Le ventre de Lucy commençait à devenir plus volumineux. Cette petite bosse pourrait passer pour de la graisse mais connaissant le corps de la jeune femme, l’écossais comprenait que ce n’était pas le cas. Si le doute était permis au départ sur la grossesse de son amie, il ne l’était de moins en moins à mesure du temps. Tous deux assis sur le ponton face à la mer, le jeune homme se redressa pour se tourner vers son amie, adossant son dos sur un des piliers qui encadrait les planches du ponton, continuant à tailler le bois entre ses mains. Sa construction commençait à ressemblait de plus en plus à quelque chose. Il partait pourtant de si loin lorsqu’on voyait ses premières sculptures en bois avec Lucy au bunker. Mais à force de travailler cette matière, il avait prit un très bon coup de main pour faire des choses assez sophistiqué et réussit.

Le jeune homme essayait de faire un hochet pour bébé mais avait essuyé deux cuisants échecs en voulant faire des objets trop complexe, il se rabattit sur ses capacités actuels pour faire quelque chose de potable.

L’air marin, le calme, et la compagnie agréable de sa vieille amie avaient quelque chose d’apaisant pour lui. La musique et les étoiles semblaient ternes en ce moment. Lorsque certains trouvaient une sérénité à travailler la terre comme Béatrice, lui, trouvait sa paix intérieure lorsqu’il fabriquait des choses à partir du bois, ne pensant à rien d’autre que son œuvre.
Les femmes donnaient la vie.
Lui fabriquait des choses.

L’écossais prit l’aiguiseur qu’il avait trouvé dans l’entrepôt de Lucy. C’était une vraie mine d’or lorsqu’on cherchait un peu, il avait même réussis à trouver des gouges et un racloir, ce qui était beaucoup plus pratique, rapide et précis que son pauvre canif. Puis, il commença à aiguiser son instrument de finition en levant la tête vers la future maman.


_Je me doute que c'est encore loin, mais, tu as pensé à un prénom pour ton enfant ?

_Tu as pensé à un prénom pour ton enfant ?

Lucy porta sa main à son ventre, un réflexe certainement. A chaque fois qu’elle pensait à son bébé elle posait sa main sur son ventre, comme pour s’assurer qu’il était toujours là. Le jeune homme trouvait ça attendrissant, l’instinct maternel, mais comme souvent ce moment de tendresse lui rappelait sa mère. Il y pensait bien trop souvent à son goût mais n’y pouvait rien. Certainement avait-il peur pour son propre bébé ? Le fait d’être parent ? Le fait que Katerina soit mère ? Ou alors son inconscient essayait de lui délivrer un message qu’il n’arrivait pas à décrypter ?

_Plus ou moins. Je ne suis pas douée avec ça... je ne trouve aucun prénom de garçon qui me plaise… Par contre, pour une fille j’ai quelques idées.

Nevrabriel eut un léger sourire. Il espérait également que ça soit une fille, il ne voulait pas un bébé qui ressemble trop à Jessy, ça serait compliqué de ne pas penser à ce morveux autrement. Mais une petite fille qui ait plus les traits de son amie c’était une idée plus radieuse.
Et le sien ? Un garçon ? Une fille ? Il ne savait pas trop, mais il espérait également que ce bébé ressemble davantage à Katerina qu’à lui, physiquement parlant. Il n’aimait pas ses cheveux, il n’aimait pas le fait d’avoir des yeux hétérochromes, il n’aimait pas le nez si gracile et charmant hérité de sa mère, il n’aimait pas non plus la mâchoire ferme et séduisante de son père. Il n’aimait pas le fait de faire presque deux-mètres non plus, il espérait que son enfant ait un physique moins atypique, qu’il puisse se fondre dans la masse pour être mieux accepté, pour mieux se cacher lorsqu’il voudra être seul, mieux accueillis dans les groupes lorsqu’il voudra être entouré, ne pas être pointé du doigts pour ses grandes différences, car même ordinaire, aux yeux de son père il demeurera extraordinaire.

