Son regard avisa une silhouette familière. Aeden. Il ne semblait pas l’avoir remarqué. Il était content de le voir mais pour l’instant il avait une autre priorité. Il irait le saluer plus tard. Il faudrait qu’il retrouve Ophelia aussi. Cette mise à l’isolement lui avait fait réaliser bien des choses et il comptait bien y remédier. Mais pour l’heure, il n’avait plus qu’une idée en tête. Adèlys. C’était elle qu’il devait voir. Il avait une annonce importante à lui faire.
Contre toute attente, malgré le froid qui régnait en cette saison, elle aussi était dans la cour. Mine de rien, il s’était assis sur un banc, à quelques pas d’elle, sans pour autant l’approcher directement. Il n’avait pas envie de donner l’impression de chercher à tout prix à lui parler. Avec un peu de chance, elle viendrait vers lui d’elle-même, après tout, ça faisait plusieurs jours qu’il avait plus ou moins disparu et vu la politique actuelle de l’Institut, il ne doutait pas un seul instant que sa sanction ait été rendue publique. Après tout, même si on lui avait rendu son uniforme de patient « classique », elle avait été ornée d’un nouvel élément. Un patch rouge comme on en trouve pour recouvrir un trou. Marqué Z03. « Pour lui rappeler qu’une tenue de rechange et une cellule l’attendait toujours à l’asile au cas où » lui avait dit le vigile qui lui avait rendu cet ersatz de liberté avec un sourire en coin. Il ne savait pas de qui c’était l’initiative, ni même si ce patch allait rester. Au fond il s’en moquait un peu. Ils voulaient jouer à l’intimidation, c’était classique de l’Institut. Il avait juste à choisir de ne pas leur laisser de prise sur lui. Aussi, c’était étrangement calme vu les circonstances qu’il attendait patiemment qu’Adèlys le remarque enfin et daigne venir vers lui.
Elle secoua la tête, un sourire timide sur le visage. Il n'y avait aucune raison qu'elle s'inquiète, elle avait vu ses parents le mois dernier et leur avait annoncé en face son retour en mars. Ainsi, ils savaient qu'elle allait revenir, et s'ils ne la voyaient pas sur le port, ils allaient se poser des questions et revenir sur l'Île, passer des appels, peut-être même prévenir la police avec de la chance. Ils avaient l'air si heureux de la savoir revenir à la maison... Sa soeur n'avait d'ailleurs pas caché son enthousiasme, ayant déjà prévu toutes les activités à faire entre elles. Son père recherchait déjà une école qui acceptait les handicapés hors universités. Après tout, calligraphe, ça s'apprenait manuellement et non théoriquement.
Il ne manquait plus que de trouver une solution pour ce Journal Clandestin, qui était le boulet qu'elle amenait partout avec elle depuis qu'elle avait eu la merveilleuse idée de le créer. Il n'avait rien apporté de bon, celui-là. Et elle n'a même pas pu croiser les types qui gèrent la boutique clandestine, quel échec... Il n'y avait plus qu'à annoncer son arrêt immédiat. Elle ne pouvait pas le laisser aux mains de tous, qui sait ce qu'il adviendra de ce Journal, preuve incriminant tous les patients de l'Institut ?
C'était impossible.
Une page se tournait, laissant Adèlys découvrir la suite de l'histoire. Elle lisait avec un calme qu'elle n'avait pas su trouver depuis plusieurs semaines. Déjà : Cap. Puis : Ophelia Rosedbury. Enfin : Alexander. Et surtout : son départ proche.
Elle inspira, ses poumons se remplissant petit à petit de l'air pur de l'Institut. Elle ne pouvait pas retirer à l'Île une de ses qualités majeures : l'air frais. C'était comme à la montagne.
Elle leva les yeux de son livre pour regarder l'emplacement du soleil, et y découvrit à la place Alexander Hexe, qui la regardait. Adèlys haussa un sourcil, croyant rêver. S'il voulait vraiment lui parler, ne serait-il pas venu de lui-même plutôt que d'attendre qu'elle le remarque ?
Elle baissa son regard sur le roman et réfléchit. De toute façon, ce serait très possiblement une des dernières fois qu'elle pourrait lui parler. Alors c'était une occasion de se forger de nouveaux souvenirs.
Elle rangea le bouquin sous le fauteuil et avança vers lui. Une fois en face, elle le salua :
- Bonjour Alex. Tout va bien ? J'ai appris que tu avais été enfermé... Je ne sais pas pourquoi, mais s'ils t'ont laissé partir, c'est que ce ne devait pas être bien grave... Enfin, j'espère.
Elle ne put s'empêcher de regarder l'élégant "Z03" cousu sur son très beau tee-shirt blanc. Bon sang, les salopards...
