La nouvelle avait mis du temps à se faire un chemin jusqu’à son cerveau. Avait été difficilement assimilable. Il ne l’avait toujours pas vraiment digéré. Tentait d’en saisir le sens.
Il continua à marcher, le cerveau brulant. Il aurait voulu parler à quelqu’un. Mais à qui ? Il se voyait mal parler à qui que soit. Et il serait incapable, ne serait-ce que de croiser le regard d’Alex. Il se sentait seul. Se demanda si elle aussi c’était sentie seule. Ferma les yeux, serrant les dents, sa main tentant de s’accrocher au mur lisse de l’institut. Sans y parvenir. Il reprit sa marche, malgré ses jambes tremblantes. Il bouscula un patient qu’il n’avait pas aperçu. Continua sa route. S’il s’arrêtait, il allait se faire mal. S’il s’arrêtait… il s’arrêta. Au bout du couloir se tenait B11. Ses longs cheveux violets tirés en queue de cheval. Ces deux yeux sombres fixés sur lui. Il hésita une seconde tout au plus. La rejoignit en quelques pas maladroit. S’écroula dans ses bras.
Z01 avait trépassé, après avoir provoqué sa propre chute. W05 était fière de son Institut, qui punissait ceux qui le devait et ce, de la bonne façon. La mort de Z01 était un exemple. Mieux ! Un avertissement. L'Institut était prêt à tuer pour faire régner la paix en son sein. L'Institut était prêt à tuer pour faire régner la vie. L'Institut était fort et intelligent.
Auparavant, elle admirait déjà Ange Barrabil, ce médecin aussi séduisant que formidablement intelligent. Alors, quand elle apprit qu'il avait tiré sur cette conne... Elle en frémissait de plaisir. Cet homme dépassait toutes ses attentes. Elle l'adorait. Elle voulait le revoir pour le féliciter de cet exploit non négligeable.
C'est pourquoi elle sortit de sa chambre et s'était même pomponnée. Elle avait attaché ses cheveux en une queue de cheval pour lui permettre de mieux admirer son cou et ses épaules, et avait maquillé ses lèvres. Un joli rose brillant, de quoi donner l'envie de les embrasser. Elle était en mode :"Séduction, tu vas pas résister".
Elle s'était même "bien apprêtée". Rien de bien méchant à vrai dire, c'était l'uniforme. Mais elle avait mis comme ceinture pour marquer la taille un foulard de couleur noire.
Elle avait tout prévu. Jusqu'à la scène.
Elle marchait alors dans les couloirs, toute guillerette, ce qui contrastait avec les têtes d'enterrement des autres demeurés. Quelle bande de couillons ! Pas capable de soutenir l'Institut pour quelque chose d'aussi osé et brillant.
Alors qu'elle marchait, elle sentit quelque chose qui l'enlaçait. Elle se mit à avoir la nausée. Quel dégénéré OSAIT poser la main sur elle, cette déesse vivante ?
Elle tourna la tête et vit une touffe brune/châtain foncée.
Elle était déboussolée. Elle avait "parlé" une fois avec une personne comme celle-ci et ignorait si c'était bien elle. Enfin lui, en l'occurrence.
Et puis... Merde, il s'était laissé tomber dans ses bras. Il était en manque ? Il voulait un câlin ? Erotique ou non ? Vu son allure de zombi qui coïncidait avec celles des autres, elle aurait dit qu'il avait besoin de réconfort mais comment savoir ?
Elle inspira, leva les sourcils et opina par petits accoues. Soit.
Elle entoura le garçon de ses bras et frotta son dos légèrement. Elle se retint de soupirer. C'était un des rares patients qu'elle "portait" dans son estime, alors bon.
Elle attendra pour le docteur Barrabil, supposait-elle.
Il respira le doux parfum de la jeune femme, les yeux mi-clos. Cet odeur avait quelque chose de rassurant. Il resta ainsi plusieurs minutes, cherchant à retrouver ces esprits. Ou au contraire. Peut-être souhaitait-il plutôt se perdre.
