Nevrabriel marchait autour du bunker, les pas lents pour entendre les bruits de la nuit, il baladait sa lampe de gauche à droite, regardant les ombres bouger pour le maintenir totalement en éveille. Autrefois, sur cette île, il pouvait se promener la nuit sans crainte, comme si celle-ci était son amie, mais à présent c’était autre chose. Avec ces guerres de clans, il se demandait si l’île allait rester aussi pacifique à l’approche de l’hiver.

Puis, soudainement, un bruit. Un bruit que Nevrabriel connaissait bien. Quelqu’un tapait contre la grille. Quelqu’un essayait de s’infiltrer ! Il ne pouvait en être autrement, tout le monde était dans le bunker !

Nevrabriel fit demi-tour et courut vers la source du bruit mais plus il s’avançait, plus il distinguait une tâche blanche dans l’obscurité. Il n’y avait que deux personnes pour être aussi blanc de la sorte et l’une d’elle n’escaladerait jamais le grillage de sa vie alors …

Nevrabriel pointa sa lampe sur la silhouette dans la pénombre … Lucy.

Elle était accrochée au grillage. Assez haut du sol, mais assez bas pour que Nevrabriel puisse lui agripper les pieds. En même temps, avec ses un mètre quatre vingt et un, il pouvait atteindre de belles hauteurs. Il marcha doucement jusqu’à être bien en face d’elle et resta un instant, la lampe pointé vers son amie, l’air dubitatif.

_Qu’est-ce que tu fais ?

Le ton de sa voix n’était pas teinté de reproche mais bien d’incompréhension. Pourquoi essayait-elle d’escalader le grillage ? Pourquoi faisait-elle ça ? Pourquoi en plein milieux de la nuit ? Toute seule et sans autorisation ?
Nevrabriel ne comprenait vraiment pas. Lucy avait toujours été si … obéissante, et là, elle voulait faire le mur. Il fallait croire que Donatien et lui-même n’étaient pas les seuls à avoir changé.
Doucement, le roux poussa sa lampe torche par terre et tendit les bras vers la grimpeuse.

_Descends s’il te plait, tu vas te blesser.

_Descends s’il te plait, tu vas te blesser.

_ Je suis bien là, je vais rester un peu.

….

Ah … Ah d’accord ? Elle veut faire la maline ?

Nevrabriel croisa les bras, continuant de regarder le chat perché même si elle ne le regardait pas. Au moins elle ne continuait pas à escalader. L’écossais comptait sur le petit gabarit de son amie et également le petit muscle de ses bras. Elle finirait par lâcher, auquel cas il la rattraperait, ou par descendre d’elle-même, ce qui serait mieux.

_J’ai tout mon temps.

Elle voulait faire l’enfant, il ferait l’adulte, pas de problème. Finalement elle n’avait pas tant changé, elle était toujours très enfantine.
Nevrabriel était tout de même agacé qu’elle refuse de l’écouter. Elle leur faisait une crise d’adolescente ou quoi ? D’abord surveiller Jessy, maintenant une fugue ? Il était grand temps de parler avec elle.

_N’attends pas la crampe, elle sera douloureuse.

_N’attends pas la crampe, elle sera douloureuse.

_Nev laisse moi tranquille.

Nevrabriel roula des yeux devant la rébellion de son amie. Il n'avait pas vraiment le temps de jouer avec elle, il avait encore milles choses à faire avant demain et un minimum de sommeil était requit pour supporter les longues journées dans ce bunker. Mais Lucy comptait beaucoup pour lui alors il lui accordait son temps, même si c'était pour des bêtises.

