Jessy était assoupie quand son instinct le tira du sommeil léger dans lequel il commençait doucement à sombrer. Pas besoin d’ouvrir les yeux ou de bouger pour savoir à qui appartenait cette démarche. Il l’avait guetté ces derniers jours. Il resta immobile. En colère. Une colère qui n’était pas méritée, mais qui prenait si facilement le contrôle.

Jessy... tu dors ?

Il ne voulait pas lui parler… L’attente avait été trop cruel. Il laissait défiler les secondes. Le temps semblait s'étirer à l'infini. C'était atroce. Souffrait-elle aussi de ne pas l’entendre ? Et lui, se satisfaisait-il de l’ignorer comme cela ? Mais c’était plus simple. Il ne pouvait pas attendre d’elle qu’elle revienne lui parler, qu’elle décide de renouveler les interdits. Il ne pouvait pas attendre d’elle autant qu’il ne le voulait.  

Et il ne voulait pas l’attendre, la guetter comme s’il n’avait qu’elle. C’était grotesque. Il n’avait besoin de personne. Il n’y avait plus personne. Et ce depuis des années. Juste lui et sa colère. Lui et sa haine viscérale, qui lui brulait l’intérieur des entrailles. Il n’y avait de place pour rien d’autre. Emmurer dans son silence, il ne parvenait pas à savoir contre quoi il tentait de se protéger. Il ne savait pas non plus s’il serait capable de la laisser rebrousser chemin et retourner à sa chambre. S’il pouvait laisser partir le seul être vivant qui daignait encore lui adresser la parole pour lui parler vraiment.

Il faisait semblant de dormir, puéril. Il se vengeait de l'attente alors que Lucy ne lui avait rien promis. Il était exactement celui qu'il avait toujours été. Alors la question de savoir s'il pouvait la laisser partir ne se posait pas. Il la laisserait partir sans le regretter...

Jessy, c’est Lucy, tu dors ?

Lui faire la tête, c’était presque risible. Voir pathétique. Ce n’était pas digne de lui. Elle ne lui avait rien promis. Elle ne lui devait rien. Tout comme il lui avait dit ne rien lui devoir. Il fallut cependant qu’il la sente partir pour daigner parler enfin. Pour une ultime supplication. Il ouvrit les yeux, se redressant en douceur, sa main s’enroulant autour du barreau de sa prison :

- Attend !

Un murmure qui aurait pu être confondu à un cri. Un oxymore qui n’en était pas un. Il la voyait à travers les barreaux et il se sentait un peu plus enfermé. Comme si, de chercher sa présence dans la solitude de la nuit le rendait plus prisonnier encore.
Il aurait voulu se plaindre, lui reprocher le temps qu’elle avait mis à revenir. Il aurait pu lui dire avoir pensé qu’elle ne reviendrait jamais. Mais rien de tout cela n’avait d’intérêt. Lucy était libre de ces mouvements, libre de faire ce que bon lui semblait. Et lui ne pouvait qu’attendre. Ces phrases n’auraient été que des amas démontrant sa faiblesse, son imposture. Il ne se lamentait pas. Il ne se plaignait pas. C’était pour les imbéciles. Tout au plus, il pouvait déverser sa haine. Mais la haine, c’était son énergie vitale, il ne devait pas la laisser s’échapper inutilement. Il la gardait pour se battre, pour manipuler ou pour rester en vie.

Parfois, depuis leur conversation, il se disait qu’il pouvait se servir de la pureté et de l’innocence de Lucy pour se frayer un chemin dehors. Mais elle n’était pas stupide. Elle connaissait la nature profonde de Jessy, tout comme elle savait le monstre qu’il était. Il se souvenait n’avoir eu aucunes secondes d’hésitation lorsqu’il lui avait planté le canif dans l’œil. La force, la précision. L’efficacité d’un habitué. A cet instant-là, elle l’avait vu tout entier. Sans faux semblant.

- Tu es là.

Une évidence. Que pouvait cacher les mots d’une évidence ?

-Oui, je suis là.

