Il rodait du côté des salles de soin pour échapper aux gardes. Il avait peur qu’en restant dans sa chambre, l’un d’eux viendrait le chercher. Il comptait utiliser comme excuse un rendez-vous médical imaginaire pour éviter toutes ses conneries. Les surveillants restaient relativement benêts. Le jeune homme pensait d’ailleurs que certains d’entre eux devaient avoir été engagé par erreur. Il aurait été chef de la sécurité, les choses auraient tournés autrement, ça il pouvait le garantir.
Il en était là dans ces pensées, lorsqu’il entraperçu un agent d’entretien sortir de l’une des dites salles de soin et d’en éteindre la lumière. Il ne semblait pas avoir verrouillé la porte, c’était là une occasion en or. Il se glissa donc aussitôt dans la pièce, avec un objectif bien précis en tête. Décidemment, le personnel d'entretien valait celui de sécurité. Etonnant que l'institut ne se soit pas effondrer de lui-même.
Il fut ravi de découvrir un gros siège en cuir qui avait un aspect plutôt confortable, derrière un bureau et un ordinateur éteint. Encore mieux que la table dure sur laquelle les patients avaient pour habitude de passer leurs examens. Il se jeta dedans sans une once d’hésitation, s’installant, posant ces pieds sur le bureau. Il poussa un soupir ravi. L’endroit idéal pour entamer une petite sieste, sans risquer d’être déranger et de devoir sortir dehors sous la pluie. Il passa ses bras derrières sa tête, comme un vacancier qui aurait décidé de bronzer au soleil. C’était ça la belle vie.
Devant le Bâtiment où l'on soignait les patients, Margaret termina sa cigarette. Avaler la fumée, la laisser brûler sa trachée et envahir ses poumons avant de la recracher dans un souffle, ça c'était se sentir vivant.
Elle l'écrasa après une dernière taffe et pénétra dans la Bâtiment. Elle parla quelques minutes avec la réceptionniste, pour s'informer des allers et venues des patients. Elle voulut connaître ceux qui pouvaient éventuellement transgresser le règlement, et ainsi connaître ses potentielles futures victimes.
Elle continua sur son avancée en arrivant devant son lieu de travail : son bureau. Enfin, son "bureau", pas vraiment. Le vrai était dans le Bâtiment réservé aux employés, cela allait de soi. Mais elle aimait avoir deux endroits à elle, surtout quand on sort d'une opération neurologique : se reposer de suite est essentiellement.
Elle saisit ses clés qu'elle tourna dans la serrure, mais elles refusaient d'enclencher l'ouverture de la porte.
Elle regarda l'agent d'entretien qui entra dans une autre salle et se promit de se souvenir qu'il fallait qu'elle parle de son incompétence. Ne pas fermer une salle aussi importante que le bureau de Margaret Hernàndez allait être une erreur dont il allait se souvenir longtemps.
Elle retira dans les clés et ouvrit la porte. Elle sursauta en voyant un drôle d'énergumène se prélasser sur son fauteuil, les doigts de pied en éventails. Elle inspira. Son cerveau commençait déjà à sentir le manque de caféine, et c'était un signe que la patience de Margaret n'était pas à mettre à l'épreuve.
Elle claqua la porte, affichant un visage sévère.
Elle ordonna d'un ton qui lui était propre : on pouvait y percevoir tout le ressentiment qu'elle avait pour les sous-fifres et autres patients, mais aussi tout l'orgueil dont elle disposait :
- Je ne m'attendais pas à un accueil si désagréable.
Il venait littéralement de pénétrer dans son espace privé. Pour elle, ça se résumait à s'introduire dans sa chambre et y squatter pendant qu'elle était en vacances. Une sensation de viol très désagréable et dont elle aimerait se débarrasser autant que ce moucheron :
- Il est inutile de vous préciser que si vous ne sortez pas rapidement, W111, vous en subirez les conséquences.
Et il fallait dire qu'ici, elle en aurait des idées de torture. Tous ses outils, soigneusement rangés dans des tiroirs fermés, étaient dans cette pièce. Faire couler le sang n'aura jamais été aussi plaisant que si elle le faisait sur un criminel et un violeur de vie privé, en plus de ne pas respecter les instructions de l'Institut sur la reforestation.
- Je ne m'attendais pas à un accueil si désagréable.
Moi non plus, manqua t’il d’ajouter. Franchement, il ne se retient que parce qu’il pouvait reconnaitre un être aussi orgueilleux que lui, et elle l’était. Il ramena tout de même ces pieds sous le bureau, ça calmerait peut-être la grande femme. Il la dévisagea. Son teint pâle, souligné par ces vêtements noirs, lui donnait l’air de sortir tout droit d’un dessin animé pour enfant. Mais plutôt côté méchant. Elle était très belle, ces cheveux ébènes un peu bouclés et ces yeux étrangement violets la rendait d’autant plus attractive.
