Plus le temps passait, et plus cela semblait normal à tout le monde, mais plus cela mettait le rouquin en rogne. Bientôt on ne prendrait même plus la peine de lui fournir des couverts. Il était comme un animal en cage dont on ne sait pas trop quoi faire, qu’on fait un peu bosser pour la communauté, mais qu’on abandonnerait bien en l’attachant à un arbre. Personne ne s’adressait directement à lui, sauf pour lui donner des ordres, et il ne prenait pour ainsi dire plus la peine de l’ouvrir puisque de toute manière on ne l’écoutait pas.
Les seuls qui lui causaient un peu était l’insupportable infirmier qui était persuadé qu’il allait découvrir dans le passé du rouquin une raison à ces actes – Jessy estimait qu’il préférait encore être ignoré – et Lucy qui pour une étrange raison avait amorcé une conversation avec lui dans le dos de Donatien et son toutou. Il n’avait pas encore sauté sur l’occasion pour trouver un moyen de se tailler d’ici, mais l’idée commençait à faire son bout de chemin.
Myosotis lavait la vaisselle à quelques mètres de lui, Elizabeth était partie s’occuper de sa braillarde. Béryl était dieu sait où et Lucy devait être prostrée dans sa chambre. Il observa la jeune brune qui semblait concentrer toute son attention sur l’assiette qu’elle passait sous l’eau. A se demander si elle ne mettait pas toute son énergie dans cette action pour éviter d’avoir à croiser son regard. Cet après-midi, il irait surement bosser dehors sous le regard inquisiteur de l’insupportable clébard de son demi-frère. Il savait à quel point Béatrice préférait le voir travailler ailleurs, il se demandait à quel point cet après-midi serait aussi pénible pour elle que pour lui. Pourtant, dans la bagarre, elle ne s’en tirait pas si mal. Un doigt en moins et une voix un peu plus rauque, mais ce n’était vraiment pas la mer à boire.
Il en était là dans ces réflexions, distrait à ce qu’il faisait, quand un morceau de pomme de terre un peu trop gros passa par le mauvais trou. L’arrivée d’un corps étranger dans les voies aériennes de Jessy provoqua chez lui une quinte de toux violente. Il lui fallut une longue minute pour que la toux veuille bien expulser l’élément pour le renvoyer sur son parcours traditionnel. Les joues rougies par l’effort, les larmes aux yeux, il tâta le sol à la recherche d’un verre d’eau imaginaire, se rendant compte que son crétin de demi-frère avait oublié de lui filer à boire. Il grinça des dents. Jusqu’ou irait cette humiliation constante ? Il n’avait pas prévu de s’adresser à Myosotis, mais contraint par la situation, décida de l’interpeler :
- Béatrice, je pourrais avoir un verre d’eau, s'il te plait ?
Il avait préféré son prénom à celui de la fleur. Après tout, tout le monde l’appelait comme ça depuis l’incident de cet été. Il s’avait s’adapter. Il doutait un peu de sa perceptivité cependant. Contrairement à Lucy, elle semblait toujours très rancunière par rapport aux évènements de cet été. Le s'il te plait lui avait écorché la bouche, mais il n'était pas un animal, et il n'avait de toute manière pas d'autre choix que la politesse dans sa situation actuelle.
Béatrice lavait mécaniquement la vaisselle dans l'eau de l'évier. La tâche, loin d'être ingrate, était supposée la maintenir occupée, mais l'action se faisait si mécaniquement que les pensées de la jeune fille dérivaient loin au-delà du bunker et du poids de son corps mutilé. Ses songes, néanmoins, étaient loin d'être opaques, car une partie de l'attention de Béa - un instinct, comme elle venait à penser de plus en plus - restait focalisée sur l'homme qui se tenait enchainé quelques mètres derrière elle. Il était rare qu'elle se retrouve seule en sa compagnie, et cette dernière ne l'enchantait guère. Aucun des deux ne s'était accordé un mot depuis leur enfermement, Béatrice n'avait jamais donné un ordre et l'autre n'avait pas tenté de l'apostropher. Cette situation était loin de convenir à la jeune nordique, car les non-dits se pressaient au creux de sa gorge et devenaient douloureux avec le temps qui passait. Malheureusement, Béa manquait de courage. Elle ne supportait pas l'or des yeux de Jessy. C'était plus fort qu'elle. Dès qu'elle en apercevait la teinte, son instinct l'incitait à esquiver, tandis que sa colère venait bercer sa crainte pour l'apaiser. Difficile de refouler la sensation des mains de ce psychopathe contre sa gorge, et ce souvenir s'ajoutait à celui plus anciens des chirurgiens qui ouvraient l'abdomen d'une Béatrice encore consciente.
