La doctoresse était sortie de l'aile X avec un grand sourire et les yeux pleins d'étoiles, se dirigeant gaiement vers le Bâtiment des médecins et donc sa chambre. Elle connaissait les rondes des vigiles par coeur, par habitude, aussi elle ne faisait pas plus attention que nécessaire, se sachant totalement seule et insoupçonnable par son statut. Elle n'était pas bruyante pour autant, heureusement. Bercée d’insouciance, elle aurait pu continuer longtemps de la même façon si, dans la pénombre, elle n'avait pas aperçu une longue et fine silhouette. Atsuka se figea et observa d'éventuels mouvements, cachée par un pan de mur. Elle plissa les yeux, les forçant à s'habituer à l'obscurité et scruta le second intrus. Elle avait l'avantage de la surprise, il ne l'avait apparemment par encore remarquée. Silencieusement, elle se glissa dans le dos de la personne et, se hissant sur l'extrême pointe des pieds (c'était possible d'être aussi grand ?!), elle tapota sur l'épaule étrangère tant bien que mal.
-Bonsoir ?
Il n'avait jamais été un être particulièrement social hors de son cabinet ; et à l'Institut, lieu qui ne semblait avoir été conçu que dans une optique purement fonctionnelle, il n'avait pas réussi à trouver un seul endroit pour commencer à socialiser. Ou plutôt, aucune pièce ne lui avait été présentée comme tel, et il n'avait pas fait plus de recherches que ça, plutôt satisfait par la situation.
Être solitaire depuis toujours, Théodore n'aimait pas entamer des relations : il avait toujours l'impression d'être de trop, d'être l'anomalie du tableau, le cheveu dans la soupe, l'éléphant dans le magasin de porcelaine. Conséquemment, il ne fréquentait presque personne à l'Institut, hormis le Docteur Elpida et ses quelques patients bien évidemment. Étonnamment, et assez tristement, cela ne le dérangeait pas vraiment, étant trop occupé pendant ses journées pour ressentir le besoin de rencontrer ses collègues et autres humains.
À vrai dire, son statut de stagiaire et la méfiance que semblait éprouver le docteur Elpida à son encontre -ce qui blessait Théodore au plus profond de lui-même- ne l'empêchaient pas, bien au contraire, de travailler pour l'Institut. Ainsi, lorsqu'il avait fini d'assister aux séances du médecin en chef, le matin, Théodore se retrouvait à s'occuper gracieusement des remplacements des « vrais » médecins, ou bien il était d'astreinte en soirée, voire la nuit…. Bref, il travaillait comme un médecin et un infirmier, tout cela pour être payé comme un stagiaire. Mais il ne s'en plaignait pas ; Théodore ne se plaignait pas, jamais. S'il y avait du travail, alors il fallait qu'il soit fait, que ce soit par lui ou par quelqu'un d'autre. C'était comme ça. C'était les règles.
Ce soir là, Théodore venait enfin de terminer son tour d'astreinte, durant lequel il avait bu thé sur thé en regrettant le goût insipide de cette boisson en sachet, sans jamais être sollicité par les patients. Il avait quitté la salle des infirmiers du dortoir X à 21h, saluant sa remplaçante et lui souhaitant bon courage. Elle l'avait regardé d'un drôle d'air, comme si souhaiter bon courage à quelqu'un en ce lieu était déplacé ; Théodore l'avait bien remarqué, mais pas relevé. Il n'avait pas voulu la mettre plus mal à l'aise.
Et désormais, il se retrouvait là, planté en plein milieu du hall ; alors qu'il marchait d'un pas tranquille dans le bâtiment, heureux de retourner dans sa chambre, son regard avait été attiré par une des nombreuses affiches présentes dans tout l'Institut. Celle-ci mettait en scène de façon stylisée un grand personnage au sourire à la dentition parfaite, vêtu de blanc, que l'on devinait être un médecin, surplombant une foule informe de petits êtres vêtus de blouses de patients. La légende indiquait : « Le Médecin vous mènera à votre guérison : suivez-le sans discuter. »
Théodore était resté sans voix, sans mots, sans pensées devant cette affiche. Terrifié par le dessin, estomaqué par le message, sidéré par le fait d'afficher ce genre de choses dans un hôpital, il sentit soudainement qu'on lui tapotait l'épaule ; réaction de grand stressé, Théodore sursauta, lâcha le livre qu'il tenait à la main et se retourna brusquement, prêt à prendre la fuite si jamais il s'agissait du médecin de l'affiche ; avec un tel sourire, il était évident qu'il aurait voulu manger le blond tout cru. Heureusement, il n'en était rien : Théodore se retrouvait simplement face à face avec une femme de taille moyenne, aux cheveux bleus très bleus.