- Ca ne s'est pas trop mal passé au moins... ?
, mon cul !
L'hiver, à l'Institut, c'était une couche de neige dans les poumons et du verglas le long des parois de l’œsophage. Dès qu'elle mobilisait la partie supérieure de son corps, la Cannibale avait l'impression de se déchirer l'intérieur. Dès qu'elle toussait, elle avait la sensation à la fois de brûlure et de froid. Quel enfer ce système immunitaire.
Elle se consolait en se posant à la fenêtre de sa chambre qu'elle avait ouverte. Fenêtre qui donnait sur la cour. Elle avait enfilé un large pull en laine et s'était enveloppé d'un plaid rose Barbie. Une peluche serrée contre elle, un chocolat chaud dans les mains, elle s'était accoudé au rebord de sa fenêtre, le regard vide.
On pouvait dire qu'elle n'était pas saine d'esprit pour ainsi se confronter au vent glacé. Elle ferait mieux de tout fermer, et tout de suite. Mais elle se sentait comprimée dans sa chambre, et l'air de l'extérieur lui donnait la sensation de réguler sa respiration.
De sa hauteur, elle envia ceux qui étaient plus bas. Elle avait la boule au ventre, ayant l'impression que chaque seconde était la dernière. Et eux... ils avaient l'air bien.
Elle s'arrêta sur des silhouettes familières. Notamment W133, reconnaissable avec sa masse capillaire noire. Elle ne avait plus jamais revu depuis leur dernière altercation de cet été. Tant mieux.
Plus loin, le Génie qu'elle n'avait pas aperçu depuis une semaine. Etait-ce parce qu'elle était très peu sortie ? Elle repensa à leur conversation dans la cantine, à ce qu'il lui avait dit. Le jour où elle verrait Cap...
Elle eut un frisson. Difficile d'imaginer une autre personnalité dans ce corps. Le Génie c'était le Génie, un point c'est tout.
Rêveuse, elle but une gorgée de chocolat chaud, ne quittant pas Alexander des yeux. Il avait vraiment un quelque chose en plus. Elle n'avait qu'à penser à lui pour se mettre à sourire bêtement. Elle en oubliait presque son mal de ventre.
Et elle le vit alors parler à Adèlys. Elle fit la moue, boudeuse. Ils étaient amis, normal qu'ils s'adressent la parole. Mais bon ... En plus, la Cannibale, elle ne savait plus quoi penser d'Adèlys désormais.
De son perchoir, elle se dit qu'elle continuerait de les observer. Tiens, elle jouerait même à imaginer ce qu'ils se disaient. Là, de toute évidence, Adèlys venait de lui dire : « salut, alors comme ça tu as touché les nichons d'Ophelia Rosedbury ? ». S'il se mettait à rougir, alors elle avait raison, se dit-elle en ayant un rictus taquin.
Puis, au bout d’en moment, il commença à se lasser et opta pour la technique consistant à regarder intensément sa cible attendant qu’elle le remarque. Il ne relâcha son attention que lorsqu’il fut sûr qu’elle l’avait vu. Elle mit un moment à le rejoindre, prenant son temps.
- Bonjour Alex. Tout va bien ? J'ai appris que tu avais été enfermé... Je ne sais pas pourquoi, mais s'ils t'ont laissé partir, c'est que ce ne devait pas être bien grave... Enfin, j'espère.
Il eut un sourire cynique, notamment en remarquant le regard qu’elle posa sur sa petite nouveauté vestimentaire.
- Ca ne s'est pas trop mal passé au moins... ?
Il souffla par le nez, dans un semblant de rire désabusé alors que ses poings se serraient à se percer la peau avec les ongles.
- Ils m’ont enfermé dans la cellule de ma sœur, Adèlys. Pour une simple lettre.
Dit comme ça, c’était encore pire. Mais il se força à se détendre, laissant le feu de la haine qui se rallumait doucement s’éteindre de nouveau. Il ne devait pas s’embraser maintenant. Pas tout de suite. Il aurait besoin d’un maximum de combustible pour plus tard. Aussi leva-t-il la main pour couper court à toute réaction, refusant de se replonger dans ce qui s’était passé.
- Ce que je voulais te dire, c’est que j’ai changé d’avis.
Il leva les yeux vers le bâtiment de l’aile W qui lui faisait face. Il y rencontra un visage qui devenait familier. Son regard se riva au sien malgré la distance, sans sourire, sans lui faire de signe de main… Juste un regard qui voulait dire « je t’ai vue. Je sais que tu es là. ». Et cette silhouette, juste cette présence apaisa quelque chose en lui. Elle lui donnait du cran. Il garda le contact occulaire avec Ophelia tout en s’adressant à Adèlys.
- Je reprendrais le Journal.