Rien n’avait changé depuis la dernière fois. Ils se regardaient sans savoir s’ils avaient le droit. Une victime et son bourreau avaient ils droit à ce genre de conversation peu banales ? Pour Jessy après tout, Lucy était la preuve vivante qu’il pouvait échouer dans sa mission. Raté son coup. S’ils étaient parvenus à tuer Béatrice et Lucy, il n’aurait pas été emprisonner ici. Et pour Lucy, il était celui qui lui avait enlevé un œil, qui l’avait enfermé dans son rôle de victime.
Mais elle était là. Et il refusait de se l’avouer, mais sa présence apaisait la haine sourde tapie au creux de son estomac. Elle s’assit au même endroit que la dernière fois. Jessy lui ne rapprocha pas sa tête des barreaux cette fois-ci, comme s’il cherchait à garder une distance.

-Tu veux parler de quoi ce soir ?

Cette question était un champ des possibles infinis. Il n’avait plus l’habitude d’autant de choix. Cela lui donnait l’étrange impression que Lucy l’aidait. Qu’elle se souciait de son sort. Qu’elle n’était là que pour qu’il ai enfin l’occasion de parler. C’était désagréable. Il n’avait aucunes envies de l’attendre pour se mettre à exister. Et même si cet échange lui donnait à elle aussi le droit de parler sans se sentir juger, cela ne rendait pas la situation moins équilibrée. Car pour Jessy, une situation n’était équilibrée que lorsqu’il avait la main mise dessus et qu’il en avait le contrôle. Il refusait tout ça. Il répondit, le visage fermé, ces deux yeux dorés en colère tourné vers son interlocutrice :

-Pourquoi tu viens me parler ? Qu’espères tu m’entendre dire ?

Elle savait qu’il ne regrettait pas. Elle savait qu’il était capable de reproduire ce genre d’action à tout moment s’il trouvait un moyen de le faire.

- Je n’espère rien, je n’ai pas encore trouvé pourquoi je venais. Je viens c’est tout.

C’est tout. Il cherchait des réponses là où il n’y avait rien. Lucy n’avait pas de réelle raison d’être là. Mais elle était là. Et c’était tout. Cette réponse n’en était pas une, mais elle lui convenait malgré tout. De toute manière, il n’en aurait pas d’autres. Il attrapa un bout de chaines entre ces doigts, le faisant tourner dans un sens puis dans l’autre machinalement. Il prenait garde de ne pas faire cliqueter la chaine trop fort, de peur de faire trop de bruit.
Et toi Jessy...Qu’espères-tu m’entendre te demander ?

Il n’en savait rien. Il n’avait pas forcément envie de parler de lui. Il n’avait rien d’intéressant à dire. Il n’avait pas beaucoup de centre d’intérêt, il y avait bien la couture mais c’était une activité qu’il n’avouerait jamais apprécier. Son passé lui appartenait et était un terrain mouvant, instable. Sa famille se composait d’être tout aussi pourri et détestable qu’il ne l’était. Et ces journées dans le bunker était morne et contraignante. a vérité était que depuis de nombreuses années, l’homme avait un seul et unique objectif, et le reste importait peu. Non, vraiment, rien qu’il ne veuille s’entendre demander.

- Rien. Je n’attends plus rien de personne depuis longtemps.

Un silence. Le souci, c’était que parler de rien, c’était compliqué. L’autre soucis, c’était qu’il se contredisait. Il disait ne plus rien attendre de personne, mais il avait attendu Lucy pendant plusieurs journées. Et il lui en voulait d’avoir mis autant de temps. A moins qu’il ne soit juste en colère contre lui-même de cette situation ? Non. Il lui en voulait à elle. Il n’était pas responsable de ce qui se passait. Il avait trop d’ego pour se remettre en question.
Il avait peur qu’elle ne coupe court à la conversation à force qu’ils ne fassent que de discuter de rien. Il lui demanda donc, curieux de savoir si le monde extérieur à l’île importait encore à la jeune patiente :

- Le Canada te manque ?

- Non.

Non. Bon. La conversation allait-elle se finir là finalement ? Sur ce non ? Allait-il devenir une généralité entre eux ? Comme si une discussion était impossible.

- Comment dire, il paraît que c’est très beau, je n’en ai pas vu grand-chose. Parfois ma mère me manque, les autres enfants non, je ne me souviens même pas de leurs visages.

