La Synesthésie tactile-miroir : il s'agit d'une maladie très rare qui physiquement lui renvoie ce que ressentent les personnes qui l'entourent et qu'elle voit. Par exemple, en voyant une personne se blesser, elle ressentira de la douleur, en en voyant s'embrasser, elle ressentira le baiser. Ou même, assez gênant, en observant un peu trop une personne manger, elle aura l'impression qu'on “pousse la nourriture” dans sa bouche. Comme si son corps lui était étranger. C'est ainsi qu'elle en a perdu la voix, quand sa mère l'a perdu suite à un accident, elle a eu l'impression de ne plus pouvoir parler, et voir une personne aussi proche d'elle subir telle chose, l'a tellement choqué que sa perte de voix est devenue quelque chose de plus psychologique que physique. Ses cordes vocales sont pourtant fonctionnelles, mais elle est incapable d'émettre un bruit, même un simple gémissement.

Amaryllis... Un nom de fleur pour une fleur. Sans parler de ta beauté que l'on pourrait comparer à l'un de ces magnifiques végétaux, que ça soit par sa grâce ou délicatesse ou bien tout simplement par son caractère éphémère. Mais même ton caractère pourrait faire penser à la structure de ces délicates plantes. Ce n'est bien sûr pas le cas de toutes les fleurs, mais en toute logique, il y a le coeur de la fleur qui est entouré de pétales, puis de sépales. On pourrait ainsi dire que les pétales sont la première couche protectrice du coeur de la fleur, eux-même protégés par les sépales.

Ama, c'est la même chose chez toi. Tu te protèges par deux aspects de ta personnalité. En premier lieu, tu nous montres à tous un caractère froid et distant. En même temps, tu nous diras, en étant muette, c'est pas facile facile de se rapprocher des autres. Mais fais-tu vraiment de quelconques efforts ? Pas vraiment, non. Tu diras sans doute que c'est que le contact ne t'intéresse pas, qu'ils sont tous ennuyeux, mais est-ce vraiment ça.. ? N'as-tu pas plutôt peur ? Peur de ce que pourrait engendrer une relation affective si tu venais à être trompée ? C'est que tu es tellement fragile au fond... Tu as l'air si froide, si insensible et pourtant... Mais y a-t-il vraiment quelqu'un qui te connaît assez pour pouvoir prétendre connaître cette partie de toi ?

Car à supposer d'avoir pu passer au travers de cette première défense que tu construis inconsciemment, il reste les “pétales” de la fleur. Ceux qui peuvent découvrir cette part de toi sont ceux auquels tu tiens, à qui tu es attachée. Tu es déjà un peu plus mise à nue, dévoilant une personnalité vraiment contradictoire à ce masque d'indifférence que tu portes au quotidien. Et honnêtement, on se rend alors compte que tu es vraiment... Chiante. Pardonnes-moi l'expression et la critique, mais il n'y a pas d'autre mot. Tu as pourtant ce petit côté attachant et adorable. A défaut de pouvoir parler, tu as mille et une façons d'attirer l'attention. Qu'est-ce que tu peux être insupportable, par moments... On en est presque soulagé que tu sois muette. Qu'est-ce que ça serait sinon ?

Décidément. Tu es une enfant. Une enfant attendrissante et agaçante qui n'a de cesse de taquiner. Incroyablement tactile, aussi. Ca peut en être gênant. Evite donc d'enlacer ainsi tes proches par derrière, voyons... Peut-être sont-ils pudiques... Ou même, ça a quelque chose d'embarrassant. Ce côté enfantin chez toi, lorsque l'on apprend à te connaître donne envie de te protéger. Ca en devient presque un devoir. Qui le fera si on ne le fait pas ? Oui, qui... Tu as tellement peu d'amis. Quelle idée d'inciter toi-même les gens à ne pas t'approcher. Pourtant, ce serait tort de croire que tu n'as pas de piquants.