- Ils m’ont enfermé dans la cellule de ma sœur, Adèlys. Pour une simple lettre.
- Les salauds ! s'indigna-t-elle sans retenue.
Elle se laissa retomber sur son siège, l'air dans le vague. Une pensée pour Loreleï, quelqu'un qui a du inspirer plus qu'elle n'a du effrayer. Elle était stupide mais pas aveugle. Enfin... Pas pour l'Institut en tout cas.
Elle passa une main sur son front, sous sa frange. Quelle bande d'enculés... Si elle avait pu leur donner des coups de pieds jusqu'à ce que mort s'en suive, déjà à Barrabil et à Elpida pour le meurtre de Loreleï, alors elle l'aurait fait avec grand plaisir. Malheureusement, c'était quelque chose de hors de sa portée.
Mais elle en voulait plus à Elpida qu'à Barrabil pour le meurtre. Le véritable enculé qui a obligé le médecin à tirer, c'était le nouveau directeur en chef. Et elle était peut-être la seule à le penser, puisqu'elle avait été l'une des seules à voir le véritable visage de la cruauté.
- Ce que je voulais te dire, c’est que j’ai changé d’avis.
Elle leva les yeux, soudainement un air joyeux et guilleret illumina son visage. L'espoir n'était donc pas perdu, bien qu'elle lui offrait, pour son départ, un poids immense. Les Hexe, les véritables guides de l'Institut.
- Je reprendrais le Journal.
Un sourire se dessina et elle s'écria :
- Fantastique !
Elle posa ses doigts sur sa bouche, se rendant compte qu'elle n'avait pas été très discrète. Enfin une bonne nouvelle, une excellente nouvelle même. La meilleure qu'elle a eu ces derniers temps. Et quelle nouvelle !
Elle attrapa ensuite la main de Alexander, très satisfaite de sa décision.
Puis, elle le mit en garde :
- Par contre, il faut que tu restes seul à l'écrire. Ne sois certain de confier le secret d'être l'auteur aux bonnes personnes, comme je l'ai fait avec toi. Et surtout, il faut que je t'apprenne à écrire comme moi. Ce n'est pas compliqué, promis.
Elle laissa son chocolat chaud sur son bureau et se munit de deux peluches. Elle avait d'abord pris sa peluche préférée, c'est-à-dire un ours noir et blanc qui n'était pas pour autant un panda. Ce serait le Génie. Et ensuite un petit lapin tout doux aux oreilles tombantes. Ce serait Adèlys.
Elle revint vers le rebord de sa fenêtre où le regard du Génie croisa le sien. Grillée. On aurait dit qu'il essayait de lui transmettre quelque chose. Qu'il voulait montrer qu'il avait remarqué sa présence. Mais pas seulement ici, maintenant, à sa fenêtre. Tout le temps ?
Ok, elle se faisait des idées.
Elle lui fit un petit sourire et quand il revint vers Adèlys, entreprit de les imiter. La peluche ours qui représentait le Génie parla la première avec une grosse voix (pourquoi ? Aucune idée, ce n'était pas comme si Alexander avait le timbre de voix le plus viril pourtant):
« Je n'ai pas touché ses seins, c'était ses cœurs voyons. C'était un acte romantique.»
« Mais Alexander, moi je ... Je t'aime ! tu dois choisir entre elle et moi ! », s'énervait le lapin d'une voix aiguë.
En écho à ce moment-là, Adèlys s'écriait « les salauds ! », mais Ophelia s'imaginait qu'elle s'énervait pour bien d'autres choses.
« Je suis à Ophelia, désolé... Pourquoi n'essaierais-tu pas ... W133 ! Il t'aime depuis toujours ! », poursuivait l'ours.
Un troisième protagoniste ! Génial le quatuor amoureux ! Pourquoi s'embêter à regarder la télé quand on pouvait créer les même situations !
La Cannibale eut envie de faire intervenir une troisième peluche (donc W133), mais en se penchant pour attraper un doudou abîmé à l'effigie de Pikachu, l'ours lui échappa. Elle se courba aussitôt à sa fenêtre pour voir où il avait atterri ... C'est à dire sur la tête de W133 ... Oups ... C'était le moment de faire bonne figure.
Elle se dirigea vers son bureau, prit rapidement une feuille sur laquelle elle écrivit café ? Thé ? puis la brandit à sa fenêtre comme une invitation, un peu paniquée. En espérant que toute la cour ne croit pas qu'elle leur demandait à tous de venir dans sa chambre. Elle voulut faire passer le lâcher de peluche comme un prétexte pour attirer l'attention, et non comme une maladresse suite à un jeu enfantin.