- Il est inutile de vous préciser que si vous ne sortez pas rapidement, W111, vous en subirez les conséquences.
Apparemment la sieste était terminée. Mais Jessy n’allait tout de même pas juste se faufiler dehors comme un verre de terre qui voudrait échapper à un corbeau. Il n’avait rien d’un verre de terre. Il savait bien que de toute manière elle reporterait son comportement et il se taperait des heures de colle ou des travaux forcés supplémentaires. Ça le saoulait d’avance.
Mais en attendant, il n’allait pas la laisser lui parler comme ça. Il nota dans un coin de sa tête que malgré qu’il soit passé de médecins en médecins jusqu’ici, il n’avait jamais croisé les pas de celle-ci. Etait-elle spécialisée dans un domaine qui ne le concernait pas ? Ou le hasard avait toujours séparé leurs routes tout simplement. Comme dans les histoires pour enfants. Il lui répondit avec une pointe d’ironie :
- Parce que si je sors, je n’en subirai pas ?
Jessy décide de se relever, malgré qu’il sache que se lever, c’était assumer son faible m59. Il avait pris l’habitude avec le temps. Il parvenait à toiser la doctoresse qui se tenait devant lui de son regard doré, malgré la tête et demi qui les séparaient. Elle avait des jambes interminables. Et elle sentait bon la cigarette. Ça lui manquait parfois. Heureusement qu’il lui restait le café.
Il n’était pas spécialement stressé ou apeuré par la prestance de la femme mais pourtant, lorsqu’il se déplaça dans la pièce, se fut comme un animal prit au piège, la démarche féline, sans quitter des yeux la doctoresse, aux aguets. Son instinct l’avait trahi dans sa manière de se déplacer, mais il ne comptait pas se démonter si facilement. Il compensa donc en affichant un magnifique sourire décontracté qui pouvait facilement être confondu avec un sourire provocateur.
- Vous êtes médecin ici ? Je n’ai jamais eu affaire à vous.
Elle nota cela dans un coin de sa tête. Elle ne pouvait pas penser que c'était naturel, il pouvait porter des lentilles tout comme elle le faisait. Cependant, elle ne s'empêcha pas de tiquer sur ce détail.
- Parce que si je sors, je n’en subirai pas ?
- Cessez d'être stupide et sortez immédiatement.
Elle ouvrit de nouveau la porte et se décala, lui signifiant qu'il était grand temps qu'il mette les voiles. Il était évident qu'il y aurait des répercussions, mais il valait mieux pour lui que ce soit l'Institut qui s'en occupe que Margaret, ou il se maudira de ne pas s'être plié à sa volonté dès qu'elle l'eut énoncée.
Et pourtant, il s'enfonça davantage dans sa bêtise et se leva avant de faire quelques pas. Pas bien étranges par ailleurs. Elle ne savait pas exactement ce qu'il comptait faire, mais il était évident qu'il avait des problèmes mentaux.
- Vous êtes médecin ici ? Je n’ai jamais eu affaire à vous.
Il avait épuisé ses chances de sortir de cette pièce en un seul morceau. Elle claqua la porte dans un bruit assourdissant et ferma la pièce à clé. Elle se dirigea vers sa place souillée par l'insolence du patient, et épousseta le siège comme s'il avait la peste.
Elle inspira et lui fit signe de s'asseoir. Il avait été dans les bons jours de Margaret, elle lui avait laissé le choix de partir ou non. Il n'avait pas saisi cette opportunité. Grand bien lui fasse, il allait s'en mordre les doigts.
- Tout comme je n'ai jamais vu votre petite tête d'insolent dans les couloirs. Et épargnez-moi votre soi-disante sympathie, je ne serai jamais votre amie.
Elle hésita. Devait-elle prendre sa mallette tout de suite afin d'éviter de perdre du temps ou bien devait-elle attendre un peu, pour voir s'il était ou non intéressant ?
- Cependant, nous pouvons faire connaissance. Pour répondre à votre question inutile, il est évident que je suis médecin spécialisé. Neurochirurgienne, pour être plus précise. Et vous, pourquoi êtes-vous au sein de l'Institut ? De quoi souffrez-vous ?
Il pouvait toujours être utile à Margaret, pour peu qu'il devienne son cobaye...
- Tout comme je n'ai jamais vu votre petite tête d'insolent dans les couloirs. Et épargnez-moi votre soi-disante sympathie, je ne serai jamais votre amie.
