Peut-on faire plus têtu que Donatien Elpida? J'ai beau essayé de vouloir lui parler depuis l'incident de l'estrade, on dirait qu'il m'esquive. Je le croise, il me regarde et me tourne le dos avant de partir telle une diva. Et quand j'arrive à m'entretenir avec lui, il prétexte un rendez-vous avec sa thérapeute alors que, selon elle, il ne va jamais aux rendez-vous. Ou presque jamais.

Alors cette fois-ci, il n'a pas de raisons de me fuir. Il est dans sa chambre, il est dix-neuf heures. Il ne peut ni être fatigué, ni avoir un rendez-vous thérapeutique, ni manger puisque c'est Aida Al-Deena qui lui apporte sa nourriture dans sa chambre. En plus, il se lave le matin et non le soir, donc actuellement il n'a aucune obligation et devra bien avoir une discussion avec moi.

Devant sa porte, j'ai la boule au ventre. J'ai tout raté avec lui, du début jusqu'à la fin. Mais en même temps, il est plus que responsable de l'état de cette chambre. Qu'est-il advenu de sa patiente favorite? Est-ce qu'il la vraiment...?
Je suis terrifié d'apprendre la vérité. Terrifié de comprendre qu'il est devenu un assassin, même involontairement. Mais qui enferme involontairement des gamines qui viennent d'obtenir leur majorité? Et dans quel but au juste?

Autant, quand j'ai... Supprimé Loreleï Hexe, je ne l'ai pas fait exprès. Je veux dire, c'était vraiment involontaire. Mon doigt a ripé sous le coup de mes tremblements incessants causés par une colère impulsive... Je n'ai jamais voulu assassiné qui que ce soit : ça me dégoûte. Le meurtre me dégoûte.
Mais Donatien... Je ne sais plus quoi penser de lui.

En plus il va falloir lui dire que je compte partir de l'Île... Bon sang, je ne sais pas ce qui va ressortir de cette discussion.

Et dans un élan de courage aléatoire, je frappe à la porte sans m'annoncer. J'ai plus de chance qu'il m'ouvre sans parler que dans le cas contraire. Il pourrait prétendre de pas être là alors que si, ses TOC l'obligent à être dans sa chambre.

Est-ce que je pensais sérieusement que Donatien allait m'ouvrir tranquillement la porte? J'ai eu à peine de le temps de m'apercevoir qu'il était bien la personne que je voulais voir qu'il m'avait déjà claqué la porte au nez.
A l'aide de mon pouce et mon index, je malaxe l'arrête de mon nez et inspire longuement. Ca sera une conversation compliquée. De toute évidence, je n'ai que des conversations compliquées ces derniers temps. Rien n'est simple.

Je prends la poignée, n'attendant pas d'être accueilli par lui, et ouvre la porte avant de rentrer dans la chambre. Il va être furieux, je le connais, mais on a besoin de cette conversation. Et surtout moi.

Et je ne lui laisse pas le temps de me crier de partir sur le champ, j'amorce directement la discussion en lui faisant bien comprendre qu'il ne se débarrassera pas de moi comme ça :

- Je sais pour Adèlys.

Et je la joue au bluff total.

Le bluff semblerait avoir fonctionné. Il a l'air déstabilisé. Qui ne le serait pas, finalement? Quand votre ancien meilleur ami vient vous voir pour régler des comptes en mentionnant une de vos anciennes patientes possiblement morte, il y a de quoi être perturbé. M'enfin, est-ce que Donatien peut vraiment être perturbé? C'est là la vraie question. S'il est doté de vrais sentiments comme n'importe quel être humain, alors il le sera. Si non... Alors il faudrait enquêter sur la possibilité que Donatien soit un robot.

Il semblait toutefois pensif. Et je commence sérieusement à angoisser. Parce que son silence, sa réflexion me poussent à croire qu'il est bien l'auteur de son meurtre, du moins sa disparition.
Je respire un peu d'air, espérant qu'il ne conserve pas son cadavre dans sa baignoire, empaillée dans une pose obscène. Je ne réponds plus de rien si tel est le cas.

- Je savais que tu étais calculateur et manipulateur, mais j'ignorais que tu étais également impoli. On ne rentre pas comme ça chez les autres sans prévenir..

