Aeden avait les pieds dans l’eau. Les vagues s’écrasaient sur les rochers, l’eau filait entre ces orteils avant de fuir à nouveau le sable. Cette plage, la mer, les vagues. C’était ici qu’il l’avait rencontré la toute première fois. Lorelei Hexe. Un prénom qui allait à jamais marquer sa vie, sans qu’il ne s’en rende tout de suite compte. Il regrettait souvent de s’être autant éloigné de son frère Alexander. Il n’aurait su dire ce qui s’était passé pour que cela se produise. Etait-ce le souvenir de Lorelei qui était trop dur à affronter ? Leurs idéaux s’étaient-ils tant éloignés ? Tout cela avait-il la moindre importance au fond ?
Une vague plus intrépide que les autres détrempa le bas de son pantalon. Il s’en fichait. Le froid l’abrutissait depuis plusieurs semaines déjà, l’eau était pour ainsi dire plus chaude que l’air froid qui régnait sur l’ile. Finalement c’était peut-être cette rencontre avec les Hexe qui l’avait perdu. Qui l’avait plongé dans des ténèbres trop difficiles à supporter. Un jeune garçon au mental fragile qui avait besoin que le monde respecte des règles élémentaires. Qui n’aspirait qu’à se fondre dans la masse…
Que lui était-il arrivé ? Il avait été voir Agnès plus tôt dans la journée. Pourquoi aujourd’hui en particulier ? Peut-être parce que c’était en hiver qu’il avait perdu le droit d’être aimé par cette femme. Qu’il avait accusé de la mort de Lorelei, parce qu’il avait besoin de trouver des coupables, parce qu’il pensait tout le monde coupable. Désormais il ne savait plus. Il ne savait plus. Le bien, le mal. Les victimes, les coupables. Cela n’avait pas de sens.
Aeden ne ressentait plus le besoin de faire taire ce monde sans sens cela dit. Après tout, si la vie n’avait pas de sens, qu’est-ce qui l’empêchait de la vivre ? Après tout, si tout cela n’était qu’une vaste blague alors, il ne risquait pas vraiment de faire d’erreurs. Et finalement, tout cela était stupide. Cette mélancolie. Cette quête de sens ou de justice. Cela n’avait pas la moindre valeur. Il n’espérait qu’une chose. Il ne souhaitait qu’une seule et dernière chose. S’il pouvait les rendre heureuses, alors il aurait au moins accompli un truc. Le temps qu’il lui resterait, il n’aurait qu’à le consacrer à voir naitre des sourires sur leurs lèvres.
Il ne pouvait leurs offrir un monde idéal. Mais il ne les laisserait pas. Il ne les laisserait jamais. Il avait abandonné trop de monde. Il avait failli trop de fois. Elles étaient sa dernière chance. Sa dernière chance.
Un jeune homme accroupi dans l’eau, les mains serrés au-dessus de la tête pleure. Pourquoi pleure-t-il ? Même lui n’en sait rien. L’angoisse. La peur. La fatigue. Le mal qui lui donne envie de vomir et lui enserre le cœur ? Ce sentiment d’impuissance et d’échec. Il ne se sent pas plus à la hauteur que la dernière fois qu’il a échoué. Le gout du sel sur ces lèvres lui rappelle le début de sa descente aux enfers. Il a laissé la pudeur de côté, il est seul face aux vagues, personne ne le voit pleurer. Personne ne se moquera de sa sensibilité à fleur de peau. Et personne ne lui reprochera sa faiblesse. Et demain, il n’y aura plus de larmes. Demain, il n’y aura plus de preuves de son insupportable faiblesse. Juste l’odeur du sel dans ces cheveux bruns.