Telle la rose, tu es d'une fragilité alarmante et possède pourtant de quoi te protéger. De toute façon, un inconnu ne pourra pas t'atteindre si facilement. Et si vraiment il t'insupporte à ce point, si tu le hais, si tu ne le calcule pas, tu pourras toujours soulager ta rage en l'insultant en langue des signes. Ca n'est plus vraiment élégant, ça. Et si tu as suffisamment confiance, car encouragée par la présence d'un proche pour te soutenir en cas de pépin -bien que ce dernier n'apprécie sans doute guère que tu insultes à tout va en langage des signes-, tu iras jusqu'à afficher un large sourire presque ironique, sans pour autant que la personne ne puisse comprendre ce que tous tes gestes veulent dire.

C'est que tu as un caractère bien à toi, et surtout des idéaux forts marqués qui ne changeront pas facilement. Mais tu n'es pas méchante... Bien au contraire. Bien que tu fasses de ton mieux pour rester insensible aux malheurs des autres, n'aimant pas te mêler de ce qui ne te regarde pas. Avant d'être trop concernée. Sauf que c'est difficile des fois...  Comme toute personne ayant atterrie dans cet institut, tu n'as pas une vie facile. Et quand on a eu l'occasion de souffrir ainsi, on peut en devenir un peu trop compatissant. Et c'est ton cas. Ta maladie te rendant encore plus empathique que la moyenne. Même si dans certaines situations, il t'arrive de ne pas prendre de gants, et d'être un peu trop franche, tes encouragements paraissant alors assez durs. Personne ne t'en veux pour autant, on te pardonne en voyant ta sincérité.

Mais cessons peut-être de nous attarder. Enfin, derrière cette personnalité optimiste et affectueuse, se cache une jeune fille fragile. Ton âme, le coeur de la fleur en devenir que tu es, est dans un équilibre précaire. Tu es à la fois bien trop sensible, et d'un autre côté si inatteignable. Tu as besoin des autres pour t'épanouir, et réciproquement, tu as parfaitement conscience que si tu venais à être trahie par une personne que tu apprécies, tu ne le supporterais pas. C'est qu'une fois que tu commences à accorder ta confiance, tu n'as de juste milieu, c'est tout ou rien. Tu es trop dévouée. C'est triste, ça te rend obligée de t'éloigner toi-même du reste du monde, de crainte d'en ressortir blessée. Mais c'est que ce serait dommage que tu ne fane avant même d'éclore, non ? Mais tu n'y peux rien... Tu n'y peux rien si ta maladie te rend plus empathique que la moyenne et plus sensible par la même occasion.

Ah mais peut-être qu'il y a une personne qui peux t'aider... T'aider à te transformer en cette magnifique fleur qui pourrait exister dans un futur potentiel, en étant positifs, un peu trop presque. Cette personne. Ton cher ami d'enfance. Celle qui aura toujours une place particulière dans ton coeur. Ton cher Ewan que tu aimes tout aussi secrètement que lui t'aime. Mais non seulement les relations amoureuses sont interdites à l'institut, mais en plus, ce n'est pas une muette qui l'aidera à s'en sortir et à s'ouvrir aux autres. Surtout pas une muette asociale. Il mérite mieux.

Ama, voyons... Quand cesseras-tu de t'endormir pendant les cours ? Déjà qu'honnêtement, trois heures de cours par jour, c'est bien peu, si tu dors, en plus. Et ne nie pas. Je t'ai vu. De toute façon le cours est fini.. Le professeur s'en va. Soit il ne t'as pas vu, soit il a abandonné. Tu es un cas désespéré. Pourtant il faut bien te réveiller... Alors forcément, je m'approche. Je ne te connais pas vraiment, je suis juste un élève lambda, un étranger pour toi, et à part ton air froid, tu ne m'as guère offert d'autres expressions.

