Cinq avril 2020. C'est un jour où je ne dois pas me foirer. Où je dois faire confiance en mes capacités de chirurgien. Parce que j'ai entre mes mains la vie d'une personne qui m'est très chère, et si je ne fais qu'une erreur, ça pourrait la condamner à tout jamais.

C'est le coeur lourd que je me réveille. J'ai eu un mal fou à m'endormir à cause de mes angoisses qui ont pris possession de mes pensées. Les pires scénario ont tourné dans ma tête jusqu'à s'introduire dans mes cauchemars. Je n'ai pas arrêté de me réveiller, c'était une des pires nuits que j'ai passé depuis ma dépression.
Et pourtant, il me fallait du courage et du sang-froid pour les prochaines heures qui allaient se poursuivre. Alors je n'ai pas changé mes habitudes matinales : douche, habits, petit-déjeuner, brossage de dents.
Et enfin, je quitte ma chambre. Je jette un coup d'oeil à cette chambre, fermée depuis l'incident. Je tiens à ce qu'elle reste en l'état le temps que je tire au clair avec Donatien toute cette histoire. Figée dans le temps.

Je croise Agnès sur le chemin qui me donne toutes les informations dont j'ai besoin : Oph est déjà présente et que tout est prêt, pas de réunions comme prévu puisque ma matinée va être bien chargée, le menu pour ce midi. Je la remercie, et m'en vais, la boule au ventre, le coeur qui bat à tout rompre, les gouttelettes de transpiration qui me coulent dans le dos. Pourtant, toute l'organisation s'est déroulée sans encombres, mais j'angoisse. Je n'y peux rien.

Je pénètre dans le bâtiment hospitalier et déambule dans l'aile X. Je gravis les marches jusqu'à l'étage des soins, et entre dans ma salle de chirurgie. Ca y est. La porte fermée derrière moi, il ne me manque plus qu'à laisser toutes les mauvaises pensées en dehors de cette salle et de me concentrer sur mon travail.
Je prends une grande inspiration, et enfile l'accoutrement des chirurgiens. Je me désinfecte les mains, enfile une charlotte et entre dans la salle d'opération.

Ophelia est là, allongée sur le dos et déjà comateuse. L'anesthésiste est déjà passé faire son travail, c'est bien... Très bien même, je n'ai pas à affronter le regard d'Ophelia avant de commencer, parce que ça m'angoisserait davantage.

Je m'approche du coeur artificiel. Ca fait plusieurs semaines qu'il est arrivé, mais on a du faire des tests pour s'assurer qu'il n'avait aucun défaut. Et il n'en présentait aucun. J'espère simplement que le corps d'Ophelia supportera la greffe. Elle en a tellement subi...

Accompagné d'autres chirurgiens pour cette greffe assez exceptionnelle au sein de l'Institut, je donne mes premiers ordres et ils s'exécutent sans broncher.
La première heure s'est déroulée sans encombre : il suffit d'ouvrir la cage thoracique et de vérifier que la patiente continue de dormir paisiblement. Il n'y a pas eu de complications, la perte de sang est ordinaire : rien d'alarmant. Seulement, à partir de maintenant, il faudra être réactif. Un des chirurgiens a le coeur dans ses mains, prêt à être mis en route. Et maintenant, il va falloir retirer celui d'Ophelia. C'est maintenant que tout se joue.
Avec de nombreux gestes précis et calculés, j'arrive à retirer son coeur. Je le donne à un autre médecin qui le place dans un bac où on le conservera pour continuer les recherches sur sa cardiomyopathie.
Et après deux heures encore plus complexes et laborieuses, son coeur est posé. On observe pendant trente minutes son fonctionnement, comment son corps réagit, puis on referme sa cage thoracique.

Une infirmière emmène Ophelia dans une chambre de convalescence où elle pourra se remettre petit à petit. Il aura fallu presque six heures d'opération, et j'ai bien mérité une pause.
Je sors de la salle d'opération, mais avant de manger et me reposer, je pars visiter ma patiente. Elle a l'air paisible, comme si rien ne s'était passé.

Je sors, soulagé que cette étape soit terminée et réussie.
J'envoie un message à Agnès :"Tout s'est bien passé. On attend de voir l'évolution maintenant."

Je pense avoir mérité un bon aligot avec un bon steak.