L’enfermement du garçon avait d’ailleurs été un sacré coup dur. Le surdoué c’était promis qu’il le ferait payé. Enfin déjà, il aurait fallu qu’il puisse faire quelque chose sans se faire griller, puis on verrait.
Un livre en main, il s’efforçait à lire sans y mettre le moindre effort. Il avait déjà du relire la même phrase une bonne dizaine de fois. En même temps, Alexander et Adèlys semblait en grande conversation et… pas moyen de savoir de quoi ils pouvaient bien parler. Il leurs jetait de temps à autre un regard curieux, passablement déçu de ne pas savoir lire sur les lèvres. Il poussa un soupir frustré et replongea son nez dans son bouquin, toujours coincé sur cette histoire de poêle à bois.
Plus le temps passait à l’institut, plus Aeden bouillonnait de faire quelques choses, plus il s’ennuyait, et plus le temps passait lentement. Une espèce de boucle à laquelle on échappe difficilement. Mais surtout, ne pas se décourager ! Il n’était pas là pour broyer du noir. Et en ce moment, il pouvait difficilement se plaindre. Tout simplement parce qu’un mois plus tard il était majeur. La possibilité de partir. De vivre loin de l’institut. Loin de la différence. Ce qu’il n’avait pas choisi. Oui oui, certains pouvaient penser qu’il était un peu débile le gamin. Mais il était incapable de laisser tomber Alexander. Et peut-être aussi avait-il peur de culpabiliser pour tous ceux qui souffraient ici ? Lui il avait encore de la chance, on lui fichait relativement la paix. Enfin, quand il ne l’ouvrait pas comme un idiot tout du moins.
Donc…. Le poêle à bois crépitait, laissant lasser de ces histoires l’homme déçu. Mmmh. Vraiment ce livre n’était pas ce qu’il imaginait. Il se demandait si quelqu’un d’autre pouvait lire ce livre là, au même moment. Et s’il le trouvait passionnant. Bon, aller on se concentre ! Le poêle à bois…. C’est là qu’un fourbe projectile atterrit sur le crane du surdoué. Il fronça les sourcils, amenant la main à sa tête plus par réflexe que par douleur. Ses yeux se portèrent dans un premier temps sur un ours en peluche qui semblait bien triste, le visage sur le sol, puis il leva les yeux au ciel pour à la recherche du coupable. Il entraperçut un mouvement à une fenêtre. Bon, c’était une déclaration de guerre ou un accident ? Il ramassa la peluche et releva une seconde fois les yeux. Clairement, ce devait-être une déclaration de guerre car entra dans son champ de vision la « petite copine d’Alexander ». Il ne savait toujours pas pourquoi, il ne parvenait pas à s’en faire une image positive. Pourtant, il savait qu’elle comptait pour le Génie. Et qu’elle avait été là pour lui. Il plissa les yeux pour lire le papier qu’elle tenait dans ses mains.
Café ? Thé ? Cela signifiait-il que l’étape suivant serait de balancer du café bouillant de sa chambre pour achever le surdoué ? Rien n’était moins sûr. Bon, il allait devoir lui ramener son ours en peluche alors ? Il poussa un soupir et lui adressa un pouce vers le haut. Il ne lui révèlerait que plus tard qu’il n’aimait ni le thé, ni le café. Il grimpa rapidement les marches jusqu’à la chambre de la « petite copine d’Alexander ». Le chemin lui avait permis de réfléchir à ce qu’il allait lui dire en entrant. Comme : « Alors, on essaye d’assassiner les autres patients » où « Je ne veux pas finir bruler part du café alors j’ai préféré te ramener ton ours avant que tu ne viennes le chercher toi ». Bref, toutes les phrases un peu pourri de quelqu’un qui essaye de devenir ami avec l’amie d’un ami. C’était pas très bien partis tout ça. Il fit une pose sur le palier, le temps de reprendre sa respiration. Clairement, le sport ce n’était pas son point fort. Une fois un souffle crédible repris, il toqua et se permit d’entrer sans vraiment attendre de réponse.
- Salut, ton ours est suicidaire ?
Bravo champion, ça c’était une réplique parfaite pour amorcer une conversation. Surtout en brandissant le dit ours avant de le lancer en cloche en visant les mains de la « petite copine d’Alexander » pour qu’elle le rattrape. Avec ça, il était possible qu’il entre dans le négatif à ces yeux. Mais après tout, il y était peut-être déjà.
Elle abaissa sa pancarte de fortune et balaya la cour du regard. Sa peluche avait disparu, ainsi que W133. Elle n'eut pas le temps de vérifier ce qu'il en était d'Alexander et d'Adèlys puisqu'on frappa à sa porte.