L’attention de Jessy se reporta sur Lucy. Elle parlait doucement, il ne savait pas si c’est pour éviter d’être entendu ou si c’est les mots qui ont du mal à se frayer un passage.

Tu sais, avant de venir à l’institut j’ai passé quatre ans dans un genre d’hôpital. Dans un endroit où l’on place les gens dont on ne sait pas trop quoi faire. Il y avait de tout, mais pas vraiment de visite. Les personnes inutiles, on les place, on les visites au début un peu, puis le temps passe et plus rien. On revoit la famille des autres quand elle vient récupérer le corps. Une semaine, un mois, un an.

Une larme glissa le long de sa joue. Dans une autre vie, Jessy se serait approché pour s’en saisir. La faire disparaitre de ce visage. Rester dans un endroit où l’on était seul. Longtemps. Et elle n’était pas emplie de haine envers sa mère. Ou envers qui que ce soit. Juste cette tristesse d’avoir vécu cela. C’était ce qui les différenciait autant. Elle n’était pas en colère sur le monde malgré ce qu’il lui avait fait. Etait-ce elle qui était une erreur d’être dépourvu de haine ou lui qui en était emplis jusqu’à la moelle ? Pour lui la réponse était évidente. Elle n’était pas une erreur puisqu’elle était exactement ce qu’il aspirait de voir survivre à sa vengeance destructrice.

- Tu sais le pire ce n’est pas de mourir dans un endroit comme ça, c’est d’y rester et d’attendre. Non, ça ne me manque pas...

Il hocha la tête. Attendre, quelque soit la situation, était ce qu’il y avait de plus désagréable. Attendre, c’était ne plus rien maitriser, ne plus évoluer. Finalement, c’était comme de mettre sa vie sur pause. Il se rapprocha un tout petit peu, inconsciemment. Peut-être que son corps supposait qu’une présence proche aiderait Lucy à se sentir moins seule.

- Et toi... euh en fait je ne sais pas d’où tu viens.

Il eut un sourire moqueur. Il n’aurait pas dû, car après tout, c’était de sa faute si elle ne savait rien de lui. Mais se moquer était un moyen de défense de Jessy qu’il savait efficace. Et il y avait des habitudes en lui, qu’il ne savait même pas comment changer.

- Angleterre. Mais ça ne me manque pas non plus. Je l’ai parcouru de long en large l’Angleterre. Je n’y ai rien vu de beau.

Il se tut. La larme de Lucy avait atteint le bas de sa mâchoire inférieure. Elle se tenait là, en équilibre instable.

- Rien de beau qui n’ai survécu en tout cas.

- Tu as dis que tu souhaitais revoir ta mère, elle est encore en Angleterre ? Comment est-elle ?

Il baissa les yeux vers les chaines avec lesquels il chipotait nerveusement depuis tout à l’heure. Il ne se souvenait pas d’avoir parlé de sa mère la dernière fois. Cela ne faisait que quelques jours que la conversation s’était produite pourtant. Et il ne se passait pas grand-chose dans ces journées. A quel moment cette information s’était-elle échappée de sa mémoire ? Il se complaisait dans sa prison. Il devait rester alerte, sinon il finirait par commettre une erreur comme cet été. Il savait que sa vie ne tenait pas à grand-chose ici.

- Elle est en Angleterre. Ma mère…

Il se tut. Comment était sa mère ? Il n’avait pas vraiment envie de parler de sa mère à Lucy. Cela dit, ce serait un bon avertissement. Il n’aurait pas voulu qu’elle finisse comme sa fleur.

- Je lui ressemble beaucoup. Les mêmes yeux, les mêmes cheveux, les mêmes cils… Je suis pour ainsi dire son reflet dans un miroir. Une copie.

Il lui ressemblait à un point que cela en devenait écœurant. Il en était conscient cela dit. C’était cette ressemblance qui avait tout déclenchée. Mais pas là physique, plutôt l’autre ressemblance. La haine, la colère, il en avait hérité. Il rigola doucement. Il ne devait pas faire trop de bruit, pour ne pas réveiller les autres dégénérés de ce bunker.

- Je suis devenu exactement le même monstre qu’elle.