Pourtant, aussi intimidant cela peut-il être, je n'arrive pas à m'enlever de la tête que tu es belle. Tu deviendras une magnifique femme. A supposer que tu ressors entière de cet enfer. C'est que tu es si fine, si fragile... Sans être maigre non plus. Mais quand je vois tes traits si délicats sur ton visage endormi, j'en oublie que tu es si froide, si insensible et j'en viens à prendre conscience de ta fragilité. Tes bras croisés sur lesquels repose ton visage laissent voir tes mains aux doigts si fins. Si faciles à briser.

Et ta peau. Elle est si pâle. Tant qu'on se demande quel effet ça doit faire, de la voir tâchée du rouge vif de ton sang lorsque tu te blesses. Imagination malsaine ? Non, c'est de ta faute d'être si délicate... Tes mèches cachent en partie ton doux visage. Aah cette chevelure. C'est la première chose qui attire l'oeil, chez toi. Une longue crinière d'un blond platine. Sans pouvoir m'en empêcher, je l'effleure du bout des doigts. Sans grande surprise, elle est douce et soyeuse. En plus d'être si brillante. Elle doit être indomptable le matin... C'est qu'elle est si longue. Elle doit bien atteindre tes genoux. Voir plus bas. Et la coupe en elle-même est particulière. Les deux mèches qui encadrent ton visage ont étés coupé plus courtes et sont soigneusement tressés chaque jour. Ensuite, le reste de ta chevelure est coupé en dégradé. On voit que tu en prends soin. Presque trop.

En fait tu prends soin de ton apparence tout court. On peut le deviner à la marque de tes chères bottes blanches et roses dont tu sembles si fière. Ou même aux petites fantaisies dont tu agrémentes ton uniforme. Ce collier noir qui te serre le cou. Tu devais aimer la mode, non ? Avant de devoir porter cet uniforme qui ne te met guère en valeur. Ca ne cache pas ta beauté, loin de là, mais ça ne la réhausse pas. Et toi aussi tu n'as pas l'air de vraiment apprécier cet uniforme. C'est que malgré tes airs distants, tu as pas mal de mimiques. Tu as du les développer pour compenser ton absence de voix.  Cette façon que tu as de tortiller ta mèche de cheveux quand tu es ennuyée, de te mordiller la lèvre quand tu es inquiète ou surexcitée. Car oui. Ca t'arrive. Mais qu'avec quelques rares personnes.

Bon... Parce qu'il faut bien te réveiller, je te secoue doucement l'épaule. Elle est si frêle. J'ai l'impression que si je faisais pression dessus, je pourrais entendre l'os craquer. Tu t'éveilles doucement. Tu clignes des yeux, te les frotte, et me regarde, perdue. Des yeux d'un beau bleu ciel. Rien d'exceptionnel pour autant. Pourtant, je profite de voir que tu ne sembles pas réaliser la situation pour plonger mon regard dans le tien. Les cheveux emmêlés à force d'avoir dormi, et avec cet épi qui s'est formé, tu as ce je-ne-sais-quoi d'attendrissant. C'est alors que quelque chose interpelle dans tes iris. Tes yeux ne sont pas justes bleus. Ils forment comme un dégradé partant de ce bleu ciel, transitant vers un bleu nuit pour monter jusqu'à une étrange teinte de mauve. Ou peut-être juste une illusion d'optique. Sans doute.

Très vite, tu te reprends. Tu t'éloignes et me jette un regard froid. Mais tu ne dis rien, tu ne peux pas parler de toute manière. J'en aurais presque des frissons à te voir aussi glaciale. Quel contraste avec ce visage encore ensommeillé. Peut-être qu'un jour j'aurais l'occasion de le revoir... ? Mais tu t'éloignes déjà.. Inatteignable et si fragile. Un dernier regard à ton corps élancé et je me fais la réflexion que tu es assez grande, il n'empêche. Mais ça reste correctement proportionné. Tout comme les courbes de ta poitrine, qui sans être trop développées restent bien visibles. Mais c'est que je m'égare. Je n'ai pas vraiment le temps de culpabiliser, tu es déjà partie..

