Nevrabriel écrivit le dernier accord avant de le relire. Il lui semblait que c’était juste, il n’en était pas certain, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas fait de musique, à traîner dans la forêt afin de planter des arbres. L’écossais semblait en forme, les muscles plus fermes, les yeux moins ternes, le sourire revenu. Mais Nevrabriel était plus silencieux à présent, plus sage ou plus triste, qui pouvait dire ?
Maintenant qu’une mystérieuse personne lui avait offert l’accès à la sale de musique de manière illimité, si Nevrabriel ne faisait pas le fou, il pouvait jouer du piano à sa guise. Alors il s’y était attelé. Lorsqu’il n’était pas obligé de jardiner, le jeune homme venait dans cette pièce, des feuilles à la main, cherchant quelque chose, transmettre un message. Un message d’espoir mais également de remerciement, un message que personne ne pourra entendre à moins qu’il ne parte, un message qui ne pourra être entendu que si tout espoir disparaît avec lui, mais pour faire revenir une lumière nouvelle.
Un message qui transmettait également une partie de son histoire.
Le carnet d’Astrid manquait de pages, ce si joli carnet où il écrivait sa vie pour se souvenir lorsque sa mémoire se perdra. Il lui fallait bientôt un autre carnet pour compter sa vie, ses pensées, ce qu’il a ressenti le jour où il a vu naître un bébé à la cantine, le jour où Donatien était devenu un patient, le jour où il s’est confié à Aeden. Mais également ne pas oublier les visages qu’il a croisé, ceux avec qui il s’est lié d’amitié, les sourires, les rires, mais également les larmes. Il voulait s’en souvenir, et qui sait ? Peut-être qu’un jour, quelqu’un trouvera ses écrits et partagera ses étranges aventures.
Peut-être que son existence sera compté par d’autres, comme le souvenir d’une âme ayant vécu et ayant été aimé …
Nevrabriel soupira avant d’esquisser un triste sourire. Peut-être que tout cela était vain finalement, mais il voulait y croire. Il n’avait pas le génie d’Aeden ou Ulysse, ni le mentale de fer d’Ophélia. Il n’avait pas le courage d’Agnès, ou la détermination de Loreleï. Il était insipide et brisé, mais espérait que son entourage n’allait pas se souvenir de lui ainsi …
Nevrabriel mit sa partition sur le pupitre avant de regarder les touches du piano. Il posa doucement ses doigts dessus. La sensation des mains d’Astrid semblait toujours présente sur le clavier, comme si elle avait laissé une part d’elle dans cette pièce. En se laissant aller suffisamment, le jeune homme pouvait sentir sa présence, son odeur, le doux chatouillement de ses cheveux, et même la chaleur de son corps … un si beau souvenir, qui le rendait d’autant plus mélancolique.
L’écossais commença doucement à jouer, lentement, en se redressant pour avoir la posture parfaite des pianistes, droit, la tête presque haute, les mains flottant sur le clavier bicolore, le regard presque fermé alors que ses yeux vairons suivaient les lignes de notes de musique.
Puis, d’abord maladroit, sa voix s’éleva doucement, pour finalement absorber toute la pièce. Vide, un écho mystérieux et agréable se propagea dans la salle, donnant plus de voix et de mélodie, laissant Nevrabriel s’emporter dans sa chanson, dans son message, dans son héritage.
La musique était claire dans l’esprit du jeune homme. Il pouvait voir les couleurs défiler sous ses yeux, chaque note était inscrite en lui. Il pouvait presque sentir différents parfums ; le sable, la mousse des arbres, le sel de la mer. La musique l’animait, comme elle le faisait toujours, lui redonnant des couleurs qu’il n’avait plus en lui, il se mit presque à sourire en pensant à la personne pour qui il avait écris ces mots ; Ophélia.
Peut-être que personne d’autre que lui ne pourrait comprendre cette chanson. Ophelia n’était pas une sirène maléfique qui l’attirait dans les profondeurs, elle était la petite nymphe qui l’entrainait loin de cette île. La mer était la liberté, le monde extérieur, la délivrance.
Il pouvait voir cette main tendue pour l’emmener loin, ses mots, ses bras, étaient attirant, attirant parce qu’ils emmenaient vers la liberté, elle était décidé à l’emmener avec elle, vers cette terre promise, cette océan miracle, cette autre vie.
Ne le retenait pas …
Si tu as rêvé dans les eaux sombres,
Rêver de cette liberté chéri …
Dans la pénombre où nage Ophélia,
Cette mer si chaude, cette délivrance attirante
Si la lueur des profondeurs t'attire aussi,
Cette lumière de liberté, loin de l’Institut
Ne me retiens pas,
Laissez moi partir
Même si les bras froids du tendre océan te saisissent, englacent ton cœur,
Laissez moi quitter cette île avec eux, même si cela a un prix
Tu me rejoindras,
Oui, nous partirons tous
Ne me sauve pas,
Ne nous dénoncez pas
Coule avec moi,
Venez avec nous
Ne me retiens pas.
Laissez nous vivre …
Nevrabriel chantait encore en pensant au réel sens de ses paroles. Il avait envie de crier, hurler, ce qu’il pensait, ressentait. Il aurait dû accepter la main tendue d’Ophélia, et il savait qu’il n’était pas trop tard, il pouvait encore accepter de l’aider, de rejoindre la révolution et de partir de cette île avec tous les autres, avec Aeden, avec Lucy, avec Ulysse, avec Kan, avec tout le monde. Bien sûr que ses jours étaient comptés, mais voulait-il réellement que les derniers instants de sa vie soient ici ? Enfermé dans une prison où des adolescents se font torturer et tuer ? Voulait-il rester auprès de personnes qui le détruisaient psychologiquement, sans le soigner réellement ?
Il voulait partir, quitte à briser la promesse qu’il avait faite à Donatien. Nevrabriel était un homme de parole mais entre tenir sa promesse et sauver toutes ces âmes meurtries, il n’avait plus à choisir, il devait aider Ophelia et partir avec elle.
Le jeune homme se leva après avoir terminé sa chanson, le cœur plus légé, plus vivifié. Il sentait que son âme avait reprit des couleurs, les couleurs de la vie et de l’espoir. Nevrabriel se mit alors à écrire les paroles de sa chanson sur une feuille vierge, essayant de transcrire une belle écrire, sachant très bien que la sienne n’était pas agréable à lire. Il lui fallut beaucoup de temps pour écrire joliment, plus qu’à recopier, et lorsqu’il fut satisfait, l’écossais plia sa feuille en quatre et colla un petit post-it dessus :
J’espère que tu pourras me pardonner. »
Peut-être comprendrait-elle qu’il était prêt à l’aider à présent ? Il ne pouvait pas lui dire explicitement au cas où une autre personne tomberait sur ce bout de papier, mais il espérait que le message caché derrière ces paroles l’aideront à comprendre ses intentions.
Avant de se rendre dans sa propre chambre, Nevrabriel alla devant la porte de celle d’Ophelia, fit glisser la chanson pliée sous la porte, n’osant pas frapper ni attendre, puis, il alla dans sa chambre. Il rangea soigneusement sa partition dans son classeur avec toutes les autres. Puis, il alla se coucher, attendant que demain arrive, pour un jour nouveau.
entourageGroupe : Institut GrahamDate d'arrivée à l'Institut : 10/02/2013Age : 26