Nuit ? Jour ? Quelle heure était-il ? Quel jour était-il ? Était-il allé à son auscultation quotidienne ? Il ne savait pas.
Il ne se levait plus. A quoi bon ? Quand plus rien ne vous attendait le lendemain ?
Deux surveillants venaient le chercher, le traîner pour ainsi dire, tout les matins, l'escortant jusqu'au sanitaire pour qu'il se lave, avant d'aller à son auscultation. Donatien respectait la dépression de son patient, à une certaine limite. Ses repas étaient emmenés dans sa chambre, il pouvait rester enfermé autant qu'il le voulait, mais jamais Donatien ne se viendrait à lui. Il avait trop de fierté. Et tout les jours il était face à un mur, un être qui ne parlait pas, qui n'avait plus aucune lucidité. Donatien l’avait emmené dans la salle de musique. Mais Nevrabriel n'avait pas touché au piano, ni au violon. Il se contentait de s'asseoir et regarder le sol, parfois levait les yeux vers la fenêtre pour regarder le ciel. Après tout, les âmes n'allaient-elles pas au ciel ?
A la Grande Sanction, Nevrabriel avait encore un peu d'esprit, il arrivait à avoir des conversations, à réfléchir, maintenant ce n'était plus que l’ombre de lui même. Il était prisonnier de son corps, ne pouvant qu’ouvrir les yeux et marcher, tel un somnambule.
Alors, il se laissait aller à des murmures, des sifflements. Il ne savait pas vraiment ce qu'ils exprimaient, mais lorsqu'il entendait la voix d'Anna, tout cela n'avait pas d'importance. Il se rendait bien compte qu'elle n'était pas là, qu’elle n'existait que dans son esprit confus, mais sa voix de cristal était une aubaine. Elle était la lumière qu'il n’avait plus.
Nevrabriel pourrait le surmonter, la mort de sa grand mère, comme il a surmonté la mort d’Alistair, la mort de Loreleï, la mort d'Anna. Mais il ne voulait pas. A cela servait il se rester dans un monde où les êtres qu'il aimait le plus n’était pas ? Où ceux qui l’aimait réellement n’était pas là ?
Il y avait Mery ... Mais Mery le détestait. Mery ne voulait plus le revoir, jamais. Il était mort à ses yeux. Alors à quoi bon se lever ? Pour qui vivre ? Quel coeur cesserait de barre s'il n'était plus là ?
Était ce faux de dire que personne ne l’aimait ?
Oui. Lucy, Willow , Ulysse, Agnès, Kan, Astrid ...
Mais ils s'en remettraient. Nevrabriel n’était pas irremplaçable et ils savaient tous que sa maladie le conduisait à une potentielle fatalité. Il n’était pas irremplaçable. Mais les personnes qui l’avaient quitté le sont.
Un an de psy, 5 ans et demi dans un institut, des morts, des disparus, des mensonges, des illusions...
A quoi bon lutter contre la maladie s’il était condamné à rester ici ? À quoi bon rentrer pour être seul ?
Il ne pouvait pas partir, il ne pouvait pas rester.
Les sifflements à ses oreilles étaient désagréables mais il s'en fichait, il se laissait bercer par les murmures, les yeux rouges er secs, la respiration factice, le corps lourd.
Il essayait de ne pas écouter ces murmures désagréables lui répétant que tout était de sa faute, qu'il était un monstre et que son existence était un poison.
Son nom résonnait dans sa tête. Il reconnaissait cette voix qui lui faisait du bien. Une voix qui faisait taire ces autres voix insupportables. Elle le rassurait avec une grande douceur, lui disant que ce n’était pas sa faute. Il peinait à la croire, mais elle était la seule lumière qu'il avait et qui ne le quittait pas.
Le jeune homme se tourna sur le coté, pour que son visage soit tourné contre le mur et fixa ce blanc sans vie.
entourageGroupe : Institut GrahamDate d'arrivée à l'Institut : 10/02/2013Age : 26
ERSKINE Nevrabriel & LAVOIR Astrid
A vrai dire, si le béton pouvait parler, vous sauriez qu'il y a bien peu de gens qui pénètrent le bureau d'Astrid Lavoir.