Tu sais Ama, parfois tu te demandes si ton existence a un sens. C'est assez triste... Mais oui, elle en a un. Rien que pour tes parents. Sais-tu combien tu étais inespérée ? Tes parents ont essayé longtemps durant d'avoir un enfant. Mais rien n'y faisait. Au point que ta mère est allée consulter un médecin. Elle a toujours eu une santé fragile. Le médecin a alors confirmé la crainte de tes parents. Elle n'était pas stérile, mais disons qu'il n'y avait que très peu de chance qu'elle puisse tomber enceinte. Il valait mieux s'y résoudre... Et alors qu'ils commençaient à songer à l'adoption, ce qui pour eux avait tout lieu d'être un miracle arriva. Toi.

Ils étaient tellement heureux qu'avant même que tu ne naisse, tu étais déjà incroyablement gâtée. Presque trop. Leurs proches devaient se dire que tu serais sans doute une "fifille à son papa et sa maman". Ils avaient tort. Personne ne pouvait le savoir, le jour de l'accouchement, ce jour où tu naquis et pris tes premières inspirations. Personne ne pouvait encore savoir que tu n'étais pas une enfant comme les autres. Pourtant, ta maladie, tu l'as depuis toujours. Peut-être même depuis que tu es un foetus. Mais pour qu'elle fasse effet, si on peut dire cela ainsi, il fallait que tu développes ta propre conscience. Pour ressentir la douleur en voyant une personne tomber sous tes yeux, déjà fallait-il que tu connaisses cette sensation. Alors on peut dire que ta maladie a empoisonné ta vie au fur et à mesure que tu expérimentais de nouvelles choses.

Il existe des adultes timides, et d'autres très extravertis. Mais à trois ans, tous les êtres humains sont relativement sociables, curieux de découvrir de nouvelles choses. Sauf toi. Cette façon que tu avais de t'éloigner des autres... Ca a inquiété les adultes de la garderie qui en ont parlé à tes parents. On t'as fait voir des médecins et autres. Mais il n'y avait rien de particulièrement étrange chez toi. Mais ce qu'ils ne savaient pas, ce qu'ils ne pourraient jamais comprendre, c'était comme c'était dur pour toi de te rapprocher des autres. Dès que quelqu'un tombait, tu ressentais sa douleur et en pleurais presque plus que lui. Quand des enfants se faisaient des câlins, tu avais l'impression d'être enlacée. Mais le pire, le pire, c'était la foule. Tu avais l'impression d'être bousculée de partout, au point que tu ne savais plus quelles étaient tes sensations à toi et le reste. Tu n'étais qu'une enfant, alors tu ne comprenais pas. Tu avais juste l'instinct logique de vouloir t'éloigner de ce qui t'étais désagréable.

Pourtant, une partie de toi était comme tous les enfants du monde. Joueuse. Alors non, tu n'étais pas totalement seule non plus. Tu avais tes parents. Et malgré toi, tu t'étais rapprochée d'un autre enfant, un petit garçon. C'était le fils d'un couple ami de tes parents. Et il allait à la même crèche que toi. Va savoir pourquoi, mais tu y étais attachée. En y repensant, tu as de la chance que vos parents soient restés en contact, sinon tu l'aurais probablement oublié et tu n'aurais personne, aujourd'hui. Mais soit... Malgré cette maladie dont personne n'avait connaissance, tu étais heureuse. Qu'est-ce que la vie est simple à cet âge, non ?

