Jessy était distrait cette semaine. Il laissait trainer ces oreilles pour saisir les rumeurs que les électrons libres colportaient et il avait passé de nombreuses heures à guetter les allés et venus du bunker. Il aurait voulu parler à Lucy de ce qu’il prévoyait mais il savait qu’elle s’y opposerait farouchement. D’autant que cela finirait par concerner Nevrabriel, et elle savait que la jeune femme l’aimait un peu trop… Il aimait Lucy. Il savait ces sentiments sincères, mais il restait fidèle à ces convictions. Et Lucy au sienne. Ils étaient deux têtes de mule incorrigible. C’était comme s’ils marchaient tous deux sur le fil tendu de leur amour, seule point de rencontre possible entre eux. Mais Jessy se fichait bien qu’ils ne soient d’accord sur rien. Puisqu’ils étaient d’accord sur une chose au moins. Ils s’aimaient.  Alors tant pis si cela impliquait des mensonges et des cachotteries entre eux. Lucy avait fait croire à son suicide pour lui, il mettrait son plan à exécution pour elle. Et tant pis si cela ébranlait les fondations de leur relation. Il voulait croire que malgré tout ça, ils se faisaient suffisamment confiance pour continuer d’avancer quoi qu’il arrive.

Mais s’il était distrait, c’était bien parce que Lucy semblait malade. Il avait peur que ça ne finisse par évoluer et qu’il faille lui trouver un docteur, d’avance, il savait qu’elle y serait farouchement opposée. D’ailleurs, lorsqu’il s’était levé ce soir, la jeune femme était déjà couchée et semblait encore plus pâle que d’habitude. Il l’avait bordé et lui avait glissé un baiser dans le cou avant de s’éclipser.

Il s’étira et quitta l’arbre dans lequel il était perché. Il voyait déjà le soleil poindre à l’horizon et Lucy allait l’attendre. Il se mit donc à courir jusqu’à la plage, profitant des premiers rayons et donc d’une meilleure visibilité pour courir un peu plus vite que d’habitude. Ça lui faisait du bien. Il était au sommet de sa forme par rapport au déchet qu’il avait pu être quelques mois plus tôt. Il commençait enfin à se retrouver. Seul restait l’insupportable bourdonnement à son oreille. Bruit sourd et terriblement désagréable. Il n’avait pas encore réussi à accepter que son audition puisse ne pas être la même que celle qu’elle avait toujours été. Cela le rendait bien souvent irritable et seule la perspective de punir celui qui avait abimé son audition lui permettait de ne pas taper dans tout ce qu’il trouvait de frustration.

Il arriva sur la plage, ralentit sa course jusqu’à s’approcher de la porte. Il transpirait et devrait se laver, mais il voulait d’abord voire comment Lucy se portait. A l’intérieur, ça sentait un peu le renfermé mais il fut agréablement surpris de voir que la jeune femme semblait réveiller. Il allait l’apostropher pour qu’elle se retourne mais entre-aperçu le matériel sur la table, face à elle. Elle changeait son pansement… Il savait qu’elle devait le faire tous les jours et s’était étonné au début de ne jamais la voir le faire. Mais il avait compris… Cette blessure qu’il lui avait infligée, elle devait la supporter tous les jours. Elle ne souhaitait probablement tout simplement pas mettre Jessy face à ses actes. Face aux conséquences de ces actes…

Il s’avança pourtant, un sourire un peu trop jovial aux lèvres et alla jusqu’à la fenêtre qui donnait sur le ponton pour l’ouvrir. Puis il s’approcha dans le dos de Lucy, posant ces mains avec douceur sur ces frêles épaules et lui demanda avec attention :

- Salut princesse, tu veux de l’aide ?

