La température n'avait rien de sexy. Le froid avait de nouveau glacé l'île et la mer apportait les vents de mauvais frissons, les bons frissons étant ceux de la chair. Ceux qui réchauffaient en même temps qu'ils frigorifiaient. Ceux qui la faisait vibrer.
Mais là, elle tremblait juste. Rien d'étonnant vu que c'était le temps qui le voulait. Fichue météo.
Cependant, elle préférait cent fois rester dehors à affronter le froid plutôt que d'observer le vide dans les yeux de ces dégénérés.

Vêtue d'un châle et de l'uniforme, elle sortit du bâtiment. Tous des enfoirés, ces putains de patients qu'elle se coltinait à longueur de journée. "Mon médecin est une enflure" : en quoi ? Développe enfin ! "Il me torture" : aw, pauvre chéri qui ne fait pas la différence entre souffrir et guérir. Mais dis, penses-tu que tu serais en meilleure santé dans ton bled paumé ? Personne ne le pense, imbécile. Alors cesse de geindre pour rien et prends tes médocs !

Elle fulminait. Il n'y avait que des égoïstes incapables de reconnaissance. L'Institut avait tellement de prestige. Il incarnait respect et compétence. C'était l'endroit rêvé pour se reposer, faire ce que les gens voulaient, rencontrer des gens, être chouchouté… C'étaient des vacances 24h/24, 7j/7 ! Que demander de plus, enfin ?

C'était avec cette réflexion qu'elle la vit. Une jeune fille aux longs cheveux noirs, refermant ses points sur une blondinette effrayée. Elle pencha la tête sur le côté, pensive. C'était une bagarre ? Un règlement de compte ? De l'intimidation ?
Elle s'approcha. Ou alors elles jouaient ? Elle ne pouvait vraiment le dire, mais voir des patientes en conflit la réjouissait.

Elle se plaça à côté de la dominatrice, surplombant la dominée. Elle dirigea son regard vers celle qui avait un œil d'une drôle de couleur, puis vers celle qui était encore plus angoissée à la vue de W05. Elle lui fit un signe de la main, un sourire sur le visage, avant de prendre de la terre et de lui jeter au visage. Elle s'essuya ensuite la paume sur son uniforme qu'elle tâcha avant de la tendre à la demoiselle frêle mais forte, alors que son autre main dessina dans la terre "W05 : muette".

Elle se faisait un plaisir de cette rencontre.

-Enchantée, Amalia.

Elizabeth fronça les sourcils, prête à prendre la fille comme une débile. Puis elle comprit. Amalia, c'était le prénom de la fille. W05 avait cru comprendre que la plus petite des deux l'avait appelée "Amalia" sans aucune raison. Dieu savait qu'elle était fatiguée, la pauvre femme.
Elle secoua la tête et lui sourit.

Et enfin, un peu d'action, quoique il n'y avait pas vraiment signe de violence. Amalia se contenta de jeter un regard froid et assassin à la petite chose destinée à rester au sol. Et la blonde devint inconsciente.
W05 ouvrit la bouche, perplexe. Elle ne pouvait pas parler, mais son regard décrivait à la perfection ses pensées :"Qu'est-ce qu'il venait de se passer ?" C'était si rapide qu'elle n'avait pas eu le temps de comprendre comment Amalia avait réussi à assouvir la blonde. C'était à cause de la couleur rouge de son oeil ? Un peu comme le rouge qui énerve les taureaux pour les rodéos ?
Elizabeth l'avait toujours su. Le rouge était une couleur puissante. Elle était mystique. Le rouge sensuel, le rouge violence, le rouge mort, le rouge amour, le rouge social... Tant de significations pour une seule couleur.

W05 scruta le visage de la petite pendant qu'elle s'attelait à camoufler son oeil bizarre derrière une mèche de cheveux noire. C'était sans compter l'esprit imprévisible de W05 qui souleva cette mèche et se mit à regarder avec perplexité, attention et fascination le don de la fille. L'effet fut immédiat, elle se sentit foudroyée par une douleur atroce dans le ventre, comme celle qu'elle ressentait parfois mais en dix fois pire.
Elle écarquilla les yeux, un sourire se dessinant sur son visage. Elle avait un pouvoir. Cette fille avait un pouvoir ! Comment pouvait-elle créer une douleur aussi insupportable par un simple regard ?

