Une journée bien étrange, une chaleur d’été sans sa saison, une accalmie dans le printemps. Une journée où il n’y a rien à faire. Ma taille qui s’arrondit comme seul témoin du temps qui s’écoule. Pourquoi la nostalgie revient ? Sans doute car c’est une journée d’été où tout a basculé ? Pourtant la chaleur nous ment, l’été n’est pas encore arrivée, mais bientôt. Oui bientôt cela fera un an. Je frôle mon visage, puis je laisse ma main glisser sur mon ventre.
Est-ce que j’ai gagné plus que je n’ai perdu ? La terre continue de tourner, indifférente aux changements si importants à mes yeux.

J’hésite la journée m’est offerte. Une liberté étrange. Je ne l’ai pas ressentie depuis longtemps cette peur, peur de cette liberté, de ce temps que je pouvais combler comme je le souhaitais. Des étendues de possibilités. Est-ce réellement hostile de pouvoir choisir? Je secoue la tête, la chaleur m’a embrouillé l’esprit. Je ne dois pas repenser à avant. Le passé est inaccessible. Ma famille perdue au moment où j’ai quitté son giron.

Pourtant, des coups à la porte. Pas des coups pour s’annoncer bruyamment, non plus un battement qui resurgit de ma mémoire. Je veux l’ignorer, je ne souhaite pas être déçue par un songe.

« Promets-moi que tu es heureuse sans, Lucy. C’est tout ce qui compte. »

Mon cœur s’emballe au souvenir de ses mots. Des mots que je n’aurais jamais crus possible, pourtant si… et si les coups à cette porte n’étaient pas une chimère? Et si…

Ma tête me répète que c’est idiot, de ne pas y aller, que je serais déçue. Je me dis que je ne vais pas ouvrir, pourtant mes pieds m’ont déjà mené à l’entrée. Ma main est déjà posée sur la porte. Ma raison me boude, la journée est étrange alors pourquoi pas.

J’ouvre la porte me préparant à affronter une absence.

Mon cœur se fige, l’absence est absente. À sa place un homme, il est debout, il a frappé à ma porte. Je suis pétrifiée, je reprends soudain mon souffle comme si je quittais une longue période d’apnée.

Je ne pense plus a mon état, je ne suis plus à l’entrepôt avec mon vieux jean trop grand et ma camisole fripée. Seuls mes pieds nus sont témoins de ce que j’étais avant.

J’ouvre les bras, à peine je veux le toucher, l’enlacer et voir que je ne me trompe pas. Je suspends mon geste, je suis bien dressée, je n’ai pas le droit de le toucher. Les mots se bousculent à ma bouche sans franchir la barrière de mes lèvres. J’ai trop à dire, mais rien ne sonne juste, les syllabes ne parviennent pas à former ce que je ressens. Donc j’attends en silence, les bras figés dans un geste interrompu et je le regarde et j’espère qu’il comprenne.

Je suis heureuse.

L’espace entre mes bras se comble. Un sursaut discret que je suis la seule à ressentir. Puis, plus palpable, une main sur ma tête, l’autre sur mon dos. Je cligne des yeux, raide. Je suis devenue folle? Après les nausées matinales c’est les hallucinations? Je ligne encore les yeux, mes muscles d’assouplissent, encore un clignement. Je ne rêve pas. Une bouffe de reconnaissance menace de m’étouffer ou bien est-ce du bonheur? Un sentiment étrange, comme si l’on se réveillait un matin et qu’on avait gagné au loto ou bien comme si l’on voyait une licorne. De l’étonnement et du ravissement face à une situation si peu probable, un événement qui frôle l’inespéré. Je soupire, j’évacue la bouffée de gratitude qui gonfle en moi, je la laisse exister.
Puis avant que je ne me désagrège, que je m’effondre ses mains glissent sur mes joues. L’étreinte a cessé juste à temps, mes larmes ne se sont pas échappées. Il me regarde et je fais de même. Il semble briller à travers mon regard voilé.
Je n’ose plus bouger, je ne veux pas briser l’enchantement du moment.

- Es-tu heureuse ?

Je ne veux pas tacher le moment de larmes, aussi positives soient-elles. Pourtant une simple question de cet homme qui m’a tellement manqué et je m’étouffe dans un sanglot en un sourire. Pas une question de médecin, une belle question. Je souris, sous ses mains mes joues remontent.

Mon corps en entier répond à ma place, mon sourire, mon regard puis finalement ma voix.

Oui…

Non, ce n’est pas suffisant. Je veux qu’il comprenne, il doit comprendre.

Maintenant…

Je ris doucement, comment dire.

Vous êtes venu…

Au fond de mon cœur une petite voix murmure « pour moi ».

Merci.