Aida est comme un rayon de soleil de début de printemps : chaleureux sans être agressif. Elle sourit tout le temps, même la fatigue ne peut pas éteindre la lumière sur son visage. Il lui arrive très souvent de laisser échapper un rire, qui retentit comme une cascade. C’est avec les patients qu’elle lâche le plus prise, préférant être plus discrète avec ses collègues et les médecins. Elle n’a surtout pas envie de quitter l’île, c’en est même une peur panique, aussi elle s’inflige une discipline stricte en présence du personnel et des soignants, étant même excessivement respectueuse avec son employeur. Pour ne se mettre personne d’important à dos, elle fait mine de ne pas entendre les bruits de couloirs et ignore la Grande Sanction. Après tout, cela s’est déroulé avant son arrivée. Tout est bon pour ne pas faire de vagues, même s’il lui arrive, à de très rares occasions, d’être énervée au point de donner l’impression d’être un ouragan.

Autre défaut, la jeune femme a un fort esprit de contradiction, qui ne se manifeste étrangement qu’envers les hommes. Elle est même assez méfiante, voire farouche. Au vu de son histoire, rien d’étonnant, cependant elle se contient envers Donatien, déjà parce qu’il l’emploie, ensuite parce que cela concerne la cuisine. Travailler les aliments lui confère en effet une seconde personnalité : alors qu’elle est relativement désordonnée (comprendre totalement bordélique), elle devient un exemple de minutie lors de ses découpes et ses dressages élégants, qu’elle adore réaliser. Elle s’emporte vite, respecte à la lettre les indications du médecin en chef et son visage est fermé par un masque de sévérité.

En dehors de son travail, elle va souvent aider à préparer les repas des patients à la cantine. Elle est si généreuse que, si elle devait passer de l’autre côté et faire le service, elle fermerait probablement les yeux sur les tentatives de prendre deux desserts ou remplirait beaucoup trop les assiettes. C’est facile : s’il n’y a plus de nourriture, c’est qu’il n’y avait pas assez mais s’il en reste, c’est que ce n’était pas bon. Quand il n’y a plus rien à préparer, Aida est soit poussée par sa curiosité et va lire pendant des heures, soit par son obsession envers ses cheveux, qu’elle passe beaucoup trop de temps à entretenir alors qu’elle n’est pas spécialement coquette. Enfin, c’est une grande rêveuse et elle adore s’imaginer des vies impossibles, ce qui parfois peut la rendre mélancolique.

Quelques informations en vrac pour finir : depuis qu’elle a découvert le jambon (interdit auparavant), elle ne peut plus s’en passer. Sa couleur préférée est le pourpre, sa nourriture préférée le sure. Elle passe d’ailleurs un certain temps à se préparer des gâteaux, pour elle-même car Donatien n’en mange pas. Elle adore danser, cependant elle a honte de le montrer et prend possession de la salle de sport à des heures plus ou moins tardives. Faire le marché et parler avec les commerçants lui manque.
Dans cette boule d’amour, il y a quand même des choses qu’elle déteste : parler de sa vie avant l’Institut (même si elle regrette son Iran) et elle a une haine viscérale pour toute religion.

Aida est une belle femme. Pas au sens de l'industrie de la mode, qui se tourne de plus en plus vers les filles maigres, mais elle est belle. Sensuelle sans le vouloir surtout. Elle a une silhouette harmonieuse et des formes généreuses : une poitrine ferme mais douce, des cuisses un peu trop pleines, un ventre qui n'est pas parfaitement plat, des poignées d'amour qu'elle a appris à apprécier. En plaisantant et en exagérant beaucoup, elle se voit comme un petit muffin rempli d'amour : sucré, gourmand et qui amène de la bonne humeur. Des grains de beauté parsèment sa peau, notamment dans le dos. En parlant de sa peau, celle-ci à la couleur et le parfum du miel, avec mille reflets chatoyants sous les rayons du Soleil. Avant son arrivée, ses bras et mains étaient recouverts de tatouages éphémères au henné. Elle adore ces décorations, malheureusement elle ne prend plus le temps d’en faire.
Une épaisse cascade de boucles brunes, souvent réunie en une lourde tresse quand elle travaille, tire très légèrement sa tête en arrière, lui donnant une allure et un air de princesse du désert. Quand ses cheveux sont détachés, ils sont retenus par une étole violette (vieux réflexe du voile) dont quelques mèches rebelles s'échappent. A cause de ce menton légèrement relevé, on pourrait la croire hautaine mais cette impression est vite effacée par le sourire chaleureux qui étire ses lèvres pulpeuses et découvre parfois ses dents, comme une rangée de perles blanches. Sa bouche est surmontée d'un petit nez en trompette, qui se retrousse quand elle rit. Les traits fins de son visage sont agrémentés d'un regard émeraude, aux longs cils recourbés comme des ailes de papillon, sobrement accompagné d'un trait d'eyeliner noir. Des yeux aussi pétillants de joie et aussi profonds que les forêts primaires, vous n'en trouverez pas beaucoup.

