Un soupir s'échappe de mes lèvres alors que mon balai frotte ce couloir sans fin, qui se salit de jour en jour, comme tout mon être même. Je regrette, oui, surement. De ne pas avoir prit ce pas sur notre rencontre, mais comment pourrais-je faire autrement. Peut-être qu'un message, un nouvel espoir, pourrait tout changer ? Je sors de ma poche mon dit cellulaire et observe le contact Onyx rayé de rouge qui l'orne dans mes contacts. Puis, dans un élan, j'envoie.
[Salut.]
Le messager a fait son action, maintenant, je peux continuer de travailler en paix avec moi-même.
MAILLARD Camille & LAVOIR Astrid
Elle en avait pas mal; converser derrière un écran rendait tout plus facile pour elle. Sur la toile, elle se montrait moins introvertie, plus assurée, plus confiante, se sachant protégée par la distance. Avec cela, on pourrait y croire les liens qu'on s'y tisse éphèmères, voire factices, sans réelle consistance. C'était ce qu'Astrid pensait aussi. Pour elle, les personnes qu'elle rencontrait sur le net n'étaient que des anonymes sans visage, ne se définissant que par des paroles. C'était ce qu'elle croyait, jusqu'à ce qu'elle tombe sur Loki.
Loki. Elle l’appelait Loki, et lui, l’appelait Onyx. C'était sûrement l'individu avec lequel la secrétaire avait le plus échangé par le biais de son clavier. Ils se parlaient de leurs passions, de la pluie, du beau temps, avant d'en venir à leur quotidien commun. Ils étaient même allés jusqu'à se montrer leurs visages, par web cam; Astrid se souvient très bien des traits de ce jeune homme, la première fois qu'elle l'a vue en visio. Sa peau était pâle, son expression souvent maussade et fatiguée. Ses longs cheveux ébènes tombaient devant ses yeux d'une couleur intense, virant au rouge devant la lumière de son écran. Astrid lui avait déjà exprimée ce à quel point la teinte de ses pupilles l'intriguaient, et ce dernier lui avait avoué porter les lentilles à certaines occasions. Mais pour être honnête, l'anglaise n'arrivait absolument pas à discerner quand Loki les portait ou non.
Astrid n'aimait pas dire grand chose d'elle, même derrière un écran. Elle lui a juste avouée plus facilement être une vingtenaire venant du Royaume-Uni, et ayant un gout prononcé pour les lettres. Elle se complaisait plus à écouter les gens se confier sur leur quotidien, leur envoyant quelques "Je comprend ce que tu ressens", "J'empathie" de manière révélatrice, dés que l'occasion se présentait.
Elle aimait particulièrement faire preuve de bonne écoute en compagnie de ce garçon, mais au fond, que savait-elle de lui ? Un homme ayant tout perdu, vivant à la dure, renvoyant une véritable image de force; Onyx ne pouvait que lui accorder un certain respect, voire même faire preuve d'admiration à son égard. Parler avec lui avait tout d’intéressant alors leurs discussions étaient quotidiennes; ils s'étaient échangés leur adresse e-mail et même leur numéro. Elle avait l'attention de le rencontrer un jour, peut-être même de lui faire visiter l'Angleterre, lui montrer un autre aspect de la vie. Elle attendait ce moment tout en le redoutant, ayant la peur intérieure de lui montrer l'intégralité de la personne qu'elle était, sans rien lui cacher. Elle voulait laisser le temps la préparer à cela, mais il l'a comme trahit ce jour là.
Alors que ses escarpins résonnaient un à un sur le carrelage du couloir, elle revenait de sa pause déjeuner et s'apprêtait à regagner son bureau. Toujours attentive aux allures de l'Institut qu'elle venait d'intégrer, elle dévisageait chaque mur, chaque fenêtre, et chaque visage qui passaient dans son champ de vision. Les passants commençaient à être habitués à voir cette jeune femme dans sa longue robe serrée, saluer d'un sourire doux chaque médecin qu'elle croisait. Quand c'était Agnès ou Hyppolite, naturellement, elle se mouvait avec moins de pudeur. Elle pensait qu'ils résumaient à eux deux très bien le personnel, bien qu'il ne soit pas rare pour elle que de croiser des têtes qu'elle n'avait jamais vue avant. Elle préférait presque cela, trouvant ce sentiment rassurant que de faire paraître une image neuve d'elle-même à chaque nouvelle connaissance.
Mais cette tête là, elle la connaissait déjà.
Cette peau laiteuse, ces légères cernes, ces yeux cramoisis et ces cheveux sombres. Cet homme à la fine silhouette d'à peu près sa taille n'a pas manqué de croiser son regard à son tour, et cela fit presque manquer un bon à son palpitant.
Il n'y avait aucun doute sur le fait que c'était Loki. Mais que faisait-il ici ? Il est censé être loin, si loin d'elle. Pourquoi a-t-il brutalement traversé cette barrière de pixels afin de venir à sa rencontre, sans la prévenir, dans son lieu de travail ?