Puis, lorsque Lucy eut un mouvement, comme si elle allait continuer à monter, l'écossais, pas non plus le plus bête, tendit les bras pour la rattraper. Son instinct était le bon et la silhouette blanche chuta doucement vers le bas. Il semblait la voir au ralentit venir se loger sur ses mains. Le corps de Lucy glissa sur les bras du roux qui la ramena vers lui pour que son corps ne heurte pas le sol.
La lampe à ses pieds les éclairait suffisamment pour qu'ils distinguent leur visage respectif. Nevrabriel avait l'impression que son amie était boudeuse, déçue, frustrée, lui était ... très fermé ... voir en colère.
Il ne disait rien, il la gardait dans ses bras, il attendait qu'elle lui demande de la lâcher comme elle lui avait demandé de la laisser tranquille. Ses yeux vairons ne reflétaient aucune expression, seuls ses sourcils froncés illustraient son sentiment d'impatience face à ce geste de rébellion.

Toujours la demoiselle dans les bras, tel un parent agacé, Nevrabriel exprima dans un ton calme et glaciale :

_Je ne relèverais pas ta tentative de fugue mais il faudra qu'on parle, toi et moi.

_Je ne relèverais pas ta tentative de fugue mais il faudra qu'on parle, toi et moi.

_Laisse-moi, maintenant.

Lucy se tortilla et finit par tomber sur les fesses. Nevrabriel roula une nouvelle fois des yeux. « L’adolescente » devenait épuisante. Il allait s’agenouiller pour l’aider à se relever mais elle se releva d’elle-même le plus rapidement possible.

_C’est bon Nevrabriel retourne à ta ronde.

Puis elle commença à s’éloigner. Même si ses pas quittaient la lumière, sa silhouette blanche était visible dans l’obscurité.
Nevrabriel soupira longuement avant de se pencher pour ramasser sa lampe. La remarque de Lucy était un peu bête vu qu’il allait forcement retomber sur elle s’il retournait à sa ronde. Le Bunker n’était pas immense non plus. Mais il mettait ça sur le dos du fait qu’elle était d’humeur boudeuse. Mais ce qui lui faisait mal au cœur était le nom qu’elle lui avait donné. Depuis leur rencontre, elle ne l’avait jamais appelé par son nom complet, que voulait-elle lui faire comprendre par là ?
Maintenant qu’il avait grandit il était un étranger maintenant ? Elle ne voulait plus lui parler ni même avoir de relation avec lui ?
L’écossais avait l’impression de ne rien faire de bien avec Lucy depuis la mort de Loreleï et trouvait ça très injuste de la part de son amie de lui jeter la pierre alors qu’il faisait tout pour sa sécurité.

_Quand tu te seras calmé, on parlera.

Nevrabriel partit dans le sens opposé pour retourner à sa ronde, comme le voulait sa camarade, même si ses pensées étaient maintenant ailleurs.

Qu’est-ce qu’il avait raté avec elle ? Qu’est-ce qu’il faisait encore de mal ? Qu’est-ce qui n’allait pas ? Pourquoi elle et Béatrice étaient si agressives depuis quelque temps ? Qu’étaient devenues les adorables demoiselles qu’il avait connu ?

L’écossais s’arrêta un instant et s’accroupit, posant sa lampe par terre pour prendre son canif. Il ne l’avait encore jamais utilisé et aimerait ne jamais le faire, mais il s’était promis de tout faire pour protéger ceux qu’ils aimaient.
Nevrabriel prit une mèche de ses longs cheveux et la coupa de quelques centimètres à peine mais ça suffisait. Il regarda sa mèche à la lumière de sa lampe. Il la fixa.

Du rouge.

Oui, il devait se rappeler.
Il ne devait pas oublier. Tout ce sang sur Lucy. Le feu dans le bâtiment. Les pleurs, les cris.

Rouge.

Rouge comme ses cheveux, rouge comme le sang, rouge comme cette nuit …

Rouge

Rouge

Rouge

_Rouge … Rouge … Rouge … Lucy … Donatien … Rouge … … Agnès … Aeden … Rouge …

Nevrabriel sortit de sa transe assez rapidement. Parfois ça lui arrivait de tourner en boucle à cause de son cerveau détraqué, mais il ne se rendait pas compte qu'il parlait à voix haute. Heureusement, il n'avait jamais eu de problèmes devant les autres et c'était mieux ainsi.