Parfois, Béa regrettait avoir empêché le Docteur Elpida de demeurer seul à seul avec Jessy. Peut-être ce meurtrier ne serait alors plus là pour hanter ses rêves. Mais ces pensées l'inquiétaient, alors elle préférait les ignorer, voire les renier.
La toux de l'intéressé sortir Béatrice de la bulle sombre qui poissait son esprit aussi surement que le savon sur ses mains. Elle entendit alors la voix de Jessy dans son dos :
- Béatrice, je pourrais avoir un verre d’eau, s'il te plait ?
Béa se crispa involontairement. Elle ignorait comment la simple voix du jeune homme suffisait à la hérisser de la sorte. Elle ignorait comment, en l'espace d'une soirée, un garçon sympathique était devenu le démon de ses cauchemars. Etait-elle trop faible ? Trop sensible ?
Elle se retint de plonger à nouveau dans ses pensées.
Son regard brumeux avisa le verre qu'elle venait de laver. Elle le prit mécaniquement, et le remplit d'eau fraiche. Etre en colère ne la rendait pas cruelle.
Même envers ce monstre aux yeux dorés.
Elle se retourna et fit glisser le verre en direction de Jessy, fixant soigneusement l'objet pour ne pas avoir à planter ses yeux dans ceux de l'intéressé. Le verre glissa au sol et vint heurter le pied du jeune homme à travers sa cage. C'était une trajectoire maitrisée.
Enfin presque.
On sous-estimait souvent la force de Béatrice Dagmar. Cela lui avait permis de survivre à Jessy. Elle même se sous-estimait souvent.
On sous-estimait aussi la résistance d'un verre vieux d'une petite décennie.
Et en heurtant le seuil de la cage, le pauvre verre se brisa en morceaux.
Il y eut un moment de flottement pendant lequel Béatrice observa sans réagir ni ciller les éclats de verre répandus au sol au milieu d'une petite flaque. Son cerveau semblait s'être éteint devant la stupidité de la situation. Lorsqu'il accepta de se rallumer, une pensée fusa :
D'énormes morceaux de verre avaient pénétré la cage de Jessy.
Les yeux de Béatrice s'écarquillèrent imperceptiblement. Alors elle s'adressa au jeune homme pour la première fois depuis deux mois :
-Si tu prends un des morceaux, je te dénoncerai sans hésiter.
C'était la première pensée qui s'était imposée à Béa : celle de la possibilité d'une arme improvisée. La vue de la jeune femme était cependant mauvaise.
Et elle devait se détourner pour récupérer un verre d'eau ou un balais...Et elle serait donc dans l'impossibilité de surveiller Jessy. Le dilemme était d'autant plus grand que Béatrice n'avait aucune envie d'appeler Nevrabriel à l'aide, ce patient commençait à l'inquiéter et elle n'aimait pas sa manière de s'adresser à Lucy comme si elle était un petit oiseau blessé.
Nevrabriel ressemblait trop à Jessy pour être appréciable.
Tout se passa très vite dans l’esprit de Jessy. Le verre coupait. S’il en prenait l’un des gros morceaux, il n’aurait aucun mal à viser Béatrice. La gorge. S’il s’emparait d’un plus petit, pour le cacher, il pourrait s’en servir si le chien de Donatien venait le voir dans son sommeil. Il était certain que ce cinglé pouvait venir le tuer pendant que les autres dormaient. Mais rien ne le sortirait de sa cage. Le verre n’ouvrait pas les serrures. Et s’il se mettait trop en porte-à-faux avec la famille, s’il devenait trop gênant, il savait ce qui pouvait se produire. Il n’était pas idiot. Ni désespéré. Il se contenta donc de frotter ces yeux pour mieux voir Myosotis. Cette dernière ne bougea pas, mais s’exprima :
-Si tu prends un des morceaux, je te dénoncerai sans hésiter.