Des cercles d'or fins pendent à ses oreilles, s'emmêlant régulièrement dans ses cheveux, qu'Aida complète toujours avec des innombrables bracelets dorés à ses poignets, annonçant son passage comme des petites clochettes. Elle porte surtout des chemises un peu bouffantes, aux manches courtes ou longues, qui tombent et dénudent une épaule car elle ne ferme jamais tous les boutons. Heureusement, quand elle est en cuisine, cela ne se voit pas car elle enfile une blouse blanche, question d'hygiène. Le bas est un simple jean noir pour la plupart du temps, accompagné de chaussures de la même couleur à petits talons. Ou de bottes s'il fait froid, auquel cas elle s'enveloppe dans une longue écharpe pourpre. Ce qui arrive fréquemment, elle pense avec nostalgie à la chaleur presque étouffante de son Iran natal.
Quand elle danse, elle préfère porter une longue jupe qui dévoile ses chevilles à chaque mouvement. Elle est d’ailleurs très souvent nus pieds dans ce cas. Ses cheveux forment une auréole brune tandis qu'un large sourire est dessiné sur ses lèvres. Ses gestes gracieux paraissent sortis d'un rêve qui l'habite et la possède à chaque fois que la musique l'envahit.

Al-Deena Aida. Née le 12 juin 1995 à Ispahan, en Iran. Fille aînée, pour le meilleur et pour le pire.
Sa famille n’avait rien d’extraordinaire. Deux parents, un grand frère, une petite soeur en 1998. Un suivi strict de la charia, la loi islamique. Avec tout ce que cela peut impliquer : cinq prières par jour, un jeûne annuel, l’école coranique, le voile, l’importance de la chasteté pour une fille. Non vraiment, rien d’extraordinaire dans ce petit village, près de sa ville de naissance.
Rien à raconter non plus : elle aimait étudier, pratiquer sa religion, aider sa mère à préparer à manger ou faire le ménage. De toute façon, elle devait aussi apprendre ces tâches-là. Pour son futur mari. Il n’était même pas connu qu’on pensait déjà à lui mais pourquoi cela devrait lui paraître étrange ? Après tout, rien d’extraordinaire.

Petite, Aida rêvait d’être danseuse. Elle s’était entraînée un temps dans sa chambre à danser la valse avec sa petite soeur. Elles avaient vu ces pas à la télé, dans un film, elles avaient trouvé ça beau et amusant. Puis elle avait fini par prendre des cours. Ses parents (c’est-à-dire son père) prenaient cet attachement pour une simple passion et s’en amusaient, étaient même fiers du talent de leur aînée. Avant qu’elle n’annonce qu’elle voulait vraiment faire une école de danse.
“Je veux être danseuse étoile.
-Tu n’es pas une putain, ton corps ne sera qu’à ton mari.”
Encore et toujours cet hypothétique mari. Aida a fini par oublier ce rêve d’enfant mais elle continue à apprendre des mouvements par elle-même, imaginant sa vie sur une scène. Elle décide donc de se tourner vers la cuisine, un autre art, plus utile. Surtout plus accepté par son père. “Pour une femme”.

Tout n’était pas aussi noir non plus. Il fallait admettre que certaines superstitions étaient amusantes. Comme le tirage des cartes ou la lecture dans les lignes de la main. Aida n’y croyait pas, comme une bonne musulmane car ça serait contraire à l’islam, cependant elle aimait bien l’aura de mystère que ces pratiques créaient. Jusqu’à maintenant, elle rit toujours de la crédulité des autres quand elle leur dit leur avenir. Un avenir aussi flou qu’imaginaire. elle disait toujours ce qu’ils voulaient entendre.

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A quinze ans, son enseignement secondaire était terminé. Aida voulait faire des études supérieures, plutôt axées professionnelles car dans le domaine de la cuisine. Le frein était toujours le même, son paternel. C’était une jeune fille après tout, elle devait maintenant rester à la maison, là où était sa place. Heureusement, sa mère prit sa défense : elle-même regrettait en partie de ne pas avoir suivi la voie des études, renonçant pour se marier. Aussi, elle a négocié. La condition était simple : revenir et arrêter ses études dès que ses parents auraient trouvé un mari convenable. Est-ce qu’elle pouvait refuser cette proposition ? Absolument pas, elle qui ne rêvait que d’émancipation, l’occasion était parfaite. Départ pour Téhéran, la capitale, pour un apprentissage dans la restauration.

Aida aurait dû rester au moins cinq ans dans la capitale. Pourtant son séjour a été écourté, cette fois-ci son père n’était pas le seul responsable. Elle n’avait aucun problème à l’école de cuisine, elle était même plutôt bien entourée et vivait les délices de la liberté avec un groupe d’amies qui étaient devenues ses colocataires en deuxième année. Des filles à peu de choses près dans le même cas qu’elle : venues étudier à force de négociations.