Il suffit de se rendre dans ce bâtiment clôturé durant les plus belles heures de la journée; une balade cacophonique qui aura tout fait de vous amocher le crâne, tant chaque office s'avère être un orchestre à sonneries. Autant favoriser les transmissions par cellulaire aux déplacements chronophages, surtout pour un membre du personnel. Les patients, eux, sont plus urbains; la plupart d'entre eux ne souffrent que peu de la poursuite du temps. Du coup, le constat qu'une parure blanche soit le seul nuancier régulier des murs grisâtres de cette salle, n'avait rien de bien étonnant.
Du blanc, mais pas que. Loin de là même la première chose que l'on remarque de cette unique silhouette à la crinière cramoisie; même ternie, elle jurait avec les décors incolores de cet Institut toujours plus maussade. Atypique, d'un squelettique inquiétant, courbée par une fatigue éteignant jusqu'à sa voix. Il arrivait que les passants s'indignent de sa présence sans oser agir ni hausser le ton, l'identité de ce garçon n'étant plus un mystère pour personne; peu avaient le cran d'intimider un patient du Docteur Elpida.
Si ce n'était pas pour une entrée plus loin, son errance s'arrêtait là et il passait raviver une étincelle de vie dans un violet intensément froid.
Ces paroles redondantes étaient sans cesse étouffées par un sourire ému. La vérité était qu'à chacun de ses départs, le rouquin lui manquait; elle profitait de ses visites pour prendre des nouvelles de son état, de celui de Lucy, des patients qu'elle connaissait et qu'elle appréciait sincèrement. Entre deux phrases, elle y glissait des excuses pour se séquestrer ainsi, se libérer si peu. Astrid faisait de son mieux. Chacun faisait comme il peut.
Malheureusement ma foi, les derniers jours de Juin avaient claqués la porte de ce bureau comme un ultime adieu. L'écho de chaque passage dans le corridor confisquait un battement à son cœur, le laissant éternellement sur sa faim; ce n'était jamais sa démarche. Ce n'était jamais lui. Et cette absence rongeait petit à petit chez elle un sang-froid qu'elle voulait implacable.
L'anglaise avait conscience de l'épée de Damoclès qui menaçait les épaules de son ami. Dorénavent, elle savait qu'elle n'était jamais à l'abri de le perdre, et ce à tout instant. A n'importe quel moment. Alors cette faim, plus que tout autre chose, était synonyme d'effroi; de son bureau, elle ne pouvait rien savoir. Ce n'était pas un patient d'Ange. Qui l'a mettrait au courant?
Le chemin brillant, celui qui dessinait les frontières de sa cage; il l'appelait, silencieusement. La clarté de la salle se résorbait en même temps que le soleil ayant tracé sa route, la rendant aussi nyctalope qu'un papillon de nuit. D'ordinaire, elle se serait débrouillée pour accorder une fin à ses attelages de la journée mais cette fois-ci, elle était avide de lumière.
Des yeux noirs, une bouille tendre et un parfum gourmand viennent titiller ses sens. Il y avait bien quelqu'un qui pouvait la rassurer, finalement. Peu motivée à taper un message, Onyx avait besoin de chaleur humaine, et Mademoiselle Dessanges en était l'incarnation. La jeune femme s'était rendue dans le bureau de sa collègue dans un état second, à la recherche d'un réconfort précis qu'elle savait où trouver.
Jusqu'à ce que la réalité l’assomme brutalement.
Noyé abruptement par une le poids cuillère metallique, un sachet de thé coulait au fond d'une marre infusée. La demoiselle leva les yeux de sa tasse, calmement, masquant toujours étonnamment bien le frisson qui mordait son échine. Ses yeux pourprés dévisageaient sa camarade, ayant laissée pour un instant le cliquetis d'une horloge prendre la parole à sa place.
Son bureau était pourtant peuplé, autant par leurs chaleurs respectives que par des documents en pagaille et un relent de gâteau sucré. Pourtant, à les voir, on se croirait flotter dans un vide hors du temps, ou la moindre phrase raisonnerait beaucoup trop fort aux tympans.
