La respiration saccadée, les corps qui se mélangent, elle court sans s’arrêter. Les pas la mènent droit devant, pourtant le décor revient sans cesse. À bout de souffle, les muscles épuisés, le corps lâche et la jeune fille s’effondre. Le sol est froid, dure et lisse.
Puis, elle le voit… une silhouette s’approche se glissant entre les corps inconnus. Paniquée, la jeune femme veut se relever. Malgré les efforts rien ne fonctionne : le sol auparavant si dur se veut maintenant mou, il absorbe sa jambe, l’avale pour la garder prisonnière. D’une main elle essaie d’agripper un meuble, mais au moment de refermer sa main sur le bois, sa prise se transforme en tissu. Matière douce mais inutile elle se résigne, la fuite n’est plus une option. La main noire goudronneuse s’approche. Elle flotte au-dessus de l’albinos. Des gouttes de vides viennent tâcher de noire son habit auparavant immaculé. Le contact de la silhouette se veut imminent.

Des doigts s’enfoncent dans mon épaule me secouent. Je manque de souffle, réprime un cri Et ouvre mes yeux. Cela ne semble pas suffisant pour convaincre le surveillant que je suis bien éveillée. Le suis-je? Son autre main rencontre ma deuxième épaule, il me redresse et m’installe en position assise. Maintenant assurer que je ne dors plus, il me lâche. Il s’installe sur ma chaise et fixe sa montre. Je le fixe, ma vision est brumeuse, j’attends.

Un petit son sort de la montre,

Tu peux te recoucher, je reviens dans deux heures.

Il part sans ajouter un mot.

Je sursaute, je me suis endormie assise, la bouche sèche. Je quitte mon lit attrape le verre reposant sur ma table de chevet. Au moment où je le porte à mes lèvres j’aperçois en son fond la substance goudronneuse du cauchemar. Mes yeux s’écarquillent d’horreur je laisse tomber le verre qui se fracasse  en touchant le sol. Son contenu éclabousse le sol et mon pantalon. Petit à petit la matière noire s’étend, elle gagne du terrain sur ma jambe. Paniquée, je retire le pantalon souillé et tente d’éloigner la contamination en frappant le verre vide du pied. La vitre brisée entaille la plante de mon pied. Horrifié je tombe sur les fesses dans l’eau que je vois autrement. Je prends mon pied entre mes mains. Trop tard des petites gouttelettes de sang s’en échappent. Je couvre les pièces tranchantes de mes mains, mon sang ne doit pas se mélanger à la substance. Mes paumes se couvrent de petites entailles, rien d’alarmant des égratignures, j’attrape le pantalon taché et je couvre la vitre et la substance.

Je recule contre le mur, des bruits viennent du couloir. L’incident a dû alerter quelqu'un. Je ferme les yeux, des bribes de cauchemar me reviennent, les hommes, ma course, ils ne doivent pas m’attraper!

Prestement je me relève, je pousse d’abord ma chaise contre la porte. Ça ne suffira pas, j’entreprends de tirer mon matelas sur le sol, je barricade comme je le peux. On frappe à la porte, je sursaute mais ne dis mot. J’hésite à respirer, puis il frappe à nouveau, m’ordonne d’ouvrir. Puis tout se passe trop vite. La porte coince un moment mais ma construction ne fait pas long feu. Comme une cabane d’enfant tout s’effondre, la personne entre, il fait noir. Une lumière se braque en ma direction, une lampe de poche je ferme les yeux déstabilisé je marmonne.

Partez partez partez…

Il s’avance me demande ce qu’il se passe, je ne sais pas qu’il parte, il s’approche. Non Non Non! Ma bouche lui hurle de partir, j’attrape la première chose à ma portée et je lui lance. L’objet s’écrase contre la porte. L’homme a évité le projectile. En deux enjambés il m’atteint. Je bats des bras pour l’éloigner, je cris, je ne comprend pas ce qu’il me veut je ne l’écoute déjà plus. Laissez-moi, laissez-moi! L’arrivée d’un autre me surprend, je tente de me faufiler, le premier m’attrape je le griffe. Son bras m’entour pour m’immobiliser, je le mords. Il peste et me relâche. Les deux hommes se regardent, je bats en retraite au fond du bazar qui me sert de chambre. Ils se parlent, me parle? Un troisième arrive,

J’ai fais appeler Monsieur Elpi..