L'écossais se releva et laissa sa mèche écarlate à l'abandon pour reprendre sa ronde. Ses pensées n'étaient plus tourmentées par les dires de Lucy, il n'avait pas le choix que de se reprendre, autrement tout allait se briser.

Ses pas lourds firent le tour du bunker, sans entendre une nouvelle fois Lucy tenter d'escalader le grillage. Il en était plutôt satisfait.
D'ailleurs elle attendait. Sagement cette fois. Elle semblait plus calme, ou résigner, il ne savait pas.
Le jeune homme s'arrêta à un mètre d'elle, comme s'il venait de la voir, la lampe pointée vers ses pieds pour ne pas lui faire mal aux yeux.

_Vas-y je t’écoute.

Lucy n'était vraiment pas contente mais au moins elle était ouverte à la discussion cette fois.
Nevrabriel resta silencieux pendant presque une minute avant d'exprimer :

_Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas.

mais je vais garder la plus part pour moi...

Nevrabriel s'assit à coté de sa camarade et éteignit sa lampe pour qu'ils puissent profiter pleinement de la nuit malgré le froid. Il respira lourdement avant de basculer sa tête en arrière, venant se blottir contre le grillage.

_Pourquoi est-ce que tu escaladais le grillage ?

_Pourquoi est-ce que tu escaladais le grillage ?

_Parce que je n’ai pas le code de sortie. Je voulais prendre l’air... ailleurs. Être seule juste un moment. Je serais revenue.

Nevrabriel soupira.

_Lucy tu … je … hm …

Non … Comment pouvait-il lui parler du monde extérieur ? Comment pouvait-elle imaginer que l’Institut qu’elle avait toujours connu était maintenant un champ de ruines, un champ de mines. Si elle voyait les électrons libres dans leur grotte … Son ancienne chambre brulée … et l’Institut Graham qui ressemblait à un camp militaire ?
Comme l’avait dit Béatrice, Lucy n’était pas en sucre. Mais que ne ferait pas un frère pour protéger sa sœur ? Que ne ferait pas Nevrabriel pour protéger … sa lorialet ?
Avec elle il était le même, peut-être plus vieux, peut-être trop sage, mais avec elle il ne jouait pas. Seulement ça … elle ne le voyait pas. Il avait l’impression qu’elle le voyait comme un ennemi. Pourquoi ? Que faisait-il encore de si mal ?

_Si tu me l’avais demandé, je t’aurais emmené à l’extérieur, mais en aucun cas je ne peux te laisser seule au-delà de ce grillage. Si c’est ce que tu cherches, ça n’arrivera pas.

Il ne jouait pas il était franc, même s’il lui cachait des choses pour son bien, pour elle, pour qu’elle croit encore que le monde était beau, il ne lui faisait pas de promesses en l’air. Mais Nevrabriel était également triste de subir. C’était le fardeau de son titre de second. Subir. Si l’eau manquait, si la nourriture manquait, si Jessy était incontrôlable, si Wendy était trop bruyante, il devait gérer. Il s’y était préparé, mais il n’était pas préparé à l’étrange comportement de son amie.

_Je fais tout ça pour toi, tu le sais j’espère ?

_Je fais tout ça pour toi, tu le sais j’espère ?

Pour seule réponse, Lucy se déplaça. Nevrabriel pensait qu’elle allait se lever pour partir, puisqu’elle semblait très frustrée, mais à sa surprise elle vint s’asseoir sur ses genoux. Il sentit une de ses mains froide venir se glisser sur son visage et remonter jusqu’à ses cheveux devenus longs avec le temps. Il sentait que Lucy était bien proche de lui, son souffle chaud dans la nuit lui parvenait jusqu’au visage tel un léger rayon de soleil en hiver. Elle sentait bon. Il n’avait jamais remarqué qu’elle sentait bon. Lui qui vivait dans la terre et dans la sueur, il n’avait pas prit le temps de sentir les bonnes choses, ni les plats chaleureux d’Elizabth, ni l’odeur de la mousse après la pluie, ni l’odeur des personnes vivants à ses cotés. C’était des détails insignifiants mais maintenant qu’il avait la possibilité, le temps de s’y attarder … C’était étrange. Etrange mais agréable.

