Aeden avait beau être heureux de se trouver au côté d’Elizabeth et Wendy, sa vie n’était pas une idylle. Le bunker l’isolait de ces plus chers amis, il sursautait chaque fois que Donatien Elpida rentrait dans une pièce et ces insomnies s’étaient empirer par rapport à celles qui le hantaient lorsqu’il était dans la grotte. Or il ne pouvait pas s’en prendre à la réserve de médicaments sans que le docteur ne finisse par s’en rendre compte, pas plus qu’il ne se voyait voler de l’alcool dans la bouteille que lui avait une fois tendu Béatrice. On lui avait parlé d’un gars… qui avait peut-être de quoi l’aider. A se vider l’esprit. Il avait entendu deux mecs des électrons libres en parler quand il était encore dans la grotte.

Il avait tenu bon jusque-là. Sa conscience avait pesée le pour et le contre et en avait conclu que c’était une très mauvaise idée de s’enfoncer dans ce genre de choses. Vu les effets que les anxiolytiques avaient eus sur lui à l’époque, il avait peur de ce que pourrait provoquer la drogue. Et puis… Il n’avait rien d’un toxico… Il avait plutôt le profil du type un peu effacé dont la vie est un long fleuve tranquille. Enfin… C’était ce à quoi il avait toujours aspiré. Sauf que ça n’avait jamais cessé de cogiter sur le sujet. Et finalement, s’il ne faisait que tester les effets des substances que ce type vendait sur son corps, ce n’était pas forcer qu’il continue. Il pouvait juste voir… Par curiosité.

En ce début de soirée, les voix qui le hantaient habituellement étaient muettes. Il aurait donc dû avoir plus facile à s’endormir. Mais il avait peur. Qu’elles ne se déclarent plus tard, qu’il soit incapable de fermer l’œil de la nuit. Et le jeune homme se laissait facilement emporté par ces angoisses. Il s’était donc éclipsé après le repas prétextant ne pas se sentir bien et faisant mine d’aller dormir. Il avait attendu que la voie soit libre pour traverser le bunker et sortir en catimini aussi vite que possible.

Il avait revêtu les vêtements qu’il portait lorsqu’il vivait dans la grotte pour plus de discrétion. C’était toujours mieux que les tenues blanches, visibles à des kilomètres, que Donatien Elpida affectionnait particulièrement. Même si l’ancien uniforme des vigiles n’était pas ce qui se faisait de plus discret non plus, c’était suffisant pour qu’il n’attire pas trop les regards. Il s’était donc ramené nerveusement au lac, du côté où les deux gars avaient prétendu que le fameux type trainait souvent.  

Pourtant, pas de type à l’horizon… Il regarda nerveusement autour de lui, comme si la police risquait de débarquer ou une connerie comme ça. Ce qui était particulièrement stupide vu que ça faisait bien longtemps qu’il avait abandonné l’idée que la police débarque un jour sur cette île de malheur, que ce soit avant ou après la révolution.

… « BOUH ! »

Des mains se posèrent sur ces épaules, le saisissant brusquement. Il poussa un cri de surprise, pas très fort en décibel mais chargé d’émotions. Par contre, il fit un bond impressionnant de côté une main sur le cœur l’autre devant lui comme si cela pouvait le protéger d’un ennemi venu de derrière. Mais bon, les réflexes ne se contrôlaient pas et n’avaient pas forcément de sens. Il avait le cœur qui allait imploser par contre. Il aurait franchement pu s’évanouir de peur là tout de suite. Mais les mains avaient immédiatement quitté ces épaules et rien ne semblait s’abattre sur lui. Il n’y avait qu’une voix amusée et des éclats de rire :

-Oula ! T’es tout tendu, t’es du genre nerveux non ?

Le surdoué se tourna vers le gars qui lui avait foutu la trouille de sa vie. L’autre semblait plutôt amical, et avait l’air assez sympathique. Aeden, toujours la main sur le cœur se remettait à peine de cette énorme frayeur. Il eut un sourire un peu gêné de s’être laissé surprendre de la sorte :

- On peut dire ça oui…

Il détaillait l’homme, qui semblait porter l’uniforme de la milice de Graham. L’idée que cet homme soit aux ordres de Graham le mit immédiatement mal à l’aise. Il n’avait pas gardé un très bon souvenir du médecin et ne voulait pas vraiment se frotter à la faction de l’institut. Bon… C’était un stupide a priori, puisqu’après tout Nev appartenait bien à cette faction lui aussi, mais Aeden ne pouvait s’empêcher de se sentir à nouveau nerveux. Mais l’autre se contenta de lui adresser un clin d’œil amical :

-Tu tombes bien : je suis le roi de la détente.