Elle n’avait pas à assumer toute seule de soigner son œil tous les jours. Après tout, il pouvait bien l’aider un peu… Malgré qu’elle soit de dos, le fait que lui se trouve debout et elle assise lui laissait la perspective de son orbite vide, et sa cicatrice. Un trou béant dont il était le seul responsable. Il se souvenait d’avoir enfoncé son couteau sans le moindre état d’âme dans le visage de la jeune femme. Il se souvenait avoir fait ça dans le seul but de la tuer. L’anéantir. Il ne savait pas qui elle était, sur le moment il n’avait fait qu’agir dans l’urgence mais… Il était heureux qu’elle n’ai perdu que l’œil. Il était heureux qu’elle soit toujours en vie, qu’elle soit là.  

- Lucy… Est-ce que tu as encore mal ?

A quel point souffrait-elle encore ? Est-ce qu’elle avait toujours ces horribles démangeaisons à l’œil ? Pourrait-elle aller mieux tant qu’elle n’aurait rien pour remplacer l’œil qu’il lui avait pris ?

Elle baissa précipitamment la tête comme pour cacher son orbite. Jessy se crispa. Il avait du mal à assumer la culpabilité de cet acte, même s’il prétendait le contraire. Et savoir que Lucy le supportait mal était d’autant plus difficile à accepter. Elle était la preuve même de la violence dont il était capable. Du peu d’état d’âme qu’il avait pour les autres. Elle démontrait bien à quel point il était un être répugnant. Et pourtant… C’était elle qui se trouvait dégoutante :

Je suis désolée... je ne savais pas qu’il était si tard... je... Je-j-je suis dégoûtante... p-pa-pardon...

Il embrassa le haut de sa tête, espérant que ce simple geste pourrait la rassurer, lui glissant avec douceur :

- Ne t’excuse pas… Et tu n’es pas dégoutante Lucy…

Il attrapa la chaise qui se trouvait à côté de la jeune femme pour la tourner vers celle sur laquelle elle se trouvait. Il attrapa ensuite les rebords de celle de la demoiselle et la souleva pour qu’elle fasse face à la première chaise. Il s’assit en tailleur sur la chaise qu’il avait déplacé et qui touchait pratiquement sa jumelle en bois. Il avança le buste pour porter ces mains au visage de Lucy qui essayait d’échapper à son regard. Il voulait qu’elle comprenne qu’il se fichait qu’il lui manque un œil. Qu’il se fichait de se trou béant dans son visage. Qu’il pouvait l’aimer malgré tout.

- Si je devais perdre la vue, je voudrais que la dernière chose que j’observe avant que tout devienne noir, ce soit toi.

Il ne mentait pas. Lucy était belle. Une beauté fragile que rien ne pourrait lui ôter, pas même la disparition d’un œil. Elle pouvait le lire dans son regard doré. Il ajouta, posant son doigt avec tendresse sur le nez de sa dulcinée, espérant la faire rire un peu ou au moins sourire :

- On pourrait piquer une veste en cuir… On découperait la bonne forme et on te ferait un super cache œil de princesse-pirate.

Il eut un sourire tendre. Elle était sa princesse-pirate. Et elle ne pourrait rien contre ça.

Et il l’obtient. Le graal. Un sourire timide mais bien réel sur les lèvres de Lucy. Il récupère finalement le matériel qui permet de soigner sa blessure et se met à l’œuvre. Il sait se montrer doux et précis dans l’exécution. Probablement que son année de médecine et son ambidextrie y sont pour quelque chose. En un rien de temps, la blessure de la jeune femme est cachée derrière un bandage blanc qui se mélange à ces cheveux. Il hérite d’un baiser sur la joue, mais surtout ces quelques mots qui lui font toujours le même effet que cette première fois où elle les a prononcés :

Je t’aime.

Il se penche en avant, et lui adresse un tendre baiser sur la bouche. Il aurait eu envie de la serrer dans ces bras, de l’aimer comme un fou et de passer la journée au lit, mais il savait qu’elle était fatiguée et que cela faisait quelques jours qu’elle n’allait pas très bien alors il détacha juste ces lèvres, leurs deux nez s’effleurant encore lorsqu’il prononça à son tour ces mots qui pour lui n’existaient que pour elle :

- Je t’aime ma princesse-pirate. Presque autant que le rhum…

Et il lui adresse un magnifique sourire taquin. Hors blague, il sait qu’il ne le lui dit pas assez souvent. Enfin, c’est l’impression qu’il a en tout cas. Pourtant, Jessy n’est pas pudique et n’a pas peur des mots. C’est juste que ce ne sont pas ceux qui lui viennent le plus naturellement aux lèvres. Il la couve du regard et lui demande finalement, puisqu’il ne parvient pas à se sortir ces préoccupations de la tête :

- Est-ce que ça va un peu mieux aujourd’hui ?