_ J’ai perdue un œil cette nuit là c’est vrai, mais toi ... Oui toi...

Les mains de Lucy se baladaient sur le visage de l’écossais. Ces gestes étaient familiers mais … surprenants. Autrefois cela ne faisait rien au roux puisqu’il était encore un gamin mais là, il se surprenait à apprécier plus que de raison le contact féminin.

Nevrabriel écoutait sans un mot les paroles de son amie. Le souple chaud de Lucy l’apaisant mais lui faisant rater ses propres souffles également comme la peur de l’interrompre dans sa confidence.

_Nev tu as perdu bien plus que moi cette nuit-là, c’est toi-même que tu as perdu. Je ne sais pas qui tu es, tu m’effraies.

Choc.
Douche froide.

La paix qui habitait doucement l’écossais disparut aussitôt. Dans le noir, son visage se ferma. Glaciale. Sans saveur. D’une voix aussi froide que son visage, il exprima :

_Tu te moques de moi ?

Nevrabriel prit doucement les petites mains de son amie pour qu’elles quittent son visage. Il les garda dans ses mains pour attirer toute son attention et qu’elle cesse ses gestes de soi-disant affections. Comment pouvait-elle le couvert de tendresses pour lui dire qu’il avait changé en mal ? Elle ne comprenait pas. Elle était endormit quand lui avait l’impression qu’elle était morte. C’était sur un quasi cadavre qu’il avait promit de la protéger si elle s’en sortait. Elle ne pouvait pas comprendre ce qu’il avait vécu. Penser qu’elle allait mourir, remuer tout le bunker pour trouver la seule personne qui puisse la sauver, être prêt à devoir la tenir pendant qu’on la charcutait pour la garder en vie. Comment pouvait-elle le juger ?

_Tu as toujours été attiré par les mauvaises personnes ; Ange Barrabil, Jessy, Donatien autrefois. Je pensais que c’était parce que tu trouvais en eux une sorte de protection. Même si pour Jessy je ne sais pas ce que tu lui trouves à présent. Et maintenant que je suis plus fort, que j’ai le pouvoir de veiller sur toi, que je peux te protéger, je t’effraye ?

Son sang vibrait en lui non pas de rage mais de frustration. Il lâcha les poignets de Lucy pour serrer fermement ses poings en les ramenant au sol. Il tremblait légèrement et se doutait que Lucy le sentait puisqu’elle était assise sur lui.

_C’est une blague, n’est-ce pas ?

Le ton était toujours glacial. Un ton qu’il n’avait jamais eut avec elle, même après la révolution. Pour elle, il voulait rester celui avec qui elle trouverait le pied de l’arc-en-ciel. Il voulait rester son ami, son confident tout en devenant en plus son protecteur.
Pourquoi tout ne pouvait-il pas coller ensemble ?

Il respira profondément pour se calmer. Il pensait rassurer son amie par des caresses mais il était bien trop indigné par ses propos pour lui montrer quelconque affection pour le moment. Il attendait du soutient de sa part, elle sa plus vieille amie mais dans ce bunker, malgré tout ce qu’il faisait, ça ne serait jamais assez bien pour Lucy.
L’obscurité cachait son chagrin. Le froid tempérait sa frustration. Le silence l’aider à se dissimuler davantage.

_Qu'est-ce que tu veux que je fasses ? Qu’est-ce que tu attends de moi au juste, Lucy ?

_Qu'est-ce que tu veux que je fasses ? Qu’est-ce que tu attends de moi au juste, Lucy ?

_Je. Ne. Suis. Pas. Attirée. Par. Jessy. Toi aussi tu es injuste envers moi, tu-tu.