Mais il n’y avait pas que ces filles. Il y avait Anwar. Un autre étudiant, plus âgé qu’elle de deux ans, en service et non pas en cuisine. Elle devait admettre qu’elle avait eu le coup de foudre pour lui, alors qu’il l'avait accueillie, elle et les nouvelles recrues. Elle rêvait de ces cheveux noirs délicatement lissés en arrière, de ces yeux qui paraissaient faits d’or liquide, de cette barbe de trois jours qui lui traçait la mâchoire. Et surtout de ce sourire à se damner cent fois par jour. L’école disposant d’un restaurant pour entraîner les aspirants cuisiniers et serveurs, ils faisaient régulièrement des heures ensemble, à croiser leurs regards entre les portes séparant la salle de la cuisine.
Elle était restée un an à soupirer à chacune de ces oeillades, imaginant des scénarios impossibles. Jamais elle n’oserait faire le premier pas, ces rêveries né resteraient que des mirages. Jusqu’à ce jour d’hiver, en deuxième année, où leurs lèvres s’étaient enfin rencontrées. Depuis, la jeune fille croyait sincèrement à ses promesses idylliques, d’amour éternel et de joie infinie. Quelques mois de naïveté, rompus par une catastrophe. Quelques mois foutus en l’air pour un consentement non respecté. Oh oui, elle avait voulu lui donner ce que l’on disait être le bien le plus précieux d’une femme. Mais le plaisir charnel avait fini par l’effrayer, elle ne voulait plus. Anwar s’était emporté. “Tu es ma copine, c’est normal”. “Tu as bu, tu ne sais pas ce que tu dis.” “Pourquoi tu m’as dit que tu voulais alors?” Elle a cédé sous la pression, cela a été la pire nuit de sa vie. Sa confiance envers les hommes en a pris un coup, aussi.

Elle en avait parlé à ses amies qui, bienveillantes, l’avait redirigée vers son frère aîné. La descente aux enfers commença alors. Ce n’était clairement pas l’interlocuteur le plus indiqué, aussi respectueux qu’il était de leur éducation religieuse. “Tu ne te rends pas compte ! Qu’est-ce qu’on va dire de nous ? Tu as bafoué l’honneur de la famille !” Parce que l’honneur d’une famille se situe entre les jambes d’une jeune femme. Il l’a ramené de Téhéran avec son père, furieux. Elle est persuadée qu’elle a encore des marques de sa réprimande. Pour éviter de salir encore plus leur nom, il veut l’obliger à épouser cet Anwar, que rien ne désigne comme le mari idéal, au vu de son irrespect. Aida a tellement réprimé son traumatisme qu’elle a encore du mal à utiliser le bon mot, à admettre ce qu’elle a subi.

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Enfermée dans la maison familiale comme une princesse dans sa tour, la seule personne qu’elle pouvait voir était sa cousine, Malika. Celle-ci étudiait en France, elle était de passage pendant les vacances universitaires. Elle voyait bien le mal-être de sa cousine, aussi elle voulait lui faire changer d’air en la ramenant avec elle. Elle négocia avec le père, qui accepta au vu de l’excellente réputation de sa nièce. ”Remets ma fille dans le droit chemin”. Si seulement il savait… S’il savait qu’Aida remettait en question l’islam et envisageait l’apostasie. Non, elle ne voulait plus d’une religion qui la plaçait comment inférieure à l’homme. Elle ne voulait plus d’une morale vieille de 1400 ans. Ni d’aucune autre, elles étaient toutes pareilles, hormis la sienne. S’il savait que Malika voulait éviter le supplice du mariage arrangé à sa cousine.

Ses études interrompues, Aida n’avait d’autre choix que travailler. D’abord en tant que serveuse, dans un restaurant pas loin de l’appartement que les cousines partageaient. Puis elle était passée en cuisine, là où ses compétences servaient d’avantage. Elle demandait titre de séjour sur titre de séjour, avant de pouvoir obtenir une autorisation plus longue à rester sur le territoire français. En même temps que son rejet de la religion, elle commença à s’intéresser aux questions féministes, notamment autour du voile. Elle-même ne le portait plus, bien entendu, mais si d’autres voulaient encore l’avoir sur leurs cheveux, jamais elle ne leur ferait la morale. Chacun sa vie et ses choix. Elle a en outre coupé tous les ponts avec sa famille en Iran. Elle ne veut plus jamais les voir ni avoir de leurs nouvelles. Encore moins pour épouser un ancien compagnon aussi indécent.

La situation dure sept longues années, jusqu’à un appel paniqué de Malika. Son père arrive dans une semaine pour la ramener de force en Iran et la faire épouser Anwar. Devenue chef dans le restaurant qui l’avait embauchée à son arrivée, Aida s’était construit une petite réputation. Suffisamment pour qu’un intriguant Institut Espoir lui envoie une proposition d’emploi : cuisinière personnelle du directeur et médecin en chef. Elle avait reçu ce mail quelques semaines auparavant, c’était une solution inespérée. Par miracle, elle avait eu la présence d’esprit de commencer à préparer ses papiers avant l’ultimatum de sa famille. Une réponse positive envoyée et un bref échange plus tard, la voilà en possession de son aller simple pour l’île. Départ à la fin du mois de mai 2019, Malika dira qu’elle s’est enfuie dans l’inconnu...