Même si l’écossais avait promis à Lucy de garder son secret, il ne pouvait pas ne rien dire à Aeden, tant par la confiance qu’il avait pour lui mais également parce que si Lucy avait besoin d’aide et que Nevrabriel ne pouvait pas répondre présent, il savait qu’il pouvait compter sur Aeden. La séparation avec le bunker avait du bon pour eux, ils se revoyaient quotidiennement et retrouvaient leur complicité passé comme s’ils étaient toujours là à planter des arbres dans la forêt comme autrefois.

Aeden avait proposé à Nevrabriel de l’aider à retaper la nouvelle maison de Lucy. Ils n’allaient pas en faire un palace mais la rendre le plus agréable possible et le plus sûr, la propriétaire des lieux ferait le reste sans doute. Le jeune homme se sentait mieux dans sa nouvelle vie, avec Lucy, avec Aeden et avec Katerina, même s’il aurait aimé passé plus de temps avec sa fiancée.
Aujourd’hui, l’écossais était nerveux, il allait demander la main de Katerina à Graham. Il avait prévu de faire cela dans l’après-midi, faire ce genre de demande le matin ou le soir ne semblait pas être un bon moment, l’un semblait trop pressé l’autre pas assez, bien qu’il n’y avait certainement jamais de bon moment quand il s’agissait de sentiments. Etant nerveux, il regardait par la fenêtre toute les cinq minutes, se demandant si c’était l’heure, si le soleil était assez brillant dans le ciel, s’il n’y allait pas avoir un déluge qui allait le rendre peu présentable, si Graham était de bonne humeur aujourd’hui. Il était un peu plus silencieux et faisait régulièrement des rictus lorsque la vise lui résistait de trop. Le duo s’occupait de démonter d’anciennes tables pour que Lucy ait un lit en hauteur et non plus une paillasse à même le sol. Ils auraient du mal à lui faire des lattes pour rendre le tout plus confortable mais elle aura au moins le loisir de ne pas se hisser de toute sa hauteur tous les matins.
L’écossais savait que l’irlandais avait remarqué son humeur aujourd’hui, mais il semblait savoir que Nevrabriel finirait par tout dire un moment ou un autre. Il finissait toujours par tout dire à Aeden un moment donné … Sauf peut-être le fait qu’il avait eu une aventure avec Lucy, ça, il ne voulait que personne ne le sache.

_Bràthair ? C’est bon, allons le poser.

Nevrabriel termina de retirer la dernière vise de la table avant de prendre la planche du dessus et la poser sur les « pieds de lits » qu’ils avaient fabriqué en scient un meuble inutile, avec beaucoup de patience et de volonté … et de sueurs et de jurons aussi. Les deux complices ne furent pas étonnés de voir qu’il fallait démonter une seconde table, voir une troisième, pour avoir la taille de lit souhaitée. Ils reprirent donc leurs outils et retournèrent vers le coin où ils avaient empilé les tables pour en prendre une et recommencer leur œuvre.

_Au fait …

Nevrabriel se mit à sourire bêtement. Il ne savait pas par où commencer. Il avait vaguement dis à Aeden qu’il fréquentait une personne de nature féminine quelque part sur l’île mais n’a jamais trop donné de détails, assez pudique sur sa vie amoureuse et intime, mais là … là il avait besoin d’exprimer son bonheur au monde entier et comme le monde s’en fichait, l’exprimer aux personnes qu’il portait dans son cœur. Il aurait aimé le dire à Agnès mais il la sentait toujours fragile et il avait l’impression qu’il s’était passé quelque chose entre les deux femmes puisque Katerina se débrouillait toujours pour changer rapidement de sujet lorsqu’il lui parlait de l’ancienne secrétaire.

_Je ne sais pas comment le dire mais …

L’écossais était hésitant et faisait mine d’être très concentré sur sa vise pour ne pas montrer son embarras face à ses futur aveux. Il ne put tout de même pas cacher les rougeurs de ses joues face aux délicieux souvenirs de la veille. Les mots de Katerina résonnaient dans ses oreilles comme si elle était à côté de lui pour les murmurer.

_Tu te souviens de la fille que je fréquente ? Hm … Bon je te fais pas un dessin.