Il s’étonna d’avoir choisi les bras de B11 pour se laisser choir. Elle qui était si intimement liée à l’institut. Il aurait pu être en colère. L’ignorer. Pourtant, c’était tout le contraire. Elle était innocente. Elle avait reçue l’éducation qu’elle avait reçue. Adoptée la famille qu’elle avait pu. Et elle s’était montrée très gentille lorsqu’il l’avait rencontrée la première fois. Elle n’était pas curieuse, ne connaissait rien du monde extérieur. Et ça la rendait soudainement un peu fragile aux yeux du garçon. Il aurait voulu la protéger de l’institut. La protéger des autres patients. Mais il en était incapable. Il l’avait déjà prouvé avec… Il releva la tête, essayant de réprimer la pointe qui semblait lui transpercer les poumons. Il devait se concentrer sur autre chose. Ignorer ce qu’il ne parvenait pas à matérialiser dans son esprit confus. Ignorer l’évidence. C’était vital. Il posa son regard sur B11. Regarda son matricule. W05. Cela le déstabilisa. Mais c’était logique. L’institut avait changé depuis qu’il avait vu la jeune femme pour la première fois. Maintenant qu’il s’était redressé, il dominait la jeune femme de quelques centimètres. Ces yeux sombres ne semblaient toujours pas trouvés de fin et il ne put s’empêcher d’admirer l’éclat lumineux qui s’en dégageait.
Il se rendit compte à quel point il était prêt de son beau visage et rougit. Il baissa les yeux sur ses lèvres, le cœur battant. Dans d’autres circonstances, il se serrait éloigner maladroitement, glissant une main embêté dans ses cheveux noirs. Mais il ne parvenait à se détacher. Il avait peur de sombrer s’il la lâchait. De s’égarer et de ne plus jamais trouvé de sortie.
De manière aussi soudaine qu’inattendue, Aeden posa un baiser sur les lèvres de W05. Un baiser d’enfant. Plein de maladresse. Plein de tendresse.
Elizabeth ne se sentait pas très à l'aise. Ce garçon, dont elle n'était même pas sûre de l'identité, enfouit son visage dans sa nuque. Elle sentait sa respiration chaude sur sa peau, qui réchauffait sa chair. Ce n'était pas désagréable. Les cheveux du châtain chatouillaient même son oreille. C'était très étrange comme sensation.
Elle se sentait de plus en plus à l'aise, dans cette position. Le mouvement de sa main sur le dos du garçon devenait même fluide. Elle n'avait jamais ressenti le besoin de réconforter quelqu'un, alors elle ne l'avait jamais fait. Bon, sauf pour Jimin, mais c'était sa meilleure amie, alors quoi de plus normal ?
Elle avait vu cet adolescent quoi, deux fois ? Trois à tout casser ? Et pourtant, c'était presque naturel pour elle de le laisser l'enlacer d'une telle façon.
Finalement, il releva la tête. Elle remarqua tout de suite les yeux verts qui l'avait tant marquée. C'était donc bien lui. Elle vérifia son nouveau matricule : W133. Oh, comme ça ils étaient dans la même catégorie ! Comme c'était cocasse !
Elle resta bloquée sur son matricule, alors elle ne se rendit pas compte de l'état actuel de W133. Elle ne rendit pas compte qu'il l'observait. Ni même qu'il déviait sur ses lèvres qu'il se mit à embrasser.
Elle écarquilla les yeux et regarda ceux de W133. Or, ils étaient clos. Elle ne savait pas comment réagir. Un patient qui lui tombait dans les bras, l'air attristé, et maintenant qui l'embrassait ?
Cette décision le rendit soudain plus mature et plus viril aux yeux de W05, qui lors de leur première rencontre voyait surtout un adolescent coincé entre l'âge adulte et l'enfance.
Elle détacha ses lèvres de celle de W133 avec précaution. Elle ne savait pas comment, mais il venait de lui transmettre quelque chose qui semblait précieux.
C'était bien la première fois que c'était quelqu'un qui l'embrassait.
Et avec tant de fougue.
Elle ne savait pas trop quoi en penser. Alors elle ne pensa pas et l'embrassa à son tour, comme pour lui montrer comment faire. Elle y avait été très doucement, posant sa bouche sur celle du garçon avec une douceur qu'elle ne se connaissait pas. Elle caressa ensuite de sa main la joue droite du garçon, passant ses doigts juste en dessous de son oreille.
Pourquoi faisait-elle ça ? Elle n'en avait aucune idée. C'était très agréable, et ce qui était agréable n'était pas mauvais. Et puis, ça l'empêchait de prendre son carnet pour écrire. Discuter par un baiser était beaucoup plus communicatif que toutes les paroles du monde.
Elle passa son autre main dans les cheveux de son interlocuteur, caressant tout doucement son cuir chevelu, et enroulant de temps en temps quelques mèches entre ses doigts.