Il adressa un sourire cynique à Lucy. Il ne s’était jamais caché de ce qu’il était. Il détestait sa mère, et pourtant, ils étaient pareils.

- Et ta mère à toi alors ? Tu me disais qu’elle te manquait ? C’est quel genre de personne ?

Les monstres n’existent pas Jessy, les gens font des choses monstrueuses c’est différent.

Elle pouvait dire ce qu’elle voulait, les gens qui commettaient des choses monstrueuses se transformaient petit à petit. Il savait qu’au fond, il n’avait plus figure humaine. Cela ne le gênait pas. Il n’avait pas besoin d’être humain. Il interrogea Lucy sur sa mère. Eloigné le sujet de lui le soulageait.

Ma mère est une femme bonne, elle avait les cheveux noirs, les mains douces et un très beau sourire. Elle t’aurait sans doute aimé, elle aimait tout le monde. En plus de moi, elle a recueilli trois autres enfants. Je pense qu’elle ne pouvait pas en avoir elle-même. Elle nous a élevés seule.

La vie était drôlement faites. Quand certaines femmes étaient dépourvues de fertilité, d’autres auraient souhaités étouffer leur progéniture sous un oreiller. L’ironie de ce monde imparfait.

- Et tu as terminé dans un hôpital horrible pendant plusieurs années. Tu ne lui en veux pas ?

Elle disait de sa mère qu’elle était une femme bonne, il avait du mal à se l’imaginer. Recueillir des enfants ne suffisait pas pour être qualifier de bonne personne. Jessy avait peut-être aussi des critères un peu particuliers en ce qui concernait le bien et le mal. Il ne s’en rendait pas forcément compte mais rare était les personnes qu’il aurait pu classer dans la catégorie du bien, selon ces fameux critères. Il était presque impossible qu’il trouve aussi innocent et doux que la fleur qu’il avait auparavant chérie. C’est ce dont il était persuadé. Pourquoi alors, lorsqu’il posait son regard sur Lucy, s’inquiétait-il de la trouver si belle ?

- Je suis reconnaissante de ce qu’elle a fait pour moi, elle a travaillé dur pour me permettre de vivre ici, enfin à l’institut.

Il haussa un sourcil. Il ne savait rien de la reconnaissance. Sa mère n’avait jamais eu besoin de travailler dur. Et elle ne l’aurait probablement pas fait pour lui. Elle l’avait toujours exigé de lui cela dit. Il avait bossé comme un dingue à l’école quand il était gamin. Et pour quoi ? Ce temps avait beau être révolu, rien que d’y penser lui rappelait qu’il avait mille raisons d’en vouloir à sa mère.

- J’ai le choix de lui en vouloir ou de me rappeler ce qu’elle m’a donné, je n’ai pas envie de tout tacher avec de la colère... Tu aurais faits quoi à ma place ?

Il hésita un instant. Difficile de se mettre à la place de Lucy. Difficile ? Impossible plutôt. Il se contenta d’une réponse terre à terre :

- Je n’en sais rien... A ta place, je n’aurais pas eu les mêmes parents, ni la même éducation, ni le même corps, et pas le même état d’esprit. Je ne pense pas que ta question soit des plus pertinentes.

Il ne pouvait s’imaginer autre que celui qu’il était. Il continua cependant, laissant une piste à la jeune femme sur le genre de réaction qu’il aurait pu avoir si sa propre mère l’avait envoyé dans un hôpital.

- Mais j’en veux à ma mère de m’avoir envoyé en pensionnat. Alors je suppose que tout tâcher avec de la colère aurait été plus dans mon style.

Lucy lui proposa ensuite :

- Tu veux un verre d’eau ?

Il hocha la tête. Boire un peu d’eau au milieu de la nuit lui était un luxe qui lui était interdit. Boire entre les repas tout court d’ailleurs -sauf lors de rare occasion. Comme si le seul fait de boire risquait de se retourner contre ces gardiens. De vrais paranoïaques.

- Voilà, tu me diras si tu en veux encore.

Jessy but quelques gorgées. Heureusement pour lui, il n’avait pas souvent soif, car il arrivait assez souvent qu’il ne boive pas du tout entre les repas. Il hocha la tête, conscient qu’il ne boirait pas plus que ce verre. Il se demandait comment Lucy pensait à dire ce genre de choses. Lui n’aurait probablement même pas pensé à proposer un verre d’eau dès le début. Il aurait pris un verre sans se poser de questions.


