Cinq ans qu'elle était sur le trône. Cinq ans qu'elle les toisait de sa puissance et son pouvoir. Cinq ans qu'elle osait prendre des décisions à double tranchant pour espérer sauver sa population pauvre et affamée. Cinq ans qu'elle devenait de plus en plus magnifique chaque jour et éblouissait ses sujets de sa magnificence et sa beauté.

Adèlys, elle, la connaissait depuis sa plus tendre enfance. Elles ont passé Dieu-sait-combien de jours à se raconter leur tracas et à rire aux éclats comme si c'était autorisé pour une jeune fille de bonne famille.

Adèlys avait ce luxe de connaître Ophelia Lilith Rosedbury. Elle n'avait cependant pas prévu qu'un jour, elle devrait braver l'un des interdits de l'Église : éprouver des sentiments pour le même sexe.
Elle secoua la tête devant son miroir, arrangeant sa coiffure comme elle le pouvait et laissant ses domestiques la maquiller.

Elle sortit de sa chambre, tout à fait apprêtée, et s'en alla la rejoindre dans la salle à manger.
Les gardes poussèrent les portes et devant elle se dressaient tables et nourritures. Était-elle sortie de ses songes ou devrait-elle l'en extirper ? Excellente question…

Elle jeta un regard dans la salle. Quelques personnes qu'elle avait l'habitude de croiser dans le palace s'attelaient à manger ce qui passait sous leurs yeux, mais pas de souveraine. Elle ne s'en étonna même pas, levant simplement les yeux au ciel.

Elle fit demi-tour, ne prenant pas la peine de saluer les quelques personnes à l'intérieur de la salle à manger, et laissa les gardes fermer les portes après son départ. Elle déambula dans les couloirs, offrant un sourire quelque peu serré aux nobles qu'elle croisa sur son chemin, et arriva enfin devant la porte de sa chambre. Elle inspira, à la fois excitée et nerveuse, et leva son poing. Elle déglutit et frappa à la porte. Elle laissa cinq secondes avant d'entrer et de voir Ophelia encore dans son lit.

Adèlys gloussa :

- Bon sang, mais qu'est-ce que tu fais encore dans ton lit ?

Un large sourire sur le visage, elle secoua la tête, exaspérée de la trouver sous une montagne de couvertures à une heure pareille. Elle s'approcha des fenêtres et tira les rideaux pour faire pénétrer la lumière dans la chambre, espérant par la même occasion que ça puisse motiver sa Reine de s'extirper des draps.

Elle se tourna enfin vers elle, mains sur les hanches. A part un œil qui avait osé sortir de la carapace, elle ne dévoila pas son corps à la lueur du jour. On aurait dit un petit chat apeuré. Si elle ne savait pas que c'était uniquement de la flemmardise, elle aurait presque trouvé ce comportement adorable… Mais elle avait terriblement l'habitude de la retrouver dans cette posture, incapable de sortir de ce douilleux sommeil.

Elle s'approcha d'elle jusqu'à s'asseoir sur le lit. Elle observa avec un sourire malicieux la scène qu'elle était en train de créer.

« Je suis malade aujourd'hui, je préfère rester au lit. Je pense avoir ... la peste ! »

Adèlys éclata de rire. Elle se pencha au dessus de cet amas caché sous les couvertures et posa ses mains sur Ophelia. Elle commença à la secouer de toutes ses forces, amusée de cette situation enfantine.

- Dans ce cas je serai pire que la peste ! Allez, on se bouge madame la Cannibale ! Je me montrerai plus vorace que toi !

Elle souleva la couverture pour apercevoir dans l'obscurité une touffe de cheveux. Elle lui souriait de toutes ses dents, les joues rougies et le cœur battant par l'exercice… Et probablement par autre chose...

« Maan ... Regardez le petit agneau qui pense pouvoir dévorer le lion ... »

Adèlys fit la moue, gonflant ses joues comme une enfant le ferait, jouant le jeu de son amie de toujours. Elle se recula légèrement pour laisser sortir Ophelia des draps, sauf qu'elle n'avait pas pensé qu'elle allait attraper ses poignets pour la faire basculer en arrière et affirmer sa supériorité. Adèlys écarquilla les yeux, interdite, la lèvre inférieure ayant quitté la supérieure. Elle dévisagea celle qui était en train d'accélérer son rythme cardiaque.