Elle supposa qu'ils étaient parti tous les trois répondre à son invitation et que le Génie était derrière la porte. Elle imaginait déjà son regard perçant lire à travers elle, et son sourire cynique la saluer. Elle ré-ajusta ses cheveux en bataille et se débarrassa de son plaid de diva quand la porte s'ouvrit ... sur W133. Seul. Ah.
« Oh, c'est toi. »
Ce garçon est un bon gars, ce garçon est un bon gars, cesse de le juger pour pas grand chose.
Elle mit sa possessivité de côté, regarda derrière l'épaule de l'arrivant et afficha une mine déçue.
« Salut, ton ours est suicidaire ? »
Au moins, il lui ramenait Monsieur Ours. Ou plutôt l'alter-égo du Génie. Elle étira sa bouche dans une mimique sarcastique.
« A l'intéressé de me le dire... »
Son visage s'assombrit. Elle venait de plaisanter là-dessus, mais elle revoyait encore le Génie abaisser maladroitement ses manches sur ses poignets, et ses mises en garde sur le fameux Cap. Et si elle n'avait pas si tort ?
Ses coeurs bondirent dans sa poitrine. Non seulement elle ne voulait pas rester seule avec eux, mais en plus elle ressentait le besoin urgent de se rassurer à propos d'Alexander. Le voir en face, être certaine que tout allait bien. Elle avait un mauvais pressentiment.
Alors après une quinte de toux grasse, et non gracieuse, elle se pencha à la rambarde de sa fenêtre. Là, elle plissa son visage en moue boudeuse mais déterminée et lança sa feuille Café ? Thé ? vers Alexander. Mais une bourrasque fit s'envoler sa pancarte et au lieu d’atterrir sur la tête de son crush, elle se plaqua sur le visage d'Adèlys. Génial, dire qu'elles avaient pourtant remis leur relation à zéro récemment ... C'était sûrement reparti pour se faire haïr de nouveau.
Le Génie quitta le regard d’Ophelia pour celui d’Adèlys, surpris. Il se doutait que sa décision lui ferait plaisir mais il ne pensait pas susciter autant d’enthousiasme. Néanmoins, les yeux brillants de son amie lui arrachèrent un petit sourire. Elle lui attrapa la main, le mettant un peu mal à l’aise. Ca lui rappelait leur étreinte de cet hiver. Gênant.
- Par contre, il faut que tu restes seul à l'écrire. Ne sois certain de confier le secret d'être l'auteur aux bonnes personnes, comme je l'ai fait avec toi. Et surtout, il faut que je t'apprenne à écrire comme moi. Ce n'est pas compliqué, promis.
Le Génie acquiesça. Apprendre à écrire comme elle ne devrait pas lui poser trop de problème. Par contre…
- En fait j’avais pensé à quelque chose. Dans un premier temps je reprendrais le Journal comme tu le faisais pour brouiller les pistes par rapport à ton départ. Mais peut-être qu’ensuite on pourrait le remanier un peu.
Immédiatement, il réalisa que ses mots avaient été maladroits et qu’Adèlys risquait de tiquer. Aussi, il enchaîna rapidement sur la suite de son idée avant qu’elle ne l’interrompe.
- Ce que je veux dire c’est que tu as déjà fait un très bon travail, mais j’aimerais interroger mine de rien les lecteurs, pour éventuellement l’adapter à leurs besoins tu comprends ?
Alexander n’eut pas de réponse. Une feuille de papier vint se plaquer sur le visage de l’hémiplégique. Voyant qu’elle ne réagissait pas trop, il récupéra la fiche et la défroissa à la hauteur de ses yeux. « Café ? Thé ? ». Hein ? Il leva la tête à la recherche de la provenance de ces deux petits mots, pour le moins incongrus dans leur conversation des plus sérieuses. Vu l’orientation du vent… Son regard se posa de nouveau sur Ophelia, toujours à la fenêtre. Un sourire releva légèrement ses commissures. « Roméo… Oh mon Roméo ! ». On avait changé de Shakespeare. Puis il réalisa que c’était probablement lui en l’occurrence, le Roméo, et il passa une main dans ses cheveux comme pour chasser sa gêne. Néanmoins, lui, qui avant son passage chez les Z aurait tout fait pour fuir une rencontre non planifiée avec la Cannibale, se leva calmement, épousseta ses vêtements et tandis la feuille à Adèlys pour qu’elle puisse la lire.
- On y va ? Demanda-t-il en désignant Ophelia du menton. Ce serait malpoli de refuser.
Adèlys lâcha sa main et pencha légèrement sa tête sur la droite. Attentive, mais néanmoins dubitative. Cette phrase envisageait du renouveau, ce qui pouvait être une bonne chose sur certains points. Seulement, pour le Journal Clandestin, elle avait des doutes sur les bienfaits d'éventuels changements.
