait, étant donné qu’on n’avait normalement pas le droit de se lier avec les autres.
J'étais plus un(e) habitué des belles périodes estivales que mon corbeau, mais tout de même. Cela n'effaçait pas la manière dont ces canicules étouffantes amenaient aux même dilemmes à la maison; mes parents étaient toujours à se battre près des balcons. L'une voulait fermer chaque fenêtre afin de préserver le frais, quand l'autre était d'école à aérer le bâtiment au possible. Leur tendance à sans cesse monter dans les tours pour un rien m'amusait un peu. Avec ma corneille, nous nous sommes tout simplement mis d'accord à rabattre les vitres tout en fermant les rideaux, afin d'éviter tout débat.
La sécheresse insoutenable qui imbibait la pièce persistait néanmoins.
Il allait partir en auscultation lorsque je lui ai annoncée partir à la conquête d'un ventilateur. Quelque chose me fait penser qu'il ne m'a pas pris(e) au sérieux; peut-être car il avait conscience que venant d'un(e) pseudo-timide, particulièrement lorsqu'il s'agit d'interpeller des adultes, c'était plus simple à dire qu'à faire. Et puis, si un patient était amené à posséder un sauveur à ailerons, il n'aurait clairement aucune raison de nous l'octroyer, surtout vu la période.
Bon. Au moins, cela me faisait une bonne excuse pour vagabonder partout à ma guise. Pour une fois que j'en avais une; je m'en passe bien, en général.
C'est ainsi que je me suis retrouvé au seuil de cette bibliothèque. Sans s'avérer une destination judicieuse pour mon objectif, l'odeur de poussière qui en emmenait m'intriguait. Seulement voilà; j'avais ouvert la porte brutalement, sans trop songer à me faire discret pendant que je m'avançait insouciamment dans la salle.
Psssst. Moins de bruit.
me lança un bonhomme homme aigri, faisant chevet à un bureau tout aussi vieillot que lui.
Je penche la tête sur le côté tout en le questionnant du regard. Il m'avait snobé aussitôt alors j'en ai déduit que ça ne devait pas être très important.
Mes pupilles firent un tour d'horizon avant que je ne me réalise être dans une librairie. Je n'étais même pas au courant qu'il y en avait une à l'Institut, en vrai. Venait-elle d'être aménagée?
Même si je n'étais pas un(e) lecteur/trice friand(e), ma curiosité était restée toujours aussi insatiable depuis ma petite enfance. Les pieds glissants sur le parquet, je m'étais élancée dans une nouvelle aventure, voguant d'étagère en étagère; loin de moi l'espoir de trouver n'importe quoi d’intéressant – comme un document animalier, un magazine attrayant ou quoi que ce soit en Italien - , mais j'étais amusé à l'idée de différencier chaque côte de roman les unes avec les autres. Les langues variaient comme les sujets et la largeur des ouvrages. Prit/se par ce jeu assez puéril, mon pas s'était fait sautillant et mon timbre de voix chantonnait assez doucement pour ne pas se faire remarquer...Du moins, telle était ma croyance.
Ne faisant guère attention, l'une de mes mains avait entraînée un livre à s'enfuir de son rayon, acclimatant à sa suite tout une série d'autres, qui chutèrent sur mes deux pieds. Pas fut fut pour un sou, je refoulais un râle de douleur sans pour autant le taire. S’amenant dans une trombe de colère, le drôle de bibliothécaire en avait eu sa claque.
C'est pas possible! Encore toi! Tu ne peux pas te tenir tranquille, cinq minutes?
J-J'ai...Pas fais exprès...
Il avait levé les yeux au ciel avant de me saisir par les épaules et de me pousser vers l'une des tables les plus reclues. Me posant sur la chaise, il avait prit le premier bouquin à sa portée et l'avait lâché lourdement contre le bois.
Là. Pour la peine, tu bouges pas tant que tu m'auras tout lu de A à Z.
ordonna-t-il tout en frappant à plusieurs reprise la couverture du gros objet avec son index.
Son soupir las fut annonciateur de son départ; se montrant d'avance contrarié par l’entièreté rayonnage qu'il avait à remettre en place. Pour ma part, mon blanc de cerveau fut vite remplacé par une pensée frivole, telle que "J'aurais dû en profiter pour lui demander un ventilateur"... Cela dit, avec la taille de mon attelage, j'étais bien partie pour m'éterniser dans cette pièce alors ce n'était plus d'urgence.
Il n'était plus question de choix lorsque je m'étais intéressé à mon devoir; discernant ainsi le volume rouge qui ornait mon pupitre, semblant d'ailleurs posséder la taille (et le poids) d'un dictionnaire. Un étrange symbole était inscrit sur sa première face visible, dont j'assimilais les origines asiatiques à la première analyse. Égrenant ma vision vers un lieu plus bas, j'avisais dorénavant qu'il s'agissait d'un lexique peu succinct d'anglais/japonais...
Mh. Une langue qui avait au moins le mérite de ne pas manquer de symboles. Dés les premières pages, je me met à découvrir leurs différents alphabets et l'aspect unique de leur système syllabaire. Une entreprise plutôt positive, mais malheureusement pour le gaillard...il y avait bien une autre fâcheuse manie que j'entretenais depuis tout(e) petit(e). Oui, similairement à ma curiosité insatiable.
Je lisais à voix haute.
Vous l'auriez vu; ses grognements faisaient presque trembler les bardeaux.
Le temps s'écoulait au même rythme que les perles de sueur qui cascadaient sur mon front. Le soleil entrait dans son plus beau zénith, pour notre plus beau malheur à chacun.
