Ils s’étaient donnés rendez vous quatre jours après le fameux soir ou Nevrabriel avait refait surface. Elle s’était recentrée sur son travail au sein de l’Institut. L’esprit plus tranquille. Le rouquin était certes blessé, mais il était vivant, et lui avait promis de revenir.

Elle était impatiente de le revoir. Le temps avait semblé long, malgré sa charge de travail importante. Plus le moment s’approchait et plus tout devenait affreusement lent. Elle souhaitait s’échapper de son quotidien. Puis reprendre un contact physique avec un autre être vivant. Un besoin d’affection qui la poussait toujours un peu plus dans les bras du rouquin.

Elle marchait vite, espérant peut-être se réchauffer du froid ambiant. Elle avait remonté le col de sa veste, avait enroulé autour de son cou une épaisse écharpe. Le mois de novembre apportait une chute des températures qui présageait un mois de décembre enneigé. L’hiver était la saison la moins sur pour la jeune russe – plus d’aérosol – mais il s’agissait aussi de celle qui lui rappelait le plus son enfance. Les nombreuses heures à regarder tomber la neige de sa fenêtre. Cela lui rappelait une rencontre. Cela lui rappelait de belles choses qu’elle aurait voulu garder belle.

Nevrabriel était assis contre un arbre. Il avait une petite moue boudeuse qui tranchait avec le sourire léger et la bonne humeur de Katerina. Il semblait plongé dans des pensées biens sombres… Elle espérait apporter un peu de légèreté à sa journée. Il était tellement perdu ailleurs qu’ici qu’il sursauta lorsqu’il s’aperçut finalement de sa présence.

_Bonsoir …

Son sourire s’accentua légèrement, et elle le salua à son tour :

- Bonsoir !

Elle s’assit à côté de lui, heureuse de retrouver sa chaleur. Ils étaient tous les deux faces à la beauté du lac. Il était silencieux, l’air toujours sérieux. Il glissa sa main dans celle de la jeune russe. Cette dernière posa sa tête contre le bras du garçon. Elle ferma les yeux un instant. Se laissant bercer par cette sensation de combler un vide.

Elle rouvrit les yeux. Toujours cet air sérieux sur le profil de Nevrabriel… Elle lui caressa doucement la joue, glissant une mèche de ces cheveux derrière son oreille.

– Ca n’a pas l’air d’aller… Tu veux en parler ?

Nevrabriel dévisagea Katerina. Silencieux. Elle se demandait ce qui se tramait derrière ce regard. Et elle ne put s’empêcher de penser que peut-être, il souhaitait revenir sur tout ce qu’il avait pu lui dire. Sur le fait qu’il lui promette d’être toujours là pour elle.

_Katerina … j’ai quelque chose à te demander.

Elle resta silencieuse, essayant de lire à travers ces silences. Elle avait soudainement une sorte de tract qui montait. Ca semblait grave… Important. Essentiel. Est-ce qu’elle ne devrait pas l’interrompre ? Avant qu’il ne parle et que tout ne change. Elle se contenta de l’écouter.

_Pour toi, être amant … non … plutôt … aimer … qu’est-ce que ça signifie ? Parce que, pour moi ... En fait

Il semblait sur le point de se jeter dans le vide. Katerina n’y était jamais arrivée. Le vide était trop effrayant. Trop incertain. Elle était contente que sa question soit rhétorique cela dit. Malheureusement, elle avait du mal à saisir la définition d’amant elle-même. Elle savait juste qu’ils échangeaient supposément une même pulsion. Elle aurait pensé qu’il faille donner de sa personne, mais depuis qu’elle avait défini sa relation avec Nevrabriel comme celle qu’elle aurait eu avec un amant, il n’avait rien tenté de la sorte. Et cela lui allait très bien. Après tout, ne pouvaient-ils pas construire cette définition ensemble ?

Le jeune homme tourna les yeux vers le lac. Katerina ne le quitta pas du regard. Sa main serrait la sienne. C’était suffisant.

…_Je pense que …. Qu’aimer c'est ... Se sentir seul lorsque tu n’es pas là. C'est avoir mal lorsque tu demandes d'autres bras. Aimer c'est se sentir léger, sourire en pensant à toi. C'est être prêt à tout pour ton bonheur. Aimer c'est devenir jaloux et audacieux. Apprécier tes qualités et adorer tes défauts. Aimer c'est le sentiment le plus beau … C'est se perdre dans ton regard, se fondre dans tes étreintes, vouloir être auprès de toi pour toujours. Être ta moitié, une moitié qui n'est rien sans toi.

Katerina avait l’impression de se faire disséquer le cœur. Nevrabriel y plongeait les doigts et saisissait ce qu’il en restait. Plus grand-chose certainement. La jeune russe était perdue. Elle avait l’impression que l’amour lui échappait. Que le concept d’amour lui était en réalité étranger. Pouvait-elle dire à quel point elle n’y comprenait rien à Nevrabriel ? Un aveu de faiblesse. Impossible. Elle avait décidé d’abandonner les sentiments pour garder uniquement la raison. Mais peut-être avait-elle décidé de faire cela pour enterrer son ignorance. Lui semblait détenir une partie de la réponse. Peut-être qu’il pouvait l’éclairer sur ces choses insaisissables sur lequel tout le monde semblait parvenir à se mettre d’accord.

_Aimer c'est ce que je ressens pour toi …

Elle cessa de respirer. Est-ce qu’il… ? Elle doutait d’avoir bien compris...Leurs yeux se croisèrent et il reprit :

_Katerina ... Je t'aime …

Elle le dévisagea sous le choc. Tout se reproduisait une nouvelle fois. Je t’aime. Ces mots qu’elle redoutait désormais. Trop prononcé, par trop de lèvres. Pouvait-elle le croire ? Et qu’est-ce que cela signifiait pour eux ?