Néanmoins, elle resta à l'écoute, laissant une chance à Alexander de s'exprimer. De toute façon, de quoi pouvait-elle avoir peur ? Elle doutait que ses idées soient mauvaises. Il était un garçon très intelligent.
- Dans un premier temps je reprendrais le Journal comme tu le faisais pour brouiller les pistes par rapport à ton départ. Mais peut-être qu’ensuite on pourrait le remanier un peu.
Elle appréciait la première partie, c'était ce qui l'inquiétait vraiment pour la suite : que son départ laisse une trace visible qu'elle soit l'auteure de ce secret. Seulement... Le remanier. Elle fronça les sourcils, non pas pour montrer son mécontentement mais pour montrer son appréhension. Il n'attendit pas qu'elle réagisse, il se mit directement à préciser sa pensée :
- Ce que je veux dire c’est que tu as déjà fait un très bon travail, mais j’aimerais interroger mine de rien les lecteurs, pour éventuellement l’adapter à leurs besoins tu comprends ?
- Oh...
Ce n'était pas une mauvaise idée. Elle avait déjà songé à cette possibilité. L'ennui, c'était l'écriture des lecteurs. Celle d'Adèlys ne correspondait en aucun cas à sa propre écriture, alors elle était hors de danger. Enfin, en théorie. Le problème, c'était que les lecteurs n'allaient pas se soucier de laisser une trace écrite dans un journal qui pouvait être trouvé à n'importe quel instant, et donc de changer leur écriture.
Ou alors, faire des sondages avec des sortes de points, du type : "Contre : I I I", ce genre de choses.
Elle n'eut pas le temps de formuler une réponse qu'une feuille se glissa sur ses cuisses. Surprise, elle leva avant tout les yeux pour voir d'où ça venait, mais Alexander détourna son attention et prit le papier. Elle l'observa, sans avoir eu le temps de décrypter le message que cette feuille détenait. Elle tiqua sur le sourire qu'il offrit à qui-elle-ne-sut. C'était étrange et ça ne ressemblait pas au Génie d'avoir un sourire si... Niais. C'était à la fois amusant et inquiétant de le voir ainsi.
Il lui tendit la feuille et elle put la lire. "Café ? Thé ?" Elle ouvrit la bouche, interloquée, et se retourna, découvrant enfin la personne coupable de ce mot. La Cannibale. Elle avait promis de repartir sur de bonnes bases avec elle, mais c'était compliqué depuis la fois dernière.
Elle soupira.
- On y va ? Ce serait malpoli de refuser.
- Je n'aime ni le café ni le thé mais ça ira. Avant d'y aller...
Elle chuchota pour être certaine de ne pas être entendue. Après tout, cela faisait combien de temps qu'elle les écoutait, sans rien dire, avant de lancer cette feuille ? Etait-elle réellement quelqu'un de confiance ? Elle n'en savait rien, et n'aurait pas le temps de le découvrir.
- Pourquoi pas faire des sondages. Il faudra que tu fasses attention, ils ne devront pas écrire dans le journal, du moins faire en sorte que personne ne soit reconnaissable. Ce Journal est à la fois une arme contre l'Institut et contre nous. Et autre chose...
Adèlys n'était pas dupe, elle savait que le Génie n'accordait pas sa confiance à n'importe qui, mais si ce sourire niais était destinée à cette fille, alors elle devrait faire la raison à la place d'Alexander. Elle ne savait pas si c'était signe de sentiments ou non, elle n'était pas douée pour ce genre de chose de toute façon, mais si c'était le cas, elle se devait de couvrir ses arrières.
- Je ne lui fais pas confiance. Je ne fais confiance qu'à toi.
Elle insista sur le regard qu'elle posait sur le garçon. "Interdiction d'en parler à qui-que-ce-soit, surtout à elle." Ce pouvait être injuste, elle le savait, mais ce Journal était tout ce qu'elle avait toujours eu à l'Institut, tout ce qui la raccrochait à un peu d'espoir de s'échapper de l'Île. C'était sa vie, ses sentiments, ses doutes, son empathie. Ce Journal, c'était elle.
Elle lui donna un sourire pincé et se tourna vers la Can... Ophelia avant de l'interpeller :
- On arrive ! J'espère que tu as autre chose que du café ou du thé !
Elle se tourna une dernière fois vers Alexander avant de le suivre jusque dans la chambre de Ophelia, la voix toujours basse :
- J'espère qu'elle n'a rien entendu...
Le Génie acquiesça. Lui n’aimait pas le café mais le thé, par contre…
- Pourquoi pas faire des sondages. Il faudra que tu fasses attention, ils ne devront pas écrire dans le journal, du moins faire en sorte que personne ne soit reconnaissable. Ce Journal est à la fois une arme contre l'Institut et contre nous. Et autre chose...
