L’ascenseur était déjà ouvert et attendait gentiment que quelqu’un veuille bien l’emprunter. Agnès se fit un plaisir d’être celle-là. Elle déposa – enfin, lâcha serait sûrement plus juste – le carton au sol avec un ahanement de bûcheron et s’adossa à la paroi de fond de la cabine pour souffler un peu et s’éponger le front avec un mouchoir. Des fois, elle ne pouvait pas s’empêcher de se dire qu’elle n’était pas assez payée pour ce qu’elle faisait. Mais bon, aussi pénible que soit la tâche qu’elle effectuait à l’instant, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir le sourire aux lèvres. En effet, elle signifiait que la petite Adèlys Valcourt allait enfin pouvoir retourner chez elle : c’était son dossier qu’elle déménageait pour l’archiver. Bon, elle n’était absolument pas guérie malgré les années qu’elle avait passées ici – ce qui expliquait le poids de son carton – mais la secrétaire avait appris avec un étonnement un peu sceptique mais agréable que Donatien acceptait de laisser sa patiente préférée, son Lys, s’en aller.
Elle se laissa à moitié glisser au sol en sortant un gros rouleau de scotch pour rafistoler la zone du carton qui s’écartait commençant déjà à laisser s’échapper des feuilles de papier. C’est à ce moment qu’une autre silhouette pénétra dans la cabine, alors qu’Agnès était en train de couper un morceau de ruban collant avec ses dents. Elle termina ce qu’elle était en train de faire avant de lever les yeux. Ange. Elle ne savait pas pourquoi, elle s’en était doutée avant même de le regarder. Peut-être parce qu’il lui faisait ce petit frisson si caractéristique, comme une bise d’hiver. L’espace d’un instant, elle se demanda si elle allait sortir et attendre le prochain ascenseur. Puis elle se rappela qu’il avait l’air d’avoir changé. Qu’il était venu lui parler au bal d’Halloween. Qu’Hyppolite l’avait même qualifié de plutôt sympa, ou quelque chose du genre. Bon, et puis c’était l’histoire que quelques minutes dans tous les cas, pas de quoi en faire tout un plat, n’est-ce pas ?
Elle lui adressa un sourire poli en se relevant et appuya sur le bouton du rez-de-chaussée. L’ascenseur s’ébranla, entama sa descente… Se stoppa brutalement, manqua de lui faire perdre l’équilibre. Qu’est-ce que ? Elle rappuya sur la commande du rez-de-chaussée, attendit un peu, sans que rien ne se passe. Elle soupira, recommença, sans succès. Elle essaya donc de faire ouvrir les portes de l’ascenseur, commença à s’énerver et à agresser plus ou moins tous les boutons et soudain dans un bruit de système qui s’éteint, ils furent plongés dans le noir avant qu’une maigre lueur rouge vienne prendre le relais.
- Putain de… Qu’est-ce qu’il se passe encore ?
A qui je vais faire croire ça? Ca fait bien longtemps qu'on ne me regarde que pour me jeter des regards froids et méfiants.
Le long du couloir, je croise quelques-uns de mes patients qui sont habitués à moi depuis l'accident. Ils doivent être des seules personnes qui me parlent normalement. Pourtant, il me semble avoir promis à Ophelia d'arrêter de me flageller par rapport à ça. Ce qui est fait est fait, je ne peux pas revenir en arrière. Il me faut avancer. A-van-cer. Et en tirer que le meilleur. Exemple simple : je me suis remis en question. Ce qui n'est franchement pas plus mal.
J'avance jusqu'aux escaliers, d'où j'entends des rires et des chuchotements. Je me retourne et me dirige vers ces voix. J'arrive devant l’ascenseur, où deux patients s'amusent à appuyer sur le bouton pour le faire descendre alors qu'il est réservé aux gens qui en ont vraiment besoin. Je soupire et leur demande, avec une voix portante et autoritaire, de s'en aller s'ils ne veulent pas avoir d'ennuis. Ils s'en vont s'en demander leur reste, la queue entre les jambes. Et c'est au moment où ils partent que les portes s'ouvrent, avec quelqu'un déjà à l'intérieur. Bon, tant qu'à l'avoir appelé, autant l'utiliser. Surtout s'il est utilisé par quelqu'un.
Oui, je suis contradictoire. Je veux mon bain.
J'avance et entre dans l'habitacle. Je remarque, après que les portes soient fermées, que c'est Agnès qui est en train d'essayer de rafistoler un carton qui contient plus de choses qu'il n'en devrait. Je lui rends son sourire poli en me questionnant sur la soirée d'Halloween. Elle était là avant que mon sang ne se soit gorgé d'alcool, non? Qu'est-ce que j'ai pu lui dire exactement...? J'aimerai lui demander, mais ça m'étonnerait qu'elle veuille m'adresser la parole. Déjà, elle m'a souri poliment, ce qui est rare, alors lui demander de me parler, ce n'est même pas la peine.
J'installe donc ma bulle de solitaire en me plaçant à l'opposé d'elle. Je laisse mes pensées rendre le silence plus supportable. Enfin, ça jusqu'à ce qu'une secousse me fasse perdre l'équilibre et m'oblige à m'appuyer sur le mur, les jambes cramponnées au sol. Mon premier réflexe est d'observer les boutons de l'ascenseur, toujours éclairés. Bon, ce n'est pas un problème électrique. Alors c'est quoi le problème, au juste?
J'évite de me laisser prendre de court par la panique et tente de raisonner... La solution d'Agnès est de ré-appuyer sur le bouton du rez-de-chaussée. Je peux dire adieu à mon bain chaud, je crois...
Je laisse les secondes passer, comme elle, attendant une réaction de la machine. Je soupire et sors mon téléphone, prêt à appeler de l'aide. Enfin, j'aimerais pouvoir sortir mon téléphone, mais je ne l'ai pas dans mes poches. Je retourne ma veste, sans la moindre trace de l'objet convoité. Je suis si concentré sur ma tâche que je ne fais même pas attention aux tentatives d'Agnès "d'arranger" la situation. Je suis juste dégoûté d'avoir pu oublier mon portable dans la salle de soins. Je le revois, maintenant. Il est à côté du PC que j'ai aussi oublié d'éteindre, je crois. Décidément, ce n'est pas ma soirée.
Puis, le noir. Je relève la tête, recherchant Agnès des yeux sans grand succès puisqu'il fait bien trop sombre pour discerner quoique ce soit. Et enfin, une faible lueur rouge. J'arrive à la distinguer. Et la voilà, en train de fulminer.
- Putain de… Qu’est-ce qu’il se passe encore ?
Surpris, j'écarquille les yeux. Bon, si elle est en train de pestiférer, ce n'est clairement pas le moment de lui dire que c'est potentiellement de sa faute. J'ai bien dit "potentiellement", je n'ai rien vu de la scène, trop occupé à chercher mon Iphone.
Je me gratte l'arrière de la nuque. Je me dirais bien que c'est le moment d'entamer une conversation le temps que l'équipe technique débarque, mais je doute que l'état d'esprit de la secrétaire de Donatien me le permette.