Oh bordel il me fait la technique d'Ophelia. Il détourne la conversation de son véritable but. Je ferme les yeux et soupire doucement. J'ai besoin de force parce que si toute notre conversation ressemble à ça, je vais vite finir par faire un autre meurtre.
Je croise les bras, me fermant à toute déviation. Je l'observe, très sérieux. S'il pense que je vais le laisser faire comme il l'entend, il se trompe. La chambre, scène malgré elle d'actes macabres, est à quelques mètres de la mienne. Et c'est une chose que je ne peux pas permettre. Il sait à quel point je suis phobique de la mort.

- Tu t'attends à quoi ? A ce que je te propose un thé et qu'on en discute comme si de rien n'était ? Les humains ne sont pas comme ça.

Je déglutis, je sens ma gorge sèche et mon poing qui me démange. C'est exactement ce que je cherche à éviter : un thé et un café comme on le faisait à l'époque. Parce qu'on est loin d'être comme à l'époque.
Au moindre débordement de sa part, je vais partir au quart de tour et lui foutre la beigne de sa vie. J'espère sincèrement que ça l'aidera à se réveiller et à sortir de sa bulle parce que bon sang il en a besoin.

- Je ne reste pas longtemps, pas besoin d'un thé. Explique-moi l'état de cette chambre, parce que du sang sur les murs, c'est pas vraiment un papier-peint commun.

Je le regarde, sévère et secret. Je suis loin de le laisser s'en tirer à si bon compte. J'ai fait la même chose, à la différence que je ne l'ai pas cachée à tout le monde et que je n'ai certainement pas laisser cette patiente à l'abandon : j'ai tenté de la sauver. Qu'a-t-il tenté? Il n'a même pas essayé de remettre la chambre en ordre, ce qui est on ne peut plus logique pour un meurtrier. Il faut cacher les preuves.

- Qu'est-ce que tu lui as fait, au juste?

Ca ne m'étonne pas que Donatien prenne le temps de répondre, surtout quand on sait qu'il a potentiellement tué cette enfant. Boire, faire quelques pas, ce sont des secondes supplémentaires consacrées à savoir s'il va me mentir ou me dire la vérité. Mais tel que je le connais, il va déformer la vérité à son avantage, et ce sans même en être conscient. J'espère simplement qu'il ne le fera pas cette fois-ci.

- Je suppose que la réponse que tu attends est par rapport à la trace de sang. Concernant celle-ci, je n'en sais rien. Juste des suppositions.

Je fronce les sourcils. Je ne sais jamais à quoi m'attendre avec lui. S'il ne sait rien par rapport à ces traces de sang, alors il ne devrait pas l'avoir tuée. Par contre, il devrait savoir où elle est, puisqu'elle n'est plus dans cette chambre. J'espère juste qu'elle est encore en vie.
Je croise les doigts, parce que si je dois gérer un cadavre qui n'est en rien une erreur médicale, je jure que je me tire une balle.

- Elle ...

Je me détends un peu, puisque c'est manifestement un souvenir douloureux. Cependant, ça ne le disculpe pas. Moi aussi j'étais dépité après avoir... Alors ça pourrait être aussi son cas, sans oublier qu'il a à sa charge depuis une dizaine d'années si mes souvenirs sont bons, donc sa mort doit probablement l'atteindre. Mais ça n'excusera pas le geste, et je ne suis pas là pour être son ami.

- Elle ne m'a pas laissé de mots pour m'expliquer. Je ... Je ne comprends pas pourquoi elle a fait ça. Pourquoi elle m'a abandonné.

J'écarquille les yeux. Il est en train de me dire qu'elle s'est elle-même donné la mort...? Je repense à cette chambre, à ce dont elle avait accès, et... Et elle n'avait accès à rien de tranchant. Comment expliquer les traces de sang sur les murs?
Une seule option me vient à l'esprit, et honnêtement je suis horrifié. Si c'est effectivement ce qu'elle a fait, non seulement ça a du être extrêmement douloureux, mais en plus ça a du lui prendre un temps monstrueux. Elle voulait vraiment partir.

En même temps, elle devait partir et elle se retrouve enfermée, sans contact extérieur, seule pendant des jours et des semaines, sans même voir la lumière extérieure. Qu'espérait-il d'une telle entreprise?