Un large sourire, presque hilare fit irruption sur le visage de Jessy. Incontrôlable. Elle pensait sincèrement qu’il essayait de s’attirer sa sympathie ? Être ami avec elle ? L’amitié c’était un truc d’idiot. C’était bien mal le connaitre. Elle le prenait probablement pour n’importe quel patient lambda qui trainait dans cet Institut. Logique, il avait même fallu faire quelques concessions pour y parvenir, comme se couper les cheveux plus courts pour avoir plus l’air d’un gamin. Il avait bossé longtemps pour arriver à ce résultat-là.
- Cependant, nous pouvons faire connaissance. Pour répondre à votre question inutile, il est évident que je suis médecin spécialisé. Neurochirurgienne, pour être plus précise. Et vous, pourquoi êtes-vous au sein de l'Institut ? De quoi souffrez-vous ?
Il abandonna son sourire et termina de la rejoindre de l’autre côté du bureau avec plus de nonchalance que lorsqu’il s’était dirigé vers la porte. Il resta debout cependant, se contentant de poser les mains sur le bureau et de s’y appuyer. D’ici, il pouvait s’imposer, prendre le temps de dévisager la spécialiste en se sentant maitre de la suite des évènements.
- Evident, évident… Vous auriez pu tout aussi bien être agent d’entretien. Même si je vous préfère neurochirurgienne.
C’était à la fois très insolent mais de son point de vue à lui c’était aussi un compliment. Il n’était pas certain qu’elle le prendrait de la sorte. Elle avait l’air un peu coincée, la neurochirurgienne. Et elle ne savait pas à qui elle avait affaire. Il ne quittait pas son regard, la scrutant avec intensité :
- Je ne souffre de rien qui ne vaille la peine d’être soigné. Je suis ici parce qu’on me l'a demandé.
Il leva un sourcil. Voilà qui était fait. Il avait répondu sans répondre, et elle n’allait probablement pas aimer ça. Pourtant, il ne mentait pas, ces réponses étaient juste invraisemblables. Tellement qu’on aurait pu penser qu’il était en train de raconter des salades. Comme le mythomane qu’il était. Il continua, avant qu’elle ne le coupe :
- Mais vous ? Pourquoi une aussi belle femme que vous, assez brillante pour vous faire une place de neurochirurgienne dans un milieu beaucoup trop machiste, a-t-elle pu atterrir dans ce trou paumé ?
Il connaissait la renommée et la réputation de l’Institut. Mais ce n’était pas pour autant le meilleur établissement de soin. Elle ne visait donc pas le meilleur la petite neurochirurgienne ? Elle avait peut-être manqué de perdre son emploi pour vice de procédure ? Ça, ça aurait été une histoire digne d’intérêt. Si c’était juste une question de pognon, ça allait très vite le saouler en revanche. A moins qu’elle ne voit une opportunité de se faire une belle place ici, entre Elpida senior qui était absent, et Elpida junior qui semblait munit de trois neurones désolidarisés les uns des autres.
Elle ignora cette démonstration de supériorité infantile et le toisa bien qu'elle fut sous lui.
Elle croisa les bras, moins impressionnée qu'elle n'était irritée. Sous ses airs de gamin, ses traits de visage ne mentaient pas. Ou il faisait plus vieux que son âge, où il n'était pas aussi nouveau qu'il ne le prétendait. Enfin, en réalité il n'avait rien dit de tel, mais Margaret se fichait pas mal de ce qu'il avait ou non déclamé. Elle n'aimait pas que lui démontre autant d'irrespect que l'enfant face à elle.
- Evident, évident… Vous auriez pu tout aussi bien être agent d’entretien. Même si je vous préfère neurochirurgienne.
Elle fronça les sourcils et lui jeta un regard qui en disait long sur sa colère qui grondait en elle. Elle n'avait pas besoin de son approbation ni même de son avis. Elle n'aurait jamais besoin d'un misérable garnement avec la folie des grandeurs. Malgré tout, quelque chose retint l'attention qu'elle avait à son égard, la seule raison pour laquelle elle l'autorisait à rester dans son antre malgré son intrusion : la couleur de ses pupilles. Elle ne savait pas où elle avait déjà vu une couleur si particulière mais elle ne pouvait pas se mentir à elle-même : cela l'intriguait énormément.
- Je ne souffre de rien qui ne vaille la peine d’être soigné. Je suis ici parce qu’on me l'a demandé.
- Je ne vous ai jamais demandé d'être dans mon bureau, à ce que je sache.
Elle claqua son talon sur le sol en même temps qu'elle changea de jambe lors de leurs croisements. Il était évident qu'il n'était pas le bienvenu dans cette pièce, et elle devait en discuter avec le personnel pour que cela ne se reproduise plus jamais. Quitte à renvoyer le crétin qui ne fermait manifestement pas les portes d'un bureau où multiples instruments coupants pouvaient aisément se transformer en armes de crime si elles étaient manipulées par de mauvaises intentions.