Il eut un rire, qui lui fit mal au flanc, mais aussi à la pommette. Le chien ne l’avait pas loupé lorsqu’ils s’étaient battus. Elle allait le dénoncer ? L’aveugle ? Il était curieux de voir ça. Il la fixa de ces yeux de chat, répondant sans la moindre hésitation :
- Ne soit pas ridicule. Si je prends un de ces morceaux, tu n’auras peut-être pas le temps de prévenir qui que ce soit… Mais je ne serai pas plus avancé.
Il se déplaça vers le verre cassé dans un cliquetis de chaines. Répandu en dehors et dans la cage, il serait évidemment compliqué d’en enlever tous les morceaux. Et il avait toujours la gorge en feu, mais clairement il n’était pas près de recevoir de l’eau. Il se contenta de tousser, déranger par l’aliment qui avait tenté une incursion là où il n’avait rien à faire. Le fait qu’il soit parvenu à l’éjecter immédiatement pour lui faire reprendre son circuit original suffirait pour le moment. Il ne ressentait déjà plus qu’une gêne lui grattant le fond de la gorge. Il reformulerait sa demande quand tout ce bazar serait nettoyé.
D’un geste sur et précis, il se mit à empiler les plus gros morceaux de verre hors de la cage. Une espèce d’acte de bonne foi. C’était amusant de voir tous les membres de la Famille, sans cesse avoir un œil nerveux sur lui. Comme s’il avait le pouvoir de faire disparaitre ces chaines et de leur sauter à la gorge. Ou comme s’il était un animal sauvage incapable de se rendre compte que s’il leur sautait à la gorge, on l’abattrait juste derrière.
Conscient que la jeune femme éviterait de s’approcher alors qu’il tenait du verre en main, il se contenta de lui ordonner, sans un regard :
- Allez, lance-moi une brosse et une ramassette, je ne tiens pas à dormir sur des bouts de verre cette nuit.
Il ne se serait probablement pas permit ce genre de phrase avec Donatien ou son chien. Il savait bien que ces deux-là avaient un besoin viscéral de domination qui les empêchait de répondre à un ordre qui relevait du sens logique. Avec une Béatrice, un Béryl ou une Lucy, c’était une autre histoire.
Jessy ne sembla aucunement menacé par les paroles de Béatrice, il en ricana même.
-Ne soit pas ridicule. Si je prends un de ces morceaux, tu n’auras peut-être pas le temps de prévenir qui que ce soit… Mais je ne serai pas plus avancé.
Béatrice lui renvoya un regard froid. Il pouvait la prendre pour une imbécile, et peut-être l'était-elle en réalité, mais elle n'avait aucun doute qu'il ait envisagé l'idée de récupérer un des morceaux de verre, à défaut de la mettre à exécution. Ce garçon était un prédateur, il ne pensait que et par ses propres desseins, surtout lorsque ces derniers étaient sanglants et violents. Béa avait eu l'occasion d'en faire les frais.
Sans rien dire, crispée, elle l'observa ramasser les morceaux de verre et les empiler. Dans la brume de sa vision, les détails étaient imprécis, mais il ne lui sembla pas en voir disparaitre dans les poches du jeune homme. Mais, là encore, elle ne pouvait pas en être certaine.
- Allez, ordonna-t-il alors nonchalamment, lance-moi une brosse et une ramassette, je ne tiens pas à dormir sur des bouts de verre cette nuit.
Ces mots arrachèrent Béatrice à sa contemplation. Elle hésita, puis secoua la tête.
-Ecarte-toi, rétorqua-t-elle à la place. Je vais m'en charger.
Béa n'avait pas la moindre envie de s'approcher de Jessy, mais elle préférait également éviter qu'il ait la main libre sur quoique ce soit. Avec réticence, elle s'empara du matériel, et avec une réticence plus grande encore, elle s'approcha après avoir vérifié qu'il s'était éloigné. Un frisson de répulsion la parcourut, conséquence involontaire de sa haine et du refus épidermique de son corps à obtempérer. Tendue, elle garda son regard rivé sur son ouvrage, surveillant activement à l'aide de son ouïe à ce qu'il ne l'approche pas, auquel cas elle se releverait d'un bond. Elle se sentait vulnérable, ainsi accroupie, et cette sensation douloureusement familière la troublait furieusement. Le simple fait d'imaginer le contact de ce tueur sur son bras la ramenait à celle de ses mains sur sa gorge, et inconsciemment elle toussa.