Elle le laissa de décider de la suite.
Il se montrait comme un homme, autant qu'il continue...
Il se sentait rassuré avec elle. Malgré son peu d’expérience, il ne ressentait pas le besoin de se la jouer. Il pouvait juste être honnête. Jamais il n’avait ressenti ça. Alors qu’il se sentait si seul, quelques minutes plus tôt. Alors qu’était-ce, qui lui arrivait en cet instant ? Il était curieux comme toujours de comprendre. Mais d’un autre côté, il avait le sentiment que cherché à comprendre lui gâcherait la vie plus qu’autre chose alors il laissa ses questions de côté, essayant de se concentrer sur W05.
Pas sûr que ce soit plus efficace. Que savait-il vraiment d’elle ? Assez pour se permettre de l’embrasser ? Il savait juste que l’institut était son chez elle. Qu’elle était bien ici, et ne le serait probablement nulle part ailleurs. Qu’elle ne savait pas parlée. Qu’elle ne connaissait pas grand-chose. Qu’elle avait un côté naïf que le garçon ne pouvait ignorer. Qu’elle était à la fois B11 et W05. Est-ce qu’il avait le droit d’embrasser une fille juste parce qu’il en avait envie ? Juste pour assouvir un sentiment de vide. Juste pour se prouver qu’il était utile à quelqu’un. Juste pour se sentir vivant. Juste parce qu’elle était belle. Juste parce qu’elle semblait si fragile. Ce n’était pas correct. Alors pourquoi est-ce que leurs baisers s’intensifiaient ? Pourquoi la désirait-il aussi ardemment ? Pourquoi ses deux mains glissèrent jusqu’au hanches de W05 ?
Elle voulait que ce garçon devienne un homme en prenant des initiatives : elle ne fut pas déçue. Il avait pris son poignet pour doucement le caresser, puis l'amena contre lui en ayant glissé sa main dans le creux de son dos.
C'était avec un naturel déconcertant qu'elle se laissa guider. Pour la toute première fois, ce n'était pas elle qui menait la danse. Elle trouvait tout cela reposant. Elle se laissait porter par les vagues, par les désirs de ses compagnons. Et en voilà un qui avait su la comprendre. Peut-être. Ou alors, un qui avait su la dompter. Juste par un baiser. Pas de paroles, de blabla inutile. Juste un contact physique intime et sincère.
Elle se laissa transporter par la fougue de W133, suivant cette décision d'approfondir le baiser.
Elle sentait son souffle sur sa peau, parfois en désaccord ou au diapason avec le sien. Elle sut simplement qu'elle aimait cet instant où plus rien n'existait autour. Ses sens s'étaient fermés à tout ce qui ne concernait pas W133. Le toucher se consacrait à la chair, son odorat au parfum qu'il dégageait, son goût à celle de ses lèvres, sa vue n'avait pas besoin d'être sollicitée et son ouïe se concentrait sur leur respiration.
Jamais elle n'avait ressenti ça.
Ce fut avec une certaine surprise qu'elle le sentit davantage désireux. Elle sentait son torse se soulevait au rythme accéléré de sa respiration, ses baisers qui se voulaient impatients, de ses mains qui exploraient doucement le terrain...
Elle entrouvrit les yeux. Elle ne savait pas quoi faire.
Le fait que ce soit lui qui savait ce qu'il voulait et pas elle lui faisait tourner la tête. Elle aussi, avait envie de plus. Elle en avait toujours envie. C'était son corps chaud qui parlait, constamment, sans demander l'avis au cerveau. Et pour une fois, c'était le cerveau qui s'exprimait.
Ce fut à cet instant qu'elle regretta s'être interdite de parler. Ne pas révéler les informations de ses rêves. De ce qu'elle savait. De ses prémonitions plus que douteuses.
De nombreuses fois elle avait vu la mort des gens lors de ses nuits. Parfois, elle voyait même les médecins charcuter les patients. Parfois, elle vit d'autres corps s'harmoniser. Parfois, elle ne vit rien d'intéressant. Et toujours, elle ne disait rien. L'Institut en avait tout simplement conclu qu'elle n'avait pas la même pathologie que son père. Et c'était ce qu'elle voulait.
Mais maintenant, elle voulait parler.
Elle resserra ses poings sur le tee-shirt de l'homme et le plaqua contre le mur. Elle savait ce qu'elle voulait, en fait. Elle l'avait peut-être toujours su.
