Nevrabriel traversa doucement le territoire de Graham pour se rendre dans celui des électrons libres, la capuche de son survêtement sur la tête pour masquer ses cheveux bien trop reconnaissables en plein jour, bien que sa taille pouvait le tromper. Il n’était pas très discret, mais les électrons avaient bien autre chose à faire que rapporter ses démarches sur leur territoire, et il n’était pas milicien, pas connu pour chasser les électrons en agitant une arme donc.

La dernière fois que le jeune homme était venu, il avait eut la désagréable rencontre de Jessy sans Lucy. S’il n’avait pas eut du matériel médicale jour là, il aurait sans doute fait demi-tour sans plus attendre. S’il se retenait de casser une autre dent à cet avorton, c’était bien pour son amie. A quel point était-il con ?
Il sentait que ce microbe ferait un faux pas tout ou tard, les gens comme lui ne change jamais. Un serpent reste un serpent. Mais pourtant, l’écossais voulait croire que la lumière de Lucy serait assez grande pour y chasser les ténèbres. Il savait que son amie avait la qualité de voir l’humanité dans la monstruosité. Mais cela serait-il suffisant ?

Le jeune homme évita de penser à Jessy et se mit à tripoter le lacet d’Ophelia qu’il avait dans ses mains. Il ne savait pas quoi en faire ni où la ranger alors il était dans sa poche et Nevrabriel la ressortait de temps à autre pour occuper ses mains et son esprit.

L’écossais frappa doucement à la porte, attendant patiemment qu’on lui ouvre, mais aucune âme ne vint lui ouvrir. Pas si étonnant, Lucy n’allait pas passer sa vie enfermée. Il fit alors le tour de la bâtisse pour appercevoir une forme reconnaissable entre mille au bout du ponton. Il marcha tranquillement vers elle et plus il marchait plus il avait l’impression que quelque chose n’allait pas. Il connaissait bien tout de Lucy, ses regards, ses gestes, ses sourires. Même s’ils pouvaient parfois ne pas se comprendre, ils se connaissaient tant et si bien que tout s’arrangeait toujours. Et il connaissait ses postures, et celle-là lui semblait …

Nevrabriel s’arrêta juste derrière la demoiselle. Il savait qu’elle l’avait entendu arriver, il savait qu’elle connaissait le bruit de ses pas comme il connaissait les siens. Il savait qu’elle reconnaissait son aura comme il reconnaissait la sienne.
Il savait que quelque chose n’allait pas.
Il regarda la demoiselle en silence avant de légèrement froncer les sourcils. Sans s’accroupir ou s’asseoir il lui demanda, espérant que ça n’avait rien à voir avec Jessy ou il devrait surement commettre un meurtre :

_Qu’est-ce qui s’est passé ?

_Qu’est-ce qui s’est passé ?

Si c’était bel et bien Jessy, cet avorton, le responsable de la peine de Lucy, Nevrabriel allait le défoncer, le massacrer, repeindre le ponton avec sa cervelle avant de laisser son cadavre pourrir au fond de l’eau. Ou pire.
Nevrabriel ne chercherait même pas d’explications, il commençait à voir rouge l’idée même d’imaginer Jessy avoir fait du mal à sa précieuse amie alors qu’il l’avait prévenu il y a quelque temps déjà que s’il faisait du mal à Lucy, ça ne serait pas une dent en moins qu’il aurait mais bien pire. L’écossais commençait à se faire des scénarios morbides qui ne lui ressemblaient absolument pas, mais cette noirceur au fond de lui avait le gout du sang, et particulièrement celui de Jessy. Il commençait à se faire une joie sanguinaire à le découper en petit morceaux dans son esprit.

_Béryl m’a surpris sur la plage...

…

Ah … ?

…

Une fois le pire imaginé, le reste semblait dérisoire, mais seulement le temps d’une seconde, avant de comprendre qu’en fait ce n’était pas du tout une bonne chose.
Lucy se décala et l’écossais le prit comme une invitation à venir à ses côtés, ainsi il s’exécuta. Il s’assit près de la jeune femme, vraiment près pour que leur bras se touche, il rapprocha même sa main de la sienne pour qu’elle puisse sentir son contact.
Nevrabriel regarda la jeune femme, essayant de deviner les événements avant même qu’elle ne les raconte.

_Il m’a demandé de rétablir la vérité.

Parmi tous les scénarios possibles, c’était sans doute le pire. Si Lucy avait demandé l’avis du jeune homme, il lui aurait certainement dis que c’était une mauvaise idée. Il ne savait pas comment aurait réagi les gens du bunker, il ne connaissait bien que Donatien et même ce personnage avait des réactions contradictoires. Il aurait eu peur qu’il la séquestre pour de bon cette fois. Mais elle était là. Même si son esprit était ailleurs, elle était là. C’était une bonne chose.