Il fuma ce qui ressemblait fortement à un joint. Il avait des cheveux qui semblaient roses dans la semi-obscurité, ça lui donnait un drôle d’air. Il n’avait vraiment pas l’air menaçant aussi le surdoué tenta t’il de faire bonne figure, malgré sa nervosité. Il lui demanda, à mi-voix comme un conspirateur :

- Hummm salut… ça tombe bien. Enfin… heu… Est-ce que vous savez où… Enfin… Vous voyez quoi… si vous savez ou je peux trouver le gars qui vous a vendu ça…

Il passa une main dans ses cheveux pour contenir sa gêne, ces yeux verts fuyant ceux de son interlocuteur. Il avait l’impression d’être un criminel qui cherchait une arme. Ce n’était que des joints qu’il souhaitait trouver mais… Il n’avait jamais fait ça avant. Et même si l’île était paumée au milieu de nulle part, ça le stressait vraiment cette histoire. Il se demandait à quoi pouvait ressembler un dealer, il imaginait un gars un peu costaud avec un air de malabar ou un type tout en noir avec une capuche un peu mystérieux. Evidemment c’était dans son imaginaire tout ça. Mais de toute manière, le gars qui lui avait fait peur devait pouvoir l’aider vu qu’il fumait un joint. Il ne devait pas être loin du but.

-T’es bien tombé, p’tit gars ! Il se trouve que je connais bien le type qui vend ça.

Aeden tourna les yeux vers son interlocuteur qui semblait hilare. Il se demandait si c’était les effets de son joint ou si c’était un trait de personnalité naturel chez lui. Lui qui n’était pas trop tactile ne trouvait pas ça trop dérangeant que son ainé lui tape le dos amicalement. Probablement que son côté engageant calmait l’anxiété du jeune homme.

-Je suis Vincent, mais tu peux m’appeler Hoai. Et ça, c’est Bobby !

Aeden qui n’avait pas remarqué l’animal se raidit une nouvelle fois. Pas que ce dernier sembla agressif mais il était tout de même très très imposant. Il l’observa du coin de l’œil, pas hyper rassuré. Il se demandait ce que ce Hoai faisait sur l’ile avec un chien. Est-ce que c’était un chien d’aveugle ou un chien de garde ? Est-ce que ce type était un vieux patient ? Il y en avait peu des jeunes de son âge parmi les patients. Alors ancien milicien ou un truc dans le genre ?

-T’inquiète pas, c’est un bon chien. Il ne s’en prend qu’aux menteurs. Mais t’es pas un menteur toi, hein ?

Aeden avait du mal à déglutir. Pourquoi ça sonnait comme une menace ? Si ça se trouve, l’autre allait l’attraper par les pieds et le secouer en espérant voir tomber tous ces biens comme dans les dessins animés (c’était plus rassurant de comparé à des dessins animés qu’à du racket). Sauf que le surdoué n’avait pas grand-chose sur lui. Mais Hoai se contenta de glousser avant de rajouter :

-J’te taquine. Bon alors dis-moi, pourquoi tu cherches le vendeur de beuh ? C’est pour ta consommation personnelle ou pour un ami ?

Etrangement cette histoire de mensonge, puis cette étrange rencontre lui faisait penser à Pinocchio. Pas qu’il se rendait sur le chemin de l’école de toute manière, mais il n’était pas certain qu’il soit prudent de faire confiance à un étranger qui semblait sympathique au premier abord. D’un autre côté, sa sympathie justement ainsi que son insouciance apparente lui donnait envie de lui faire confiance. Cela formait un étrange mélange. Le jeune homme répondit à sa question sans se laisser désirer :

– P-pour ma c-consommation personnelle.

Aeden se sermonna mentalement. Ce n’était vraiment pas la peine de se mettre dans tous ces états… Certes il n’était pas à l’aise avec la situation mais il n’allait pas se mettre à bégayer non plus, après tout ce type était loin de foutre la trouille comme Donatien Elpida. Se sentant comme obligé de justifier sa petite excursion nocturne et le fait qu’il puisse chercher de la « beuh » comme disait Hoai, il continua, le regard fuyant, passant une main dans ces cheveux comme si cela pouvait dissiper son malaise :

– C’est juste pour me filer un coup de main pour dormir.

Probablement que cette information superflue n’intéressait pas Hoai mais c’était sortit tout seul. Il imaginait la gueule de ces parents s’ils avaient su qu’un jour leur fils chercherait un dealer pour récupérer des joints, eux qui avaient toujours espérer de lui qu’il se montre à la hauteur de leurs ambitions…. En voilà deux qui seraient bien déçu. Mais en même temps, Aeden n’en avait plus grand-chose à faire de ces parents. Même après qu’il se retrouve isoler sur cet ile, qu’il passe des jours à rien faire et juste voir le temps défilé, même là, il n’était pas parvenu à espérer les voir débarquer. Cela faisait bien trop longtemps qu’ils avaient perdus le lien qui les avait unis autrefois. Il n’était plus une famille depuis des années maintenant.
S’apercevant qu’il ne s’était pas présenté et reprenant un peu le dessus sur cette angoisse un petit peu exagérée, il continua avec un peu plus d’aplomb :

– Enchanté Hoai, moi c’est Aeden.

Il frotta sa main moite sur son pantalon avant de la tendre à Hoai. C’était la moindre des politesses, car même si ce dernier lui avait foutu la trouille de sa vie, il avait plutôt l’air de lui filer un coup de main et il se montrait très engageant. Et après tout, il allait l’aider à trouver le vendeur de joints. C’était peut-être un peu bizarre de lui proposer de se serrer la main si tard dans les présentations ? Trop tard de toute manière. Au pire il se prendrait un vent.