Elle saisit par les épaules Amalia, l'air ahurie et tremblotante, tentant de résister à ce mal qui venait de l'assaillir.

Elle articula sans arriver à prononcer le moindre mot :"Comment... Tu... Fais... ?"

Elle était tout simplement fascinée par les frissons qui parcouraient son corps. C'était indescriptible. Le simple contact visuel avec l’œil de sa comparse suffisait à faire remuer son corps, et ce n'était en rien agréable. Les maux d'estomac reprirent de plus belle alors qu'elle les avait oublié depuis quelques semaines déjà, ses bras tremblaient de manière intempestive, sa bouche était toute pâteuse, des sortes de coups de jus secouaient son corps.
Et d'un coup, le vide. Elle avait détourné le regard. Elle ne ressentait plus rien, les douleurs avaient disparu comme elles étaient apparues. Elle écarquilla les yeux, ouvrit la bouche, et se mit à sourire. Cette fille était incroyable ! Incroyable !

-Le docteur Graham pense que cela est dû à la longueur d'ondes de mon oeil, mais nous ne sommes pas encore sûrs. Moi-même, je n'en sais pas plus, pourtant je peux le faire depuis toujours.

Elle tenta de se rappeler le médecin qu'elle venait de citer. Docteur Graham... Ça ne lui disait rien. Elle se creusa la tête, pour savoir si elle l'avait déjà entendu ou vu, mais il n'avait pas du la marquer. Pourtant, elle connaissait tous les employés ici. Même les dégénérés elle les connaissait par coeur. Elle savait reconnaître leurs têtes de déterrés.
Elle haussa les épaules, lâchant la petite, l'air sereine malgré les spasmes qui l'avaient prises quelques secondes auparavant. Elle se paya même le luxe d'épousseter son haut et d'observer le déchet qui jonchait le sol.

-Veux-tu bien me décrire ce que tu as ressenti ? Cela m'aiderait à comprendre comment cela fonctionne.

Elle la suivit dans son geste et s'assit à côté d'elle en prenant soin de croiser ses jambes. Toujours faire en sorte de faire ressortir ses atouts, comme ça, de loin, les gens ne verront que les qualités physiques et seront plus enclin à jalouser ou à faire la conversation pour tenter des choses...
Elle abandonna la dégénérée du sol pour s'attarder sur la plus intéressante des créatures qui avaient le privilège de résider ici. Elle sourit, et elle créa un parcours le long du corps de sa nouvelle camarade. Elle commença par le nombril où elle décrivit des cercles de plus en plus gros. Puis elle prit ses bras qu'elle fit trembler. Elle sortit ensuite sa langue. Elle leva les yeux vers le ciel pour se souvenir de ces moments pas forcément agréables mais tellement, tellement... Elle n'avait pas de mots !

Ensuite, elle prit un bâton qui traînait par là, et dans la terre, elle écrivit :

Le rire qui s'échappa de la gorge d'Amalia fit sourire W05 de toutes ses dents. Si la proposition d'assassiner des personnes la faisait rire, alors elle savait d'avance qu'elle n'allait pas s'ennuyer avec elle ! Enfin quelqu'un d'intéressant dans cette foule de zombis !
La main levée, Elizabeth avait l'impression que sa comparse allait prêter serment. Elle entendit déjà les mots qu'elle allait prononcer :"Moi, Amalia Quelque-chose, jure de tenter de tuer cette chose sur le sol avec W05, la fille la plus canon que je n'ai jamais rencontré."

-Je n'ai tué personne encore, même si l'envie ne manque pas. Je suis seulement allée jusqu'à l'évanouissement, je ne sais pas si c'est possible d'aller plus loin...

W05 fit la moue en entendant cette réponse. Cependant, tout n'était pas perdue ! Elle était autant curieuse de savoir si la mort était ou non possible. Les yeux brillants d'espoir, elle se mordit la lèvre inférieure tout en observant consciencieusement Amalia. Dis oui, dis oui, dis oui, dis oui ! Ta tête dit non, mais ton regard dit oui !