C’était plus intimident que prévu de se livrer ainsi, même à son frère de cœur, même à une personne qui le comprendrait parfaitement puisque lui aussi était épris d’une femme. Mais si Graham acceptait, que Katerina ne s’enfuyait pas devant l’autel, alors elle deviendrait sa femme et il ne pouvait pas imaginer un mariage, SON mariage, sans Lucy ni Aeden. Il pouvait se marier sans personne d’autre, ni Donatien, ni Agnès, ni ses parents biologiques mais pas sans ses deux amis qui ont toujours été là pour lui que ce soit avant la révolution ou après la révolution. Il voulait que Katerina rencontre les personnes en qui il avait le plus confiance et aimerait qu’ils s’entendent tous bien, que lorsque tout ira mieux, faire d’agréable soirée tous ensemble. N’était-ce pas cela qu’ils auraient fait si leur vie était normale ?
Le jeune homme releva la tête vers Aeden, aussi rouge que ses cheveux, avant d’avouer :

_Tout à l’heure j’irais voir Graham, parce que … J’aime sa pupille, Katerina et euh … je l’ai … elle a accepté ma demande en mariage.

_Tout à l’heure j’irais voir Graham, parce que … J’aime sa pupille, Katerina et euh … je l’ai … elle a accepté ma demande en mariage.

Si on doutait de l’embarras de Nevrabriel, la comparaison avec la couleur écarlate de ses cheveux ne pouvait plus semer le trouble. Même s’il était très heureux de l’annoncer à Aeden, il se sentait étrange. Il n’était pas habitué à annoncer des bonnes nouvelles le concernant.
La nouvelle laissa Aeden sans voix, tant et si bien qu’il lâcha sou outil qui alla rencontrer ses doigts. Nevrabriel avait mal pour lui mais bien trop embarrassé pour être empathique. L’irlandais contourna la table très rapidement pour venir prendre l’écossais dans ses bras.
Le jeune homme fut surpris. Il n’était pas habitué à ce qu’un homme le prenne dans ses bras. La dernière fois c’était pour dire adieu à Ulysse … Mais c’était très chaleureux tout compte fait. Aeden était maigrichon mais son étreinte était forte et sincère. Nevrabriel sourit de toutes ses dents sur l’épaule de son ami avant de lui rendre son étreinte.

_Félicitation !! Waaaaaaw !! Tu m’avais caché un truc de ouf !  

C’était peu de le dire. Un mariage … ici … c’était effectivement fou, soudain et rapide également. Mais quand on avait peu de temps à vivre, ne fallait-il pas vivre sa vie à fond comme si chaque jour était le dernier ?
La réaction d’Aeden faisait réellement chaud au cœur, Nevrabriel voulait partager son bonheur mais ne pensait pas être si bien accueillit et recevoir autant d’amour en retour. Ces sourires, ces étreintes, Lucy et Aeden le gâtait trop ! Si Graham l’accueillait comme ça, ça serait la cerise sur le gâteau, mais il en doutait un peu tout de même. Si sa relation avec Donatien n’avait pas était détruire, que lui aurait-il dis ? Certainement quelque chose comme quoi le mariage ce n’était pas bien, les sentiments amoureux ce n’était pas bien, aimer une autre personne que lui-même ce n’était pas bien …
Nevrabriel ne voulait pas y penser pour le moment, il voulait partager sa joie avec Aeden, les pensées néfastes n’avaient pas leur place entre ces frères.
Aeden se redressa et passa une main dans ses cheveux. Nevrabriel lui sourit sincèrement, adieu les sourires forcés, les faux semblants, il avait l’impression de retrouver son vieil ami mais également se retrouver lui-même.

_Par contre bonne chance avec Graham… C’est pas un marrant… Katerina et toi vous allez vivre ensemble alors ? Elle vient ici ? Parce que je te préviens, je commence à prendre le coup de main avec ce machin… Personne ne pourra m’empêcher de faire trois tonnes de lit en plus de celui de Lucy.

Nevrabriel pouffa de rire une première fois aux paroles de son ami, puis une seconde fois lorsque son outil lui échappa des mains. Il aimait voir Aeden comme ça, le mal-être ne lui allait pas du tout, l’écossais aurait presque pu oublier leur condition avec un tel éclat sur le visage de son frère.