J'inspire un grand coup. Je ne veux pas non plus faire de mal à Donatien. Malgré tout ce qu'il s'est passé, il reste la personne avec qui j'ai le plus sympathisé en arrivant ici, et ces deux ans ne comptent pas pour rien.
Je mets mon visage dans mes mains et expire tout l'air qui était dans mes poumons. Un suicide. Un putain de suicide. J'aimerai tellement que ce soit un rêve, mais non. Non, ce n'en est pas un.

Je relève ma tête et regarde Donatien.

- Que ce soit toi ou moi, on arrive pas à garder des gamines en vie.

Je pousse un long soupir, et me frotte le front. L'air plus sérieux, je lui demande :

- Pourquoi elle n'était pas rentrée chez elle? Pourquoi elle était encore là, dans le bâtiment? Donatien, explique tout ce qu'il s'est passé. Je compte pas t'envoyer en prison de toute façon, je veux juste comprendre ce qui est arrivé. Je te dois bien ça.

Et même si je pense qu'il a sauvé mes fesses pour l'Institut, il l'a quand même fait. Et pour ça, je lui dois bien de le protéger à son tour, même si vraiment c'est contre mes principes.

C'est quand il se tourne vers moi, le regard dur que je comprends qu'il ne me dira rien. Sait-il que le silence est l'arme des coupables? Il vaut mieux pour lui qu'il m'explique quitte à me mentir que se murer dans un silence qui ne lui sera pas profitable.
Nos regards se confrontent, aucun de nous ne va lâcher l'affaire, et c'est bien là le problème. C'est que ça va traîner en longueur.

- Je ne vois pas l'intérêt de te le dire. Si tu es venu aux ragots tu peux partir.

Je lève les yeux au ciel, exaspéré par ses habitudes. Il devrait me connaître depuis le temps, je resterai jusqu'à ce que j'ai des réponses. S'il ne peut plus me faire confiance pour de la paperasse ou que sais-je, il pourrait au moins me faire confiance là-dessus. Je commence sérieusement à me demander comment il réfléchit parfois parce que tout n'est pas logique.

Il lève sa main enveloppée d'un bandage. J'hausse un sourcil, ne comprenant pas vraiment où il veut en venir.

- Dois-je te rappeler ce qui m'est arrivé par ta faute ? Je n'ai pas à me confier à mon bourreau.

Arrivé par ma faute...? Est-ce qu'il est en train de faire référence au moment où il a pété les plombs et où il a organisé sa petite sauterie de tortionnaire sans mon consentement? Et il dit que par ma faute qu'il a eu un bandage? A-t-il seulement idée de toutes les paperasses que j'ai du régler par sa faute à lui?

Le sang commence à nouveau à bouillonner en moi. Je décroise mes bras, le regard sévère et déterminé, et les poings serrés. Dans un combat, il est certain que j'en ressortirai vainqueur. J'exerce des sports de combat alors que lui est fin comme une brindille. Ses seules armes sont l'enfermement et la détresse de ses patients qu'il utilise à ses fins.
J'ai peut-être tué moi aussi, mais jamais je ne lui ressemblerai.

- Ton bourreau? Tu te fous de ma gueule j'espère?

J'avance d'un pas, l'air menaçant. J'en ai sérieusement marre de lui, à toujours se faire passer pour la victime et jamais assumer les conséquences de ses actes. Quand j'ai tué Loreleï, je suis passé par une phase de dépression intense où je me rappelais chaque seconde que j'étais une sombre merde. Mais lui, il enferme une patiente qui devait partir et il s'étonne qu'elle se pousse au suicide?

- Si t'avais pas pété les plombs et que t'avais pas organisé ton truc de torture, t'en aurais jamais été là. Et oh, excuse-moi, c'est vrai que tu souffres. Être légèrement blessé à la main, ça c'est de la souffrance pure et dure.

Je lève un doigt accusateur vers lui, les narines gonflées et la veine sur mon front prête à exploser. Je sens ma poitrine se soulever de façon exagérée, et ce n'est en aucun cas bon signe pour notre Donatien international.
Et parce que je sais qu'il va me couper la parole et me dire que je fais ma diva ou que sais-je, je reprends aussi rapidement que je l'ai menacé :

- Ton devoir en tant que médecin, c'est de soigner tes patients, pas les enfermer contre leur volonté ou leur retirer leurs ongles un à un. T'as un sacré comportement de psychopathe.