Des coups glacés s’enchaînaient sous la pénombre du soir, s'acharnant sur un sol asséché par la chaleur.
Portés par des talons vifs, la silhouette assombrie d'une dame anxieuse déambulait à travers la cour.
La blonde qui bouscula les portes du bâtiment avait le souffle haletant. Après quelques instants d'agonie, les plafonniers firent parvenir leur lumière, aveuglant quelques uns des agents patrouillant l'entrée. A cette heure, le règlement était clair; chaque résident était forcé à être couché. Alors, sans laisser le temps de se faire interpeller, Astrid avait tracée jusqu'à l'aile X d'un pas hâtif.
Des souvenirs l'attaquaient à la manière d'antan, se rebellaient à la moindre résistance. Invoqués inévitablement par le contexte, ils faisaient pousser autant ailes à son dos que des larmes à ses yeux. Dieu fut témoin que si elle avait été mise au courant plus tôt, elle se serrait postée à n'importe quelle heure devant la chambre X36. Elle aurait tout fait pour lui apporter l'aide qu'elle n'avait jamais eue. Quelle aurait pourtant tant voulue.
En réalité, la plupart des visions qui hantaient son chemin étaient à son sujet; elles le réaffichaient, luttant si difficilement pour le moindre sourire. Improvisant quelques accords, une brèche d'espoir transcendant brièvement la douleur de son regard.
Elle m’appelle toute les semaines et vient me voir tout les mois malgré le trajet.
Elle a tout fait pour moi et continue de le faire malgré tout … "
Onyx avait toquée quelques fois à la porte, la voix épuisée par la marche militaire qu'elle venait de s'imposer.
Pliée en deux, s'appuyant lourdement sur l'un de ses genoux, sa respiration peinait presque à trouver un semblant de stabilité.
A part le sanglot des cigales, aucune réponse ne lui fut accordée, alors elle demeura penchée un moment à panteler.
La fraîcheur nocturne apprivoisait peu à peu ses muscles; elle se sentait blême, gelée, comme vidée de son sang.
Se redressant, l'une de ses mains était partie pour frapper de nouveau, mais ce geste fut ravisé.
Aussi amer que cela puisse être, elle n'avait plus espoir d'entendre sa voix ce soir.
Ce jour là, lui aussi, était revenu obséder ses songes; lorsqu'elle s'était débarrassée de son sac d'école, ses épaules lui semblaient toujours aussi lourdes. Astrid connaissait plus que quiconque la souffrance d'un deuil, la perte de la seule personne qui nous soutenait. Et c'était bien ce qui l'avait conduit jusqu'ici dans une telle trombe.
Néanmoins... celle de la maladie lui était inconnue. Celle du rejet, également. Celle de l'oubli, celle qui pousse à rester enfermé ici, non plus.
Pouvait-elle empathir à ne serait-ce que d'un quart de l'état dans lequel Nevrabriel devait se trouver maintenant?
Des bruits de pas foulèrent le carrelage, l'approchant de côté. A la lumière qui perforait le fond du cul de sac, n'importe qui aurait pu prévoir qu'un garde allait passer sous peu. Apercevoir une secrétaire à une telle heure serait clairement malvenu, et Astrid refusait de se voir renvoyée à la case départ. Nev avait besoin d'elle...Et elle avait besoin de le voir, à cet instant.
L'un de ses soupirs s'en va, accompagnant sa main jusqu'à la poignée. Une ouverture qui se fit non sans bruit et pour dire vrai, elle s'apprêtait refermer aussitôt la porte à la vue du noir qui ensevelissait la pièce. Mais après étude, il était aisé d'aviser les quelques filets de lumière s'infiltrant à travers les rideaux, entourant comme un halo nacré une longue et très fine silhouette. Nevrabriel était bien là, reposant sur son lit, aussi inerte que dans un cercueil. Heureusement qu'elle entendait son souffle, l'acceptant déjà comme seule et unique compagnie...Elle était sûre que son corps était là, bien vivant. Mais ne savait pas où se trouvaient ses pensées, hélas; depuis leur rencontre dans la forêt, c'était une évidence que lui et elle ne partageraient plus constamment la même audition, la même vision, la même réalité. L'écossais était sûrement ailleurs; mais physiquement, c'était une certitude que sa présence était là, près d'elle. C'était ce qui lui importait.