Malgré tout, j'avais eu le temps de bien progresser et avait déjà récité une masse de vocabulaire plutôt conséquente. Rien d'aisé, honnêtement; les aspects beaux et chantants que je trouvais aux phonations japonaises étaient tout de même dures à prononcer, même en m'aidant du romaji. Accélérer le rythme ne m'aidait en rien; il m'était réellement impossible que de ne pas buter sur le moindre mot. Imaginez alors s'ils se perpétuaient en longueur.
Ka...Kamo...Kamon-...Kamo...
Quelques passants longeaient le coin où je me trouvais sans m'adresser un regard. Cachés derrière mes mèches, leurs airs amusés ou perturbés par ma présence ne me parvenaient pas; à force, je m'étais juste fait à ignorer ces fantômes, m'acharnant à atteindre le maximum de ma concentration, aussi fragile soit-elle.
Jusqu'à ce que la voix claire d'un jeune homme ne s’exclame pour recouvrir la mienne. Étonnamment, ce n'était pas celle du bibliothécaire, enfin décidé à me libérer de ce calvaire, mais celle d'un semblable;
Kamonohashi.
Le terme sifflait. Nageait dans un écho avec la grâce d'un aigle. Je le visualisais très bien à présent, sous cet accent parfait, balancé dans l'atmosphère avec une facilité effarante. Kamonohashi.
J'avais trouvé mon Sensei. Celui qui allait me permettre de sortir d'ici. Bondissant de ma chaise, mes foulées pourraient faire jalouser le moindre guépard. Sans perdre une seule seconde de plus, j'étais partie avec la volonté de retenir cette tignasse blonde plus que quoi que ce soit d'autre. Kamonohashi. Ça sonnait bien, quand c'était bien prononcé.
Abandonnant toute réflexion et créant un nouveau boucan sur mon passage; la main qui avait saisie le poignet du patient manquait de délicatesse, mais gardait tout d'innocent.
Kamonoha...Kamo...K-...
Un silence englobais mes essais hésitants afin d'atteindre le bout de cet enchaînement fatidique. Ma poigne s'intensifiait sur la manche de mon camarade en veste - serait-il fou ? Porter une veste par ce temps -, démontrant ma frustration par de légers tremblements. La tête baissée, je priait pour que mon rideau chevelu cache avec succès la manière dont mes joues s'empourpraient.
Kamo...no...
Je lève finalement des iris dubitatives mais brillantes d’intérêt vers mon compère à l'accent d'orient. Je cherchais à lui demander subtilement de rester, mon visage s'étant vêtit d'une douceur affable.
…hashi?
Si tu crois tout ce que tu lis,
tu ferais mieux de ne pas lire.
A cause de la douleur précédée par un bruit infernal, me rappelant mes parents en colère venant me punir, j’avais dangereusement blêmi juste avant de me tourner vers la personne se tournant vers moi. Je ne l’avais jamais rencontré et je n’en fus que plus confus. Avais-je fait quelque chose de mal ? N’aurais-je pas dû l’aider à prononcer le mot, s’il s’agissait bien de cette personne ? Ou ma faute se trouvait-elle dans le fait que j’avais parlé à voix haute, le dérangeant ainsi ? A moins qu’il ne s’agisse d’une fille ?
Ne pouvant m’enfuir comme je le voulais puisque la personne me faisant face me tenait fermement, j’étais obligé de l’écouter. Mais je ne compris pas les pourquoi du comment. En me regardant, elle tentait de reprononcer le mot que je lui avais dis avec les mêmes difficultés que plus tôt. Mais, dans ce cas, pourquoi me serrer autant le poignet ? C’était terriblement douloureux, mes blessures n’ayant cicatrisé qu’en surface. Mais je ne disais rien de tout cela, me contentant de froncer les sourcils en pinçant les lèvres.
Reprenant après un instant de silence, il prononça le mot plus doucement. Tout en faisant cela, il releva la tête, me levant voir son visage dans son entier sans le cacher de ses longs cheveux. Cette personne avait l’air gentille et elle faisait visiblement des efforts pour prononcer ce simple mot. Mais pourquoi d’ailleurs ? Tout cela n’avait aucun sens… Pas à mes yeux en tous les cas. Je me mis donc à essayer de m’arracher à sa prise douloureuse.
Malgré mes nombreux essais pour partir, sa prise ne se défie pas, restant serrée sur mon poignet blessé. Grimaçant à cause de la douleur et parce que je ne voulais pas prendre la parole pour éviter d’aller à l’encontre des règles plus que je ne le faisais déjà, je pris un petit temps sans bouger. Puis, lorsque je me sentis plus ou moins prêt, je lui demandai d’une petite voix que seul lui pouvait entendre :
Lâche-moi. Tu me fais mal…
J’avais bien compris qu’il n’était pas japonais, sinon son accent n’aurait pas été aussi clair lorsqu’il avait prononcé le mot ornithorynque. De même qu’il n’aurait pas eu autant de difficultés. Enfin… peut-être pas. J’avais donc parlé en anglais, cette langue que j’avais apprise en cours avant de la parfaire lorsque j’avais étudié à l’étranger. En tous les cas, j’espérais que cela le déciderait à me laisser partir, qui qu’il soit. D’ailleurs, je ne savais toujours pas s’il était un garçon ou une fille… Est-ce que cela me dérangeait ? Je n’en savais trop rien moi-même à vrai dire. C’était simplement assez perturbant pour que je m’y perde.