Sans qu'aucun des deux ne puisse le contrôler, leurs vrais êtres de chair et d'os s'étaient croisés, remettant tout en jeu. Sa seule réaction fut de baisser la tête et d'accélérer le pas jusqu'à son bureau, sans rien dire. Dés qu'elle eut fermée la porte, son corps s'était figé, l'espace de quelques secondes, sous le poids du choc.
Qu'est-ce que Loki fait ici, à l'Institut ?...
Une journée banale, au bureau. Le stylo d'Astrid frotte sur quelconque dossiers, son regard concentré sur sa tâche. Elle avait été imperturbable, aujourd'hui, avançant encore plus vite qu'à l'accoutumée. Aucune pensée hors sujet ne venait déranger son esprit, et cela était un événement rare.
Elle avait posée son téléphone portable à l'avant de son bureau, prête à recevoir n'importe quel message impromptu d'Agnès ou son employeur. Lorsqu'elle entendit son appareil vibrer, elle termina sa phrase à la hâte afin de l'allumer, s'attendant à recevoir quelconque information professionnelle.
Inconnu a écrit:Salut.
Les mouvements de la secrétaire se mettent en pause lorsque ses yeux discernent ce que l'écran affiche. Elle avait beau avoir effacée son numéro, elle arrivait très bien à reconnaître de quel enchaînement de chiffres était composé celui de Loki.
Depuis ce fameux jour, en Janvier, où elle l'avait aperçue dans un couloir, leur contacts avaient totalement cessés. Pour Astrid, tout ce qu'ils avaient construit ensemble s'était déjà brisé depuis le jour où il l'a vu pour de vrai, alors elle s'était dit que faire le deuil de leur relation restait l'option la plus facile, bien que de loin la moins sage. La plus lâche. Cela lui arrivait de culpabiliser, mais elle se consolait en se disant que cela provenait d'une décision commune; après tout, lui non plus, ne daignait pas donner de nouvelles.
Sauf qu'à présent, elle ne pouvait plus se complaire dans cette excuse. Soudainement, sans qu'elle ne s'y attende, il avait décidé de faire le premier pas. Et elle ne ferait que se détester d'avantage en se privant de répondre à son approche. Loki était son ami, après tout. Un ami virtuel, mais maintenant qu'elle l'avait vue dans le réel, rentrait-il encore dans ce moule ?
Son ongle gratte nerveusement un bouton de son téléphone. Songer à lui répondre, c'était bien beau, mais quels mots étaient les bons ? "Salut Loki ! Je te reparle comme une fleur après plusieurs mois comme si de rien était ! Comment ça va depuis ? La forme ?". C'en est presque ridicule.
Elle n'aurait peut-être pas due. Mais elle avait envie de se faire violence pour ça, alors elle l'a fait. Bien que ses doigts étaient hésitants, elle finit par envoyer;
Onyx a écrit:Bonjour Loki. Ça fait longtemps. =)
Elle aurait pue s'en contenter. Ses bras se reposèrent sur son bureau pendant que ses yeux se perdaient dans le vague. C'était peut-être trop tard afin de se demander si elle avait fait le bon choix; son message s'était envoyé plus rapidement que d'habitude, comme pour servir de preuve supplémentaire au fait qu'il n'est vraiment plus aussi loin d'elle qu'avant.
Néanmoins, elle n'avait pas envie de tourner autour du pot. Elle n'avait pas envie que cette discussion se prolonge dans l'hypocrisie, laissant tout ce qui c'était passé en suspens alors qu'ils ne pouvaient pas le nier. Ils s'étaient vus, dans ce couloir. Ils s'étaient rencontrés, et alors qu'Astrid s'était promise tant de choses à lui dire, à lui montrer lorsque ce jour arriverait, elle n'avait rien fait.
Cela ne servait à rien de laisser ça derrière.
Ses doigts se serrent autour de l'appareil pendant un instant. D'une traite, elle finit par écrire, tout en se pinçant les lèvres.
Onyx a écrit:J'ai crue t'apercevoir quelque part. Quelqu'un te ressemble beaucoup, là où je travaille.
Bien sûr que c'était lui. C'était évident. Mais qui sait; tant qu'il y avait un espoir à saisir, autant le poursuivre. Ce n'était peut-être qu'un sosie beaucoup trop fidèle.
On en croirait presque de l'ironie, dit comme ça.
Les doigts de l'anglaise finissent tout de même par presser le bouton "Envoi". Un soupir s'échappe de ses lèvres, comme si elle venait de se débarrasser d'un poids. Tout en reposant son téléphone à l'avant de son bureau, sa place initiale, elle se décide à se replonger dans ses papiers. Essayons de ne pas trop nous distraire de notre principal devoir de la journée, surtout après l'avoir aussi bien commencée.