Je me sens bien en ce moment...

Jessy l’observa de ces yeux dorés, la fixant, cherchant la vérité dans ce qu’elle disait. Mais il était vrai que comparer aux derniers jours, ça avait plutôt l’air d’aller… Il décida de laisser couler tout en la tenant à l’œil. De toute manière, ça ne servait à rien d’insister, puis ça n’avait pas l’air si grave que ça pour le moment.

Tu dois mourir de faim non ?

Il hésita à proposer de faire à manger lui mais connaissant cette grande têtue, elle refuserait. Juste pour lui prouver que tout allait bien. Il hocha donc juste la tête. Elle se leva finalement pour aller chercher ce qu’il fallait dans le placard :

Si tu veux tu peux aller te débarbouiller pendant que je te prépare un repas...

Il hocha la tête, poussant un bâillement et s’étira comme un chat. C’était clair que se décrasser un peu ne lui ferait pas de mal. Il se leva donc, alors que Lucy choisissait une conserve dans l’étagère, l’air concentrée. Il l’observa du coin de l’œil, un sourire aux lèvres. Il trouvait cette dévotion adorable. Il récupéra de quoi se doucher, quand un bruit dans son dos le fit se retourner. Lucy était par terre, le visage contre le sol. Il se précipita directement à son chevet.

- Lucy ?

Ça va, elle n’était pas inconsciente. Il s’assit à côté d’elle et passa un bras derrière son dos. Puis d’une main, il l’aida à se redresser pour vérifier qu’elle ne s’était pas blessée en glissant au sol. Même si le bruit de sa chute était plutôt léger, il voulait s’en assurer.
Il passa une main sur son front. Elle ne semblait pas avoir de la fièvre mais c’était difficile à évaluer, surtout que le jeune homme avait lui-même les mains bouillantes. Il posa alors son front contre celui de la jeune femme, maintenant sa tête d’une main. Elle semblait un peu plus chaude que d’habitude, oui, mais pas fiévreuse non plus.

Il décida finalement de la transporter jusqu’à son lit, glissant un bras dans le creux de ces genoux, gardant l’autre dans son dos, la portant comme une princesse. Il la déposa sur son lit et l’embrassa :

– Attend moi là, interdiction de bouger miss.

Il repartit côté placard pour remplir un verre d’eau qu’il ramena à Lucy, le déposant à côté de son lit.

– Va falloir qu’on comprenne ce que tu as… Dis-moi, tu as mal quelques part ? A la tête ? Au ventre ? Est-ce que tu as assez mangé ?

Il ne savait pas du tout ce qu’elle avait, mais il était bien décidé à le découvrir. Et il vaudrait mieux qu’il parvienne à le comprendre tout seul, parce qu’il n’aimait pas l’idée de devoir demander à un des médecins qui trainaient côté électrons libres.

Il ne faut pas t’inquiéter, je n’ai mal nulle part. Je suis simplement fatiguée en ce moment, ça me rend un peu étourdi voilà tout...

Il fronça les sourcils. Elle venait de faire une prière au sol et il ne devait pas s’inquiéter ? Elle pouvait lui faire avaler beaucoup de choses mais certainement pas ça. Il allait insister mais n’en eut finalement pas besoin car la jeune femme continua :

Je n’ai pas encore mangé ce matin, je... j’ai dû manger un truc mauvais. Je dois juste attendre un peu avant de manger le matin. Ça fait environ une semaine que je me réveille avec des nausées. Je ne voulais pas te déranger avec tout ça... je me disais que ça passerait mais j’ai encore vomis ce matin...