Nevrabriel se rendit compte de sa maladresse. « Attirée » était un grand mot finalement puisqu’il pensait simplement à de l’attirance platonique comme … de l’admiration ? Y avait-il un mot pour cela ? En tout cas ces mots avaient fais réagir Lucy au quart de tour, certainement outré des pensées de Nevrabriel. Son but n’était pas de la mettre en colère … bien qu’il ne savait pas encore ce qu’il attendait de Lucy … Obsédé par sa protection, il en oubliait même leur relation.
Mais il s’était promis de la protéger. S’il devait tuer Jessy pour ça, il le ferait, s’il devait bruler l’ile, il le ferait.

Une masse vint se blottit contre l’épaule de l’écossais. Lucy avait la peau froide, mais Nevrabriel aussi. Lui qui était toujours si chaud était maintenant aussi froid que la demoiselle. Il ne pouvait pas la consoler, il n’avait plus de feu en lui, plus de chaleur à donner, il avait tout éteint, tout consumé.

_ Tu me regardes comme si j’allais briser, avant tu me parlais, on partageait des choses. Je ne voulais pas... je ne voulais pas te faire du mal. Si je le surveillais vous verriez que je ne suis pas si fragile. Je n’ai pas peur, je n’ai pas peur...

Lucy ne le savait pas, peut-être le ne saurait-elle jamais mais c’était le souhait qu’il avait formulé à La Cannibale. S’il l’aidait à avoir des informations sur Donatien, elle emmènerait Lucy retrouver sa mère sur le continente. La Cannibale n’a pas respecté sa parole. Lucy n’est pas en sécurité. C’est maintenant son rôle de la protéger.

Entre ça et l’avoir vu au bord de la mort, Nevrabriel avait noué la peur de la perdre.
Il repensait à Aeden devant la mer. Lui avait tout perdu, il n’avait plus rien à quoi, à qui, se raccrocher. Il était une ombre à présent, une ombre effacée que personne ne remarquait. Si Nevrabriel perdait les personnes pour qui il se battait il était certain de rejoindre son ami dans ce gouffre d’abandon.
Mais comment le dire à Lucy ? Toute cette accumulation de maux, comment lui exprimer ? D’ailleurs, fallait-il tout lui dire ? Nevrabriel ne savait pas et préféra se taire.

_ Je ne le redemanderai plus, tu me pardonnes, je vais apprendre à pêcher avec Beryl, je ne le demanderais plus.

Brave fille.

Mais ce n’était pas ce qu’elle voulait, n’est-ce pas ?

Des murmures se déchiraient dans l’esprit de Nevrabriel. Entre son bonheur et sa protection, il ne pouvait choisir. Il n’y arrivait pas. Si son bonheur la mettait en danger il ne pouvait consentir, mais la savoir malheureuse ne lui plaisait nullement.

Que faire ?

Que dire ?

Nevrabriel était muet et immobile, comme mort. Il sentait de l’humidité se faufiler sur lui, le corps de Lucy se blottir contre le sien. Elle sentait bon. Il était perdu.

Que voulait-elle ? Qu’attendait-elle qu’il fasse ? Que faisait-il autrefois pour la consoler ? Quelle chaleur lui donner lorsqu’il n’y en a plus ?

Maladroitement, Nevrabriel entoura Lucy de ses bras et, ne sachant que faire, lui tapota gentiment le dos. Il ne se souvenait plus comment consoler les autres, il avait tout perdu.

_Je sais Lucy, je sais que tu es très courageuse.

La voix de Nevrabriel prit soudainement une pointe d’émotion alors qu’il continuait de parler :

_Je ne souhaite que ta sécurité et ton bonheur.

Ne sachant pourquoi, comme guider par une faible braise au fond de lui, Nevrabriel vint doucement embrasser la tempe de son amie, la serra davantage contre lui, cessant de lui tapoter le dos comme s’il voulait la repousser. Non, là il voulait la garder contre lui, la réchauffer.

Mais il était toujours aussi froid.