Je tente :
- Tu as ton portable pour appeler l'équipe technique? J'ai laissé le mien dans la salle de soins.
Je croise juste les doigts, histoire de ne pas me faire gueuler dessus juste parce que je suis un imbécile qui ne prend même pas la peine de vérifier s'il a son téléphone sur lui ou non. De toute façon, si elle ne l'a pas, je pourrais lui faire la technique du "Miroir Miroir".
Et si elle ne l'a pas... Bon, bah go pour commencer à discuter. De toute évidence, j'ai juste envie de rentrer et elle de finir sa journée, donc commencer par "Hey, on parle un peu?" plutôt que de résoudre la situation, ça sera complètement malvenu.
Elle retenta une dernière fois de relancer l’ascenseur en tendant timidement l’index sur un des boutons. Evidemment, il ne produisit qu’un vague « clic » un peu pitoyable. Elle recula un peu, dépitée. Surtout, elle espérait de tout cœur que l’électricité serait partie d’elle-même et que ce n’était pas elle qui avait empiré la situation. Se retrouver coincée dans un ascenseur avec Ange par sa faute, ce serait le comble !
- Tu as ton portable pour appeler l'équipe technique? J'ai laissé le mien dans la salle de soins.
Agnès jeta un œil à son compagnon d’infortune. Effectivement, c’était la meilleure chose à faire, aussi, elle acquiesça et sortit son téléphone de sa poche et commença à taper le numéro du service technique. Il ne lui restait que 4% mais ça devrait le faire. Enfin, c’était ce qu’elle croyait. Elle allait appuyer sur le téléphone vert pour lancer l’appel lorsque sa batterie lui fit défaut. Bon. Ce n’était pas grave elle avait son chargeur dans son sac. Elle plongea sa main dans son sac, s’interrompit. Son chargeur oui mais… Avait-elle une prise ? Un soupir désabusé s’échappa de ses lèvres.
Quelques mois plus tôt, elle aurait aussi eu en sa possession le téléphone de Donatien mais… S’il lui arrivait encore de le lui confier, vu que de toute façon il était incapable de se servir correctement de son iPhone XS tout seul, c’était de plus en plus rare, et aujourd’hui ne faisait pas partie de ces fois-là. A moins qu’ils ne trouvent une autre idée, ils étaient coincés là jusqu’à ce que quelqu’un se rende compte de leur disparition, et vu la réactivité de ceux qui pouvaient s’en rendre compte en ce qui la concernait… Ils risquaient d’attendre longtemps.
- Batterie HS. Informa-t-elle Ange au cas où il n’aurait pas compris.
Elle s’adossa contre la paroi, laissant sa tête partir en arrière, déjà déprimée. Comme si elle avait le luxe de se retrouver hors-jeu pour un temps indéterminé avec tout le boulot qu’elle avait. Enfin, peut-être qu’elle pouvait déjà limiter la casse en triant le dossier d’Adèlys puisqu’elle l’avait avec elle. Elle se laissa glisser sur le long du mur, posant ses genoux sur le sol, ouvrit le carton et en sortit une première liasse de papier. Avec cette vague lumière rouge, c’était difficile de lire correctement. Enfin, en plissant les yeux, ça devrait aller quand même, au moins pendant un temps. Elle commença donc à tout trier en différentes piles à même le sol.
Je me pose d'ailleurs une question. Est-ce que l'ascenseur aurait des problèmes à cause des deux gugusses que j'ai croisé avant de le prendre? Je le jure que si c'est de leur faute, ils entendront parler de moi.
Puisque je ne l'entends pas débuter une conversation, je rouvre mes yeux. Elle est les mains dans son sac, l'air fatiguée de cette journée. Ça nous fait un point commun : on a tous les deux envie de rentrer pour se poser.
- Batterie HS.
Elle a vraiment pas envie de discuter, la vache.
Je me gratte l'arrière du crâne. L'ascenseur est en panne, l'électricité circule juste pour la lumière. Donc appuyer sur le bouton pour contacter l'équipe technique ne servirait à rien. On est une équipe de bras cassés pour les téléphones, donc ça aussi.
Et c'est là que je me pose une autre question. On va rester combien de temps ici jusqu'à ce qu'on nous trouve? J'ai toujours rêvé de le faire dans un ascenseur, mais avec Agnès c'est un peu... C'est une belle femme, mais à la limite, j'aurais préféré qu'on soit un couple pour faire ce genre de dingueries. Puis, j'imagine bien ses arguments contre ce genre de pratiques :"On ne fait les plaisirs charnels que pour la procréation, Ange." J'en ris déjà...
Vu qu'elle n'a pas la tête à faire la conversation et que je suis debout, à rien foutre, autant être utile. Je m'accroupis, les bras sur les cuisses, et lui demande :
- Tu veux de l'aide?
Je passe la langue sur ma lèvre inférieure. Je suis peu serein de la suite, Agnès a toujours été quelqu'un sur qui je n'ai jamais eu le moindre pouvoir. Pour moi, chacune de ses réponses se transforment en venin qu'elle me crache au visage. Même un simple regard suffisait me dire :"Si j'étais DRH, crois-moi que j'aurais même pas lu ton CV et que je t'aurais fait venir à un entretien juste pour voir ton visage se décomposer en te refusant l'emploi." Ou un truc du genre pas cool.
Bon, je tente quand même un truc. Dans le pire des cas, on s'entre-tue au bout de 30 min. Autant s'entre-tuer en moins de temps.
- Ou alors on discute. Ça t'évitera de te péter les yeux.
- Tu veux de l'aide?
L’espace d’un instant, elle caressa l’idée de déléguer un peu, histoire de soulager ses pauvres rétines. Et puis elle se rappela le mal qu’elle avait eu déjà à confier quelques tâches simples et secondaires à Katerina et tout son être se rebiffa à l’idée de demander de l’aide à Ange. Plutôt devenir aveugle ! Sans compter que les dossiers des patients étaient confidentiels et que Donatien n’apprécierait pas qu’elle y donne accès à quelqu’un d’autre que lui, fut-ce le docteur Barrabil. Néanmoins, puisqu’ils étaient coincés ici pour un temps indéterminé, il fallait bien qu’elle fasse un minimum d’effort si elle ne voulait pas qu’ils finissent par s’étriper. Elle marmonna donc un « non merci, ça ira » plutôt que de l’ignorer plus longtemps même si elle aurait préféré, en se retenant de se frotter vigoureusement les yeux pour ne pas montrer de signe de faiblesse.
- Ou alors on discute. Ça t'évitera de te péter les yeux.
Elle leva les yeux vers lui, l’air sceptique, et s’étonna de le trouver plus bas que prévu. Elle n’avait pas senti qu’il s’était accroupi à côté d’elle et... Son air se fit plus méfiant. S’il tentait le moindre rapprochement, il en aurait pour ses frais ! Elle se releva, remettant une distance plus confortable entre eux et bénissant le temps qui lui avait fait choisir un pantalon plutôt qu’une jupe ce matin.
- De quoi veux-tu qu’on parle ?