Lucy… Lucy se réveillait avec des nausées ? Elle avait vomi ce matin… ? Le rouquin ne put s’empêcher d’entendre comme une alerte rouge dans son cerveau. Nausées…matin… C’était le genre de phrases qu’il avait toujours redouté d’entendre. Avant de se retrouver coincé sur cette île de malheur, il aurait été très simple d’en avoir le cœur net. Il serait passé à la pharmacie, récupérer un test et paf, il aurait été fixé.

Mais ça ne doit pas être si terrible.  En général après je suis simplement un peu plus fatiguée et je ne suis plus malade de la journée.

Non… C’était impossible… Il avait toujours pris bien soin de se retirer avant qu’ils n’arrivent au bout, ce n’était pas la méthode plus fiable mais il avait toujours été prudent. Putain… C’était trop con. Il était sur une putain d’ile, paumés au milieu de l’océan depuis des mois… Personne ne semblait vouloir venir les chercher… Ce n’était pas possible.

Si c’était ça alors… Elle ne pouvait pas rester ici. Sans médecins, sans matériels de soin adéquat. Elle ne pouvait pas continuer de vivre ici. Alors quoi ? Retourner au bunker ? Donatien la tuerait s’il apprenait ce qui se passait. Le Village ? L’institut Graham ? Il penchait plus pour le second, au moins Graham pourrait lui fournir une prothèse pour le confort de son œil. Merde… il n’en savait rien. Et connaissant Lucy, elle refuserait de rejoindre l’un de ces endroits, surtout si cela voulait dire le quitter pour quelques temps. Une vraie entêtée. Bon… Ce n’était pas la peine de se faire des films. Jessy devait garder la tête froide. C’était peut-être réellement une intoxication alimentaire…

Il lui demanda, l’air sérieux et un peu pâle :

- Lucy… Est-ce que… est-ce que tout va bien du côté de ton cycle menstruel ?

Jessy n’était pas le genre d’homme qui prenait des chemins détournés. Il fallait qu’il sache si ces nausées était un problème médical ou un problème… d’un autre ordre.

Elle ne semblait pas trop vouloir partager ce genre de choses là avec Jessy, ce qu’il pouvait parfaitement comprendre puisque ce n’était pas non plus le genre de sujet qu’il abordait naturellement. Pas que cela le rendait timide ou que ce soit un sujet tabou, mais il ne s’était juste jamais préoccupé de ce genre de chose auprès de ces anciennes conquêtes. Elle lui répondit malgré tout :

Je suis aménorrhée depuis mes quinze ans. Pourquoi me parles-tu de cela? Je suppose que ça va plutôt bien comme je n’en ai pas...quoi que... j’ai saigné une fois en décembre ou bien c’était en novembre. Mais là c’était différent c’était a cause de... Enfin bref, ça a durée quelques jours, mais depuis je suppose que je suis retournée comme avant.

Si tel était le cas, elle ne pouvait pas tomber enceinte n’est-ce pas ? Pourquoi ces nausées alors ? Et que c’était-il passé en novembre ou décembre ? Jessy passa bien vite la question à la trappe, trop concentré sur cette histoire de nausée. Elle resterait dans un coin de sa tête et peut-être qu’un jour ils en reparleraient. En attendant, il ne savait que penser.

Jessy... tu as l’air encore plus blême que moi... arrêtes de penser à ça, ça va finir par passer. Je vais rester dormir avec toi aujourd’hui et demain ça ira mieux. Ça te ferait plaisir?

Il hocha la tête. Ce n’était pas la peine de la stresser pour rien. C’était probablement réellement une intoxication alimentaire ou quelque chose dans ce genre-là, et le fait que ça arrive le matin pouvait être dû à pleins d’autres raisons que celle qui était venue le narguer. Il se faisait surement des films,

Il se glissa à côté de Lucy, l’enlaçant tendrement, l’attirant tout contre lui. Il aimait sentir sa peau fraiche contre la sienne se réchauffer petit à petit. Mais malgré tout ces efforts pour ignorer les stupides idées qui lui tournaient dans l’esprit, il ne parvenait pas à juste en faire abstraction. Il demanda alors à Lucy, plus pour se rassurer qu’autre chose :

- Je… je me fais probablement des idées mais… Si ça continue, promet moi de ne pas me le cacher.