Il resta un instant ainsi. Il avait fait ça par instinct mais maintenant … que devait-il faire ?
Il se redressa pour quitter la tête blanche de Lucy et regarda autour d’eux, l’air de rien, trouvant une excuse à son comportement, mais emplie de réflexions.
Il réfléchissait à une solution, quelque chose de mieux, essayer de dire à Lucy ses craintes sans toutefois tout lui dire et essayait de l’aider à trouver sa place parmi eux. C’était son rôle, oui, son rôle de second tout ça.
Nevrabriel reprit contenance dans sa voix, autant que sur l’étreinte qu’il offrait à son amie la relâchant doucement jusqu’à simplement l’effleurer, avant de dire :

_Je te laisserais faire tout ce que tu veux mais pas quelque chose qui te mette en danger … Je ne veux pas te perdre.

_Je te laisserais faire tout ce que tu veux mais pas quelque chose qui te mette en danger … Je ne veux pas te perdre.

La nuit était clémente avec l’écossais, cachant ses yeux sombres. Pendant un bref instant il revoyait le visage fermé de Lucy, son œil baignant dans une peinture rouge vif, tachant la beauté de son visage et ses cheveux si blanc. Une goute de sang dans la neige. Si la mère de Blanche-Neige trouvait cela de toute beauté, Nevrabriel lui, trouvait cela fort déplaisant. Le rouge n’allait pas bien à son amie.

_Je ne veux pas te perdre non plus Nev.

Nevrabriel soupira. Un soupire chaud et de paix. Rassuré. Emu également. Lucy quitta ses bras, laissant son corps se faire engouffrer par le froid de l’automne. Elle lui avait tenu chaud dans qu’il ne s’en rende compte. Maintenant il avait froid et sans comprendre pourquoi, i lavait faim d’affection.

_Viens rentrons, personne ne viendra ce soir.

Dans le noir, Lucy était très visible, sa main tendue l’était également.

Nevrabriel voulait lui dire non.

Il voulait lui prendre la main et l’emmener dehors, l’emmener se promener au clair de lune. Il voulait qu’elle sourit, qu’elle se nourrit de la paix de la nuit. Il voulait l’entendre rire comme autrefois.
Mais sa flamme intérieure était étouffée dans un blizzard de glace. Une bougie prisonnière de l’hiver qui ne peut se faire entendre. Nevrabriel n’entendait cette petite voix que de loin, comme si elle hurlait d’un cachot. Non, en effet, il n’entendait que le roque d’un ange lui dire qu’il devait protéger Lucy.

Il prit la main de Lucy, maladroitement, comme s’il la cherchait alors qu’il al voyait parfaitement bien.

La première fois qu’ils se sont rencontrés, elle lui avait demandé de l’emmener avec lui.

Mais autrefois il n’y avait pas de danger.

Mais maintenant il était fort, il pouvait la protéger.

C’était dangereux dehors. Et si elle sortait, voudrait-elle vraiment revenir au bunker sans faire d’histoire ? Elle voudrait peut-être rejoindre Barrabil ? Ou même Graham pou retrouver la sensation d’avoir ses deux yeux ?

Si elle sortait, elle ne reviendrait plus. Elle ne voudrait plus revenir. Et tu ne seras jamais assez fort pour la forcer à revenir avec toi.

Nevrabriel se releva. L’obscurité cachait la noirceur de son regard. La petite flamme au fond de lui le tordait de douleur. Il avait ma au cœur et au ventre sans savoir pourquoi, comme si un démon lui avait fait avaler une pierre.
Pour atténuer sa douleur, Nevrabriel entrelaça ses doigts avec ceux de son amie. Oui, ça faisait moins mal comme ça. Pour ce soir il pourrait être un peu plus faible, il sera plus fort demain. Ce blizzard aura un jour raison de cette bougie et il n’aura plus jamais mal.

_Même si n’est pas à l’extérieur de la grille … Marche un peu avec moi.

_ Nev... je me demandais les autres ils sont où? Ils vont bien ?

Les doigts de Nevrabriel tenaient ceux de Lucy sans pour autant les étreindre. Il était là sans être là. Il baladait sa lampe à leurs pieds pour qu’ils ne marchent pas sur un objet que Wendy aurait laissé trainé ou un animal de passage.
Quoique l’animal … Nevrabriel aurait pu tenter de l’attraper pour nourrir la Famille.