_Oula c’est biiiiien plus compliqué. Tu devrais t’asseoir.

Les relations compliquées … Il était abonné à ce genre de relation, en y pensant seul Aeden était simple et c’était reposant. Il était prêt à tout avouer à son ami mais ça allait être bien long ! Heureusement, ils avaient des tables à démonter et Lucy n’allait pas revenir de ci-tôt. Si annoncer son mariage à la jeune femme fut un plaisir pour l’écossais, lui parler du revers de la médaille n’avait pas été de mise. Lucy  avait ses propres problèmes, pas besoin de lui parler des magouilles qu’il comptait faire chez Graham.
Lorsque son ami prit ses aises, Nevrabriel fit une petite moue de réflexion, se demandant encore par où commencer. Il n’a jamais été doué pour raconter sa vie et ses pensées, souvent mal interprétées par ailleurs.

_Elle ne peut pas venir ici, elle a une maladie très grave qui lui requière un minimum de soin et de confort. Je suis « obligé » d’aller là-bas si je veux être avec elle … et de toute façon je pense qu’elle est trop attachée à Graham pour le quitter comme ça. Je peux comprendre, il y a quelques mois je n’étais pas assez lucide pour quitter Donatien.

Lucide ou blessé. Il lui a fallu sept ans, blessures sur blessures pour finalement en arriver là. Il ne pouvait donc pas reprocher à Katerina de ne pas voir les défauts de son mentor, surtout si tout le monde l’a abandonné mise à part lui, il n’est pas irrationnel qu’elle boit ses paroles. Il espérait seulement qu’il pourrait lui faire comprendre, avec le temps, que Graham n’avait pas toujours raison, surtout sur le sujet des valeurs et relations humaines.

_Et, de toi à moi, je pense que c’est le meilleur moyen pour retrouver contact avec le continent et nous sortir de cette situation. Je n’aime pas du tout Graham ni ses méthodes, mais le bâtiment du personnel est notre meilleure chance.

Avait-il besoin de préciser que c’était Katerina qui le motivait à retrouver contact avec le continent ? Avant de l’aimer il s’en moquait complètement, il vivait très bien sa condition de survivant sur une île, il s’était découvert des qualités et des capacités qu’il ne soupçonnait pas et surtout il n’avait personne au-delà de la mer qui s’inquiétait pour lui, il n’avait personne à retrouver, l’île était sa maison, alors pourquoi contacter le continent ? Il n’en avait pas besoin, il n’en avait pas envie. Jusqu’à peu.
Retrouver contact avec le continent permettrait à Katerina de vivre longtemps, guérir, peut-être, mais au moins réalisé un de ses rêves ; gagner sur sa maladie. Elle vivra certainement plus longtemps que lui et c’était tout ce qu’il espérait pour elle.

_Tu sais … je suis vraiment bien, elle me rend heureux donc … est-ce que c’est idiot de tout plaquer, supporter Graham et ceux contre qui on a combattu, pour elle ?

_Et b-bien… En réalité je serais bien mal placé pour te dire que c’est idiot… J-Je t’en avais pas encore parlé p-p-parce que… tu sais comme tu viens à peine de quitter le Bunker, é-et puis… avec tout ce qui s’est passé avec Lucy, enfin…

L’écossais ne perdit pas son sourire, encourageant son ami à continué.

_Je t’avais dit qu’Elizabeth pensait me laisser une seconde chance et que ça se passait mieux entre nous et… bah … Elle voudrait q-q-que je rejoigne le Bunker.

Il n’avait pas bégayé tantôt mais sa maladresse verbale était revenue aussitôt, surement l’euphorie. Peut-être que ca irait de mieux en mieux à mesure du temps en compagnie d’Elizabeth, mais qu’en était-il de la présence de Donatien ? Allait-il pouvoir la surmonter pour trouver le bonheur dans cet endroit clos ? Sans la pression de la présence de Jessy, peut-être ? Nevrabriel rodait parfois autour du bunker pour voir si tout allait bien, si Jessy n’était pas venu leur faire du mal, de loin il voyait un Donatien accablé depuis la mort de Lucy, les autres étaient fidèles à eux-mêmes, bien que plus silencieux. Le roux avait hésité à approché Béryl lorsque ce dernier sortait pour pécher ou puiser de l’eau mais n’en a pas été capable finalement. Dans ce lot de personnes, c’était l’une des seuls qui a su lui parler sans le voir comme un ennemi mais maintenant que Nevrabriel était partit en laissant juste un mot sur la table, deux jours après l’enterrement de Lucy, il doutait que son ainé ne veuille le voir et encore moins lui parler.
Nevrabriel se rendait compte qu’il n’avait fait que décevoir le peu de personnes qui ont su e montrer gentil avec lui mais c’était trop tard pour faire marche arrière.