Le Génie acquiesça de nouveau. Evidemment, il ne comptait pas faire écrire les patients dans le Journal, ça aurait été trop dangereux si quelqu’un avait mis la main dessus. Non, il avait autre chose en tête. Il pensait plutôt à les interroger oralement. La voix, au moins, ne laissait pas de trace.
- Je ne lui fais pas confiance. Je ne fais confiance qu'à toi.
Surpris, il l’observa un moment. Elle-même avait plongé un regard intense dans le sien, comme pour ancrer cette idée en lui. Pourquoi est-ce qu’Adèlys ne faisait pas confiance à Ophelia ? Il scruta ses yeux pour déterminer si elle était sérieuse. Elle l’était. Le Génie ne répondit pas. Cette révélation le laissait songeur.
- On arrive ! J'espère que tu as autre chose que du café ou du thé ! J'espère qu'elle n'a rien entendu...
Il hocha négativement la tête. Visiblement, son amie avait besoin d’être rassurée. Il posa une main sur son épaule qu’il serra affectueusement.
- Aucune chance. Le vent souffle dans le sens inverse, il n’a pas pu porter nos voix.
Puis il se leva et se plaça derrière le fauteuil d’Adèlys, prenant les poignées en main. Il lui offrit un sourire qu’il voulait amical avant de l’emmener devant la chambre de la Cannibale.
Ils prirent l’ascenseur mais ne prononcèrent plus un mot. Il lui semblait qu’il avait dit ce qu’ils avaient à se dire à propos du Journal et il se voyait mal relancer la conversation sur autre chose. Et puis, ses pensées avaient tendance à dériver un peu vers une autre fille…
Il frappa à sa porte et alors qu’elle s’entrouvrait, un léger sourire souleva les commissures de ses lèvres. C’était le genre de sourire difficilement perceptible mais qui était le plus sincère pour le Génie. C’était le genre de sourire qu’il faisait sans aucune volonté de paraître ou de faire plaisir, le genre de sourire qu’il faisait sans même y penser. Le genre de sourire qui se fana lorsqu’il aperçut une autre personne dans la chambre. Aeden.
Il ne put retenir un regard un peu suspicieux. Que faisait-il dans la chambre d’Ophelia, seul avec elle ? Quelle était cette pointe qui lui serrait soudain le cœur ? Il devait se reprendre.
- Bonjour Ophelia.
Il continua avec un léger temps de retard.
- Bonjour Aeden.
Ophelia grinça des dents. Trop aimable Adèlys.
De toute façon elle n'avait ni l'un, ni l'autre.
En les voyant passer la porte du rez-de-chaussée, la Cannibale eut un coup de chaud. Une vive adrénaline la secoua. En effet, le Génie allait bientôt être là et elle avait toujours sa tête de malade en fin de vie. Elle ré-ajusta son col pour dévoiler plus de chair et donna du volume à ses boucles en les touchant dans tous les sens. Sa main devant sa bouche, elle souffla pour sentir sa propre haleine puis conclut sa frénésie d'une pose de diva : main sur les hanches et poitrine en avant. Elle jeta un regard à W133.
« De quoi j'ai l'air ? »
D'une cruche, sûrement.
Mais pas le temps de calculer sur une échelle de 1 à 10 son niveau de pitié que le Génie, accompagné d'Adèlys, fit son entrée. Ce n'était pas plus mal tout ça. Au moins, lui et Adèlys n'étaient plus en tête à tête, à discuter de ... Quel pouvait bien être leur véritable sujet de conversation.
Parce qu'elle avait mal au dos dans sa pose maladroite, elle se redressa. Le Génie la salua et elle joua la désinvolte.
« Pas trop tôt, salut. »
Ce n'était pas du tout son genre de jouer cette carte. La nervosité avait pris le contrôle de son corps, visiblement. Elle se pinça les joues pour leur donner de la couleur puis se saisit de sa bouteille d'eau. Elle fit un sourire qu'elle espéra craquant ... C'était la première fois qu'elle était une hôte.
« Ca va te faire plaisir Lyse, je n'ai que de l'eau. », dit-elle en tenant sa bouteille.
Une première main la tenait par le bouchon, et la paume de l'autre main soutenait le dessous de la bouteille. Dans cette posture et avec ses faux airs, la Cannibale donnait l'impression de vouloir vendre un produit.
« A l'intéressé de me le dire... »
Ok… donc bon à moins que l’ours ne se mette à faire la conversation, elle venait un peu de la clore là non ? Alors qu’il cherchait désespérément quelque chose à dire, elle se pencha à nouveau à la fenêtre et jeta sa feuille. Bon. Elle invitait la terre entière à boire le café ? Au moins il n’avait plus à chercher de quoi murer le silence. Aeden espérait au moins que le papier s’adressait à Alexander. Il se sentait un peu en territoire ennemi là. Il fit tout de même quelques pas vers la fenêtre pour en avoir le cœur net. Mais pas trop près non plus.