Il caressait doucement le bras de Lucy, les yeux perdus dans le vague. Il se faisait des idées… mais ces idées étaient pour le moins en train de germer en lui.

Cette semaine Jessy n’avait pas très bien dormi. Il repensait souvent à la conversation qu’il avait eu avec Lucy au sujet de son intoxication. Il surveillait d’ailleurs cela de très près. Elle avait beau garder pour elle que cela n’allait pas mieux, le jeune homme n’était pas dupe. Il avait découvert plusieurs fois une bassine qui séchait dehors et voyait bien que Lucy avait toujours du mal à déjeuner. La veille, Lucy lui avait carrément fait la tête, tout ça parce qu’il s’inquiétait pour elle et n’arrêtait pas de lui poser des questions.

Aujourd’hui il s’était éternisé dehors. Il avait besoin de réfléchir… Lucy n’allait toujours pas mieux. Elle continuait d’avoir des nausées matinales et ces sautes d’humeur était plus intense que d’habitude. Il arrivait souvent qu’ils ne soient pas sur la même longueur d’ondes, ça Jessy en était conscient, mais là ça atteignait des sommets.

Il ne savait pas quoi faire. Il détestait demander de l’aide, que ce soit à n’importe quel médecin de l’ile et de toute manière il ne pensait pas qu’il existe encore un médecin sur cette ile qui ne soit d’accord pour lui accorder un peu de confiance. L’inverse était vrai aussi… Pourtant Lucy avait quelque chose, ça il en était certain. Ces pas le dirigèrent jusque devant l’entrepôt. Il hésita une seconde, comme si rentrer là-dedans était aussi dangereux que de rester dehors. Probablement une sorte d’instinct.

Car lorsqu’il pénétra à l’intérieur, il fut face à une scène qu’il n’aurait pas vraiment imaginer avant de rentrer. Le pot qui contenait les plantes qu’ils utilisaient pour faire du thé était ouvert et son contenu éparpillé sur le sol, le feu semblait s’être éteint pendant l’absence de Jessy et Lucy au milieu de tout ça pleurait à chaude larme.

Il resta une seconde sur le pas de la porte, ne sachant pas comment réagir, puis finalement s’avança jusqu’à Lucy pour la prendre dans ces bras. Il était hors de question de la laisser pleurer comme ça. Et il allait devoir lui parler de ce qui trainait dans un coin de sa tête depuis la semaine dernière… Il n’avait plus vraiment le choix, il devait en avoir le cœur net :

- Lucy… shhh ça va aller, faut pas pleurer comme ça, c’est rien. Je vais tout ramasser d’accord ?

Il lui caressa doucement le haut de la tête, gratouillant affectueusement ces cheveux. Etape 1 : la calmer. Etape 2 : ramasser tout ce foutoir. Etape 3 : il allait devoir avoir une discussion un peu plus sérieuse avec elle, et voir ce qu’ils pouvaient faire pour comprendre ce qu’elle avait.

Lucy secoua la tête négativement. Elle ne semblait pas d’accord avec le roux.

C’est p-p-pas r-rien. Mais, le feu il veut pas, hier j’ai été stupide, j’ai mis le de-désordre... et là tu m’aimes plus, parce que je vomis, j-je fais tout de travers, je v-voulais me ffaire p-pa-pardonner pour hier, mais le feu... et là tu vas partir car je suis pas assez bien et-t et.

Et elle se mit à pleurer de plus belle… Jessy ne savait plus trop quoi faire… Il n’avait pas pris pour habitude de consoler les gens, sauf lorsqu’il les manipulait. Or ici, son but n’était pas vraiment de manipuler Lucy mais de la consoler pour de vrai… Et ce n’était pas vraiment son rayon d’expertise. Il continua donc de lui tapoter la tête :

- Shhhhhh… Calme toi Lucy… C’est rien. Rien du tout. Et je t’aime toujours… Tu pourrais me vomir dessus que je t’aimerai toujours.