_C’est normal… Wendy s’est habituée à cet endroit là et je pense que c’est mieux qu’elle ne perde pas ces repères une seconde fois… Alors si D-Donatien Elpida accepte bah j’irai.

Décidemment, le destin se moquait un peu d’eux à les éloigner et les rassembler à la fois. Nevrabriel quittait le bunker, Aeden y entrait. Aeden retrouvait Elizabeth, Nevrabriel tombait amoureux. Maintenant ils étaient là, à démonter des tables en se racontant leur vie, leur aventure et leurs sentiments par rapport aux personnes qui leur sont chers.
Nevrabriel était heureux pour son ami, heureux qu’il aille retrouver sa bien-aimée et sa fille mais il était également inquiet. Aeden avait défié de nombreuses fois Donatien et Lucy lui avait rapporté les gestes de l’ancien médecin après qu’il se soit évanoui. Il avait considéré Aeden comme un meuble, voir même un déchet, lui ordonnant même d’éviter de respirer. Il avait seulement eut le droit de donner son sang et partir comme il était venu. Heureusement que l’écossais était inconscient à cet instant parce qu’il n’aurait certainement pas toléré une telle chose puisque la patience avait remplacé la peur. Il avait supporté le comportement de Donatien parce qu’il était patient et non plus parce qu’il avait peur de lui, il n’était plus l’adolescent venu en bateau il y a des années et il semblait que son ancien médecin ne l’ait jamais accepté.
Serait-ce la même chose pour Aeden ? Allait-il se faire torturé psychologiquement parce que Donatien avait des idées arrêtés sur les autres ? Qu’il serait incapable de pardonner à Aeden de l’avoir défié par le passé ? Cela ne serait pas étonnant, il n’avait pas su pardonné ni à Agnès ni Barrabil bien qu’ils étaient les personnes les plus proches de lui.

_Je ne peux pas te dire que vivre avec Donatien sera une partie de plaisir, la dernière fois que je te l’ai dis, je m’étais lourdement trompé. Mais tu seras avec ta famille, et c’est le plus important.

Nevrabriel élargit son sourire. Il y a peu, il aurait certainement envié Aeden d’avoir une personne qui l’aime et une petite fille, même s’il n’était pas son père, c’était tout comme. Mais il n’avait plus à envier qui que ce soit, tout à l’heure les dés seront jetés, mais même si Graham refusait, il aurait toujours l’amour de Katerina, non ? C’est tout ce qui comptait. Il serait heureux, et espérait qu’Aeden le serait aussi.

_Mais toi, tu te sens de vivre avec Donatien ? C’est un lieu étroit, et donc compliqué de s’éviter …

L’écossais retourna à sa vise et eut un léger rire entre les dents en imaginant une solution pour tout les deux, il la partagea avec le brun, espérant qu’il accepte son humour :

_Au pire si Graham ne veut pas de moi et que Donatien ne veut pas de toi, on construira une cabane entre paria comme des adolescents boudeurs.

_Au pire si Graham ne veut pas de moi et que Donatien ne veut pas de toi, on construira une cabane entre paria comme des adolescents boudeurs.

Le brun se mit à rire, au moins ils avaient le même humour, en plus de pleins d’autres points communs. Mais il fallait mieux en vivre qu’en pleurer, voir le bon côté des choses sinon ils allaient vite retomber dans leur désespoir et leur état-d’âmes pour  finir en ermite quelque part sur l’île

_Au pire ou au mieux ?