_Ca m'est égale que nos mentors se détestent, que tu ais le SIDA ou même que nous n'appartenons pas à la même faction ou n’avons pas eu la même éducation. Moi je t'aime pour ce que tu es et non ce que tu as.

Elle regardait ces lèvres bouger alors qu’il parlait. Mais elle n’écoutait plus vraiment. A l’intérieur soufflait une tempête. Allait-elle le perdre ? Comme elle perdait tout ceux qui lui disait qu’il l’aimait ? Comme tout ceux qu’elle avait cru aimer un jour… Et en même temps… Cette solitude, cet espace entre elle et les autres… Elle avait le pouvoir de le combler. Il lui proposait de le combler.

_Tu as dis qu'on ne pouvait pas être allié mais ... Katerina ... Je ne veux pas être un simple amant parmi d'autre potentiel, je veux être le seul … je veux être ton amour ...

Il était un homme. Il n’avait rien en commun avec Andrei. Victor Graham l’avait laissé lui parler dans le bunker. Il ne les avait pas réprimandés. Il n’avait pas l’air d’avoir de grief envers Nevrabriel. Elle lui avait proposé qu’ils soient amants… S’ils pouvaient être amants, il n’y avait pas de raison pour qu’ils ne puissent pas être plus…  Mais est-ce qu’elle l’aimait ? Elle n’en savait rien.

Elle se sentait bien dans ces bras, elle se sentait protégée. Elle se sentait moins seule en sa présence. Elle aimait discuter avec lui, elle aimait leurs longues promenades silencieuses le long du lac. Mais est-ce qu’elle l’aimait lui ? Est-ce qu’elle l’aimait comme il l’aimait elle ? Elle en doutait…

- Si je suis la seule, alors tu seras le seul.

Un petit silence. C’était simple. Ça pouvait être simple. Peut-être qu’elle pouvait être heureuse ? Peut-être que Nevrabriel lui apporterait ce qu’elle n’avait jamais réussi à saisir. Il pourrait lui apprendre… elle pouvait apprendre…

- Je t’aime Nevrabriel…

Si elle le disait, peut-être que cela deviendrait réel ? Elle avait peur qu’il ne lise dans son regard son trouble. Qu’il ne comprenne qu’elle ne savait rien de l’amour. Qu’il ne se rende compte de son imposture. Alors elle l’embrassa. Un baiser timide, maladroit, imparfait. Comme ces sentiments à l'égard du jeune homme.

Elle luttait contre une sensation au fond d’elle qui remontait. Les yeux fermés, elle se sentait en danger. Elle ne voyait plus à qui appartenait ces lèvres. Une voix dans sa tête lui murmurait qu’elle était si belle. En rouvrant les yeux, ce n’était pas ceux d’Andrei qu’elle dévisagea mais bien ceux de Nevrabriel. Elle s’y raccrocha. Il avait l’air heureux. Elle voulait s’accrocher à ce bonheur. Elle n’en pouvait plus de cette spirale qui l’empêchait de vivre. Elle voulait aimer. Etre aimer. Elle apprendrait… Sinon, elle perdrait Nevrabriel, comme elle avait perdu Hyppolite, Agnès, Andrei… Comme elle avait perdu tout le monde.

Elle se souvenait des paroles d’Hyppolite… Le premier t’a aimé de la façon la plus malsaine possible. Le deuxième t’a aimé mais t'as fait pleurer des torrents de larmes. La troisième t'aime mais c'est une femme. Le quatrième… Elle voulait qu’il soit le dernier.
Une nouvelle fois, elle sentait naitre au fond d’elle un bonheur mêlé à un sentiment terrifiant. Et si elle n’y parvenait pas ? Est-ce qu’elle serait condamnée à la solitude ? Et est-ce qu’elle méritait Nevrabriel s’il l’aimait plus qu’elle ne pouvait lui donner en retour ? Y avait-il un seuil, une limite, un équilibre à atteindre ?

_Je ne suis pas très habitué … accorde moi un instant.

Il posa son front doucement sur celui de la jeune russe. Lui fit un bisou d’esquimau. La douceur de ces gestes la calmait. Calmait ces interrogations. Sa bienveillance, sa douceur, sa tendresse. C’était ce dont elle avait besoin. Il était ce dont elle avait besoin. Si elle gâchait tout encore une fois, elle gâcherait tout et ce pour toujours. Or elle aspirait à ce bonheur. Elle voulait découvrir les couleurs. Cesser de vivre en noir et blanc.

Elle aspirait à ces moments paisibles où les bras du jeune homme la protégeait du monde. Elle voulait préserver cela. Il l’embrassa. Un baiser nuage. Un baiser doux, vaporeux. Elle avait peur de ce qu’elle verrait en fermant les yeux. Mais les yeux d’Andrei ne brillaient plus d’un éclat bleu glacé à travers ces paupières. Pas cette fois-ci en tout cas. Elle n’était pas aussi perdue. C’était moins effrayant. Son cœur battait plus fort pourtant, les lèvres de Nevrabriel lui insufflaient de l’espoir. Si quelqu’un pouvait lui apprendre l’amour, c’était lui. Essoufflée par ce baiser autant que par les papillons dans son ventre, la jeune russe blotti son visage contre l’épaule de Nevrbariel. Il lui fallut quelques minutes de silence. Elle souffla ensuite :

– Je pourrais vivre éternellement dans tes bras.

Et de cela au moins, elle pensait être sûre. Même si elle avait bien moins que l’éternité.