Après un moment trop long et silencieux, elle finit par se relever, ayant veillé à éliminer chaque morceau de verre. Elle les jeta, soulagée de s'être éloignée, puis, après une hésitation, se saisit d'un nouveau verre d'eau qu'elle remplit.
Béa se rapprocha du prisonnier et posa cette fois plus précautionneusement le verre devant sa cage, avant de retourner à sa vaisselle.
Mais juste avant de partir, son regard croisa celui de Jessy, et autour de l'or tant haï de son regard, elle s'aperçut qu'il était blessé. Elle tiqua malgré elle. Qui avait pu ainsi le corriger ? Le Docteur Elpida ? Non, il ne se salirait pas les mains de la sorte.
Nevrabriel, nécessairement.
Ce moment avait suffi à la ramener à ses vieux démons, et elle avait hâte de quitter cet endroit. Elle se méprisait pour sa propre faiblesse, d'autant qu'elle représentait un bien plus grand danger pour Jessy qu'il n'en était un pour elle dans les conditions actuelles, d'autant qu'il semblait avoir reçu une raclée par Nevrabriel. Béa n'en ressentait aucune satisfaction. Elle n'aimait pas le fait que ses doutes quant au caractère dangereux du bras droit du médecin soient confirmés.
-Ecarte-toi. Je vais m'en charger.
Il ne l’aurait pas cru capable d’une telle proposition. Il s’écarta, un sourire moqueur sur les lèvres. Il pensa sincèrement à la possibilité de l’attraper à travers les barreaux de la cage. Mais elle n’était pas assez baissée, et beaucoup trop sur ces gardes. Lui manquerait de vivacité. Il se contenta donc de l’observer alors qu’elle ramassait le verre. Elle était tendue comme un ressort, prête à bondir aux moindres mouvements. Cela plaisait à Jessy. Il se sentait au moins encore menaçant pour une putain de personne dans ce bunker. Cela flattait son égo. Cela lui donnait envie de jouer aussi.
Elle termina de ramasser les bouts de verre, Jessy quand a lui toussa inconsciemment quand cette dernière le fit, probablement pour essayer de se racler la gorge et lui enlever cette gêne provoquer par l’aliment qu’il n’avait pas correctement avalé.
Elle lui amena finalement un nouveau verre d’eau. Il s’en empara et en but le contenu presque en une seule fois. Le liquide froid tapissait sa gorge et lui apporta la salvation qu’il cherchait. Le grattement agaçant avait diminué, pour ainsi dire disparu. Il jeta un regard à la pièce. Ils étaient toujours seuls. Pas de Donatien ou de son chien de compagnie pour le faire taire. Juste lui et Béatrice. Une Béatrice qui semblait avoir suffisamment peur pour chercher à fuir, retournant à sa vaisselle.
Leurs yeux s’étaient croisés, elle n’avait pas semblé si terrorisée que ça. A moins que ce ne soit la brume de son regard qui ne le dissimule…
Il n’avait jamais eu une occasion comme celle-là. De lui parler. Et il était revanchard après ce qu’il s’était passé avec le toutou de Donatien. Puisqu’il n’avait aucuns moyens de se venger pour le moment, il pouvait au moins déverser un peu de cette haine et de cette colère qui le rongeait doucement.
- Tu m’appartiens encore.
C’était comme de dire une évidence. Il voulait voir comment cela la ferait réagir. Si elle tressauterait encore au son de sa voix. Ce qu’elle penserait de ces paroles. Mais depuis cet été, où ils s’étaient battus, il avait ce sentiment. Il lui avait volé quelque chose, cela allait bien au-delà d’une simple coupure, de la simple perte d’un doigt.
Il n’avait pas pour habitude de tenir ces victimes en vie. Il n’avait jamais vécu une situation comme celle-ci. Certes, le fait qu’elle ne meure pas était ce qui l’avait conduit dans cette cage, mais malgré tout, il trouvait cette situation fascinante.
