Nettoyage de salle et lavage de cerveau |
Et finalement, l'agent d'entretien avait osé s'aventurer vers ces heures supplémentaires. Il y était resté un temps, comme bloqué. Il avait repensé à sa conversation avec le petit blond, il y avait quelques mois de cela. Il avait également revu ces matins sombres pour son patron, où la salle de soins de la petite Valcourt s'était retrouvée baignée de sang. Relu certaines de ses notes, concernant le manque de sommeil provoqué sur la Vincent. La mine froide d'Agnès, et son envie excessive de prendre soin de chaque patient.
Et la mort publique de Hexe.
Il réprima un frisson. Tout ce qui se passait sous son nez depuis une paire d'années, et lui dans le déni le plus total ... Il avait toujours été aveugle face à tous ces événements, ne semblant rien voir.
Il était temps de se faire une opinion.
Hyppolite croyait en l'Institut, croyait en Donatien Elpida, croyait en la bonté de ce lieu. Il voulait y croire. Tout ce qui c'était passé auparavant n'était qu'accidents et mauvaises coïncidences.
Le cœur battant, il choisit l'heure supplémentaire qui consistait à "effacer des traces". De quoi ? Aucune idée, mais ça se passait dans une salle Y. Pourquoi pas ? C'était son truc, après tout, d'effacer des choses. Bien que, paradoxalement, avec ses photos, il était plutôt un conservateur.
Il était donc onze heures, et la note était fraîche d'une heure. Apparemment, ça c'était passé récemment, dans la matinée. Est-ce que Hyppolite aurait juste une salle à nettoyer, ou devrait-il également effacer des choses sur un patient ?
Après un peu d'administration, il enfila gants en latex rose, tablier, charlotte et baskets aux lacets fluos, avant de se diriger vers la dite salle. Matériel dans son chariot, on entendait les roues de ce dernier se heurter entre les rainures du carrelage.
Face à la porte, il avait les clés en mains. Il était fébrile. Il voulait tant y croire...
Ca commence bien...
→ Porte bloquée
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Bon tant pis, il prit ça pour un signe. Qu'il retourne à la salle de Monsieur Elpida, comme d'habitude. Ca lui apprendra à vouloir sortir de ses sentiers battus.
C'est ainsi qu'il rangea le trousseau dans la poche de son baggy et fit demi-tour en sifflotant.
Alors qu'il attendait l’ascenseur, il repensa à l'odeur rance qui l'avait saisi face à cette porte. Il avait l'habitude des divers parfums entre les couloirs ; ça sentait l'aseptisé, la transpiration parfois, et des émotions qu'il ne savait détecter. Mais cette puanteur-la... Inconnue à l'horizon.
Il regarda à nouveau ses clés. C'était les bonnes, et surtout, il avait bien senti que le blocage ne venait pas de la serrure.
Seul dans le couloir, il hésita dans le silence pesant. L'ascenseur arriva, ouvrant ses portes sur l'adulte. La lumière criarde sembla dessiner un chemin sur les carreaux du sol. Un rectangle jaunâtre qui indiquait une direction.
Hyppolite, curieux, maugréa pour la forme et revint vers la porte. Un coup d'oeil à droite, un coup d'oeil à gauche, bon y'avait personne. Il attrapa une brosse à dents - toujours en avoir une dans son matos, c'était pratique pour frotter les petits endroits - et se baissa. La joue contre le carrelage, les fesses en l'air, les genoux sur le sol et le bras anormalement tordu, il utilisa le manche fin de la brosse à dents pour racler sous la fente de la porte, espérant ainsi débloquer quelque chose.
Ou attirer l'attention s'il y avait encore quelqu'un à l'intérieur.
Bien ouej !
→ Une méthode douteuse, mais efficace
La porte s'ouvre, laissant apparaître un oeil méfiant. Une voix gronde.
- Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous voulez ?
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Et alors qu'il se démenait, langue tirée, pour décoincer ce foutu bloc, la porte s'ouvrit. Hyppolite fit alors face à un oeil. La séance de soins ne devait-elle pas être finie ? A moins que cette personne ne soit pas un médecin mais un autre type de collègue ?