Nevrabriel pouffa d’un léger rire et en fis glisser son tournevis sur la table. Il se reprit pour remettre le bout de l’outil sur l’objet de sa convoitise et retourner à sa tâche. Il aimerait bien finir cette tache avant de devoir partir pour convaincre le vieil écossais de lui accorder la main de sa pupille. N’étant pas doté d’un charisme ravageur, le roux devrait trouver des arguments autres que « son intelligence et sa sincérité » s’il voulait avoir une chance. Il espérait que Katerina, qui connaissait plus le dictateur, puisse trouver les bons mots pour le convaincre, lui ne pouvait que répondre sincèrement sans possibilité de jouer sur la corde sensible ou avoir une conversation qui lui plaise, vu qu’il semblait que le marquis n’avait aucune sensibilité cela rendait la tache compliquée…

_B-blague à part, de Graham ou Elpida, je ne saurais même p-p-pas dire lequel est le pire… Mais au moins, on les aura à l’œil…

Il ya quelques semaines, certainement Nevrabriel aurait défendu Donatien, dire qu’il n’était pas pire que Graham mais maintenant … il partageait l’avis de son ami. Des deux étaient … tellement … égocentriques. Le monde tournait autour d’eux ou ne tournaient pas. Ils se détestaient et pourtant se ressemblaient. Ils avaient besoin d’être vus, écouté et suivis pour exister, autrement, ils n’existaient pas, ils n’avaient pas de raison d’exister. Donatien, seul, se laisserait certainement mourir. Graham … Peut-être pas, il a été militaire après tout, mais peut-être que cela lui permettrait de voir que les humains n’étaient pas des « choses » sur son passage, que c’était des êtres qui avaient leur importance dans le monde.

_Dieu sait ce que Graham tram-me dans son coin depuis qu’il est installé dans le bâtiment du p-personnel… Finalement, on renie peut-être ce qu’on a fait avant que tout tourne comme ça mais au moins le fait de se trouver d-d- dans dans le mauvais camp nous permettra d’avoir un aperçu de ce qui nous attend…

Nevrabriel profita d’avoir retiré sa vise pour regarder le soleil par la fenêtre avant de regarder derrière lui. Il n’avait pas vraiment envie qu’on surprenne cette conversation. En y pensant, il avait l’impression de magouiller avec Aeden, alors qu’ils parlaient seulement de ce qui leur traversaient l’esprit, mais moins il y aurait de personnes au courant, mieux ils se porteraient. S’ils voulaient saisir leur seconde chance, il ne fallait faire des aveux qu’à ceux en qui ils avaient une confiance aveugle, et tant mieux pour l’écossais parce que ces personnes étaient très peu nombreuse.

_Je ne sais pas si je pourrais faire grand-chose contre Graham … peut-être saboter ses magouillages ? Prévenir le Village en cas de problème ? Je ne sais pas. Mais le plus important pour moi c’est que Katerina puisse vivre au-delà de sa maladie et si Graham peut aider à ce but alors … J’espère que tu ne m’en voudras pas si un jour je prenne son parti. Jusqu’à l’arriver des secours du moins.

Et après ? … Il ne savait pas trop, il irait certainement où irait Katerina et il sentait malheureusement qu’elle irait où irait Graham … Bon … Il n’avait pas de fille mais il se sentirait chanceux à la place de Graham d’avoir une personne aussi dévoué qu’elle. Le roux aurait préféré, avec le temps peut-être, que Katerina finisse par le choisir lui, mais c’était encore trop tôt, ou trop tard … il devait s’y résoudre.

_Et aussi … Je dois te dire que … Tu vas m’en vouloir mais je dois te prévenir … j’ai libéré Jessy. Tu sais celui qui a blessé Lucy et Béatrice ? C’est une très longue histoire, j’ai été stupide d’accepter et  je ne sais pas de quoi il est capable et … Elizabeth a proposé de le tuer, il semble en vouloir à Béatrice d’avoir réussis à survivre, il en veut à Donatien de tout son malheur … je ne sais pas s’il compte se venger de tout le bunker, alors ça serait bien que tu puisses y aller pour veiller sur eux … sur elles.

