Il n'y avait plus rien. Plus de pensées ni de réflexions, que de la colère qui ne cessait de bouillonner et qui menaçait de muter en rage. Enragée. Attristée. Trahie.
Elle était épuisée de se sentir sans cesse trahie par les siens. Elle accordait sa confiance et on la bafouait comme si ce n'était rien, comme si ça ne comptait pas. Comme si Elizabeth n'était pas importante. Jamais l'Institut avait trahi sa confiance. Elle avait voué sa loyauté aux médecins et hauts placés avec une facilité déconcertante, et jamais ils ne l'ont déçues. Elle s'est toujours sentie écoutée. On lui expliquait tout ce qu'elle devait savoir. Mais en cet instant, elle ne pouvait pas compter sur leur aide. Tout simplement parce que l'Institut n'existait plus. Plus personne pour lui dire comment gérer telle situation, telle émotion, telle conversation. Elle était livrée à elle-même.
Alors, comme une tempête où le vent ne sait plus vers quelle direction souffler, Elizabeth se précipita vers l'Institut Graham pour déverser sa rage vers une personne qui n'avait rien à voir là-dedans. Lucy avait enlacé sa fille, elle avait joué avec, avait fait partie de sa vie. Expliquer à une enfant d'un an et demi qu'un de nos proches est mort était suffisamment complexe, elle n'avait pas besoin de lui expliquer qu'en fait son décès n'avait jamais été réel.
Il pleuvait à torrent. Tant et si bien qu'il faisait rougir la terre.
Elle avait chaud et passa une main sur ses joues, enragée. Elle voulait hurler, mais que pouvait-elle crier ? Le ciel n'était pas capable de la comprendre, personne ne le pouvait. A nouveau, elle était livrée à elle-même. Elle n'avait pas écoutée Aeden, elle l'avait laissée derrière elle. Il ne pouvait pas comprendre la souffrance qu'elle subissait depuis plusieurs semaines. Qu'espérait Lucy, après tout ? Que personne ne lui en voudrait pour avoir fait verser des larmes inutiles, avoir organisé des funérailles factices, avoir vécu avec le souvenir faux d'une personne qu'ils ne reverraient plus jamais ?
Elle serra le poing. Elle avait envie de frapper chaque arbre qu'elle croisait sur sa route, mais elle savait qu'elle se blesserait la main, son nouveau moyen de communication. Alors à la place, elle se mordait la lèvre inférieure jusqu'à ce qu'elle en saigne.
Sa marche rapide chauffait ses cuisses et tiraillait ses mollets. Elle voulait que quelqu'un souffre. N'importe qui. Et si c'était lié à Lucy, c'était encore mieux. Naturellement, ses pas se dirigeaient vers une victime faible, un agneau dont elle pourrait arracher la chair avec ses crocs et ses griffes. Une soif de sang la poussait à vouloir blesser pour faire souffrir. Pour que quelqu'un d'autre ait mal à sa place. Pour qu'elle se libère de sa propre douleur, comme si elle était transmissible.
Incontrôlable, elle se saisit d'un bâton assez gros et porta un coup sur un arbre. Ses bras tremblaient sous le choc et le bâton ne céda pas, mais elle ne cessait pas d'asséner des coups à ce tronc innocent. Un gémissement sec et dur grogna de ses cordes vocales infantiles. Son souffle siffla entre ses dents pendant qu'elle s'épuisait à frapper cet arbre. Elle aboya et grogna, faisant saigner sa gorge tant elle est peu habituée à ce genre d'exercice. Elle lâcha le bâton et cracha cette chaleur qui inondait sa bouche. Elle teinta les feuilles des rouges et s'affala au sol, les larmes dévastant son visage. Elle peinait à trouver de l'air à mettre dans ses poumons. Tout ce qu'elle avait pu ressentir pendant des mois, tout ce qu'elle avait caché au fond d'elle ressurgissait dans un torrent douloureux. Toutes ces émotions lui arrachaient des gémissements.
Tremblante, elle s'approcha de l'arbre sur lequel elle s'était défoulée et s'adossa à lui, les cuisses contre sa poitrine. Le souffle court et rapide, elle plongea son visage humide dans ses genoux, les bras autour de ses jambes.
Seule, entourée d'arbres immobiles et insensibles. Eux ne savaient pas hurler la douleur. Pourtant, elle avait bien essayé qu'ils pleurent, eux aussi.
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