Il lui adressa un sourire rieur. Ils avaient tous les deux leurs caractères, ce n’était pas grave qu’ils se disputaient de temps en temps. Mais par contre… tous les signes concordaient vers une conclusion qui le laissait un peu en panique.

- Tu sais Lucy… Je pense que c’est les hormones qui parlent.

Allez… Un premier pas vers l’annonce de ce qu’il pensait qu’elle avait. Est-ce que cela suffirait à la mettre sur la piste ? Il ne savait pas trop… Avec toutes les idioties que son demi-frère lui avait foutu dans la tête… Il sentait qu’il allait devoir être plus explicite pour se faire comprendre.

Hmmm? Je sais que je ne suis pas très facile dernièrement... je... je pense que... enfin. La fatigue me rend moins patiente... Je suis désolée...

Elle jeta un œil aux feuilles séchées éparpillées dans la pièce, avant de revenir poser sa tête sur l’épaule du jeune homme avec un soupir. Avec le feu éteint, il faisait un peu plus frais dans la pièce, mais pour Jessy qui venait de dehors, cela ne faisait pas grande différence. Il était le genre de personne que l’on voit se promener en t-shirt en plein hiver et qui nous donne froid rien que de le voir passé.

Il glissa ces mains dans le dos de la Canadienne, l’enlaçant, savourant sa proximité. Elle ne semblait pas du tout avoir compris l’allusion de Jessy… Il allait devoir se montrer plus explicite s’il voulait lui faire comprendre ce qu’il pensait avoir déduit de l’état de santé de Lucy. Mais pouvait-il juste lâcher comme ça, l’air de rien, qu’elle était possiblement enceinte ? Allez, oui, pourquoi pas après tout…

Elle l’embrassa dans le cou… Il l’enlaça plus fort. Il pouvait peut-être repousser le moment de lui en parler un peu non ? De toute manière, prendre ces responsabilités n’avaient jamais été son fort puis ça aurait été dommage de gâcher le moment… En tout cas, les lèvres dans son cou lui donnaient envie de plus de gestes que de mots. Joueur, il souleva Lucy du sol, la tenant contre lui. Il ronronna, une lueur prédatrice dans le regard :

- Tu veux que je t’aide à trouver un moyen de t’excuser ?

_LUCY ?!

S’il y avait bien une voix qu’il n’avait absolument pas envie d’entendre à cet instant c’était celle-là… Il grogna, agacé et frustré. Il jeta un œil par-dessus la couette… Pourquoi ? Pourquoi fallait-il que ce morveux vienne gâcher ce moment qui jusque là était si parfait… Il les regardait en plus avec une tête de merlan frit… comme s’il n’était pas au courant de la manière dont on faisait l’amour. Il laissa tomber dieu sait quoi au sol et fuit la scène, lançant avec un profond dégout :

_R-Rhabilles toi ! Et toi aussi !

Jessy jeta un regard noir à son dos alors qu’il quittait la pièce et se détachait à regret de sa position au-dessus de Lucy, non sans lui avoir adressé un dernier baiser et un je t’aime murmuré à l’oreille. Il maugréa entre ces dents, une lueur dédaigneuse dans les yeux :

- Quel crétin, faut vraiment qu’il se décoince.

Il se leva, enfila son caleçon et son pantalon à regret, bien que de toute manière, la présence de cet énergumène sous leur toit lui avait coupé tout envie de quoi que ce soit. Jeta un regard à son t-shirt mais le négligea finalement. Qui était ce crétin pour croire qu’il pouvait donner des ordres à Jessy ? Il n’était pas chez lui ici… Le rouquin pensait le lui avoir fait remarquer la dernière fois qu’il était venu. Il poussa un soupir irrité en voyant le morveux rentrer à nouveau. Il détestait son regard plein de jugement et de mépris. Il était fort pour le jugement mais cette hypocrisie n’allait bien qu’à une personne, et cette personne s’était Jessy.

_Bande d'inconscients, vous baisez sans protections ?