L’anglais avait ceci de pratique de ne pas faire de différence entre le tutoiement et le vouvoiement, ce qui lui épargnait l’inconfort d’avoir à choisir entre un « vous » de distance mais trop respectueux ou un « tu » de pied d’égalité mais trop familier.
Et soudain, sans qu’elle ne s’y attende, un sujet lui vint en tête. Ca allait être vicelard. Tant pis. Au moins ça remettrait ce débauché à sa place.
- Du fait qu’on t’a retrouvé avec Hyppolite dans un placard à balai le lendemain du bal d’Halloween peut-être ?
Et oui, monsieur Barrabil. Les rumeurs allaient bon train à l’Institut. Et même si elle ne se l’avouerait jamais, elle n’était pas la dernière à les écouter.
Après, sincèrement, elle ne pensait pas qu’il se soit vraiment passé quelque chose cette nuit-là. A tous les coups, c’était juste une histoire de deux hommes complètement déchirés par l’alcool, il n’y avait qu’à voir la quantité qu’ils avaient bu tous les deux. Et puis, Hyppolite aimait bien trop les femmes. C’était aussi ce que clamait Ange à qui voulait l’entendre mais… Enfin, à force, c’en était à se poser des questions. Et était-on jamais sûr de quelque chose avec Hyppolite ? Alors au fond peut-être que… Oh, et puis ce n’était pas son problème !
Pour se donner une contenance, elle fouilla un peu dans son sac et en sortit un baume à lèvres qu’elle appliqua avec soin. Ca lui arrivait souvent d’avoir les lèvres sèches ces temps-ci avec le froid.
- HRP:
- Ce RP me fait trop rire j'en peux plus XD. Ta réflexion avec Agnès en DRH... C'est tellement ça !
J'espère que ça ne te dérange pas que j'utilise le RP que tu as fait avec Hyppolite, j'ai pensé que ce serait intéressant à exploiter. Maintenant, si tu as quelque chose contre, dis-le moi et je changerai !
Et bien j'y connais pas grand chose au catholicisme, mais la bonté et le pardon sont deux choses essentielles à cette religion, non?
- De quoi veux-tu qu’on parle ?
C'était un peu sec je crois? Bon, après elle ne va pas me faire un large sourire amical alors qu'elle ne m'apprécie clairement pas, ce serait hypocrite et je doute que l'hypocrisie fasse partie d'elle.
J'ouvre la bouche, ayant des tonnes de sujets en tête, bien décidé à lui montrer que je suis de bonne foi et qu'en tant qu'ami de Donatien et elle sa secrétaire, on devrait s'entraider plutôt que siffler à chaque fois qu'on se voit.
- Du fait qu’on t’a retrouvé avec Hyppolite dans un placard à balai le lendemain du bal d’Halloween peut-être ?
Les sourcils légèrement froncés, la mâchoire quelque peu décrochée, je la regarde, complètement incrédule. Puis je souffle en souriant, désabusé. Alors comme ça, mademoiselle Dessanges, on en vient à de telles bassesses? Je vous croyais plus maligne que ça et plus bonne.
Je croise les bras.
- Je suis très franchement déçu.
Je n'en dis pas plus, ce sera suffisant pour qu'elle comprenne que j'ai pas forcément envie d'en parler. J'ai passé de tonnes de mauvais moments après ce que j'ai fait, j'ai pas besoin qu'on me rabâche sans cesse que je suis un putain de déchet.
Je ferme les yeux et j'inspire. Ne pas penser comme ça. Ophelia m'aurait frappé si elle m'avait entendu.
Je la dévisage.
- Tu vas me penser tordu de vouloir retrouver une vie normale? Tu vas penser injuste que je puisse encore exercer un métier que j'adore et que j'ai pu obtenir grâce à mes années de travail, qui m'a permis de sauver des gens ou de leur faciliter la vie? Demande aux patients. Je demande pas à être pardonner, je demande juste un peu de répit. C'est trop demander de vouloir discuter calmement ou il faut que même quand je suis seul avec une seule personne, coincé, je doive me prendre des attaques en pleine figure?
Je m'arrête. Peut-être un peu de mépris, mais surtout beaucoup de déception et de demande d'attention dans mes paroles. Je veux pas qu'elle me pardonne, ce serait ridicule de ma part. J'ai déjà du mal à me pardonner alors demander aux autres est insensé. Juste... Merde, ça fait plusieurs mois là déjà.
- Si tu n'en peux vraiment plus, mademoiselle Dessanges, tu aurais pu me virer depuis longtemps. Si tu penses que je suis un mauvais médecin, qui ne mérite pas de recherche de rédemption, alors dis-le. Dis que je suis viré. Mais en aucun cas je t'autorise à dire que ce n'était pas un choix personnel.
- HRP:
- Je tarde un peu à répondre, mais oui bien sûr que tu peux utiliser ce rp avec Hyppo xDDD
- Je suis très franchement déçu.
Agnès se retint d’hausser les épaules en rebouchant son tube de baume à lèvres et en pinçant une dernière fois ses lèvres pour bien étaler la pâte. Il était déçu ? Déçu de quoi ? D’elle ? C’en était presque comique. Pour être déçu de quelqu’un, encore fallait-il avoir de l’estime pour lui. Or, elle était absolument convaincue que le docteur Barrabil n’était pas capable d’avoir de l’estime pour quelqu’un d’autre que lui-même. Il fallait voir son petit air suffisant, sa manière d’affabuler leur patron d’un surnom irrespectueux et d’appeler Hyppolite « la femme de ménage ». D’ailleurs, elle le sentait, il était sur le point de reprendre la parole. Elle pariait qu’il allait lui rétorquer une vacherie pour se venger. A moins qu’il ne lui renvoie à la figure qu’elle n’était qu’une secrétaire et qu’elle ferait mieux de retourner taper ses rapports plutôt que de parler de ce dont elle ne savait pas. C’était tout à fait le genre du personnage. Du moins, c’était l’image qu’elle se faisait de lui. Une image qui s’apprêtait à briser en éclats.
- Tu vas me penser tordu de vouloir retrouver une vie normale? Tu vas penser injuste que je puisse encore exercer un métier que j'adore et que j'ai pu obtenir grâce à mes années de travail, qui m'a permis de sauver des gens ou de leur faciliter la vie? Demande aux patients.
La bouche d’Agnès s’entrouvrit légèrement. Est-ce qu’elle… ? Est-ce qu’elle comprenait bien ? Elle s’était tellement peu attendu à ce revirement de situation qu’elle n’était sûre de rien. Est-ce qu’il sous-entendait qu’il… regrettait ? Non. Non ? Elle ne pouvait pas y croire ?
- Je demande pas à être pardonner, je demande juste un peu de répit. C'est trop demander de vouloir discuter calmement ou il faut que même quand je suis seul avec une seule personne, coincé, je doive me prendre des attaques en pleine figure?