_ Ils ont choisis leur place.

Y avait-il une autre réponse ? Nevrabriel ne savait pas s’ils allaient bien. Ceux de l’Institut Graham étaient enfermés dans une sorte de camp que l’écossais n’avait vu que de loin, de peur de se faire fusiller s’il s’approchait de trop prêt. Il avait tenté de rentrer au Village pour voir Kan et Agnès sans grand succès mais les gens à l’intérieur semblaient bien, même s’ils étaient à moitié dans les ruines. Qui avaient le droit aux salles qui n’ont pas été détruite ? Surement la haute hiérarchie, n’est-ce pas ? Il voyait mal le miséricordieux Barrabil dans une tente, il lui fallait un minimum de confort.
Puis les électrons libres … ils avaient l’air d’aller bien en apparence mais Nevrabriel les avaient observés. Certains étaient à deux doigts de rejoindre Graham ou Barrabil à cause de leur condition de Robinson.
Peut-être que Lucy était enfermée mais au moins elle était écoutée, elle ne dormait pas dans une tente ou une grotte, elle était nourris et aimée. Les autres, l’étaient-ils ? Entre une faction de soldats et une autre dirigé par un meurtrier et une manipulatrice ?
Mais peut-être que le monde tournait ainsi … l’écossais était à l’Institut depuis presque 10 ans, il avait oublié ce qu’était la politique, le fait de gouverner, de faire tourner une civilisation, mais de ce qu’il voyait, il aimait être là où il était actuellement, avec sa Famille – en oubliant Jessy bien sûr.

_Tu croiseras peut-être des gens en allant au lac avec Béryl, tu verras par toi-même ce que deviennes ceux qui ne sont pas unis, ceux qui ne se protègent pas les uns des autres.

Nevrabriel parlait doucement, calmement. Il voulait faire comprendre à Lucy que l’Institut n’était plus ce qu’elle avait connu et que son seul espoir était le bunker. Donatien aurait pu employer ce genre de mots. Peut-être que c’était le mieux à faire ; parler comme lui. Lucy l’écoutait, alors, peut-être, que parler comme leur mentor lui ferait écouter le roux ?

_Mais fait attention, au-delà de ce grillage tu ne peux compter sur personne. Ils vont tous essayer de te duper car l’hiver approche et de ce que j’ai vu, nous sommes de ceux qui avons une chance de la passer.

La culture, le puits, ces longues réunions avec Donatien, des réflexions, des stratégies, des discutions sans fins, tout ça pour, à court terme, passer l’hiver. Bien que Donatien voulait les rendre totalement indépendant et coupé du monde, ce que Nevrabriel n’avait pas vraiment, le roux pensait surtout à la survie et à la sécurité. Lorsque les vivres manqueront, ça finira à coup de fusil …

_Mais je te fais confiance, tu ne te laisseras berner, n’est-ce pas ?

_Mais je te fais confiance, tu ne te laisseras berner, n’est-ce pas ?

Lorsque le duo arriva près des falaises, un vent froid et puissant se mit à leur souffler dessus. Nevrabriel s’en moquait bien, il y était habitué. Lucy peut-être pas. Devait-il la rapprocher de lui ? Devait-il lui prêter son pull ?
Il se contenterait de marcher, simplement.

_Je ne comprends pas ce que tu veux dire Nev, me laisser berner? Explique-moi.

Le jeune homme attendit que le vent se calme pour s’exprimer :

_Nous avons des ressources, d’autres non. Tu es trop gentille, certains essaieront de te demander de les aider, de les faire entrer dans le bunker, il ne faut pas.

