Les beaux jours revenaient. Jemma avait été malade comme un chien pendant tout l’hiver. Ses carences s’étaient intensifiées, surtout en vitamine D, ses os s’étaient affaiblis et elle s’était cassé une jambe en tombant dans les escaliers. Tout allait bien.
Cela faisait maintenant quelques mois qu’elle était à l’Institut, mais elle avait encore croisé peu de monde, si souvent enfermée dans sa chambre comme elle l’était. Au début, les gens lui avaient beaucoup tourné autour. Maintenant, ils se désintéressaient pas mal d’elle. On ne pouvait pas dire qu’elle le vivait bien. Sa maison de LA lui manquait. Les tournages de son père lui manquaient. Les plateaux télé de sa mère lui manquaient. Elle avait l’impression de vivre en autarcie, isolée de tout. Le monde lui manquait.
Ici, elle était traitée comme tout le monde ou presque. La même chambre standardisée, les mêmes salles d’eaux communes, le même réfectoire et le même plateau… Elle n’arrivait pas à s’y faire. Elle ne voulait devenir une anonyme. Porter un numéro la révoltait, quand bien même elle avait obtenu de la plupart du personnel qu’il l’appelle Miss Moore, ou à défaut Jemma. Si la plupart du temps, elle refusait de sortir de sa chambre, c’était parce que c’était le seul endroit où elle était autorisée à porter autre chose que cet ignoble uniforme.
Mais elle commençait à s’ennuyer. Elle avait relu le livre qu’on lui avait offert au Père Noël secret tellement de fois qu’elle connaissait désormais par cœur les détails qu’elle avait découverts dedans. Elle avait eu tort de le traiter comme ça au premier abord. Certes, il n’était pas très intéressant mais il était devenu l’un de ses rares liens à son monde d’origine. En dehors de ses parents qui continuaient à venir la voir régulièrement bien sûr. Mais lorsqu’ils n’étaient pas là, elle en était venue à le promener partout comme son bien le plus précieux.
Toujours était-il qu’aujourd’hui, elle s’était installée dehors, sur un banc, le fameux livre sur les genoux. Les yeux fermés, elle prenait le soleil emmitouflée dans son gros manteau d’hiver, qu’elle n’avait pas quitté malgré ce début de printemps, dans l’espoir de se réchauffer un peu. Le docteur – le directeur ! – Barrabil le lui avait conseillé pour essayer de limiter sa carence en vitamine D mais elle avait surtout l’espoir de réussir à faire prendre des couleurs à son teint maladif. Avec l’hiver, ça s’était tellement empirée que son fond de teint, pourtant adapté quelques mois plus tôt, la faisait paraître orange.
Elle se sentait si fatiguée…
Elle dodelinait de la tête, sur le point de s’endormir, quand une silhouette laissa passer une ombre sur son visage qui la glaça jusqu’au sang. Sa somnolence s’évanouit aussi sec.
- Tu me fais de l’ombre, microbe !
Bon, le « microbe » n’était peut-être pas très approprié pour la taille, le garçon en question étant probablement plus grand qu’elle, mais la nuisance était comparable. Elle le fixerait d’un regard indigné aussi longtemps qu’il le faudrait pour qu’il dégage.
Mais comme à chaque fois que rien n’était là pour occuper son esprit, il se perdit rapidement dans ses pensées, oubliant le monde au profit de réflexions diverses et variées, parfois sans queue-ni-tête et toujours sans réels rapport les unes avec les autres. C’est pourquoi le brun sursauta légèrement lorsqu’une voix l’en sorti brusquement.
« Tu me fais de l’ombre, microbe ! »
Nai mit quelques instants à rassembler ses souvenirs pour comprendre ce qu’on venait de lui dire. Sa mémoire avait beau être parasitée de diverses pensées incohérentes pour les autres, elle ne lui avait jamais fait défaut. A force de se couper du monde depuis si longtemps, il avait fini par comprendre comment avoir accès aux souvenirs récents, comptant les paroles dites juste avant qu’il ne sorte de ses pensées. Il finit ainsi par tourner sa tête pour voir son interlocutrice. Devant ses yeux se trouvait une jeune fille emmitouflée dans un blouson. Il était presque sûr qu’il s’agissait d’une veste d’hiver. Le contraste entre ce qu’elle portait et le simple uniforme des patients de l’institut que lui-même portait était assez amusant à ses yeux. Les paroles étaient à présent bien ancrées dans son esprit mais il ne se préoccupa cependant pas de la qualification qu’elle lui avait donné. A une époque ça l’aurait sûrement touché. Plus vraiment maintenant.
Naito. On t’a parlé souviens toi. Ne reste pas planté là sans rien dire ! Réponds au moins avant de te reperdre dans tes pensées.
Se reprenant, le vampire adressa un sourire d’excuse à la jeune fille qui ne semblait pas vraiment plus bronzée que lui.
« Excusez-moi. Ce n’était pas fait exprès. »
Oui… Il avait l’art de dire ce qui était évident. Il se décala donc pour laisser W160 profiter à nouveau de la chaleur du soleil.