Aeden n’était certainement pas le meilleur combattant du monde, mais un homme déterminé à protéger les siens pouvaient se trouver des capacités insoupçonnées. Nevrabriel savait que son choix de libérer le demi-frère de Donatien avait été une grave erreur, Dieu seul savait où était ce morveux et Dieu seul savait ce qu’il faisait de ses journées. Il ne serait pas étonnant qu’il prépare sa vengeance, une chose qu’il a surement durement pensée pendant ces mois d’enfermement …

_Je suis conscients que j’ai mis toute l’île en danger, c’était une erreur … et je te demande égoïstement de le garder pour toi. J’ai déjà fais rater la révolution, l’anti-révolution et là j’ai fais évader un meurtrier, s’il ne me tue pas avant ça sera certainement toute l’île qui le fera …

La révolution … Ophelia avait raison. S’il n’avait pas prévenu Donatien, ils seraient déjà tous loin sur le cargo. S’ils n’avaient pas dis à Naito de donner l’alerte, la révolution serait morte dans l’œuf et tout serait resté à la normal. Dans les deux cas, tout le monde avaient des raisons de lui en vouloir. Sans lui, ils n’en seraient pas là aujourd’hui, des clans qui se déchirent. Sans lui, au moins un des deux camps auraient pu trouver satisfactions, mais là, personne ne semblaient avoir trouvé son compte. Ça n’enchantait personne d’être enfermé sur une île, de manquer de soins, de nourriture, d’un toit, des nouvelles de leurs proches, …
Le jeune homme posa son outil et leva la tête vers son ami. Malgré ses confidences, il avait encore et toujours besoin de soutient et il espérait qu’Aeden serait cette épaule sans faille … ou peut-être pas ? Est-ce que si son frère lui en voulait tout serait plus simple ?

_Tu penses que je foire tout ?

_Tu penses que je foire tout ?

C’était seulement après avoir dit cette phrase que Nevrabriel se souvint d’une conversation qu’il avait eu avec Aeden il y a quelque mois, lorsque ce dernier était très mal. Il s’en était rendu compte depuis longtemps, mais encore une fois, ils se ressemblaient énormément. Nevrabriel posait les questions mais devinait presque les réponses. L’irlandais termina de s’acharner sur sa vise pour donner un coup d’épaule amical au roux, ce qui décrocha un infime sourire sur ses lèvres.

_Toi, moi, Ophélia, Alex… On se ressemble, c’est incroyable.

Nevrabriel ne connaissait pas le frère Hexe pour affirmer une ressemblance ou non, mais il connaissait Ophelia depuis le temps et avec les événements ressent et leur violente dispute au cimetière, il doutait de cette fameuse ressemblance avec la blonde.

_ Je voudrais dire qu’on a p-p-pas tout foiré. Mais c’est p-pas vrai. Ni d-de dire que je m’en veux pas pour la révolution moi non plus. Mais ça serait stupide. P-Parce qu’on s’en veut tous à mort. Mais je n’en veux à aucuns d’entre vous Nev, surtout p-pas à toi.

L’écossais opina, souriant par mimétisme. Aeden ne s’en rendait surement pas compte, mais il était réellement très important pour Nevrabriel. Il ne l’appelait pas « frère » pour rien et avoir son soutien sans faille était quelque chose qui donnait beaucoup de force à l’ainé. L’écossais avait perdu beaucoup de personne à qui il tenait, commençant par les morts, puis ceux qui sont partis, celle qui s’est terrée dans un mutisme et celui qui a fini par briser toute sa confiance.
Le temps avais fini par avoir raison du bon grain de l’ivraie.
Du bon grain ne restait que quelques graines, mais des graines qui donneront la meilleure moisson que l’on puisse connaitre.

_C’est trop tard p-p-pour regretter. On p-peut juste essayer de réparer ce qui compte à nos yeux. Nevrabriel, tu peux croire ce que tu veux mais je te confierais ma vie sans la moindre hésitation, p-p-parce que même après tout ce qui s’est p-p-passé, j’aurai toujours confiance en toi. Et ta Katerina, je suis sur qu’elle a bien de la chance… On s’en sortira B-Brathair.