Il soupira, riant doucement pour sa réaction disproportionnée, puis s'excusa.
« Je… Je suis vraiment désolé, vous m'avez… Surpris. Et, heu, bonsoir, bien évidemment. »
Il se tut un instant, paniqué à l'idée de devoir parler en anglais à quelqu'un. Il continua, timidement, ses mots se mélangeant, créant une phrase à la structure…. Novatrice.
« Aussi… aussi vous êtes ce soir d'astreinte ? »
+ notes07/03/2019
-Je… Je suis vraiment désolé, vous m'avez… Surpris. Et, heu, bonsoir, bien évidemment.
La bleue balaya les excuses balbutiantes d'un mouvement de mains et d'un léger sourire, qui se voulait bienveillant. C'était assez drôle de voir qu'un géant était presque apeuré par sa présence.
-Aussi… aussi vous êtes ce soir d'astreinte ?
Elle pencha légèrement la tête sur le côté. Les mots n'étaient pas difficiles à comprendre, elle parlait assez bien l'anglais, mais il lui fallait quelques secondes de réflexion pour les replacer dans l'ordre. Ce n'était pas qu'un mythe,les français étaient vraiment mauvais en langues étrangères. Par contre ils étaient visiblement doués pour trouver des excuses aux autres,elle l'en remerciait silencieusement.
-Désolée, je ne voulais pas vous faire peur. On peut dire ça oui, un de mes patients avait besoin de moi. Atsuka Nozomi, enchantée !
« Enchantée, mademo… madame. Je suis, heum, un nouveau médecin, Théodore Saint-Lazare ! Je, heum, je viens de Paris. »
Théodore resta silencieux quelques instants, quelques secondes durant lesquelles il s'interrogea sur l'utilité de préciser son origine ; sûrement était-ce une façon déguisée de s'excuser pour son accent déplorable, qui faisait bien pâle figure face à celui du docteur Nozomi.
Gêné, il baissa les yeux : que devait-il dire ? Devait-il seulement dire quelque chose ? Sans doute, puisqu'ils venaient d'entamer une discussion, suite à… Suite à quoi ? À la chute de son livre ? Non, non, avant… Suite au contact initié par sa collègue, oui, voilà, c'était cela. Pourquoi l'avait-elle interpellé ? Vite, réagir, comprendre !
« Vous.. je… Vous vouliez me parler ? Je vous… Ah ! Je vous empêche de passer ! Je suis désolé ! »
Et le voilà qui bondissait presque de nouveau, reculant en tendant les bras, comme s'il voulait calmer un tigre, comme s'il craignait pour sa vie ; et c'était peut-être le cas, lui qui n'avait jamais vécu qu'au travers des autres, il ne voulait pas se faire tuer par une œillade assassine.
+ notes07/03/2019
-Enchantée, mademo… madame. Je suis, heum, un nouveau médecin, Théodore Saint-Lazare ! Je, heum, je viens de Paris.
Pour la première fois, elle fut confrontée à la question "madame ou mademoiselle". Elle n'avait jamais compris la différence entre les deux. A la fois plus complexe et plus simple que le système de suffixes au Japon. Les Français étaient décidément bien étranges. Surtout à Paris visiblement, même si elle n'y avait jamais mis les pieds. Est-ce que c'était vraiment la ville des lumières, de la mode et de l'amour en même temps ? Cela lui semblait beaucoup pour une seule cité, aussi grande et importante soit-elle. D'ailleurs, elle tiqua sur le nom du médecin. C'était pas une gare, Saint-Lazare ? Très étonnant, décidément.
-Vous.. je… Vous vouliez me parler ? Je vous… Ah ! Je vous empêche de passer ! Je suis désolé !
Atsuka s'était si perdue dans ses réflexions, que ce fut à son tour de sursauter face à la réaction excessive de son collègue. Elle secoua les mains devant elle, comme pour dissiper une méprise.
-Ah non, du tout ! J'étais juste intriguée de voir quelque d'autre à cette heure-ci, surtout un visage inconnu ! Désolée !
Elle avait visiblement trouvé un camarade d'excuses dans le même temps. C'est elle qui l'avait abordé sans prévenir et il pensait qu'elle le laisserait s'excuser sans rien dire ?C'était mal connaître le trop de politesse de la Japonaise.
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