Elle commençait à avoir mal à la bouche à force ne faire qu'embrasser, encore et encore, mais elle ne voulait pas l'interrompre. Elle était sûre de ce qu'elle faisait.
Elle n'était pas W05. Ni même B11 à cet instant.
Elle était Elizabeth McKinough.
Aeden aurait pu continuer. Se perdre dans une sensation qu’il ne connaissait pas. Découvrir et se laisser porter par le courant. S’enivrer pour oublier. Mais ce n’était pas lui. Ce garçon qui agissait sans réfléchir. Sans se prendre la tête. Et ces erreurs récentes ressurgir. Evidemment. Ce n’était pas possible. Il ne voulait plus faire de mal à qui que ce soit. Il valait mieux que les choses s’arrêtent là. Une nouvelle fois, il savait que fasse au doute, piler net devant l’obstacle était plus simple.
La préserver de la révolution, de l’influence des médecins, il n’en était pas capable. Comme il n’avait pas été capable de sauver Lore. Comme il avait tué Lore. Il ne voulait pas tué W05. Ce fut comme un électrochoc. Soudain. Il se redressa, non sans caresser son visage du regard. Se dégagea. Il glissa une mèche rebelle qui s’était échappé de derrière son oreille. Comme un adieu. C’était mieux. Il se persuada que c’était mieux ainsi.
Il hésita à dire quelque chose. Mais rien ne vient. Rien ne pouvait justifier ce qu’il s’apprêtait à faire. La planter dans le couloir. S’enfuir. Encore. C’était tellement plus facile. Ce n’était pas juste. Pas après l’avoir embrassé et prise au dépourvu de la sorte. Pas alors qu’elle lui avait rendu son baiser. Pas alors qu’ils s’étreignaient. Mais Aeden ne comprenait plus rien à ce qui pouvait être juste ou non. Alors il éloigna la main avait laquelle il avait fait glisser sa mèche et recula. Il devait s’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Avant d’être incapable de défaire ce qu’il aurait pu faire. Il n’était qu’un gamin perdu. Il n’assumerait pas la responsabilité de ces actes. Alors le mieux, c’était de ne pas agir.
C'était ce que pensait Elizabeth. A peine était-elle redevenue une personne que W133 en décida autrement. Il se détacha de ce baiser, et le regard qu'il avait semblait confirmer ce geste. W05 fronça les sourcils, puis comprit finalement. Il s'était juste laissé aller, c'était un dégénéré qui voulait juste prendre du bon temps et qui profitait d'une jeune femme toujours open bar, puis qui venait de réaliser qu'en fait, c'était peut-être mal.
C'était donc le genre de personne à regretter ses actes. Mais pas quelques années plus tard : quelques secondes plus tard. Quel genre de lâche était-il ? Elle qui pensait qu'il devenait enfin un homme qui méritait l'attention de McKinough.
Il s'autorisa un geste de la main avant de partir. W05 ne le suivit même pas du regard, ayant tout à fait compris qui était ce W133. Encore un patient faible et lâche dans cet Institut. Elle qui pensait avoir trouvé la perle rare s'était juste faite bernée par les deux émeraudes qui habitaient dans ses yeux.
Elle ne savait pas comment le prendre, c'était toujours elle qui larguait les gens avec nonchalance. Elle, qui était prête à réfléchir autrement, venait de retrouver ses anciennes pensées. Ce W133 n'était pas attiré par Elizabeth mais par W05. Tout ce qu'il voyait était un extérieur si beau qu'il avait envie d'embrasser chaque parcelle de peau recouvrant le corps voluptueux de la jeune femme.
Et elle le comprenait. Elle était désirable. Sensuelle.
Comment avait-elle pu croire qu'un patient de l'Institut savait ce qu'il voulait : ils étaient tous identiques ici.
Sans comprendre pourquoi, elle était déçue.
C'est alors qu'elle prit une décision : il ne voulait pas que ça se sache, que ça reste un secret volé dans un couloir : parfait. Ce sera un secret volé dans un couloir.
Son carnet et son stylo sur elle, elle passa les pages et écrit de sa plus belle écriture :
Elle se fichait pas mal d'être punie : ils n'iraient jamais en Z pour juste un baiser. Ils seraient convoqués et punis probablement, mais rien de plus.
Elle arracha la feuille, la laissa "malencontreusement" tomber par terre et s'en alla.
Après tout, elle devait bien, de base, trouver le séduisant médecin Barrabil...
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