Jessy sentait toute sa rationalité s’envoler au fur et à mesure que ce crétin ouvrait son claque-merde. Effectivement, les protections se faisaient rares sur cette île, mais il n’appréciait pas que ce morveux se mêle de ce qu’il faisait ou ce que Lucy faisait au lit. Cela ne le concernait pas. Il n’avait aucun droit sur elle. Il ne pensait même plus à sa propre inquiétude face aux drôle d’humeur de Lucy et ces nausées matinales. Il n’y avait plus que la colère de voir ce connard s’immiscer dans ces affaires et sa relation.

_C'est ça ton plan pour la garder ? La mettre enceinte ?! Espèce de gros taré !

C’était la goutte d’eau. Le stress de penser qu’elle puisse être enceinte puis cet imbécile qui pensait encore que Lucy n’était qu’un jeu pour lui. Il rugit, traversant la pièce pour rejoindre sa némésis. Hors de lui comme il n’avait jamais été hors de lui.

- Tu te prends pour qui ? Je t’interdis de me parler comme ça.

Jessy le bouscula, se saisissant de son col de ces deux mains, le tirant vers le bas d’une poigne de fer. Il faisait peut-être 30 centimètres de moins que le morveux, il avait repris une condition physique plus qu’acceptable en quittant enfin sa prison, et il n’avait pas peur de cogner. Mais surtout, il était dans une colère noire pour que son corps prenne le dessus sur sa raison et n’utilise pas les mots pour attaquer. Il ne tarda pas pourtant à cracher, furieux :

- Lucy et moi on aime faire l’amour, que ça te plaise ou non. Mais ça doit te dépasser ça non ? Ce n’est probablement pas ta sainte nitouche qui prend du plaisir au lit. Je devrais peut-être te donner des leçons…

Nevrabriel attrapa son poignet avec force. Il aurait facilement pu se dégager s’il n’avait senti la présence de Lucy dans son dos. Basculer vers l’avant pour forcer ce morveux à choisir entre finir avec le bras tordu ou le lâcher. Si Jessy n’était pas aussi fort que ce crétin, il avait l’habitude de se battre. Mais dans ce mouvement, il avait peur que Nev ne bascule contre Lucy et ne la fasse tomber.

_Tu veux jouer les durs ? Montre-moi que t’es un homme, demi-portion !

Il repoussa Jessy et ce dernier fut forcer de le lâcher. Il se décala de côté pour ne pas bousculer Lucy mais le mouvement lui donna l’impression de se tordre le poignet. L’autre morveux qui devait se sentir très fort lui adressa avec un sourire moqueur :

_La seule leçon que tu pourrais me donner c’est « comment bien me faire défoncer la gueule ». C’est vrai que tu es un expert pour te faire victimiser.

Jessy sentit son poing libre se fermer. Il cracha, définitivement hors de lui :

- Tu n’as pas la moindre idée de ce dont je suis capable.

La menace était réelle, les yeux de Jessy se teintait d’une lueur inquiétante. L’autre était peut-être grand, mais il n’avait pas l’habitude de se battre. Et la taille et le poids ne faisait pas tout dans ce genre de cas. Sinon apprendre le self défense à des nanas n’auraient pas eu la moindre utilité. Si jusqu’ici il lui avait toujours laisser le dessus, peut-être était-il temps de lui montrer de quoi il était vraiment capable. Un coup de poing, poignet vers l’avant dans le nez en allant du bas vers le haut, puis de coude dans le plexus solaire ou le foie pour toucher le nerf vague et il ne manquerait plus qu’à le terminer d’un mouvement de genou dans ses parties intimes pour le plier en quatre. Jessy n’avait pas peur de ce genre de bassesse.

Il entama le premier mouvement vers le visage du morveux mais la seule personne qui aurait pu l’empêcher d’accomplir ce geste intervient à ce moment précis :

Fermez-là maintenant !  

La main du rouquin retomba, brassant l’air. Sinon il aurait risqué de frapper Lucy malencontreusement dans le mouvement. Elle s’interposa forçant le morveux à lâcher le poignet de Jessy, les éloignant l’un de l’autre du plat de la main. Jessy lança un regard enflammé au morveux, un regard qui voulait dire qu’il avait eu de la chance que Lucy n’intervienne. Sinon, il lui aurait explosé le nez sans le moindre doute.