Allo la lune, ici la terre !
Elle s’apprêtait à sa saisir sa béquille pour le dégager elle-même mais ses yeux descendirent sur sa doudoune alors elle décida de lui laisser quelque secondes de plus. C’était normal qu’il soit déstabilisé le pauvre. Une doudoune de marque, qu’elle avait choisie prune pour mettre en valeur le blond magnifique de ses cheveux… Ca ne laissait pas indifférent. Enfin, la première fois du moins. La plupart des gens ne la regardait même plus.
Elle essaya de se souvenir si elle avait déjà croisé cet énergumène qui réussissait l’exploit d’être encore plus pâle qu’elle. Il aurait gagné à prendre quelques cours de contouring histoire de réchauffer un peu son teint. A moins qu’il ne fasse partie des cas désespérés.
Finalement, il se dégagea de quelques pas en s’excusant. Jemma referma les yeux, accueillant de nouveau avec délectation le soleil qui se posait sur son visage.
Le bruit des oiseaux, le vent dans les arbres, cet air qui entrait et sortait doucement de ses poumons, cette autre respiration…
Elle rouvrit les yeux. L’autre n’avait toujours pas bougé d’un iota. Planté là comme ça, on aurait dit un vieux poteau défraichi. Avec une tête de poisson hébété.
Cette vue la mit de mauvaise humeur.
- T’es toujours là, toi ?
- HRP:
- C'est court, mais si Naito ne prend pas vite des initiatives, Jem va vite le snober et le RP va vite se terminer ^^'
Naito avait les yeux perdus sur l’horizon. Cependant, s’attendant cette fois-ci à être interpelé, il sortit bien plus rapidement de ses pensées comparé à précédemment lorsque la voix féminine retentit. Il s’y était replongé au moment où la jeune femme avait fermé les yeux. Son esprit en avait profité pour se remettre à dérivé et se poser comme toujours de nombreuses questions sans réponse, attisant ainsi sa curiosité naturelle. Tournant légèrement la tête vers elle, il la hocha positivement sans faire attention au ton laissant transparaître une pointe de mauvaise humeur.
« Oui, je réfléchissais. »commença le brun
Nai bougea et s’assit sur le bord de la zone non occupée du banc tout en laissant une distance de sécurité entre lui et la blonde, respectant quand même l’espace privé des gens.
« Je suis Naito. Pourquoi portes-tu une veste aussi chaude par ce temps ? Est-ce en rapport avec ta présence à l’Institut ? »demanda-t-il sans détour, le filtre entre ses pensées et sa voix n’existant toujours pas
Cela faisait un moment que le vampire était à l’Institut Espoir. Pour lui, ce genre de question étaient devenues normales, familières. Chacun était ici pour une bonne raison après tout. Il posait donc la question sans hésitation mais n’insistait pas si la personne disait ne pas vouloir en parler. Il était certes toujours aussi curieux mais pouvait comprend l’hésitation de certains patients concernant le fait de parler de leur maladie. Lui avait fini par perdre cette hésitation à force. C’était l’un des changement et une des améliorations depuis son arrivée.
- hors-rp:
- C'est court également, je suis désolé >< Je ne sais pas si cette initiative est suffisante. Si ce n'est pas le cas dis le moi et je trouverais autre chose ! Et pardon pour l'attente !
- Oui, je réfléchissais
Ouh la ! Doucement mon grand, tu vas te faire mal au cerveau. Un sourire sarcastique s’installa doucement sur son visage, disparaissant aussi sec lorsqu’elle comprit qu’il comptait s’asseoir à côté d’elle. Elle aurait dû garder les jambes allongées dessus. Ou y mettre ses béquilles tiens.
Elle avait mal joué pour le coup. Elle qui voulait juste le faire décamper, voilà qu’il prenait sa dernière intervention comme une invitation à la papote.
Et il lui cachait de nouveau le soleil, la glaça de l’intérieur. Avec ses anémies, elle était un peu comme un reptile. Une bête à sang-froid qui avait absolument besoin du soleil pour ne pas congeler de l’intérieur.
- Je suis Naito. Pourquoi portes-tu une veste aussi chaude par ce temps ? Est-ce en rapport avec ta présence à l’Institut ?
Et bien, il était perspicace le poisson frit ! Elle réfléchit à lui envoyer un « évidemment imbécile » à la gueule. Mais puisqu’il était là, elle pouvait aussi bien se montrer un peu plus polie. Après tout, peut-être qu’elle lui trouverait une utilité.
Elle se drapa dans sa doudoune et se décala de manière à empêcher l’ombre de… Elle avait pas retenu son nom en fait, de se poser sur elle.
- Cette « veste » comme tu dis, est probablement la plus belle pièce de ma garde-robe. Il faut bien au moins ça pour compenser cet uniforme hideux.
Elle n’avait pas pris la peine de se présenter à son tour. Elle était Jemma Moore après tout. Tout le monde la connaissait forcément.
- Et accessoirement, avoir une putain de leucémie ça donne froid. Ajouta-t-elle d’un ton détaché.