« A table ... »

Adèlys ferma les yeux avec force et tourna son visage vers la droite, dévoilant son cou à la lionne. Elle crut une seconde qu'elle allait l'embrasser, mais elle savait bien que c'était impossible qu'une telle chose puisse arriver. Ses rêves se nourrissaient déjà de ces espoirs-ci.
Alors, pour continuer de jouer en essayant de calmer sa respiration, elle mima une victime - mais, il fallait se le dire, très mal :

- Oh non, s'il vous plaît, ayez pitié de moi madame la Lionne... Et je vous assure que ma chair amère ne sera pas à votre goût de reine.

Son rire sonna comme un soulagement chez Adèlys. Elle n'allait ni la manger, ni l'embrasser, même si le moment aurait été propice. Quoique, elle savait qu'au fond d'elle-même, elle était un peu déçue.

Sa Reine quitta le lit et sa place de dominatrice pour se placer devant sa coiffeuse. Adèlys, quant à elle, s'assit sur le lit tout en observant la scène. Ses cheveux dorés n'étaient que plus brillants à la lumière du soleil et créèrent un halo de lumière tout autour d'elle. Elle était vraiment choisie par les Cieux, non ? Elle était... Divine.

« Hé ... T'es au courant pour les deux femmes exécutées hier ... ?»

Adèlys entrouvrit la bouche, abasourdie par ce sujet de conversation. Si Ophelia était très joueuse quelques secondes auparavant, désormais elle affichait une mine grave et sérieuse.
Elle déposa son regard sur ses mains posées sur ses cuisses, l'air triste.

- C'est ce que j'ai... Oui, je suis au courant.

Elle releva son regard vers Ophelia. Elle n'amorçait jamais un sujet sans avoir quelque chose en tête. C'était quelque chose qu'Adèlys avait appris avec le temps. Surtout qu'en tant que souveraine, elle se devait d'imposer ses idées, et Adèlys n'y échappait pas. C'était une habitude qu'elle avait du prendre. Enfin, tout du moins, c'était l'impression qu'elle avait depuis qu'elle la côtoyait.

- Tu connais la raison, je suppose ?

La tension était montée d'un cran, ce qui ne plut pas vraiment à Adèlys. Elle savait que c'était un sujet grave, mais elle redoutait le pire. Pourquoi ces deux femmes avaient-elles été tuées ? Elles avaient dû pécher, mais... Comment ?

« Oui. Et c'est parce que je connais cette raison que j'ai décidé de faire changer ça. Je vais épouser le roi du pays voisin.»

Dans un mouvement incontrôlé, elle se leva sur ses genoux, comme si elle s'apprêtait à bondir du lit dans un élan de refus et de colère. Les poings serrés, les lèvres accrochées l'une à l'autre, elle ferma les yeux et secoua la tête de gauche à droite vigoureusement. Elle le refusait. Elle ne souhaitait pas ça. Aussi bien son coeur que sa raison. C'était inutile comme sacrifice.

Les yeux embués de larmes, elle releva son visage et parla plus fort qu'elle ne l'aurait voulu :

- Je te l'interdis ! Tu n'as pas à te sacrifier comme ça ! Certes, tu as 23 ans, mais cette décision sort de nulle part ! Je refuse que tu prennes une telle décision !

Ce pouce sur sa joue la fit reprendre plus ou moins ses esprits. Elle ne savait pas trop comment prendre ce contact, mais il était apprécié. Elle calma sa respiration tout en tentant d'apercevoir dans les yeux de sa Reine les véritables raisons qui la poussèrent à une telle décision. Elle la connaissait que trop bien pour pouvoir...

« Tu avais raison tout à l'heure... Je suis une lionne, et ta chair amère n'est pas à mon goût de souveraine. Je ne préfère manger quelque chose de plus ... viril. »

Son sang se glaça et ses yeux fixèrent intensément le visage d'Ophelia. Que venait-elle de dire... ? Elle ne lui avait jamais parlé de ce roi avant, alors... Mais même en dehors de ça, le sous-entendu était tout simplement... Elle...
Adèlys déglutit. Ses ongles étaient en train de s'enfoncer dans la paume de sa main. Elle était quasiment sûre qu'elle était en train de saigner...

« Maintenant, tu as des choses à faire il me semble. Ma coiffeuse ne va pas tarder, alors va-t-en avant que je n'appelle la Garde Royale. »

Sans attendre une seconde, le visage durcit et le regard fuyant, elle répondit :

- Inutile de le prendre ainsi, Madame.

Sans attendre son reste, elle sauta du lit et partit en claquant la porte, montrant son mécontentement. Elle venait de se faire rejeter, elle avait le coeur en morceaux... Mais avait-elle vraiment besoin de la rejeter de sa vie comme ça ?
Fulminante, elle rejoignit sa propre chambre où elle alla cacher sa colère, sa gêne, et sa détresse.