D'un geste lent et calme, Astrid les enferma tous les deux dans ce cocon obscur. Elle n'était pas sûre qu'il soit endormi ou non. Au final, elle ne savait plus trop.
Peut-être qu'elle n'avait rien à faire ici.
Il connaissait cette voix qui appelait son nom derrière cette porte qui les séparait. Mais elle ne pouvait pas être là, elle n’avait rien à faire ici. Elle devrait être dans son bureau ou sa chambre. Elle n’avait pas à se soucier de lui … c’était inutile … il allait s’en remettre … tout passe …
Le deuxième appel de la demoiselle confirma ses doutes. C’était bien elle. Elle et son délicieux timbre qui donnait envie d’aller vers elle. Mais tant bien même ses appelles lui étaient adressé, le jeune homme demeura silencieux, fixant toujours son mur froid et vide.
Il ne savait pas pourquoi il ne répondait pas. Pour qu’elle ne le voit pas ainsi ? Par peur ? Pour être seul ? Parce qu’il n’était pas certain qu’elle soit vraiment là ? Que pouvait-il lui dire s’il l’invitait à entrer ?
Non, il ne pouvait pas … Elle finirait par partir …
Mais un autre bruit familier vint hanter ses oreilles, celui de sa porte s’ouvrant et se refermant, le fruit du bois se cognant au cadre, celui du métal de la poignée se refermer dans sa serrure, le vent glissant silencieusement par le mouvement de clôture. Et les talons de sa douce amie qui vint pénétrer dans sa sphère triste et silencieuse.
Pourquoi était-elle entrée ?
Hésitant, le jeune homme tourna la tête, son corps suivit le mouvement, vers son invitée surprise.
Elle était bien là, belle comme la lune, triste comme l’obscurité. La lumière nocturne traversa sa fenêtre dont les volets ne se fermaient plus depuis que ses yeux ne trouvaient plus le repos.
Le jeune homme la scruta un instant.
Les rayons de lune venaient se posé élégamment sur la moitié de son corps, faisant briller ses cheveux argentés comme des perles sur l’océan, sa robe noir se confondait avec l’obscurité mais sa peau laiteuse ressortait avec grâce tel une fleur en pleine éclosion, sa veste dessinait doucement ses forme, prenant des nuances bleuté par l’atmosphère de la pièce.
Elle était bien trop belle pour être réelle …
Ses yeux allèrent rencontrer les siens. Malgré la nuit il arrivait à distinguer ce bleu aux nuances violettes qui rendait son visage si charmant.
Il ne voulait pas lui faire de peine. Il ne voulait pas voir la tristesse sur ce visage qu’il appréciait tant. Mais que faire ?
Tu échoueras.
Tu ne mérites pas son temps.
Les yeux du jeune homme ne savaient pas quoi faire. Il voulait se retourner vers son mur froid et solitaire, montrant qu’il désirait être seul pour qu’elle s’en aille, mais en vérité …
En vérité …
Il ne voulait pas qu’elle parte …
*Tu sais qu’elle ne peut pas rester avec toi. Si tu dors, elle ne sera plus là à ton réveille. Si tu reste éveillé, tu la verras s’en aller. Tu sais qu’elle ne restera pas, ne te fais pas de mal.*
Mais malgré les avertissements d’Anna, il demeura, à moitié retourner vers Astrid, ses yeux vairons fixant les siens alors que seule sa respiration faisait bouger son corps qui ne tenait plus à ce monde.
Peut-être que la petite lune était destinée à s’en aller, mais son cœur persisterait à la regarder et la voir jusqu’à ce qu’elle disparaisse.
entourageGroupe : Institut GrahamDate d'arrivée à l'Institut : 10/02/2013Age : 26