Jessy! On n’agresse pas les gens comme ça, ce n’est pas ainsi qu’on règle les problèmes !

Il sentit une grimace poindre sur son visage. Il n’avait pas pour habitude d’être le premier à s’emporter… Lucy avait raison, ça ne lui ressemblait pas. Il était normalement capable de maitriser sa colère pour saisir les meilleures opportunités. Il avait foncé tête baissée, avec une seule idée en tête, faire ravaler ces mots à ce crétin. Normalement c’était les autres qui fonçaient sur lui sans comprendre le piège qu’il leur tendait. Mais là… Lucy se désintéressa de lui pour gronder son ami :

Tu ne peux pas entrer ici et me juger ainsi! Tu me traites d’inconsciente de le faire sans protection ! Tu n’avais pas le même discours au bunker, tu n’avais PAS ce discours dans MON lit! Pour ta gouverne Jessy n’est pas un imbécile, il se retire comme tu l’as faits !

Il y avait des manières d’apprendre certaine chose. Jessy n’était pas un jaloux compulsif. Il n’était pas dégouté par le fait de faire l’amour ou par le fait d’utiliser le sexe pour parvenir à ces fins. Mais savoir que le morveux avait couché avec Lucy… Celui là même qui lui avait explosé l’oreille… Il eut un sourire à la fois surpris et bizarrement amusé…. C’est cela qui le ramena les deux pieds sur terre, le tirant de sa colère sourde. Il reprenait le contrôle. Il reprenait le contrôle de lui-même et de la situation.

Maintenant je vais être claire car j’en ai par-dessus la tête que l’on me traite comme une enfant qui se fait manipuler par l’univers. J’ai décidé de faire l’amour avec Jessy, car je l’aime! Il ne m’a JAMAIS forcé. JE suis une ADULTE, je décide ce qui se passe dans MA VIE, DANS MON LIT ET QUI ME TOUCHE!

Lucy hurlait si fort qu’il se demandait si ces cordes vocales tiendraient le coup. Il ne l’avait jamais entendu dans une colère pareille. Il la trouvait sexy quand elle s’énervait.

Et TOI! Oui j’aime coucher avec toi, oui je suis amoureuse de toi! Mais JE NE TE PERMETS PAS NON PLUS CE GENRE DE STUPIDITÉ ! La femme de Nev n’a rien à faire dans cette histoire!

Il lui adressa un regard détaché. Il savait que Lucy désapprouvait sa manière d’agir. Comme lorsqu’il avait piqué ces chaussures. Et elle savait probablement aussi qu’il était comme ça et qu’il ne pouvait changer à ce point pour elle. Mais ils s’en étaient toujours accommodés. Il ne se faisait pas trop de bile pour cette phrase lancée en l’air, probablement dans l’unique but de ré-équilibrer un combat qui était déjà bien déséquilibrer. Parce que celui des deux sur lequel elle était le plus en colère n’était pas lui et il le savait.

Maintenant vous deux... si vous voulez vous arracher la tête vous le faites dehors. Je ne veux pas de ça chez moi. Mais je vous préviens...si vous sortez pour vous battre comme deux idiots je ne veux plus JAMAIS vous revoir ici.

Il ne s’attendait pas, cela dit, à ce que Lucy s’écroule et se remette à pleurer, ces mains sur son visage. Il se précipita auprès d’elle, comme il l’avait fait le matin même. Et alors que ces mains se posaient sur les épaules de Lucy, qu’il l’attirait à lui pour la consoler, il lança un regard triomphant au morveux que seul lui pouvait voir. Alors ? Qu’allait-il faire désormais ? Des deux, c’était Jessy qui partageait encore le lit de Lucy, c’était lui qui vivait avec elle, qui l’aimait et qui la protégeait. Il ne pouvait que gagner.

Et ces yeux arrogants disaient à ce morveux qu’il ferait mieux de décamper, parce qu’il avait perdu.