-Si elle meurt sans raison, je pense que Donatien Elpida sera le premier à me soupçonner. Et mon oeil ne fonctionne que sur les gens conscients. Enfin... je crois ? On peut toujours essayer cela maintenant effectivement.

Elle leva les yeux au ciel et mima avec sa main une sorte de canard qui faisait coin coin, tout en bougeant ses lèvres comme si elles disaient :"Blah, blah, blah".
Elle attrapa les mains de Amalia, planta ses yeux dans le sien, et se détourna un instant pour effacer ce qu'elle avait écrit sur le sol avant de ré-écrire par dessus :

"Pas forcément toi ! Ca peut être un arrêt cardiaque, ce genre de choses. Et puis, ça aiderait vachement l'Institut que tu vois si c'est possible de tuer quelqu'un."

Elle écarquilla les yeux, une idée lumineuse lui ayant traversé l'esprit. Le problème de l'inconscient pouvait peut-être ne plus en être un ! Elle se leva, fit attention de ne pas marcher dans ses paroles et reprit le bout de bois.

"Je lui ouvre les yeux et tu vois si c'est possible ! Dis ouiiiiiii !"

Ça avait mis beaucoup de temps à écrire tous ces "i", mais ça valait le coup ! Elle se précipita vers le déchet qu'elle releva. Elle ne devait plus se sentir, W05 la touchait ! Bon, elle n'était pas consciente, mais avec de la chance, le simple fait d'avoir les yeux ouverts pouvait aider.
Elle posa ses doigts sur ses paupières qu'elle releva. Puis, elle observa Amalia. Alors ? Partante pour une expérience de haut niveau ?

W05 observa avec amusement sa nouvelle rencontre. Elle avait posé ses doigts sur le visage gras du déchet mais c'était pour une bonne cause. Il fallait bien un complice pour qu'elle ouvre les yeux et qu'elles sachent enfin si son regard peut tuer quelqu'un ! Par chance, Elizabeth était dans les parages et avait poussé Amalia à faire un pas dans l'illégalité et l'inconnu.

La ténébreuse se pencha et écarta la mèche noire de l'arme du crime. W05 pencha la tête sur le côté, dans l'attente d'un quelque chose. Est-ce qu'Amalia savait si elle faisait du mal à quelqu'un ou il fallait que cette personne s'exprime ?
W05 se pencha vers l'avant, dans l'attente d'une réaction du corps de la victime. Mais même pas un spasme, rien. Fallait-il être conscient pour ce genre d'expérience ? On ne peut vraiment pas mourir par cet oeil ?

Elizabeth laissa retomber le corps après une trentaine de secondes infructueuses et se releva en frottant ses vêtements. Elle se permit, dans sa frustration extrême, de donner un coup de pied dans les côtes du rat de laboratoire - ou du rat tout court.

Elle secoua ses cheveux en arrière, leur attribuant plus de volume encore, et croisa les bras avant de jeter un regard vers sa comparse. Elle haussa les épaules, comme si finalement ça n'avait pas d'importance, et reprit son bâton :

"Quelle déception. Être conscient semble être essentiel à ton truc."

Elle leva les yeux vers le ciel, pensive. Elles étaient ensemble sur une scène de crime. Elles ne pouvaient pas rester là.

Sans prévenir, elle prit le poignet de sa complice et se mit à courir, loin de la patiente inconsciente. Elle trouva un endroit, plus à l'abris des regards et toujours avec de la terre pour communiquer. Essoufflée et souriante, ayant trouvé une nouvelle idée pour nuire à ces insectes, elle jeta un regard pétillant à Amalia avant de poser une main sur son épaule, amicale, et d'écrire :

"Tu as entendu parler d'une grotte clandestine toi aussi ? Il paraît qu'ils postent des annonces pour leur connerie de journal clandestin ou je sais pas quoi. Ca te tente qu'on fasse une de leur annonce et qu'on la foire le plus possible ?"