Se rendant compte de sa position, à la fois inconfortable et aux airs de soumission, il se releva brusquement. Il épousseta son jean et trouva quelque chose à dire.
- Euh salut, bonjour. C'est la direction qui m'envoie. Je suis agent d'entretien...
Et parce qu'il y avait toujours la drôle d'auteur et parce que l'autre derrière la porte avait l'air sinistre, il crut bon de rajouter :
- L'agent d'entretien du Doc... Directeur Elpida. Hyppolite Vodeni. Vous avez déjà dû me croiser.
Il pointa ses cheveux bleus comme si c'était une évidence. Le pauvre était mal à l'aise. D'habitude il ne s'occupait que de ses affaires, et ça lui allait très bien. Désormais qu'il déviait un peu, il avait la sensation de marcher sur des braises. Chaque seconde était une petite brûlure dans la poitrine.
- Du coup voilà, si vous voulez bien m'ouvrir pour que je puisse faire mon travail.
Bon, ça semblait pas trop mal.
Chanceux !
→ "Je vous attendais"
Quand Hyppolite regarde autour de lui, il constate que la salle est dans un sacré état. Des flaques et des projections de sang un peu partout, du vomi... Un coin de la salle est pourtant un peu plus propre que le reste et des morceaux de nappe en papier - du genre que l'on utilise pour recouvrir les tables d'ausculation - imbibés de sang trône dans une poubelle déjà bien remplie. Evitant le regard de l'agent d'entretien, la femme marmonne :
- J'ai essayé de nettoyer un peu en vous attendant.
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Il eut un haut-le-coeur. Puis la femme - une médecin ? - l'interpella :
-J'ai essayé de nettoyer un peu en vous attendant.
Hyppolite ouvrit grand les yeux, et ses sourcils s'envolèrent de surprise de son front. Parce que en plus y'avait déjà eu du nettoyage ?
C'était bizarre tout ça... Qu'est-ce qui avait bien pu arriver ici ? C'était exceptionnel ou quotidien cet état-là ? Et que foutait un ange en Enfer ? Sérieusement, cette blonde avait des traits si délicats qu'on la croyait déchue ici. Hyppolite, inspiré, aurait bien imaginé une photo de cet oxymore. Elle, posée près de la poubelle blindée de rouge. Ingénue face à ce carnage.
Il pensa à son Iphone dans sa poche, et comment ce serait gênant de lui demander de poser dans ces conditions.
Et comme il était inerte depuis un moment, véritable légume, il dit la première chose qui lui passa par la tête, désireux de briser le silence :
- Eh bien, les règles des femmes, ce n'est plus ce que c'était.
Il appuya son propos en désignant la salle odorante d'un signe de tête. Et comme c'était la pire chose qu'il pouvait dire dans ces circonstances, il se rua vers l'extérieur pour récupérer son chariot - bah oui, il en avait besoin. Il revint illico, et sortit un sac poubelle. D'abord, dégager le sol.
Il se dirigea vers la poubelle et y versa son contenu, puis ramassa les mouchoirs imbibés qui traînaient. Il se racla la gorge et curieux, demanda :
- Je peux savoir qui vous êtes ? Et si vous savez ce qu'il s'est passé ici ? Mon patron aimerait savoir. Enfin pas forcément votre nom, ça c'est pour moi. Enfin je ne vous drague pas, hein, mais c'est juste que...
Qui aurait cru qu'il avait la trentaine ? On aurait dit les premiers émois amoureux d'un ado.
Kif kif
→ C'est pas la meilleure entrée en matière mais...
- Je... Je m'appelle Elsa. J'ai dit au docteur Richards que ce n'était pas une bonne idée mais il ne m'a pas écoutée et...
Elsa continue à parler mais elle semble elle-même se perdre dans ses explications et le reste est incompréhensible.
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Comme elle semblait se perdre dans ses mots, Hyppolite lui adressa un regard. Il lui trouva un air de demoiselle en détresse assez charmant. Il rougit en s'imaginant lui caresser la joue et la rassurer, lui disant que tout irait bien, qu'il était là pour elle.
Une fois son sac poubelle vide, il remplit un seau d'eau, et d'un petit peu de produit nettoyant. Il essaierait d'abord de nettoyer le plus gros, et ensuite il irait dans les coins.