- Mais vous ? Pourquoi une aussi belle femme que vous, assez brillante pour vous faire une place de neurochirurgienne dans un milieu beaucoup trop machiste, a-t-elle pu atterrir dans ce trou paumé ?
Le voilà bien curieux soudainement. Se révélait-il enfin face à elle ? Faisait-il partie de ce groupe de révolte dont elle entendait tant parler dans les couloirs du personnel ? Elle ne prenait vraiment pas ces rumeurs au sérieux, à raison par ailleurs. Si des abrutis tentaient de retourner l'Institut, ils se retrouveraient enfermés directement dans l'Asile et ce sans procès. Les punitions semblaient s'être adoucies depuis le couronnement du docteur Barrabil, et cela n'était en aucun cas une bonne chose. Il fallait mater les plus insolents, comme ils l'avaient fait pour mademoiselle MacKenzie, mademoiselle Hexe ou monsieur Becchino. Sans compter du toutou de la Drama Queen, mademoiselle Reano et du garnement Hexe. Décidément, la vermine se reproduisait chez les Hexe, à croire qu'il faudrait les exterminer afin d'éradiquer toute source de perturbation.
- Votre cerveau semble particulier, il m'intéresse fortement.
Sa tête se pencha légèrement sur sa gauche, se donnant l'air de réfléchir et d'observer le crâne du patient aux yeux dorés. Il semblait être une véritable énigme à lui seul. Elle ne parlait pas que de son comportement, mais aussi de son physique. Elle n'arrivait toujours pas à mettre la main sur sa familiarité avec de telles pupilles.
Elle posa ses bras sur la table, les mains jointes, et avec un sérieux intense elle lui siffla :
- Serait-ce possible qu'il soit suffisamment sous-développé pour ne pas comprendre que vous n'êtes pas en position d'éviter mes questions, jeune homme ? Si tel est le cas, j'adorerai l'étudier en plus profondément.
Les traits de son visage se durcirent, ne laissant passer aucune émotion. Seul un dégoût venant d'un personnage aussi abjecte et imbu se devinait.
Décidément, les hommes de l'Institut ne se définissaient que par ces traits de caractère. Un attrait pour le pouvoir et des démonstrations de supériorité futiles.
Je réitère : que faîtes-vous ici ?
- Serait-ce possible qu'il soit suffisamment sous-développé pour ne pas comprendre que vous n'êtes pas en position d'éviter mes questions, jeune homme ? Si tel est le cas, j'adorerai l'étudier en plus profondément.
C’était une colère froide. Elle se sentait probablement dans son droit après qu’il ai pour ainsi dire pissé sur son territoire. Pfff, si la prochaine fois il pouvait ne pas se faire pincer, ça lui éviterait les interrogatoires à deux balles. Il pouvait faire une croix sur sa sieste au sec, celle-là ne semblait pas prête à le lâcher. Ces menaces sous entendues ne l’impressionnaient pas cependant. Elle n’avait aucuns réels intérêts à triturer dans son cerveau :
- Je réitère : que faîtes-vous ici ?
Elle voulait une réponse ? Elle en aurait une. Pas sur que cela la satisferait mais c’était loin d’être son problème, après tout, il n’avait rien fait de bien grave ici à part vouloir carotter le jardinage et éviter de se coltiner encore les autres patients sur le dos :
- Une sieste. Trouvé un coin tranquille et confortable pour piquer un somme relève du défit dans cet « institut ». J’ai vu de la lumière, alors je suis entré. Vous devriez mieux choisir les sous-fifres qui s’occupent de l’entretien de ces salles de consultation. Y a surement un tas de babioles ici qui ne devraient pas tomber dans les mains des patients.
Son regard traversa la pièce. Il n’y avait rien à faire, l’institut avait beau être au top en matière de soin médicaux et de technologie, la sécurité craignait grave. Les Elpida n’avaient apparemment pas les mêmes priorités que lui en matière d’ordre, à moins qu’ils soient juste complètement inconscients de l’état des lieux de leur système. L’inconvénient quand on déléguait à des incompétents, c’était qu’on pouvait mettre du temps à s’apercevoir qu’ils l’étaient.
Il ajouta à l’adresse de la chriurgienne vénère :
- Mais vous savez, si vous ne souhaitez pas partager vos sièges en cuir, je le conçois. Je peux aller en trouver un autre ailleurs, ne vous inquiétez pas pour moi, j’ai de la ressource.
Il doutait que cela fasse partie des inquiétudes de la neurochirurgienne. On ne pouvait manquer l’ironie de sa phrase. Et le fait qu’il sous-entendait déserter à nouveau le potager. Et qui pourrait lui en vouloir ? Franchement, gâcher son potentiel à creuser dehors comme un guignole, ça aurait été vraiment dommage.