Je bouche mes oreilles, les mains pressées contre mes oreilles. Plus rien ne bouge. Les écorchures sur mes mains et mes pieds me brûlent, mais je ne bouge plus. Comme une prière je répète à voix basse : laissez-moi… Encore et encore

Un moment passe, figé. Les autres se retournent, instinctivement je libère mon ouï. Quelqu’un arrive. Cela semble les faire réagir, deux d’entre eux tentent à nouveau de m’approcher. Je balance une fois de plus tout ce qui me tombe sous la main. Entre coussin et carnet cela ne suffit pas à les arrêter, je hurle et me débats quand l’on m’agrippe, la respiration saccadée par mes pleurs, j’ai peur.

De nouveau entre leurs griffes je tente de repousser celui qui s’active près de mon pied. Il ne doit pas le toucher rien ne doit entrer en contact. Une forme pâle s’approche silencieusement. J’enfonce ma tête dans mes épaules, on m’observe. Il m’observe?

Des mots sont échangés, un instant puis mes agresseurs m’abandonnent. Je me laisse glisser sur l’amas de couvertures et d’objets. Le froid entre en contact avec ma peau, une main, oui c’est cela. Je suis des yeux le bras qui est attaché à cette main, puis je l’aperçois. Des cheveux blancs, non, il est tout blanc, pas seulement les cheveux. Il est différent ce n’est pas une ombre. Les larmes roulent toujours jusqu’à mon menton, mais la peur commence à se dissiper.

Je suis là pour toi. Je te protège.

Mon cerveau embrumé d’agitation et de sommeil tente de saisir le sens de ses paroles. Elles sont douces, ce sont de gentilles paroles. Non? Je suis sauvée ? Je ne comprends pas. Mes cils encore gorgés d’eau m’empêchent d’y voir clair. Si ce n’est pas une ombre, c’est une lueur? Une fée ? Non non, c’est plus délicat, plus blanc, plus pur… Comme le petit garçon-fille de la dernière fois, celui qui m’avait sauvé des cauchemars, ce petit Ange.

Le mot m’échappe et passe mes lèvres comme un questionnement,

Ange?

Ma pensée se brise, un bruit inconnu dans une pièce voisine. C’est quoi? C’est qui? Ils vont revenir? Non, Non Non… il les a faits partir, ils ne peuvent pas! Je le regarde, je l’ai déjà vue, son image me semble un peu plus claire. Je me concentre sur son regard, m’y accroche comme j’y peux. Je n’entends pas les bruits, je ne les entends pas, je me le répète encore et encore. Je ne détache le regard qu’un instant, le temps de voir mon sang sur les draps, je retourne à ses yeux. Je ne veux plus voir. Malgré mes jambes dénudées j’ai chaud, cette pièce est étouffante. La seule chose qui me garde est ce contact et cette main froide qui tiédit avec le temps. Je tend les bras Comme un bambin qui veut se faire prendre, amenez moi ailleurs, loin,  s’il vous plaît…

Alors que j’aurais aimé être sauvés de cette pièce, les mots ou plutôt le mot que j’ai prononcé semble créer un choc chez mon sauveur. Son expression change, de la colère ? Je ne comprends pas. Les mains de l’homme agrippent mes épaules me plaquant du même fait contre le matelas. Saisie par le mouvement je ferme les yeux. Qu’est-ce que j’ai faits de mal?

- Que t'as-t-il fait ?! Réveille-toi, Edelweiss !

Edelweiss… On s'adresse à moi? Les paupières encore closes, j’essaie de me calmer, qu'ai-je fait? Edelweiss… c’est moi Non? Pourquoi? Qui m’a fais quoi? La pression des doigts dans ma chaire, j’ouvre les yeux. Je ne comprends pas. Pourquoi avais-je si peur déjà? Pourquoi l’on me regarde comme ça? Je finis par respirer. Les formes se sont évanouies, l’eau est redevenue inoffensive. Et monsieur Elpida se tient au-dessus de moi…

M-monsi….Elpida?