_J’imagine … que ça ne s’est pas passé aussi bien que vous l’auriez espéré…

Car même si elle était là, elle ne semblait pas aller bien.
Doucement, il vint glisser ses doigts sous la paume de Lucy et les remonta pour entrelacer ses doigts avec les siens. S’il avait évité tout geste ambiguë depuis avoir quitté le port et que Jessy avait pris sa place, il sentait que sa jeune amie avait besoin de trouver un contact réconfortant. Jessy lui en donnerait surement plus, mais on ne disait jamais non à de l’affection, n’est-ce pas ?

Le jeune homme se rapprocha un peu plus pour poser son front sur la tempe de Lucy, mélangeant leurs cheveux entre eux. C’était une belle association ce blanc si pure et ce rouge si vif. Lucy tenait beaucoup au bunker, mais elle était tout de même partie. Elle a dû être extrêmement courageuse pour aller les affronter, seule, ou avec Béryl, quoi que l’écossais doutait que ce dernier ait fait l’avocat s’il lui a demandé de rétablir la vérité. La Lucy qui se tenait à ses côtés était bien plus courageuse que celle qu’il avait rencontrée il y a trois ans, plus mature, plus vivante également. Il trouvait juste triste et dommage que pour devenir celle qu’elle était, la vie lui a fait endurer beaucoup de supplice.
L’écossais vint poser son autre main sur celle qu’il tenait déjà pour la lover avec toute son affection, l’envelopper de chaleur et de soutient. Il lui demanda dans un murmure, puisque sa bouche était face à l'oreille de sa lorialet :

_Tu veux en parler ?

_Tu veux en parler ?

Lucy semblait enclin à discuter et pourtant il percevait de la retenue dans son souffle. Ou une profonde tristesse. Le jeune homme frotta doucement son front sur la tempe de son amie, laissant leurs cheveux de neige et de feu valser ensemble alors que le bout de son nez chatouillait la peau de Lucy. Elle était un peu froide. Depuis combien de temps était-elle dehors ? Devait-il lui proposer de rentrer pour qu’elle puisse se réchauffer un peu ?

_Tu te trompes... je savais exactement comment cela se passerait. Béryl m’a laissé deux choix, dans tous les cas mon secret était révélé.

Béryl ne lui avait pas laissé le choix du silence ? L’infirmier avait su gagner un peu l’estime de l’écossais mais venait de la perdre aussitôt. Il avait été de bons conseils pour Nevrabriel, mais devoir révéler ce secret ? … l’écossais n’était pas certain que cela était nécessaire. Lucy ne voulait pas retourner au bunker, les morts devaient le demeurer. Quel était le but de faire cela ? Béryl pensait ramener Lucy auprès de Donatien ? Aeden avait expliqué que l’ambiance n’était pas folle, qu’ils étaient en deuil. Ils auraient dû le rester.

_Ils auraient préféré que je sois morte... Elizabeth et Béatrice je veux dire. Donatien m’a demandé où était Lys.

Où était Lys ? …
Adèlys … a trouvé le moyen de partir, puisqu’elle ne pouvait pas rentrer chez elle, elle était partie.
Donatien le savait, ses patients finissaient toujours par partir, d’une façon ou d’une autre, mais il ne comprenait pas et ne cherchait pas à comprendre. Nevrabriel a été naïf de croire qu’il pourrait offrir son humanité à Donatien. S’il ne voulait pas changé, il était inutile de tenter de l’aider.

_Je suis désolé … Si je … on aurait dû trouver une autre solution.

Mais y en avait-il une ? Si Lucy était resté, il n’aurait jamais pu être avec Katerina. Si Lucy était resté, elle n’aurait jamais pu être avec Jessy (ce qui n’était pas si mal dans le fond) mais surtout, si elle était restée, aurait-elle réussis à faire ses propres choix, décider pour elle et devenir femme et non poupée de cire dans une cage en verre ?
Si Nevrabriel était parti sans mots, sans le dire à Lucy ? Il l’aimait trop pour cela, il aurait eu trop de peine de ne pas savoir si elle allait bien, savoir qu’elle n’avait pas le droit de sortir à cause de lui. Mais cette fausse mort était de sa faute, et Lucy payait les pots cassés.
Frottant toujours doucement son front, tel un petit chien qui voudrait consoler sa mère, Nevrabriel essayait de donner un peu de réconfort et de chaleur à travers ses gestes affectifs. Il avait de la peine pour elle, lui n’était pas atteint par les membres du bunker, sauf peut-être Donatien, mais il a su lui dire adieu. Donatien ne pouvait pas l’aimer, ne pourrait jamais l’aimer. Nevrabriel n’était pas comme les autres patients que Donatien avait pris sous son aile. Il a été son seul patient masculin. Rien que ça. Donatien savait qu’un jour Nevrabriel aurait la voix grave, le dépasserait en hauteur. Il savait que Nevrabriel finirait par avoir des épaules formées, le dos droit, les mains grandes. Il savait que Nevrabriel n’aurait jamais la pureté que le médecin trouvait chez les petites filles, jamais il n’aurait ce charme féminin, cette douce candeur que dieu avait déposé sur le visage des femmes. Donatien savait, qu’un jour, Nevrabriel n’aurait plus besoin qu’on le protège, parce qu’il deviendrait un homme. Alors, non, jamais Donatien n’aurait pu l’aimer comme il avait aimé Adèlys, comme il aimait Béatrice, comme il aimait Lucy …
C’était certainement parce que Donatien ne pouvait pas l’aimer qu’il était plus facile pour l’écossais de partir, de s’émanciper de sa figure paternelle. Mais Lucy semblait ne pas avoir tourné la page de cette soi-disant famille. Après tout … elle les aimait, et ils l’aimaient …
Et malgré cet amour mutuel, elle était partie … pour Nevrabriel.