Béatrice s'acharnait à présent sur la vaisselle, espérant hâtivement quitter la cuisine et la présence oppressante de Jessy. Elle sentait son regard dans son dos. Cet enculé n'avait même pas remercié Béa pour le verre d'eau. Elle se crispa devant l'agressivité de ses propres pensées, puis essuya l'assiette qu'elle tenait dans ses mains en s'intimant de se calmer, très agitée. La sensation des mains de Jessy sur sa gorge revenait la hanter, au point qu'elle en vint à s'horrifier de s'être tenue si proche de lui à l'instant.
- Tu m’appartiens encore.
La voix de Jessy retentit dans son dos comme un glas funèbre. Béa se raidit et s'immobilisa, tournant toujours son dos au jeune homme. C'était un cauchemar. Son cauchemar. Ses mots s'insinuaient dans sa tête et se creusaient un passage à coup de griffes et de canifs. Béa baissa la tête et croisa son propre regard dans l'eau de l'évier. Elle devina ses propres yeux malgré la brume de son regard. Sa gorge s'était serrée, percluse de crainte et d'impuissance.
Et comme en réflexe, sa Colère bouillonnait à l'arrière de son crâne et au creux de son ventre. Etouffante. Poisseuse. Protectrice.
-Je sais, répondit alors Béa.
Sa voix était encore plus rauque qu'à l'ordinaire, comme si on venait de l'étrangler à nouveau, et cela même trahissait la tourmente de ses émotions malgré le calme apparent de son ton. Elle n'avait pas menti. Elle n'avait pas envie de nier quelque chose qu'ils savaient tous les deux. Elle n'avait jamais aimé les mensonges.
Mais ces deux mots, aussi vrais étaient-ils, semblaient sceller cette porte abritant celle que Béa était autrefois. Celle qui croyait encore en sa propre Liberté. Celle portée par sa sérénité. Celle qui ignorait tout de la Colère.
Et comme si cette dernière débordait, les mots échappèrent aux lèvres de la jeune nordique, presqu'aussi fin qu'un murmure, plus grave encore qu'un grondement :
-Et tu n'as pas idée d'à quel point cela me met en colère.
Impuissante. Terrifiée. Brisée. Tout cela il le savait déjà. Mais en colère ? Peut-être pas encore.
Béa recommença à essuyer la vaisselle, s'abimant dans un nouveau silence.
-Je sais
Il eut un regain d’intérêt pour Béatrice. Elle en était consciente… Et elle ne s’en cachait pas. Cela piqua davantage la curiosité du rouquin.
-Et tu n'as pas idée d'à quel point cela me met en colère.
Il eut un rire moqueur. Que croyait-elle donc ? Il l’observait faire la vaisselle comme si elle ne ressentait pas cette fameuse colère. Il voulait la voir éclater. Voir si elle existait vraiment. Si elle n’était pas une chimère derrière laquelle se cachait Béatrice. S’il déchainait cette colère, qu’il avait semé dans son cœur, était-ce mieux ou moins bien que de la savoir morte ? Il avait besoin de réponses. Il répondit donc, avec verve :
-Tu n'as pas la moindre idée de ce qu’est la colère.
Sa main s’enroula autour de l’un de ces barreaux, ces yeux tournés vers le haut. Vers le dos de la jeune femme. Fixant sa nuque à travers ces cheveux. Il avait grandi avec la colère. Il était le fruit de la colère. Même coincé derrière les barreaux de cette prison, il voulait la voir couler à l’extérieur. Se répandre sur le sol de cette cuisine.
- La colère… Je la connais depuis des années… J’ai appris à l’apprivoiser, à la dompter, à l’aimer, à la détester. A l’utiliser. Je suis la colère.
La colère détruisait. C’était une arme redoutable. Un poison dans lequel il s’était baigné jusqu’à se perdre. La colère le brûlait. Le dévorait. Mais la colère le gardait en vie. Elle ne l’abandonnerait jamais. Ils étaient liés, amants. Il n’avait pas peur de cette colère que Béatrice semblait redouter. Il lui adressa un sourire suffisant :
- Toi… Tu connais ça depuis à peine quelques mois… Pour qui te prends-tu ? Que crois-tu savoir d’elle ?
Il voulait voir cette colère brillé. Si elle devait exister, il voulait qu’elle existe pleinement.
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