_J’aime bien Livia... ou bien Annie.

Le visage de Nevrabriel perdit légèrement son sourire mais ne changea pas d’expression, restant impassible.

Annie ?

Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus entendu ce nom. Du moins pour elle c’était un surnom. Son fantôme, son grand regret, celle qui venait le voir lorsqu’il était au plus bas et que le monde l’abandonnait.

_Ce sont des jolies noms…

Nevrabriel n’avouerait pas, pas tout de suite en tout ça, qu’Any était le petit surnom d’Anna, sa triste et défunte ex. Mais même s’il avait tiqué au prénom, il a toujours trouvé cela mignon, après tout, Anna était mignonne, et le bébé de Lucy serait surement aussi mignon que sa mère. L’écossais ne vouait pas influencer son amie et décida de se taire dans cette révélation. Etrangement, il avait l’impression d’avoir caché beaucoup d’informations à Lucy alors qu’à Aeden il lui avait vider son sac, vomis ses maux même, vomis tout court …
Nevrabriel ne sentait pourtant pas de fossé entre Lucy et lui, c’était juste … peut-être le contexte ? Se retenait-il parce qu’il était marié à présent ou parce que Jessy était dans la vie de Lucy ? Les deux ? Rien de tout ça ? Dans tout les cas le jeune homme se sentit un peu coupable de n’avoir jamais parlé d’Anna à Lucy depuis qu’ils se connaissent. Il avait réussit à parler d’Alistair mais pas d’Anna. Certainement par égoïsme ou par peur de devoir révéler qu’elle était la personne qui venait lui parler lorsque sa psychologie ne pouvait plus supporter la vie, qu’elle était la dernière barrière entre lui et l’envie irrépressible de mourir.

Le jeune homme esquissa un nouveau sourire avant de poser l’objet de sa main gauche et tendre doucement le bras pour caresser le ventre de son amie à son tour. Il était plus rond mais cela ne se voyait toujours pas assez sous ses vêtements. Il fallait encore attendre.

_Si tu as un garçon appelle le Nev, je suis sur que ça sera apprécié ahah.

Le jeune homme retira sa main et laissa son dos rencontrer de nouveau le pilier. Il reprit son outil pour terminer de l’aiguiser.

_Je plaisante. Ça sera le premier cadeau que tu lui offriras et qu’il gardera toute sa vie, il vaut mieux ne pas lui donner n’importe quoi.

Nevrabriel lâcha l’aiguiseur et prit le hochet fraichement terminé afin de graver quelque chose sur le manche.

« Lorialet »

Même si ce surnom était réservé à un Lucy, les lorialets étaient les enfants de la lune, l’enfant demeurerait un enfant de la lune, ou en moins en partie.
Le jeune homme se concentra pour graver joliment les lettres et ne pas avoir à refaire le hochet pour la quatrième fois. Il devrait également en faire un pour son propre bébé mais il n’avait toujours rien discuté à ce sujet avec Katerina, il laissait le temps à le jeune russe d’en parler d’elle-même pour qu’il prévoit quoique ce soit pour leur futur enfant. Il se sentait parfois honteux, vu de l’extérieur on pourrait presque dire qu’il s’inquiétait davantage pour le bébé que Lucy mais ce n’était pas le cas, c’était différent, l’un était plus simple l’autre compliqué, mais son amour pour son bébé, il le sentait jusqu’au fond de ses tripes.
Lorsque Nevrabriel termina sa gravure sur le bois, il leva le bras et secoua l’objet. On était loin des jouets en plastique avec des grelots mais le bruit du bois se cognant l’un sur l’autre avait presque un bruit de bambou des jardins japonais. Le jeune homme tendit l’objet à Lucy tout en s’essuyant pour jeter à la mer les morceaux de bois s’étant glissé un peu partout sur ses vêtements.

_Comme on ne sait pas si ça sera une fille ou un garçon … Je graverais son prénom de l’autre coté à sa naissance. Ça te plait ?