- Enchanté Elsa, je suis Hyppolite.
Puis il se souvint s'être déjà présenté et il se précipita à dire autre chose, dans l'espoir qu'elle ne fasse pas attention à sa gaffe :
- Vous êtes l'assistante du Docteur Richards ? Il ne vous pas écouté par rapport à quoi ...?
Et parce qu'il sentait qu'il avait l'air insistant, il préféra prendre des pincettes :
- Je ne demande pas pour vous embêter mademoiselle Elsa, mais vous comprenez... Ils attendent des explications là-haut.
Il lui adressa un sourire qui se voulait rassurant, puis plongea sa serpillière dans le seau. A l'attaque ...
Neutre again
→ Des soucis en perspective ?
- Oui, je suis infirmière. Pas son infirmière attirée mais enfin, presque. On était en train de s'occuper d'un patient mais ça a dégénéré et...
Sa voix meurt dans sa gorge alors qu'elle semble se rappeler d'un truc qu'a dit Hyppolite. "Ils attendent des explications là-haut". Elle produit un son étouffé, comme un sanglot ravalé in extremis avant de demander d'une toute petite voix.
- Est-ce que le Docteur Richards va avoir des problèmes ?
Elle se recroqueville un peu plus sur elle-même avant d'ajouter en voyant que les taches au sol partent très mal.
- Est-ce que je vais avoir des problèmes ?
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De l'autre : une flaque de vomi séché.
L'odeur, des moins alléchante, força à Hyppolite une grimace des plus démonstrative. Aucun professionnalisme dans ses mimiques mais : 1) il s'en foutait comme de la couleur des caleçons d'Elpida et 2) Mademoiselle Elsa ne l'avait sûrement pas remarqué vu l'état de panique dans lequel elle était.
Bref, notre agent d'entretien s'attelait à récurer le plus gros, écoutant attentivement la dame. Elle fut coupée par un sanglot lorsqu'on son discours devenait intéressant. Hyppolite serra le manche de sa serpillière entre les mains. Ainsi, il n'y avait pas que les patients qui semblaient affectés, mais également les infirmières. Non, même les membres du personnel. Agnès souffrait ces derniers temps du comportement de leur patron commun. Et lui aussi ... Le directeur provisoire devait être au courant de tout ça mais ne faisait rien ...? L'Institut ... Depuis le début ... ?
- Est-ce que le Docteur Richards va avoir des problèmes ? Est-ce que je vais avoir des problèmes ?
Hyppolite l'aurait serré dans ses bras. Mais il n'avait pas l'allure du prince charmant ou même l'odeur. Désormais toutes les crasses de cette salle lui collait à la peau.
Cependant, sans trop savoir pourquoi, pris d'un élan des plus bêtes, il lâcha la serpillière - mais bon, elle tomba au sol au lieu de rester droite comme il l'aurait voulu, cassant ses airs de héros -, retira ses gants en latex, puis posa vaillamment ses mains sur les épaules de l'infirmière.
- Elsa, vous n'aurez pas de problèmes. Je ne suis pas là pour être au courant des choses. Je ne suis qu'un simple ... Qu'une simple femme de ménage. Je me contente de nettoyer les dégâts sans commenter.
Alors c'était ça, sa vie ? Continuer à regarder sans agir ? Vraiment ?
Hyppolite, pauvre Hyppolite, il continuait à être un parfait lâche.
Il poussa un soupir et ses mains retombèrent contre ses cuisses.
- Mais mademoiselle Elsa, si vous voulez que je vous évite des problèmes ... Il va falloir que je les connaisse. Je pourrais mieux vous défendre comme ça. Je suis sûr que vous êtes innocente.
Il aurait bien ajouté :" et allons boire un verre" mais c'était sûrement déplacé.
Champion !
→ Aidez-moi. Je vous en supplie
- Et bien en fait, on devait s'occuper de Y32. C'est... Une patiente difficile. Pour ses séances de soin, on est obligés de l'attacher et... même comme ça ce n'est pas évident. Je devais lui faire une prise de sang mais elle prenait un malin plaisir à m'empêcher de faire mon travail, alors le docteur Richards a pris les choses en main et...