Et là, la brunette se sentit profondément honteuse. Elle l’avait agressé verbalement, c’était juste. Elle en avait même ressenti une immense satisfaction. Mon Dieu. Quel genre de personne était-elle pour faire ça ? « Oui, mais c’est un meurtrier » murmura une petite voix dans sa tête « c’est un homme mauvais, il le mérite. D’ailleurs, est-ce qu’il n’essaie pas de te manipuler, là ? ».
Elle le dévisagea, essayant de répondre à cette question.
- Si tu n'en peux vraiment plus, mademoiselle Dessanges, tu aurais pu me virer depuis longtemps. Si tu penses que je suis un mauvais médecin, qui ne mérite pas de recherche de rédemption, alors dis-le. Dis que je suis viré. Mais en aucun cas je t'autorise à dire que ce n'était pas un choix personnel.
Recherche. De. Rédemption. Ces trois mots résonnèrent au sein même de son âme. Soudain elle doutait. Quand elle le regardait, elle voyait toujours le mal en lui. Mais… Et si Ange Barrabil était plus qu’un démon ? Est-ce qu’il était, comme Donatien, une âme égarée ? Est-ce qu’elle était passée à côté de ça, comme tant de gens passaient à côté de la véritable nature de son patron ?
Elle ne savait plus que penser. Telle qu’elle se connaissait, on devait facilement lire le trouble sur son visage. Elle n’avait pas envie qu’Ange la voit troublée. Elle essaya de se redonner une contenance.
- Je suis secrétaire, pas RH. Ce n’est pas à moi de décider qui on engage et qui on renvoie. Dit-elle avec un ton qui se voulait celui du constat.
Est-ce que c’était de la mauvaise foi ? Pas vraiment. Il était vrai qu’à l’époque où elle avait encore un peu d’influence sur monsieur Elpida, elle aurait peut-être eu son mot à dire sur la question. Mais cette époque était révolue.
Elle s’appuya contre la paroi de l’ascenseur et leva les yeux vers la lumière rougeâtre qui dessinait des ombres étranges sur la porte.
Une question se fraya un chemin le long de ses cordes vocales, se glissa le long de sa langue et s’éclipsa finalement entre ses dents et ses lèvres. Elle n’eut même pas franchement conscience de la poser à voix haute.
- Ca fait quoi de tuer quelqu’un ? Est-ce qu’on se rend compte de ce qu’on fait ? Est-ce qu’on…
Le dernier mot se fit attendre, comme s’il savait d’avance sa propre stupidité.
- Regrette ?
- Je suis secrétaire, pas RH. Ce n’est pas à moi de décider qui on engage et qui on renvoie.
Je m'humidifie les lèvres, à la fois exaspéré et soulagé. Je n'ai pas envie de quitter ce boulot, c'est l'une des meilleures choses qui ait pu m'arriver. Si on omet...
Et exaspéré parce qu'elle est de mauvaise foi. Elle est actuellement la secrétaire du directeur de l'Institut, alors bien sûr qu'elle peut me renvoyer si elle en a envie. Elle n'aura qu'à pas le dire à Donatien, et le tour sera joué.
- Ca fait quoi de tuer quelqu’un ?
Les bras m'en tombent. Elle veut vraiment que je réponde à cette question?! Elle a vraiment posé cette question?! Je rêve, c'est pas possible autrement. La femme la plus pieuse et la plus professionnelle que je connaisse vient vraiment de me demander ce que ça faisait de...?
J'ai envie de vomir. C'est pas une blague. Sauf qu'être enfermé avec une odeur nauséabonde pendant plusieurs minutes, c'est pas le pied.
Je cligne des yeux, plusieurs fois. j'arrive pas à y croire. J'arrive pas à y croire. C'est impossible, elle n'a pas pu dire ça, je rêve.
- Est-ce qu’on se rend compte de ce qu’on fait ? Est-ce qu’on… Regrette ?
Non, je rêve pas. Elle vient vraiment de dire ça. Je viens de lui faire un speech comme quoi je regrettais, comme quoi j'avais envie de passer à autre chose, j'ai même sous-entendu que ça m'avait détruit pendant plusieurs semaines, et elle ose me demander si je regrette et si je m'en suis rendu compte?
- T'es sérieuse?
Ma voix grésille. J'arrive pas à dire d'autres mots que ça. J'ai pas l'impression que ce soit réel. J'ai pas envie de me souvenir de la balle qui part, du bruit qui m'a rendu sourd le temps de quelques secondes, de l'image de Hexe qui...
Je me retourne, la tête baissée, les mains dans mes cheveux. Je tente de chasser tout ça hors de moi, mais ça revient. Je viens de me faire frapper par des millions de sons et d'images qui sont là pour me rappeler mon passé. Je ne veux pas. Je ne veux pas. J'ai besoin de quelqu'un d'autre, j'ai besoin qu'on me prenne dans les bras, je n'ai pas envie de revoir tout ça.
Je passe mes mains sur mon visage, essayant de chasser les sensations de la dépression. Celles qui m'ont accompagné pendant trop longtemps.
Alors, avec une colère injustifiée, je me retourne vers elle. C'est elle qui m'attaque, c'est elle qui me veut du mal. Je ne lui ai rien fait, rien. Et elle se permet de me prendre d'assaut, comme ça. Quelle erreur, j'aurais du ne jamais entrer dans cet ascenseur et lui laisser le luxe de se pisser dessus de peur!
- Oh, laisse-moi deviner, tu adorerais que je réponde que ça m'a plu, que j'ai adoré assassiner une gamine innocente et que j'aime être un putain de connard. Surprise, ce n'est pas le cas! Je crois que j'ai été un déchet ambulant pendant des semaines, j'en ai passé des putains de nuits blanches de peur de revoir les mêmes images que ce jour-là, j'en ai passé des putains de journées où si ça avait été possible de me cracher à la gueule, les gens l'auraient fait sans hésiter. Et tu me demandes si je regrette?! J'espère ô combien que tu plaisantes et que c'est une caméra cachée.
J'arrive pas à savoir si ce sont des larmes de colère ou de tristesse, mais je sais qu'elles sont là. Je sais qu'elles me lacèrent les joues comme, si on me retirait la peau de mon visage.
Pour effacer cette sensation, je cache mon visage et je m'appuie sur les portes de l'ascenseur. Si j'avais su, jamais je ne serai monté dans cet ascenseur.
Les mains de nouveau le long de mon corps, presque désarmé, les yeux sur le sol, j'achève :
- C'est ma phobie. Tuer quelqu'un, c'est ma phobie.
Un frisson remonta le long de l’échine d’Agnès. Ce ton tranchant, quoique tremblant… Elle l’avait bien dit à voix haute. Elle rentra le menton, les bras coincés entre la paroi métallique et son dos, honteuse.
- Oh, laisse-moi deviner, tu adorerais que je réponde que ça m'a plu, que j'ai adoré assassiner une gamine innocente et que j'aime être un putain de connard. Surprise, ce n'est pas le cas! Je crois que j'ai été un déchet ambulant pendant des semaines, j'en ai passé des putains de nuits blanches de peur de revoir les mêmes images que ce jour-là, j'en ai passé des putains de journées où si ça avait été possible de me cracher à la gueule, les gens l'auraient fait sans hésiter. Et tu me demandes si je regrette?! J'espère ô combien que tu plaisantes et que c'est une caméra cachée.