_Est-ce que … tu regrettes d’être partie ?

_Non.

Nevrabriel souhaitait cette réponse, assez égoïstement. Il ne voulait pas rester au bunker, il serait resté pour Lucy, il n’aurait plus vu Katerina, il ne se serait jamais marié, il aurait laissé son cœur se languir d’un amour qu’il ne pouvait pas avoir. Encore une fois. Mais il serait resté pour Lucy. Il aurait accepté sa prison pour un jour espérer qu’elle quitte la sienne. Deux oiseaux dans une cage, voilà ce qu’il aurait été. Donatien aurait peut-être tenté de se racheter mais Nevrabriel ne l’aurait plus écouté, il serait devenu peu à peu l’ombre de ce dernier, à seulement exécuter sans penser, sans sentiments, sans émotions, être ce que tout le monde voulait voir de lui ; un monstre.
Dans le noir, seul Lucy a pu voir sa souffrance silencieuse et si lui était prêt à rester enfermé pour elle, elle était prête à partir pour lui. Ça a toujours été ainsi entre eux, mais personne ne pouvait le comprendre, personne n’a été témoin de leurs blessures et de ces longs moment à se consoler l’un et l’autre dans leur cage de tortures.

_Je devais partir, oui... je devais partir. Je regrette seulement la souffrance que j’ai causé.

Lucy, douce Lucy, pourquoi fallait-il que tu subisses ce monde si odieux ?

Pourquoi personne ne pouvait comprendre ce geste ? Pourquoi personne ne pouvait essayer de la comprendre ? S’ils la connaissaient vraiment, il aurait compris, même si c’était douloureux, ils auraient compris …
Lucy eut un léger soubresaut ce qui fit redresser le jeune homme qui vit que son œil unique se mit à pleurer. Son cœur se serra au rythme de cette larme.

_L’important... l’important c’est que je sois heureuse... Donatien, c’est ce qu’il m’a dis. Promets moi que tu es heureuse sans moi... ils me manquent tous... mais je devais partir.

Donatien avait dit ça ?
L’écossais se mit à réfléchir. Parmi tous les autres, lui avait dit cela ? C’était assez inattendu.
Mais c’était surement une bonne chose. Prenait-il conscience de ses erreurs ? Pouvait-il vraiment changer en bien ?

_S’ils t’aiment sincèrement, ils trouveront la force de te pardonner. Peut-être pas demain, mais un jour, ils comprendront et pardonneront.

C’était surement utopique, mais si c’était vrai, alors cela se fera ainsi. Ceux qui s’aiment réellement finissent par pardonner, sans oublier, mais pardonner.
L’écossais posa doucement son indexe sous le menton de la jeune femme pour l’entrainer délicatement à tourner son visage vers le sien. Il lui afficha un maigre sourire qui se voulait rassurant. Il avait conscience que tout cela était de sa faute, qu’il a été égoïste de ne pas avoir arrêté Lucy, qu’il aurait dû lui dire de ne pas partir, lui dire que le temps allait arranger les choses, que cette faction en qui ils croyaient allait finir par devenir une vraie famille.

_Je suis tellement désolé … Je sais que ce n’est rien en comparaison de leur tristesse mais …

Ses remerciements ne seront jamais assez, il le savait, mais que pouvait-il faire de plus ?
Le jeune homme posa doucement son front sur celui de sa précieuse amie, laissant leur nez presque se toucher. Il pouvait sentir le souffle chaud de Lucy mais également l’acre de sa larme, la douleur qui faisait sangloter son cœur. Il voulait qu’elle sache qu’il était là, auprès d’elle, là, dans sa tête, dans sa main, dans son coeur. Si elle pleurait il viendrait, si elle riait, il viendrait. Même s’il était loin, il reviendrait toujours pour elle.

_Je te remercie de m’avoir libéré. Essayons d’être heureux, où que nous soyons, avec qui nous sommes. C’est la meilleure chose que nous puissions faire à présent.