Mais voilà. Parfois, le destin s'acharne. Te rappelles-tu ? Ta mère a une santé fragile. Très. Elle tombait toujours facilement malade. Tu avais quoi... Quatre ans ? Cinq ? Le jour où tu la vis dans cet état. Elle avait une maladie des cordes vocales. Ou du larynx. Tu ne sais plus, tu ne l'as jamais su. Tout ce que tu as pu savoir en grandissant, c'est qu'à cause de ça, elle est désormais muette. Tu ne sais pas vraiment ce qui s'est passé, ce jour-là, les images sont floues dans ton esprit, mais la sensation est gravée en l'encre noir dans ton âme. Indélébile. Tu cherchais ta chère mère, jugeant sans doute que tu attendais ton goûter depuis bien trop longtemps. Tu arrivais à la salle de bain, un peu surprise de voir la lumière filtrer et pourtant la porte entrouverte. D'habitude, quand il y avait quelqu'un, c'était toujours fermé. Intriguée, tu commençais à pousser la porte, et ce que tu vis alors, ce fut ta mère, semblant terriblement souffrir, se tenir la gorge des mains. Tes yeux s'étaient écarquillés. Dieu.

Elle tourna le regard vers toi, paniquant aussi, ne voulant sans doute pas être vue par son enfant dans une telle position de faiblesse et tentant de dire quelque chose. Et c'est alors que tu ressentis cette douleur. Cette terrible douleur qui te brûlait la gorge. Tu te mis à pleurer, voulant hurler pour faire savoir ta souffrance, mais tu n'arrivais pas à t'exprimer. Tenter de parler était si... Douloureux. Encore plus. Ca allait juste tout aggraver.

Finalement, par chance, vous furent amener à l'hôpital à temps, grâce à ton père. Si le cas de ta mère n'avait rien de particulièrement surprenant aux médecins, ils ne comprirent pas ce que toi, tu avais. Ton père avait beau hurler qu'il t'avais vu souffrir et pleurer de douleur, les médecins devaient se dire qu'il était trop protectif. Tout était fonctionnel chez toi. Ils ne pensèrent en aucun cas à la synesthésie tactile-miroir ou synesthésie visuo-tactile. C'était une maladie tellement rare. Et ils en déduirent que si tu ne pouvais plus parler, c'était à cause du choc. C'était assez traumatisant pour quelque de ton âge d'assister à ça. Logique. Ca allait s'arranger, qu'ils disaient. Mais ça ne s'arrangea pas.

On te fit donc apprendre la langue des signes. A tes parents aussi. Tes parents choisirent d'ailleurs qu'on t'enseigne la "langue des signes internationale", car bien que moins utilisée que celle américaine, par exemple, c'était elle qui était utilisée lors d'événements internationaux. Mais la plasticité cérébrale est plus développée chez l'enfant que chez l'adulte, alors tu apprenais bien plus vite qu'eux. Et tu l'appris aussi à ton ami, Ewan. Encore lui. Toujours lui. Enfin.. Heureusement qu'il était tout aussi jeune que toi et avait donc une plasticité cérébrale aussi adaptable. Car un adulte aurait eu bien plus de mal à l'apprendre en te voyant seulement signer et galérer ainsi à faire comprendre ce que tu voulais dire à ton ami.

La vie ne fut pas des plus faciles, par la suite. Déjà, ta maladie te mettait à l'écart. Entre le fait que toi-même tu étais intimidée par toutes ces sensations qui t'assaillaient et les têtes étranges que tu pouvais tirer sans prévenir... Non parce que quand tu tombais sur deux personnes en train de s'embrasser fougueusement dans un couloir et que ça te rendais haletante, c'était à se demander si tu n'étais pas une stalkeuse qui fantasmais sur tout et n'importe qui. Et en plus tu étais devenue muette. Il t'arrivais bien le matin d'essayer de t'entraîner à parler, mais non, tu ne pouvais pas. Tu faisais un blocage psychologique. Même si tes cordes vocales étaient bien dans un état fonctionnel. C'était purement mental, et seule la surprise pouvait à la limite te faire pousser quelques bruits ou cris de surprise, mais sans doute bien faibles, tes cordes vocales ayant "régressés" à force d'être inutilisées. Et cette sensation de brûlure à la gorge... Tu en faisais des cauchemars. Et encore aujourd'hui. Mais tu avais Ewan. C'est rare qu'une amitié dure autant. Tu n'allais pas t'en plaindre. Tant que tu l'avais, lui, tout irait bien. Tu serais heureuse. Et tu croyais dur comme fer en votre amitié, qu'elle serait éternelle, que rien ne vous séparerait. Dieu que tu étais naïve. Encore plus qu'aujourd'hui.

