J'ai glissé, Chef !

Cela faisait quelques jours déjà qu'Amalia fuyait son bureau comme la peste. A cause de ce mariage, elle y avait passé beaucoup trop de temps et préférait le froid de l'extérieur aux quatre murs qui l'enserraient. La neige crissait sous ses talons alors qu'elle réajustait son long manteau noir. Heureusement que personne ne se risquerait à l'arrêter, elle n'avait pas vraiment d'excuses valables. Elle ne fuyait pas ses responsabilités non plus, toutes les tâches quotidiennes étaient accomplies mais le zèle à l'excès ne faisait pas partie de ses obligations. Puis elle avait aussi le droit à un peu de repos non ?

C'est pour cela que le début de sa journée avait été consacré aux rumeurs. Pour être au courant de ce qu'il pouvait arriver, déjà, mais aussi car c'était le moyen parfait pour voir Ophelia et Elizabeth. C'était le seul désavantage des factions à ses yeux, elle ne pouvait plus voir aussi souvent les rares personnes qu'elle appréciait. Il y avait bien Eizenija avec qui la brune s'entendait bien mais elles n'avaient pas prévu de conquérir une partie de l'île ensemble. Dire que ce n'était qu'une plaisanterie au départ et que maintenant, le trio y pensait sérieusement... A chaque entrevue, elles en discutaient longuement avant de dévier sur des sujets plus triviaux. C'était encore un peu étrange pour l'Italienne, qui n'avait jamais vraiment fait partie de "groupes de filles". Avant, elle n'aurait pas su apprécier. Maintenant oui, car c'était un échappatoire à ses responsabilités et c'était rafraîchissant.

Elle revenait toujours à l'Institut par un autre chemin que celui de l'allée et, ce jour-là, elle avait décider de rentrer par les champs. Si jamais on se questionnait sur son passage, elle pouvait toujours dire qu'elle était allée consulter le panneau d'affichage, ce qui n'était pas totalement faux. Qui croirait que la seconde de Graham mentirait pour flâner, avec son air farouche et son regard mortellement glacial ?
Un éclair rose surgit dans son champ de vision. Le milicien était nonchalamment adossé à un arbre, attentif à tout sauf sa charge. Avec un peu de chance, il ne l'avait pas vu. Ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait le blâmer, même si elle aurait dû, et Amalia était prête à passer son chemin... Jusqu'à ce qu'un aboiement la coupe dans son élan. Bobby l'avait remarquée, échec de la mission. Le sursaut de Vincent fit apparaître un léger sourire sur le visage de la jeune femme, intriguée par le petit rouleau qu'il avait balancé. Cette odeur la ramenait automatiquement à ses années de lycée, avant l'Institut et tout ce bordel, même s'il tentait tout pour faire disparaître les dernières effluves. Même un salut militaire ne pouvait pas lui faire oublier.

-Oh, Reano ! Je ne t’avais pas vu tiens ! T’es là depuis longtemps ?

La cheffe de la milice effaça le sourire de ses lèvres rouges avant de s'approcher. Elle administra quelques caresses sur la tête de Bobby, elle avait toujours apprécié la compagnie du canidé.

-Fais attention que ce ne soit pas un certain marquis ou sa secrétaire qui te voient...

Etrangement, sur certains sujets elle pouvait être la plus conciliante des trois. Et l'attitude du milicien en faisait probablement partie.

-Il y a des endroits plus discrets, même dans l'Institut.

Son sourire en coin était de nouveau apparu, un vieux réflexe.

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J'ai glissé, Chef !

Il ne se cachait pas pour faire courir son regard le long des formes d'Amalia, il prenait même son temps, sous l'air inquisiteur de la concernée. Quand leurs yeux se recroisèrent enfin, elle haussa un sourcil, lui demandant silencieusement s'il avait apprécié la vue. Le sourire du milicien parlait de lui-même, elle n'avait pas besoin de confirmation en réalité. Un air satisfait sur le visage, elle observa la surprise se déposer sur les traits de Vincent. Pensait-il vraiment qu'elle ne reconnaîtrait pas l'odeur ni la couleur de la fumée ?

-Ah euh ça… ? Je ne vois pas de quoi tu parles !

Un léger rire secoua les épaules de la noiraude.

-Tu pourrais mentir si je ne savais pas déjà.

Visiblement, il avait oublié leur conversation lors des festivités du mariage. A quel point avait-il été défoncé ce soir-là ? Fière de son effet, elle bascula son poids sur une jambe et croisa les bras sous sa poitrine, son sourire en coin s'étant teinté de la satisfaction de la victoire. Quoique, cela voulait dire qu'il avait aussi oublier la suite, ce qui déplaisait fortement à l'ego de l'Italienne. Son air amusé semblait avoir réveillé le côté joueur de Vincent, la lueur dans ses pupilles avait changé. Pourquoi il avait fallu qu'elle rencontre des gens intéressants après la révolution ? Etaient-ils tous cachés pendant le règne d'Elpida ?