Nevrabriel baissa les yeux, un léger tremblement d’émotion esquissa ses lèvres. Il n’y avait que Lucy qui lui avait donné une telle confiance et autant d’affection jusque-là, il se sentait mieux et confiant. Un état d’esprit assez satisfaisant pour affronter Graham, le Seigneur Noir de l’Institut. Après avoir été le confident de toutes ses bêtises, si Aeden était encore là, alors il serait toujours là, c’était une certitude, et cela apaisait les tourments de Nevrabriel et sa phobie de l’abandon. La solitude était un soucis auquel l’écossais pouvait faire face, mais pas ce sentiment terrible de tenir à une personne et qu’elle parte délibérément de sa vie.

Les deux garçons allèrent placer la planche de table. Le « lit » avait une bonne taille pour le gabarit de Lucy mais connaissant l’agitation de la demoiselle pendant son sommeil, il fallait mieux démonter une troisième table, mieux valait plus grand que trop petit. Ils allèrent prendre une troisième table pour retourner s’asseoir et répéter leur œuvre, ce n’était pas ce qu’il manquait ici, des tables. L’écossais regarda les pieds de tables et essaya d’imaginer ce qu’ils pourraient faire avec mais rien de pertinent ne lui vint.

– Un jour, on vivra tous en Angleterre, et tout ce b-bordel sera derrière nous, on se retrouvera pour lire des livres à Wendy, à vos gamins à Katerina et toi… On montera une b-b-boite d’électricien, de jardinier ou n’importe quoi d’autres… On sera heureux.

Nevrabriel leva la tête vers Aeden. Un sourire se dessina sur ses lèvres avant qu’il ne repose ses yeux sur son travail.
Etre heureux …
L’écossais venait de s’imaginer une bandes de gamins courir partout avec, au loin, Katerina en train de lire sur une balancelle de jardin, Elizabeth endormit dans les bras d’Aeden sur une nappe au sol. Le soleil serait étincelant et il n’y aurait de place que pour les rires des enfants et le sourire de leurs parents
Mais ce n’était qu’un rêve … Elizabeth et Nevrabriel ne s’entendait vraiment pas et il doutait de s’entendre un jour avec elle. La maladie de l’écossais l’empêcherait certainement de vivre assez vieux pour toucher ce rêve du doigt. Et vu la morphologie de Katerina, Nevrabriel doutait vraiment qu’elle pouvait avoir des enfants, lorsque Lucy était aussi mince que sa fiancée, elle était aménorrhée. L’écossais n’avait pas posé la question à sa belle, ses menstruations n’appartenaient qu’à elle et si elle voulait le lui en parler, cela serait sa décision. De toute façon, vu ses représentations paternels, entre un absent et un autre complètement fou, il n’était pas certain qu’il ferait un bon père. Il fallait mieux pour le bonheur de chacun que l’écossais ne conçoit pas d’être humain miniature.

Mais il fallait l’admettre, c’était un beau rêve qui faisait sourire Nevrabriel d’une douce mais heureuse mélancolie.

_C’est un très beau rêve …

Nevrabriel eut un soupire joyeux avant de lever la tête et regarder la fenêtre. L’hiver arrivait à grand pas.
Etre heureux. Avoir un avenir. Une famille. C’était une vision qui ferait rêver bien des gens dans leur condition mais Nevrabriel ne voulait pas trop espérer. Si Graham brisait le seul rêve auquel il pouvait encore croire, le jeune homme tomberait de haut. Et si Katerina décidait de suivre le non consentement de son mentor, alors l’écossais serait sans doute au fond du gouffre.
Il pourrait rêver, mais plus tard.

_Merci Aeden, je me sens prêt pour aller voir Graham. J’espère maintenant qu’il acceptera, je ferais tout pour.

Un filet de lumière vint traverser la fenêtre avec chaleur et bienveillance, laissant voir les petites particules de poussières voler dans les airs, le soleil se reflétait sur le métal de leur outil mais faisant également ressortir le rouge des cheveux de l’écossais tel un rubis et le vert des yeux d’Aeden tel deux grands émeraudes.
Un aussi beau temps ne pouvait annoncer qu’une bonne nouvelle. Nevrabriel ferma les yeux un instant, appréciant cette douce chaleur sur sa peau si blanche, telle les ailes de son papillon.
Peut-être qu’il n’aura jamais d’enfants ni même qu’il ne quittera jamais cette île, mais il avait le droit d’être heureux, et il avait le droit d’être avec la femme qu’il aimait …