Je viens de le dénoncer de psychopathe et lui me sourit, tout fier? Bon sang mais qu'est-ce qu'il se passe dans sa tête pour sourire face à de telles accusations? Et encore, je l'accuse d'avoir séquestrée la petite Valcourt, je l'accuse pas encore de meurtre. Quoique, se suicider parce qu'on a été séquestré, en soit c'est un meurtre du tortionnaire non?
Donatien Elpida, comment ai-je pu être ami avec toi? Ca me dépasse totalement.

- Ton devoir en tant que médecin, c'est de soigner tes patients, pas de les tuer publiquement.

Je baisse ma main, tremblante de rage et avide de violence. Mon très cher Donatien Elpida, pour ton propre bien, je te conjure de ne pas poursuivre ou tu te retrouveras sur un lit chirurgical où l'on sera en train de recoller tes côtes et ta mâchoire.

- Tu as un sacré comportement de meurtrier.

Incontrôlablement, mon fémur se lance pour frapper ses parties intimes. Un premier coup pour le déstabiliser, et surtout promettant une distance raisonnable pour la confrontation qui était certaine d'arriver. Dans un second geste, tout aussi impulsivement, ma main vole jusque son visage.

A partir de maintenant, notre amitié est morte et enterrée. Donatien Elpida, je t'emmènerai avec moi en prison. Je le jure devant tous les Dieux de toutes les religions possibles et inimaginables.

Mes doigts crispés se sont cognés contre son visage avec une telle force que je ne sens plus mon bras. La colère a contractée si subitement mes muscles que c'est à peine si je suis conscient d'avoir un corps. La seule chose qui me permet de dire que je suis fait d'os et de chair, c'est mon ouïe concentrée sur les battements de mon cœur, que j'entends comme si j'avais mon oreille appuyée sur mon torse. Je peux sentir mon sang voyager dans mes veines, je le sais bouillonnant. Mes tempes cognent contre mon crâne, comme si elles demandaient à sortir.

Me faire ressentir une rage pareille, Donatien, ce n'est bon pour aucun de nous.

Alors que je m'apprête à lancer le prochain coup, il lève son bras. Je fais un pas en arrière, pensant qu'il lançait une attaque, mais je le surprends demander une trêve.
Quand on est amené à subir les coups, tout de suite on supplie que ça s'arrête. Combien de coups a subi la petite Valcourt avant qu'elle ne décide d'en finir? La petite Hexe a au moins eu le luxe de partir sans ressentir la moindre douleur. Pas que j'en suis fier, ô bon sang loin de là, mais contrairement à certains je n'amène pas mes patients au suicide.

Et il me demande d'arrêter? Bah tiens, certainement pas.

- Attends, si tu continues j'en fais mention dans ton dossier. Tu es si jeune et si brillant, ce serait dommage d'entacher ta carrière...
- Fais-moi virer, je me rendrais à la police et je ferai couler cet Institut.

Mon regard est froid et déterminé. Jamais je n'ai eu une telle envie de foutre des coups de poings dans une tête aussi blanche. Putain, Donatien j'en ai rien à foutre que tu me vires, au contraire je demande que ça. C'est d'ailleurs à cause des chantages de ton cher papa que je me retrouve encore coincé dans cet endroit de malheur. Dieu qu'il est con.

- ... oh, c'est vrai, ta carrière est déjà salie d'une belle couleur rouge ...

Il n'a pas du m'entendre, trop sonné par les coups que je lui ai infligés. Mais cette affirmation me force à m'élancer vers lui aveuglément, sans voir le verre qu'il me fracasse contre mon épaule. Un grognement de surprise et de douleur s'échappe de ma gorge, tandis que je le prends par les vêtements et le plaque contre le mur, mon genou contre ses parties intimes, prêt à appuyer dessus pour le faire hurler comme il le devrait depuis si longtemps.

Mes yeux remplient de rage, je rapproche mon visage du sien pour lui montrer que je n'ai pas peur de lui et, au contraire, je le domine.
Je lui crache alors :

- Mon très cher "Dodo", t'as intérêt à me dire où t'as foutu le corps de Adèlys Valcourt ou sinon je te broie les couilles.