Vous n'étiez que des enfants, Ama. Alors pleins de choses auraient pu vous séparer. Les adultes. Tu avais 11 ans, et lui 12. Tu savais bien qu'il avait une maladie en rapport avec sa main, et que c'était quelque chose de vraiment... Particulier. A cause de ta propre pathologie, il t'était arrivé de ressentir la même chose que lui, quand, par exemple, il tentait de détacher sa main pour passer un meilleur moment avec toi. En effet, sa main s'agitant toute seule et se cognant partout, tu avais l'impression de ressentir ces "chocs" sur ton propre bras. Tu te mettais presque à vérifier si ta propre main était bien toujours immobile et non pas en train de se débattre toute seule, comme mue par une volonté propre. C'est que c'était perturbant, cette impression de te cogner le bras alors que tu ne faisais rien, et ça te mélangeais. Alors oui, il fallait qu'un jour ça arrive, qu'on l'envoie à un endroit pour régler ce "problème". Tu ne savais pas si tu devais être heureuse pour lui, à l'idée qu'on puisse trouver un remède ou.. Triste. Il allait tant te manquer. Tu étais tellement... Tellement égoïste. Tu te morfondais sur le manque que te causais son absence alors que tu aurais du être heureuse pour lui. Lui qui voulait tant être guéri.

Alors le jour où tu surpris une conversation entre tes parents et ceux d'Ewan... Ces derniers tentant de convaincre ta famille que t'envoyer aussi à l'institut serait le mieux pour toi.. Tu ne pouvais être plus heureuse. Tu allais le retrouver. Mais tes parents ne semblaient pas vouloir se laisser convaincre. C'est qu'ils tenaient à toi. Mais toi... Tu te sentais définitivement plus proche d'Ewan. Depuis cet accident, un fossé s'était creusé. Ils ne savaient plus comment s'y prendre avec toi, prenaient milles précautions. Au point que ça en paraissait forcé. Tu les adorais au fond, mais toi-même ne savait pas comment t'exprimer avec eux. Depuis le temps, ils maîtrisaient plutôt très bien la langue des signes, mais ce n'était pas fluide, pas assez pour une conversation normale du moins, et encore moins pour suivre ton rythme. Quelques jours plus tard, et c'était toi qui leur parlait d'aller à cet institut. Ils étaient d'ailleurs étonnés que tu ais surpris cette discussion. Mais soit. Les convaincre ne fut pas facile. Et pourtant, environ trois mois après que ton cher ami ait quitté la France, tu le rejoignais.

Mais étrangement... Il ne semblait pas si heureux de te revoir. Il savait dans quel piège tu venais de tomber toi aussi. Et tu l'as découvert bien vite à ton tour... Au moins tu étais avec lui. T'adapter ne fut pas des plus compliqués. Ironiquement, tu avais toujours adoré les langues, et malgré tes 11 ans, tu maîtrisais déjà presque l'anglais. Ou le comprenais, plutôt. Tu avais même des bases en espagnol et allemand, bien que ça ne t'étais pas des plus utiles ici. On est attiré par ce qu'on ne peut posséder, la parole, dans ton cas. Mais soit. Le plus dur c'était bien tous  ces examens... La présence d'Ewan t'aida à tenir dans cet enfer. Et encore aujourd'hui, il est comme ta bouée de sauvetage. Vous vous soutenez mutuellement.