Elsa s'interrompt brièvement, levant les yeux au ciel et se mordant la lèvre inférieure avant de reprendre.
- Le docteur Richards est... Il n'est pas... Disons très patient. Il a fini par s'énerver, la situation a dérapé et... Mais c'était un accident ! Je vous assure que c'était un accident ! Le docteur Richards est un homme très bien au fond. Je lui dois beaucoup.
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Mais ce discours intérieur-là, il l'entendait à peine puisqu'un mini Hyppolite, au fond de sa crâne, gueulait : "Oh Mon Dieu, y'a eye contact là ! Eye contact ! Et elle n'a pas bronché quand tu l'as touché ! Mec, t'es un chaaaampion ! ".
- ... Je lui dois beaucoup.
Hyppolite fit la grimace. Il imaginait plus tôt qu'elle croyait lui devoir beaucoup. Ce type l'avait peut-être manipulée. Un gars qui faisait des dégâts pareils ne pouvait pas être quelqu'un de si bien vu auprès d'une femme aussi extra qu'Elsa.
Il avait alors deux choix : soit il effaçait tout ça, et reportait à la direction que tout allait bien. Soit il laissait la salle ainsi et demanderait à faire interroger Monsieur Richards.
La solution était évidente, et pourtant Hyppolite n'arrivait pas à se décider.
Il se détacha de la blonde et reprit le manche de son balai.
- Allez vous détendre mademoiselle Elsa. Reposez-vous, respirez, détendez-vous. Je m'occupe de tout, promis.
Il lui décrocha un sourire, puis se remit à nettoyer machinalement.
Dénoncer ou non ? Agir ou contempler ? Pour la première fois en six ans, c'était le moment de faire un choix de vie des plus importants.
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Les yeux dans le vide, essuyant le sang au sol machinalement. Alors ? Alors ? Alors ? Il ne pouvait pas rester passif. Cette pauvre Elsa souffrait de cette situation, il fallait la protéger. Mais comment ? Elle voulait que le Docteur Richards n'ait pas de problèmes ...
- Allez-y mademoiselle. Allez prendre un thé, reposez-vous, je me charge de tout.
Hyppolite nettoya pendant des heures et des heures. Et plus il effaçait les traces macabres, plus il se mentait à lui-même. Il ne pouvait plus faire l'autruche, il ne pouvait plus ignorer ce qui se passait sous le joug de son patron. Mais il avait besoin d'argent. Où aller ? Que faire ?
Milieu d'après-midi il revint vers l'administration, le visage éteint.
- C'est fini. Vous pouvez vérifier si vous voulez. Je suis payé en heures supplémentaires du coup ?
Il vit alors, sur le bureau de la collègue, un flyers de recherche d'emploi dans la restauration auprès des patients. Hyppolite repensa à la tête blonde, et imagina la patiente qui avait tant souffert dans la salle de soins ce matin.
Il ne fuirait plus.
Pour résumer, vous avez eu :
- 1 pas de chance
- 2 neutres
- 4 chances (dont un qui finit cette preuve)
REUSSITE !
→ Brillant comme un sou neuf
Après trois longues heures et demie d'effort, Hyppolite a réussi à rendre à la salle son aspect habituel. Il ne subsiste plus la moindre trace, même les lampes à UV de la police ne mettraient rien à jour.
Après vérification de la chargée des heures supplémentaires, Hyppolite a reçu son complément de salaire. Celui-ci est même plus élevé que prévu tellement l'Institut a été satisfait du résultat. De ce fait, personne ne comprend bien pourquoi l'agent d'entretien s'intéresse au poste laissé vacant en cuisine...
Conséquences :
- Hyppolite est bien vu de l'administration qui lui accordera sans souci le poste qui l'intéresse même si on s'interroge sur ses motivations
- Il a également reçu une généreuse prime pour son travail
- Toute preuve a été effacée, discréditant les plaintes de Y32. Même une partie des patients se demande si elle ne cherche pas plutôt à faire son intéressante
- Les doutes de l'Institut ne bougent pas (rien n'a été trouvé concernant des rebelles) cependant l'avancée de la Révolution chute de 4%, descendant donc à 36%
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