Elle l’avait laissé déverser sa diatribe sans dire un mot, sans même oser démentir ses propos. Elle laissait ses mots couler sur elle et l’engloutir sans un geste, sans même un coup d’œil vers lui. Elle l’avait mérité quelque part. Et pourtant… Même si effectivement, ça aurait été plus simple pour elle de croire qu’il aimait être un putain de connard comme il disait, que tuer la pauvre petite Loreleï ne lui avait fait ni chaud ni froid, même si elle avait voulu dur comme fer se forcer à y croire, au fond d’elle, elle avait toujours su que c’était faux.
Elle n’aimait pas le docteur Barrabil et c’était certainement réciproque. Il était un monstre de prétention et de luxure – du moins il l’avait été – mais ça ne faisait pas de lui un psychopathe exempt de sentiment. Or, personne en dehors d’une pathologie sévère ne pouvait prendre du plaisir à tuer quelqu’un. Elle en était convaincue.
- C'est ma phobie. Tuer quelqu'un, c'est ma phobie.
Finalement, elle risqua un coup d’œil vers le médecin. Il lui tournait le dos, de sorte qu’elle ne pouvait pas voir son visage, mais elle remarqua que sa poitrine se soulevait de manière irrégulière, témoignant d’une émotion forte.
Elle s’en voulait. Elle avait été cruelle à cause de sa stupidité.
Elle ouvrit une première fois la bouche, se cherchant des excuses. Elle n’en avait pas. Alors elle tenta de réparer ce qu’elle avait fait. S’il avait été n’importe qui en dehors de lui-même, elle l’aurait pris dans ses bras sans hésiter pour le consoler. Mais depuis le premier jour, il avait régné une animosité si forte entre eux que ce geste aurait été déplacé. Alors elle opta pour une autre méthode, qui, si elle était moins intime, n’en signifiait pas moins pour elle.
Des bruits de sac plastique résonnèrent dans l’atmosphère confinée de l’ascenseur. Lorsqu’Ange se retourna enfin vers elle, elle lui tendit sa paume ouverte. Le papier doré d’un Werthers y reflétait doucement la lumière rougeâtre de la panne. D’ordinaire, offrir des bonbons était un geste assez anodin pour elle. Mais elle ne l’avait jamais fait pour lui. Peut-être cela témoignait-il d’une volonté inconsciente de le mettre à l’écart. Il était temps que cela change. S’il le voulait bien.
Le regard fuyant et les joues brûlantes, elle ajouta finalement.
- Désolée. C’était stupide. J’ai parlé sans réfléchir.
Mais non. Elle demande tranquillement ce que ça fait que d'ôter à quelqu'un la vie, de priver des dizaines voire des cinquantaines de personnes d'un être qui leur est cher.
Le pire dans tout ça, c'est que je n'ai même pas l'impression qu'elle en a voulu à Donatien. C'est lui qui m'a donné l'arme, c'est lui qui m'a donné le pouvoir de la refroidir. Je n'ai pas cette réflexion pour me dédouaner : Donatien m'avait bien prévenu que la seule et unique balle devait servir à l'apeurer elle et le public si les choses se compliquaient.
Du coup, en veut-elle à Donatien pour m'avoir lavé aux yeux de la justice? J'en ai pas l'impression non plus. Elle, et tous les autres sont aussi complices que moi, sachant que j'ai tenté de la sauver juste après. Après tous ces mois, j'ai appris à prendre du recul. Oui, la balle s'est logée dans sa chair par ma faute, mais croire que je l'ai fait de sang froid, seul, en me délectant de sa souffrance tel un psychopathe, c'est nier l'évidence. Il faut un fautif, il est tout trouvé. C'est aussi con que ça. J'aurais pu m'ôter la vie avec toutes ces conneries, j'en ai été sévèrement touché, mais là personne n'aurait trouvé de coupables.
Bande de connards.
C'est ça qui me dégoûte chez ce genre de personne. Ils ne voient que ce qu'ils veulent voir. Ils ne voient que la main et du sang, mais jamais ils n'auront la sensation qu'avec leur réaction, le fait d'exclure et de descendre quelqu'un constamment, ça peut aussi tuer quelqu'un. Je suis sorti de la dépression uniquement grâce à Ophelia, Astrid et Donatien aussi. Lucy m'a aidée également. Mais sans eux, sans leur gentillesse et leur compassion, je l'aurais sûrement rejoint.
Le pire, c'est que sa réaction face à mes aveux, c'est un silence plat et honteux. C'est là qu'on se rend compte qui est le véritable monstre entre deux personnes. Celle qui a passé des semaines à tenter une rédemption ou celle qui tente de creuser la tombe par des mots et des exclusions tout en révélant des questions perverses ?
Putain, vivement que l'ascenseur fonctionne de nouveau. Je commence à en avoir marre d'essayer de changer mon image avec des personnes qui ne verront rien d'autre qu'un mec qui a tué quelqu'un, sans compter ma réputation de salaud qui me précède.
Je passe mes mains sur mes joues, histoire de les sécher. Désormais, je n'essaierai plus de l'aider ou quoi. Notre relation platonique était finalement ce qui pouvait nous arriver de mieux. C'est assez ironique de voir une enfant de Dieu me demander ce que ça fait que d'aider le Seigneur à peupler son Paradis. Elle a commis pas mal de péchés, et ce juste en discutant dans cet ascenseur.
Le bruit de plastique m'interpelle quand même. Le long silence suivit de ma tirade répondant à la question :"Ca fait quoi de tuer quelqu'un?" et enfin du plastique me fait penser que cette femme va m'assassiner dans ce huis-clos avec un sac plastique.
Je me retourne, et je suis surpris de voir un petit bonbon reposer sur sa paume de main. Je lève les yeux vers elle, interloqué. Le caramel est empoisonné, c'est ça?
- Désolée. C’était stupide. J’ai parlé sans réfléchir.
Elle a l'air d'être une enfant qui vient d'être grondé par son père. D'ordinaire, j'aurais fait une blague salace en demandant :"Who's your daddy?" mais là, c'est ni le moment et j'en ai pas vraiment l'envie. J'espère qu'elle ne joue pas de sa beauté pour m'avoir dans son sac. Surtout depuis qu'elle m'a entendu avouer la trouver dotée de charmes, bien qu'elle soit trop âgée pour moi.
Je respire et tente de laisser toutes les pensées négatives de côté. On doit survivre ensemble dans quelques mètres carrés, autant bien le faire.
Je m'avance et j'attrape le bonbon. Au pire, s'il est empoisonné, on ne pourra que la soupçonner elle. Surtout si je mets l'emballage avec ses empreintes dessus dans ma poche. Ce que je m'empresse de faire une fois le bonbon dans ma bouche.
- Merci.
Après tout ça, je ne sais même pas ce que je peux dire. Le merci semblait même de trop à mon goût. Ce n'est pas un caramel qui va réparer tout ce qu'elle vient de me faire.