Nevrabriel pensait aux électrons libres. Mais les autres n’étaient pas à écarter. Graham avait beaucoup de fierté mais lorsque ses vivres allaient manquaient, parce qu’ils allaient manqué, que Donatien ne voudra pas coopérer, que ferait-il ?
Et Barrabil avec ses soi-disant bonnes intentions de ne pas accepter de vivres volés (il faut dire que certains électrons sont très bavards), qu’allait-il faire quand son peuple criera famine ?
Au Bunker, ils avaient presque tout. Dépendant du lac, mais comme tous, leur champ était assez grand pour tous les nourrir et pour passer l’hiver. Le seul bémol qu’avait relevé l’écossais était les médicaments. La plus grande réserve était dans l’Institut Graham, ils en manqueraient forcement un moment, mais bien longtemps après eux en tout cas. Donatien semblait avoir presque tout prévu pour son nouveau paradis …

_Ta mère a du te le dire avant ; ne fais pas confiance aux inconnus. Aujourd’hui il faut l’appliquer à la lettre.

_ Les autres, ils ne sont pas tous des inconnus, et si c’était mademoiselle Agnès qui me demandait de l’aide ou je ne sais pas une des petites jumelles je devrais faire comment?

Nevrabriel ne répondit pas.
Les jumelles impossibles. Agnès … beaucoup plus probable. Et Lucy lui posait une colle. Elle le savait. Agnès était comme une mère pour Nevrabriel. Une mère qu’il ne pouvait plus voir mais il savait que s’il la revoyait, elle ferait n’importe quoi pour lui et lui ferait n’importe quoi lui elle.
Il ne pouvait pas le dire à Lucy. Il devait lui dire ce qui serait le mieux pour son amie, mais elle ne connaissait trop et connaissait également ses sentiments pour Agnès.

_Si elles veulent être sauvées, elles doivent nous rejoindre comme Elizabeth l’a fait. Autrement, on ne peut pas les aider.

Fais ce que je dis, pas ce que je fais …

Nevrabriel n’aurait jamais fais ça. Il n’aurait jamais obligé Agnès à le rejoindre, comme il n’avait pas forcé Aeden à le faire même s’il avait tenté de manipuler son ami pour lui implanter cette idée dans la tête. Et contrairement à ce qu’il disait à Lucy, il était prêt à aider son ami dans sa grotte. Il avait peur pour lui alors que le temps devenait de plus en plus froid. Les électrons libres n’étaient pas organisés et la plus part n’était pas sérieux. Il avait entendu dire qu’un électron libre avait échangé un maillot de bain à La Cannibale contre un sac de graine … Un sac de graine !! De quoi les nourrir tout le printemps prochain, tout ça contre un maillot de bain que l’électron libre n’allait même pas utiliser avant 8 mois ! Comment allaient-ils survivre avec de telles décisions ? Pas étant que la révolution ait fini en véritable fiasco !
Lucy ne pouvait pas sauver tout le monde et serait effondré de le constater. Mais puisqu’elle allait découvrir le monde extérieur avec Béryl, Nevrabriel avait le devoir de la prévenir.

_Elles dépendent de leur faction comme toi et moi et dans la difficulté on ne peut pas se permettre d’être charitable avec les autres. Imagine … on donne des médicaments aux autres et Wendy tombe malade. Personne ne nous aidera sans échange. Donatien et Graham se déteste et je sais que Barrabil n’échangera rien sans rien. Ils profiteront de notre déteste pour nous demander beaucoup, peut-être un mois de vivre. Pour sauver Wendy on le fera et au final qu’aurait-on gagné à être généreux ?

Lucy avait annoncé Agnès, Nevrabriel évoquait Wendy. Ce n’était pas une attaque ni à qui atteindrait l’autre en premier. Nevrabriel avait promis à Donatien de tout faire pour protéger cette Famille, il se tuait à construire un puits, à avoir retourné la terre tout l’été, a avoir installé des box, à faire des rondes à pas d’heure pour cela. Il ne connaissait pas le repos ni le loisir, il devait tenir sa promesse. Il pensait pouvoir épargner Lucy de ce monde de fou mais comme à tout enfant, il fallait bien dire la vérité un jour…

_Lucy, dit moi …

Nevrabriel s’arrêta un instant et lâcha la main de son amie. Il se mit face à elle et la regarda de son presque deux mètres. Ses yeux sombres fixaient la silhouette blanche de Lucy.

_Qui sont les personnes qui comptent le plus pour toi sur cette île ?