-Eh bien Reano, je ne t’imaginais pas comme ça. Mais, dans l’hypothèse où tu aurais raison et où je serais en train de faire ce que tu penses que je fais (mais ce n’est qu’hypothétique !)…tu en voudrais une ?

Amalia lui offrit une nouvelle mimique interrogatrice. Comment s'amusait-il à l'imaginer dans ce cas ? Certes, la débauche ne se lisait pas sur son visage (et pourtant) mais de là à la penser sage et disciplinée, il y avait une marge. Cette idée fit naître un nouveau rire cristallin sur ses lèvres. Ses iris bicolores parcoururent la ligne de sa mâchoire tandis qu'il s'allumait un nouveau joint, terminant leur course sur sa bouche et du nuage qui s'en échappait. Il avait du cran, c'était appréciable.

-Avec plaisir.

En même temps, elle déroula son bras pour accepter l'invitation de Vincent et saisit délicatement la fausse cigarette entre ses doigts fins, la portant à ses lèvres. Elle n'avait pas connu cette sensation de chaleur dans la gorge depuis longtemps mais son corps s'en souvenait suffisamment pour ne pas qu'elle tousse. Tant mieux, elle aurait été risible sinon. Sans le quitter du regard, le défiant presque, elle tira une nouvelle taffe avant de lui rendre sa consommation.

-Ça m'avait presque manqué.

Mais la brune n'était pas assez inconsciente pour devenir dépendante à n'importe quelle substance. Pour elle, c'était une forme de faiblesse et il en était hors de question.

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J'ai glissé, Chef !

Une sensation de chaleur enivra ses membres et commença à fissurer le masque sévère de son visage. Est-ce que son joint était très chargé ou avait-elle perdu l'habitude plus que prévu ? Dans la fumée qui s'échappa de ses lèvres, les yeux marrons de Vincent étaient presque dorés.

-Tu sais y faire, en tout cas. Quelque chose me dit que tu n’as pas toujours été l’élégante dame que tu sembles être à présent, je me trompe ?

Son rire était communicatif, un sourire à la fois enjôleur et joueur étira la bouche carmin d'Amalia. Lui savait complimenter les femmes mais il fallait plus que cela pour la faire tomber. L'aide de l'alcool ou encore davantage de sous-entendus, par exemple. Visiblement, il avait vraiment fait un black-out.

-Si j’avais su ça plus tôt, j’aurais été plus rapide dans la distribution de mon stock. J’espère juste que tu ne me balanceras pas à Graham, je ‘pense pas qu’il soit aussi conciliant que toi…Quoique ! Peut-être était-il un rebelle dans sa jeunesse, qui sait !

La jeune femme avait un sérieux doute sur un passé sulfureux et inavouable du marquis, cela ne collait pas au caractère et au peu qu'elle savait de son histoire. Entre une vie aristocratique et un passage à l'armée, elle le voyait mal s'enfoncer dans la drogue, l'alcool et la débauche.

-Il y a toujours eu les apparences d'un côté.... les expériences de l'autre, rétorqua-t-elle malicieusement. Concernant ton.... activité, je ne dirais rien si je peux gagner au change.

Une fossette s'était légèrement creusée dans sa joue gauche, accentuant son air espiègle. Elle avait toujours eu cette esthétique hautaine, sombre et froide pour éviter qu'on ne la cherche trop. A côté de cela, elle avait aussi toujours su s'amuser, quelque soit le domaine. Elle était même devenue spécialiste de cette double facette à la fin du lycée. Déjà à l'époque, bon nombre de rumeurs traînaient dans son dos. A y réfléchir, l'île n'était qu'une copie plus grande de ses années de lycéenne. Si Vincent lui permettait de revenir de temps en temps à cette période, alors il était tranquille. Peut-être même qu'elle pourrait l'arranger pour son commerce, lui proposant plus de rondes aux frontières. Peut-être.

-Alors dis-moi Reano, qu’est-ce que tu faisais dans les champs ? Je te vois rarement dans le coin…Tu me cherchais ?

Heureusement qu'il lui tendait de nouveau la fausse cigarette, elle pouvait garder contenance et trouver une excuse relativement valable. Elle restait la cheffe de la milice, elle allait perdre en autorité si elle admettait qu'elle flânait. Ou alors elle esquivait le sujet et répondait à son clin d'oeil. Elle haussa un sourcil interrogateur et faussement moqueur :

-Depuis quand dois-je rendre des comptes ?

L'Italienne tira une nouvelle fois sur le joint, inspirant profondément cette odeur si caractéristique, avant de le rendre à Vincent.

-Je suis allée regarder les rumeurs du panneau d'affichage et, par hasard, j'ai changé d'itinéraire de retour. Finalement, c'est peut-être toi qui m'a appelée, non ? dit-elle avec une lueur joueuse dans ses iris.

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