Je vais laisser le simplet parler. On verra bien ce qu'il en sort.
- T'es Mary Poppins pour faire sortir des bonbons en claquant des doigts?
J'ai jamais dit que c'était une bonne idée.
- Merci.
A ce simple mot, ses mains désormais vides se tordirent de gêne. Elle ne méritait pas d’être remerciée pour ça. Au contraire. Cela ne fit que renforcer sa honte et son malaise et son « de rien » fut à peine audible. Si elle avait pu, elle aurait tourné les talons pour se réfugier dans son bureau mais… eh. Ils étaient tous les deux prisonniers de la compagnie de l’autre. Elle ne doutait d’ailleurs pas que le médecin mourrait d’envie de se sauver lui aussi.
- T'es Mary Poppins pour faire sortir des bonbons en claquant des doigts?
Un petit rire embarrassé perça la défense de ses lèvres obstinément closes. S’il plaisantait, est-ce que ça voulait dire qu’il ne lui en voulait pas trop ? Elle avait du mal à y croire. Après tout, Ange était le genre de personne à blaguer dans les pires moments à ce qu’il lui semblait. Peut-être essayait-il simplement de briser le silence.
- Malheureusement non, je suis surtout très prévoyante.
Enfin, dans la plupart des cas. La prochaine fois, elle penserait à ajouter une batterie externe à tout son barda.
- Ou alors je suis juste complètement accro au sucre, à vous de voir. Tenta-t-elle de plaisanter à son tour.
Enfin, la boutade lui semblait désespérément plate, surtout parce qu’elle l’avait dit sans grande conviction, mais elle n’avait pas mieux en stock, toujours sous le joug de cette culpabilité qui l’assaillait. Elle se mordilla légèrement la lèvre inférieure. Elle lui tendait la perche pour se moquer de son surpoids et elle ne savait pas si elle espérait qu’il la prenne ou pas. D’un côté, s’il le faisait, ce serait un moyen de soulager sa conscience en estimant qu’elle aurait réglé sa dette – même si quelque chose lui disait que ce ne serait pas assez – et de l’autre, il y avait pour elle que peu de sujets aussi sensibles que son IMC. En particulier parce que les choses évoluaient, mais pas dans le sens où elle l’aurait voulu… Elle rentra inconsciemment le ventre et commença à étaler le contenu de son sac sur le sol.
Bouteille d’eau, chewing-gum, paquet de biscuits, le reste de son paquet de Werthers, brumisateur de poche, mouchoirs… Et ce n’était qu’un échantillon. Des fois, quand on voyait ce qu’elle trimballait toute la journée avec elle, on pouvait se dire qu’elle se préparait en permanence à devoir tenir un siège. Elle retrouva même une petite lampe de poche à dynamo dont elle avait oublié l’existence. Elle l’activa et bingo ! Cet éclairage faisait moins mal aux yeux que la lumière rougeâtre qui leur agressait la rétine. Elle leva les yeux vers le docteur en disant.
- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, servez-vous.
Et elle rejeta un œil à ses papiers en essayant de faire taire ses pensées.
Son rire n'aide cependant pas vraiment à rendre l'atmosphère plus agréable. J'ai l'impression que c'est une défense. De nous deux, la personne qui doit le plus sortir honteuse du huis clos, ce n'est clairement pas moi. Mais il est hors de question que je sois le genre de connard à l'accabler de questions ou à lui faire ressentir toute la honte qu'elle devrait avoir.
Je l'ai un peu (peut-être beaucoup) engueulée, elle a compris qu'elle a fait une erreur, pas besoin d'en remettre une couche.
- Malheureusement non, je suis surtout très prévoyante.
Quel dommage, j'aurais adoré discuter avec une héroïne de mon enfance. On se contentera d'une Agnès, alors.
- Ou alors je suis juste complètement accro au sucre, à vous de voir.
Je lui souris. Bon, on a l'air d'être sur la même longueur d'onde. On est ensemble d'accord pour essayer de passer le meilleur moment possible jusqu'à ce qu'on vienne enfin nous aider.
Mais honnêtement, je ne savais pas qu'elle était "accro" au sucre. A moins que ce ne soit qu'une ruse pour se détendre elle? J'en ai absolument aucune idée, et franchement j'ai pas plus envie de creuser le sujet.
Et d'un coup, miracle. Le contenu de son sac s'étale à terre, dévoilant ainsi tout son contenu. Et d'un coup, je sais qu'elle ne l'a pas dit juste pour plaisanter : elle est réellement accro au sucre. Sauf au niveau de la boisson, même le Coca-Cola light ne peut surpasser l'eau dans le coeur d'Agnès manifestement. C'est assez attendrissant de la voir avec tout ça, même elle a des faiblesses qu'elle cache comme elle peut. Ou alors, elle n'est pas Mary Poppins mais l'affreuse sorcière de Hansel et Grethel. Quoique, je la vois mal dévorer les enfants de l'Institut.
Elle allume une petite lampe qu'elle vient de retrouver en retournant son sac, ce qui n'est pas plus mal. La lumière rouge n'offre pas une bonne ambiance.
- Eh beh, tu en transportes des choses.
- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, servez-vous.
Je lui fais un signe de tête, pour la remercier silencieusement. Je m'accroupis et j'attrape un deuxième Werther's pour plus tard, finissant doucement celui qui fait encore saliver ma bouche et qui danse sur ma langue.
Je lui jette un regard pendant qu'elle se concentre sur ses papiers. J'inspire, ne sachant trop quoi dire. Putain, c'était vraiment le pire des scénarios qui pouvait se réaliser. Je sais même pas comment relancer le truc... Ou alors, je sais comment mais je n'ose pas trop.
Je lève les yeux, tentant de vouloir réinstaurer une bonne entente (ou alors une entente qui se supporte). On est le 5 Mars, plus que six jours avant le départ de sa favorite. Autant demander :
- Je ne vois plus beaucoup Donatien depuis qu'il est directeur, du moins provisoire. Tu sais comment il va, sachant que W12 s'en va? Je sais qu'il tient beaucoup à elle.
Tellement d’années loin de sa famille… Elle espérait que la nouvelle cohabitation allait bien se passer. Elle ignorait ce que la jeune fille avait bien pu dire à ses parents au sujet de l’Institut. Pas grand-chose certainement. Les courriers et les entrevues étaient étroitement surveillés. Allait-elle leur en parler en rentrant ? Aurait-elle besoin de vider son sac ? Ou au contraire essayerait-elle de ne plus y penser du tout et de reprendre une vie normale au plus vite ? Agnès l’ignorait. Elle ne connaissait pas le Lys de Donatien aussi bien qu’elle ne l’aurait voulu. Des patients de son patron, elle avait toujours été plus proche de Nevrabriel, peut-être simplement parce qu’il était plus spontanément venu vers elle que Lucy ou la petite brune. Elle le regrettait un peu mais l’essentiel était qu’elle soit heureuse. Retourner vivre dans sa famille était certainement ce qui pouvait le plus l’aider à l’être.
- Je ne vois plus beaucoup Donatien depuis qu'il est directeur, du moins provisoire.