Une question, une question avait précédé mon nom…que t’as-t-il fait? Mais qui?

J-j’ai mal agi? Je vous… en colère?

Tout me semble tellement compliqué depuis quelques semaines.

Qui…qui m’a faits quoi… je ne comprend pas… pa..pardon.

Je l’observe, je reprends conscience un peu plus à chaque moment d’où je suis. C’est étrange, je me rappelle de tout, mais différemment. À travers un nuage, une brume, comme si j’avais simplement rêvé. Mais c’est impossible, j’ai mal et froid, le Docteur semble en colère, je n’ai pas rêvé. Même si je comprends cela, je ne vois pas comment j’ai réussi à le mettre en colère. Je me sens idiote, stupide, je ne comprends pas tout. J’espère qu’il repose cette question, qu’il m’explique ce à quoi je dois répondre.

Heureusement pour ma pauvre tête qui ne comprenait plus rien, le Docteur reformula sa question. Maintenant plus éveillée, les mots prenaient sens dans ma tête.

Tout va bien. Je suis là. Tu semblais cauchemarder. Tu as parlé d'Ange... Enfin, le docteur Barrabil. Que faisait-il dans ta tête ?

Le Docteur Barrabil ? Un Ange ? Quel était le lien? La connexion s’effectua finalement. Ange, il me semble que mademoiselle Astrid m’avait un jour confié que c’était le prénom du docteur. J’avais donc parlé de lui?

Ange… oui c’est son prénom… Je ne l’ai jamais nommé ainsi… dans ma tête? Je ne me souviens pas, cela fait bien longtemps que je n’ai pas vu le Docteur Barrabil. Depuis…

Depuis quand déjà? Le regard brumeux je cherchais la réponse. Après cette nuit où il m’avait permis de dormir en sécurité chez lui, j’étais retourné quelques fois en secret, il était si gentil. Mais depuis mes traitements… tant de choses avaient changé. Et puis la sécurité était devenue bien plus stricte, depuis le temps il avait dû m’oublier. Après tout je n’étais qu’une gamine cernée et décolorée. Sans trop comprendre, cette idée me serra quelque peu le coeur.

Avec beaucoup d’attente je terminais ma phrase,

Depuis longtemps.

Le Docteur avait murmuré quelque chose à l’infirmier, trop distraite je n’avais pas écouté.

C’est mal?

L’énervement qui avait glissé dans le regard du médecin, quelques minutes plus tôt, s’était évanoui. Une lueur rassurante avait pris sa place. Ses doigts fins, légers comme la plume balayaient mon visage.

- Tout va bien, Edelweiss. Tu as fais du bon travail. Tu es une bonne personne.

Une bonne personne… jamais je n’avais pris le temps de réfléchir au concept d’une bonne personne, malgré cela, en être une pour ce médecin qui travaillait si dur pour moi me ravissait.

Tu vas reprendre un rythme de sommeil régulier. Je vais m'occuper de toi.

Le traitement cesserait ? L’idée de dormir me plaisait, mais la pensée, de n’avoir pas été assez forte pour le supporter, planait.

Parle-moi, comment te sens-tu ?

Épuisée mais surtout déçue de moi-même.

Je suis désolée… si j’avais été moins fragile… pardon de ne pas avoir bien supporté le traitement.

Les paroles en suspension, je pris un moment pour respirer, le Docteur ne me regardait plus, je l’avais déçu ? Non je ne devais pas penser comme ça, il avait dit que j’avais faits du bon travail, que j’étais une bonne personne. Me concentrer, comment je me sentais? Un frisson passa sur ma nuque, j’avais eu si chaud et maintenant l’air collait à ma peau. J’imaginais un instant tremper mes membres dans l’eau chaude d’un bain, puis un lit douillet, si seulement.

J’ai froid… mais je, je me sens mieux, un regard dans la pénombre, c’est moi… je suis désolée, la chambre est tout à l’envers.

Donatien n’aimait pas le désordre, cette nuit je devais vraiment être un désastre à ses yeux. Qu’il me déteste m’apeurait, qui viendrait me sauver des cauchemars? Qui d’autre garderait espoir malgré mes faiblesses.

J’ai peur, je ne veux pas que le rêve revienne…