- Tu n’as rencontré personne de chouette dans ce pensionnat ?

Il lui adressa un sourire presque amusé. Elle semblait chercher à tirer quelque chose de positif de lui. C’était probablement stupide de sa part, mais ça avait le mérite de forcer Jessy à repenser à sa vie avant la rencontre avec sa fleur. Il y pensait rarement.

- Dans le premier surement mais je n’en ai pas beaucoup de souvenir. Dans le second, j’étais trop occupé à travailler dur pour m’en faire. Je ne me souviens d’un gosse… William ? Non Willem. J’étais toujours en compèt’ avec ce petit con. Je détestais ce gamin.

Il eut une moue dubitative. Honnêtement, ces souvenirs de gosses prépubères n’avait pas grand intérêt, rien d’étonnant qu’il n’en ai pas gardé beaucoup de traces. Il était du genre second de classe à toujours chercher à atteindre le haut du podium sans jamais y parvenir. Il s’était acharné des années durant. Tout y était passé, l’éducation, le sport, la musique, il avait cumulé tout ce qui lui était passé par la tête, à la recherche d’un truc qui la rendrait fière. Mais être deuxième n’avait pas la moindre valeur à ces yeux. A ceux de Jessy non plus d’ailleurs.

- Sinon à Sandhurst, il y avait un gars sympa, Cooper. Mon premier ami je pense.

Jessy n’était pas restée bien longtemps à l’académie militaire de Sandhurst, surtout après que Cooper ait été jugé pour le meurtre d’un de ces supérieurs. Il avait appris à Jessy ce qu’il lui manquait pour se détacher définitivement de sa mère, où de lui-même. Il faisait partie des rares personnes dont il avait retenu le prénom, même des années après. L’un des rares qu’il avait appelé ami aussi. Il eut un sourire sarcastique en y repensant. Ami…

- Tu as des amis Lucy ?

Alors ? Est-ce que la douce Lucy considérait les membres du bunker comme des amis ? Ou en comptait-elle à l’extérieur de ces murs ? De l’autre côté de l’océan ?

La réponse fusa :

- Nev, c’est mon ami. Le meilleur ami que j’ai.

Il était décevant mais peu surprenant qu’un seul prénom ne se détache. Il fallait évidemment que ce soit celui du clébard de Donatien. Jessy savait au fond qu’il était le frère que ce crétin de médecin aurait probablement dû avoir. Et qu’il avait beau le traité de chien depuis qu’il s’était fait enfermer dans ce putain de bunker, c’était lui qui était enfermé dans une cage comme un animal. A qui l’on ne s’adressait jamais directement et que l’on nourrissait après tout le monde. Il n’était juste pas prêt à se l’avouer. La haine qu’il avait envers celui qu’il nommait le chien s’apparentait peut-être en réalité de la jalousie. Jessy n’en était juste pas conscient. Il était petit, l’autre était grand. Il n’avait pas eu accès aux responsabilités qu’il convoitait, l’autre si. Et cerise sur le gateau, Lucy le considérait comme son meilleur ami.

L’inconscience de ces pensées là n’étouffait pas la colère de Jessy cependant. Il reposa le verre brutalement au sol. Pas assez pour le briser, mais trop pour que cela passe inaperçu. Le bruit du verre sur le sol n’était pas très discret alors que seuls les sons molletonnés de la nuit ne transparaissaient.

- Tu devrais partir Lucy. Et je ne pense pas que tu devrais revenir.

Il laissa le verre là où la jeune femme le lui avait posé plus tôt, avant de s’enfoncer dans le fond de sa cage, jusqu’à toucher les barreaux de l’extrémité opposé à celle où se trouvait Lucy. Il n’avait plus envie de parler, et de toute manière, c’était devenu trop dangereux pour ce soir. Pour ce soir mais aussi pour les prochaines fois. Il n’aimait pas ce qu’il ressentait. Il préférait que leurs échanges s’arrêtent là. Cette situation devenait aussi ridicule qu’agaçante.