Agnès hocha la tête. Elle voulait bien le croire. Elle-même le voyait de moins en moins alors qu’elle était pourtant sa secrétaire. Pourtant, cette nouvelle l’inquiétait plus qu’elle ne voulait l’admettre. Elle avait l’impression que Donatien l’évitait mais elle avait essentiellement mis ça sur le compte de leur accrochage en automne. Ca lui serrait le cœur mais il n’y avait pas grand-chose qu’elle puisse y faire. Par contre savoir qu’il ne voyait même plus Ange qui était quand même ce qui était le plus proche d’être son ami… Bon, clairement, elle aurait préféré qu’il fréquente d’autres personnes que le docteur Barrabil mais l’idée qu’il s’isole de la sorte la dérangeait encore plus.
- Tu sais comment il va, sachant que W12 s'en va? Je sais qu'il tient beaucoup à elle.
La secrétaire sortit la lampe de poche de sa bouche et interrompit son travail de paperasse. Curieusement – d’autant plus curieusement après cette altercation ! – elle se sentait d’humeur à parler. Surtout s’il s’agissait de Donatien. Peut-être avait-elle besoin de faire part de ses doutes à quelqu’un.
- Etrange hein ? Je n’aurais jamais cru qu’il laisse Adèlys partir. Pas que je l’imaginais la séquestrer ou…
En fait si. Elle l’imaginait très bien. Mais elle secoua la tête. S’il avait donné son aval pour la laisser partir, qui était-elle pour remettre son honnêteté en doute ?
- Enfin, j’ai été surprise. Forcément il se comporte un peu bizarrement à l’approche de son départ, mais pas de la façon dont je m’attendais. Il n’a pas l’air spécialement triste ou angoissé, juste… Ailleurs.
Après elle ne s’était pas attendu à de grands éclats de larmes mélodramatiques ou à des crises d’angoisse ou de colère monstrueux. On parlait de Donatien et il était difficile de faire plus inexpressif. Mais tout de même, si peu de réaction face à un tel bouleversement de son monde, c’était assez étrange. Mais étrange aurait pu être le deuxième prénom de Donatien. Des fois, elle avait l’impression qu’il manigançait quelque chose, ou qu’il était au courant de quelque chose que lui seul savait. Mais bon. Elle se faisait sûrement des films. Après tout, il ne réalisait peut-être pas vraiment que son Lys s’en allait. Peut-être que tout cela viendrait par la suite, quand elle serait enfin partie.
- Il y a des patients dont tu te sens particulièrement proche toi ?
Elle posait la question par politesse mais en réalité, la réponse l’intéressait. Avec ce qu’il venait de se passer, elle réalisait qu’elle ne connaissait absolument pas Ange Barrabil. A son grand embarras, elle l’avait immédiatement catégorisé comme « Grand méchant Don Juan » et n’avait jamais cherché à en savoir plus. Peut-être qu’elle avait tort. Peut-être qu’il y avait quelqu’un de plus qu’un cliché sous ce faciès de séducteur. Elle avait envie de s’en assurer avant de recommencer potentiellement à le détester.
- Etrange hein ? Je n’aurais jamais cru qu’il laisse Adèlys partir. Pas que je l’imaginais la séquestrer ou…
Adèlys est donc son prénom. Je l'admets volontiers, je ne me suis jamais intéressé aux patients de Donatien. Pour une première bonne raison : j'ai mes propres patients dont je dois m'occuper, si en plus je devais prendre soin de m'interroger sur l'état des patients des autres médecins, je n'en finirai jamais. Il y a une seconde raison aussi, mais qui n'est pas de mon ressort : Donatien n'amorce jamais le sujet. Si ni lui ni moi n'avons envie de parler de ses marmots, je ne vois pas l'utilité d'en discuter autour d'un café et d'un thé.
Par contre, j'imagine totalement Donatien séquestrer ses patients. Je vais être honnête, la seule chose que je sais de ses relations avec ses petits c'est qu'elles sont malsaines. Il les idole et les bichonne comme une maman avec son bambin. Mais je sais que Donatien est un professionnel, il ne transgresserait pas ses propres règles. Si elle avait envie de rentrer sur le continent, alors grand bien lui fasse.
- Enfin, j’ai été surprise. Forcément il se comporte un peu bizarrement à l’approche de son départ, mais pas de la façon dont je m’attendais. Il n’a pas l’air spécialement triste ou angoissé, juste… Ailleurs.
- Je ne peux pas être plus d'accord.
Et c'est la vérité. Je l'ai jamais vu aussi à l'ouest que ces derniers jours. Il a l'air perturbé, ou juste réfléchi. Ce qui est sûr, c'est que ça ne le laisse pas de marbre.
- Il y a des patients dont tu te sens particulièrement proche toi ?
J'hausse les sourcils, ne cachant pas ma surprise. Eh bien, si j'avais su qu'elle s'intéresserait un peu à moi... Je ne l'aurais jamais cru. J'aurais préféré parier sur moi gagnant au loto plutôt que ça.
Je m'assois totalement, la position accroupie commençant à me lancer dans les cuisses, et prends un autre bonbon que je commence à déballer. Je ne sais pas trop si je devrais en dire quelque chose. Le seul patient dont je me sens proche est une patiente, et après Halloween où j'étais beaucoup trop torché, est-ce vraiment une bonne idée de répondre à sa question ?
Bon, dans tous les cas, je pourrais dire que justement j'étais bourré et j'avais dit bien de la merde.
- Je ne sais pas si tu la connais, Ophelia Lilith Rosedbury. Atteinte de la cardiomyopathie du nourrisson. Je la considère comme une petite sœur. Elle fait partie des personnes à m'avoir fait remonter la pente.
Une petite soeur avec qui je couche, ce qui peut être écoeurant (et bon sang ça l'est) mais c'est un peu ça. C'est une fille qui doute encore d'elle et qui n'a pas eu de chance en naissant. Quand elle est arrivée à l'Institut, elle était toute chétive et pâle. C'était un vrai fantôme. Enfin, des échos que j'en ai eu puisqu'elle m'a été attribuée en été 2018. C'est d'ailleurs avec mon autorisation qu'elle a arrêté les pilules. Et avec toutes ses rumeurs qui ont longtemps pesé sur elle... Elle ne méritait pas ça.
- Enfin, dans le jargon de l'Institut, elle est X50. Et selon les patients, elle est la Cannibale même si en réalité, elle n'a jamais fait de mal à qui que ce soit. C'est une sorte de bonbon acidulé.
J'hausse un sourcil, prêt à être un taquin.
- Mais je suis certain que la Maman de l'Institut connaît bien ses enfants.
En tout cas, le médecin avait l’air surpris de sa question. Elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir, ils avaient rarement échangé autre chose que des piques ou des dossiers médicaux. Elle s’apprêtait à se faire envoyer sur les roses, elle en était certaine mais bon. Au moins elle aurait essayé d’être un peu plus agréable. S’il rompait le cessez-le-feu, ce ne serait pas de sa faute. Aussi, ce fut avec une grande surprise qu’elle l’entendit répondre à sa question.
- Je ne sais pas si tu la connais, Ophelia Lilith Rosedbury. Atteinte de la cardiomyopathie du nourrisson. Je la considère comme une petite sœur. Elle fait partie des personnes à m'avoir fait remonter la pente.
Ophelia, Ophelia… Cardiomyopathie du nourrisson. Le cerveau d’Agnès carburait à plein régime pour la resituer dans ses dossiers. Il lui montra une image floue d’une jeune fille blonde.
En tout cas, elle peinait encore un peu à croire qu’il lui avait fallu de l’aide pour remonter la pente comme il disait. Mais il fallait vraiment qu’elle se calme avec ses préjugés. C’était dur à accepter mais au fond, ça faisait certainement d’elle une mauvaise personne, incapable d’appliquer le mantra d’aimer son prochain avec tout le monde. Elle faisait une belle connasse.
- Enfin, dans le jargon de l'Institut, elle est X50. Et selon les patients, elle est la Cannibale même si en réalité, elle n'a jamais fait de mal à qui que ce soit. C'est une sorte de bonbon acidulé.
Le numéro ne l’éclaira pas beaucoup plus mais elle nota qu'il était du genre à la nommer d'abord par son prénom, ce qui était assez rare pour un médecin. La mention de la Cannibale, elle, éclaircit l’image. Elle voyait bien qui maintenant. Une adolescente au sourire assuré qui faisait peur aux plus petits quand elle se montrait. Elle avait le souvenir d’une petite menotte dans la sienne qui lui pointait du doigt « la fille qui mange des gens ». Pauvre petit cœur qui croyait aux mensonges des plus grands.
- Mais je suis certain que la Maman de l'Institut connaît bien ses enfants.
Agnès rougit à ce surnom. Il était vrai que certains patients faisait le lapsus face à elle, l’appelant maman plutôt que madame, la rendant toute chose face à tant d’ingénuité. Mais elle ignorait que cette réputation avait été jusqu’aux oreilles des médecins.
- Et bien, il faut dire que je centralise tous les dossiers des patients alors c’est bien normal que je connaisse mon affaire. Essaya-t-elle de se justifier avec un rire nerveux.
Elle attrapa elle-même un Werthers qu’elle déballa. Elle fit scintiller le papier dans la lumière de l’ascenseur avant de reprendre.
- C’est vraiment un joli petit bout de femme cette Ophelia. Mais elle n’a vraiment pas eu de chance. Comme la plupart des patients ici j’imagine.
Elle l’avait déjà un peu croisée et même si elle n’avait pas eu l’occasion de discuter beaucoup avec elle, elle lui avait toujours eu l’air assez sympathique.
- Et bien, il faut dire que je centralise tous les dossiers des patients alors c’est bien normal que je connaisse mon affaire.
Oui, je m'en faisais pas trop pour ça. Agnès, c'est le cerveau qui connait tous les patients. Je n'en suis pas à mon coup d'essai non plus, je connais presque tous les patients, ne serait-ce que leurs noms et leurs visages. Mais je serai loin de prétendre les connaître aussi bien que celle qui gère leurs dossiers. Elle a du en voir, des têtes passer. Plus que moi en tout cas.
Elle attrape un bonbon dont elle retire le plastique.
- C’est vraiment un joli petit bout de femme cette Ophelia. Mais elle n’a vraiment pas eu de chance. Comme la plupart des patients ici j’imagine.
- Je ne peux qu'ac...
L'ascenseur se met à faire du bruit et les lumières clignotent avant d'éclairer entièrement l'endroit. C'est tellement soudain que ça m'aveugle quelques secondes. Puis du bruit indiquant que la machine fonctionne de nouveau. Je m'empresse d'aider Agnès à remettre ses affaires en ordre en sentant l'ascenseur continuer sa descente.
Et les portes s'ouvrent derrière moi. Je me lève, assez content d'avoir pu sortir d'ici vivant et en ayant mis les choses au clair avec Agnès.
En dehors du huis clos, je lui adresse une dernière parole :
- Il faut que j'y aille, j'ai des choses à faire, surtout que j'ai pris du retard avec cet incident. Honnêtement, je suis content d'avoir pu discuter avec toi. A une prochaine fois!
Je tourne les talons, et me dépêche de retourner à mon bureau pour écrire ce fichu compte-rendu. J'ai presque cru mourir dans un endroit aussi étroit avec elle qui, si elle avait eu un couteau, aurait pris l'opportunité de me planter puisqu'il n'y avait pas de témoins.
Mais bon, s'il faut avoir une conversation aussi éprouvante pour mettre les choses au point avec tous les résidents de l'Institut, je pense que je prendrai des vacances pour m'en remettre pour éviter de mourir de stress.
Agnès grimaça sous l’inconfort mais cette expression disparut rapidement lorsqu’elle réalisa que cela signifiait que l’ascenseur fonctionnait de nouveau. Tout se passa alors très vite. Ange lança une vague phrase comme quoi il était pressé puis s’en alla avec une telle précipitation que le secrétaire n’eut même pas le temps de lui dire au revoir.
Elle resta là un moment, hébétée, la main protégeant ses yeux qui peinaient à se réacclimater à la lumière naturelle. Cette soudaine remise en mouvement lui laissait une sensation étrange, comme si on avait brutalement éclaté sa bulle pour la remettre dans la réalité.
Lentement, elle se pencha et ramassa ses papiers qu’elle remit dans son carton après avoir mis son Werthers dans sa bouche.
En réalité, elle ne savait pas trop que penser de ce qu’il venait de se passer. Etre coincée dans un endroit sans issue avec Ange, c’était une situation qui aurait été digne de ses pires cauchemars. Du moins, c’est ce qu’elle aurait cru. Et finalement, malgré un début provocateur et une sacrée humiliation, elle n’avait pas passé un moment si terrible.
Est-ce qu’elle devait remettre en doute tout ce qu’elle pensait savoir de ce médecin ? Elle n’avait pas encore décidé. Mais peut-être qu’il n’était pas une si mauvaise personne finalement.
Le carton enfin dans les bras, Agnès se dirigea vers la porte d’entrée du bâtiment. Et elle jura. On lui avait piqué le diable qu’elle avait amené pour archiver le dossier d’Adèlys. Ca pouvait être n’importe qui : un patient qui avait là trouvé un nouveau moyen de s’amuser, un agent d’entretien qui avait voulu faire un peu de ménage… Mais son cerveau pensa aussitôt à un autre coupable. A tous les coups c’était un méfait d’Ange !
Cet huis clos avait certainement remis des choses en perspective, mais d’autres resteraient sûrement immuables…
- HRP:
- Merci pour ce RP haut en couleurs ! J'ai vraiment adoré faire ça avec toi.
Cette conclusion est un peu courte mais je ressentais le besoin de la faire.
Et pour ce qui est d'un prochain RP, je crois qu'on a pas trop le choix, n'est-ce pas monsieur le directeur ? ;) Si jamais tu as envie de le commencer, fais-toi plaisir, sinon je m'en occuperais et je t'enverrais le lien !
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