Du coup, il était à mi-distance de la fenêtre, mais toujours pas assez près pour voir. Tant pis, les distances de sécurité primait sur la curiosité. Il entendit juste une voix féminine répondre à la jeune femme. Raté pour Alexander alors ? Il n’en fut pas si sûr quand la très chère du Génie se mit à se secouer dans tous les sens dans une série d’action que le surdoué aurait pu qualifier de : gênantes, improbables, incompréhensibles.
« De quoi j'ai l'air ? »
Il se contenta d’un « Mmmmh ? » Pas très sûr de lui. Il devait lui dire quoi là ? Il n’était pas trop callé dans ces choses-là aussi garda-t-il le silence pour éviter de dire quelque chose qu’il pourrait regretter. Il savait qu’il était mauvais à ce genre de questions-réponses. Le Génie choisit ce moment-là pour frapper et ouvrir la porte. Ouf, c’était un vrai frère.
- Bonjour Ophelia.
Le regard que ce dernier lui adressa le laissa mitigé. Avait-il encore fait quelque chose de mal ? Il devait peut-être dire au Génie qu’il n’avait pas traité sa quasi copine d’aucuns noms que ce soit et qu’il était resté poli bien que pratiquement muet. Ca paraissait difficilement possible de sortir un truc pareil en plein milieu d’une conversation aussi garda-t-il encore le silence.
- Bonjour Aeden.
La Cannibale semblait dans tous ces états et le surdoué se demanda ce qui pouvait la rendre aussi… aussi comme ça. Elle était nerveuse comme jamais.
« Pas trop tôt, salut. »
Le garçon répondit aux salutations d’un hochement de tête, laissant un gargouillis proche d’un salut s’échapper de sa bouche.
- ‘lut
Adélys suivait Alexander. Et le garçon se rappela qu’il s’était promis avoir une vraie discussion un jour avec cette fille-là. Ou force de la nature là ? Il n’aurait su dire. Est-ce que ce jour était arrivé ? Pas tout à fait, il était persuadé qu’elle avait un rôle à jouer dans cette histoire de révolution clandestine, aussi voulait-il un jour lui parlé juste à elle. S’il faisait confiance au Génie, il ne savait rien ou très peu de sa petite Ophélia.
Cette dernière semblait un peu paniquée et leur proposa un sourire que le surdoué trouva un peu crispé. Bizarre de sa part. Elle était plus du genre cinglée d’habitude, il trouvait que ce côté un peu fragile la rendait plus humaine. Un peu. Fallait pas exagérer non plus.
« Ca va te faire plaisir Lyse, je n'ai que de l'eau. »,
Lyse non plus n’aimait pas le café ou le thé ? Le surdoué regarda Ophélia qui tenait sa bouteille comme un chevalier aurait tenu le graal et il ressentit quelque chose au fond de lui. Il aurait voulu pouvoir faire quelque chose pour l’aider. Et s’il était empathique, c’était la première fois que ça lui arrivait avec Elle. Une grande première donc. Est-ce qu’elle lui faisait un peu… pitié ? Il ne savait cependant pas ce qu’il aurait pu faire pour rendre sa pose moins gênante.
- Elle est bonne.
Bon. Il pouvait bien la fermer. Parce qu’intervenir pour vanter les mérites de l’eau c’était triste. Et ça ne devait pas aider beaucoup Ophélia. En plus, il n’en savait rien vu qu’il n’avait pas eu l’honneur qu’on lui propose de boire avait qu’Alexander n’arrive. Mais soit. C’était du Aeden tout craché.
« Ca va te faire plaisir Lyse, je n'ai que de l'eau. »
- Elle est bonne.
Adèlys le regarda avec des yeux ronds, entre l'envie de couvrir sa bouche de honte et d'exploser de rire. Bon sang, mais quelle était cette situation ? Ca semblait si irréel.
- De quoi parles-tu Aeden ? De l'eau ou de notre hôte ?
Elle lui adressa un clin d'oeil, se sentant d'humeur taquine. La discussion sérieuse qu'elle avait eue juste avant l'avait quelque peu déprimée. Après tout, toutes ces personnes - ou presque toutes - dans cette pièce lui étaient chères, et elle n'avait pas envie de les quitter sans un au revoir. Et pourtant, c'était ce qu'elle serait obligée de faire. Pas de douleur de départ, pas d'envie subite de rester. Elle savait qu'elle devait partir, et eux étaient une potentielle raison de rester. Or, rien de bon ne sortirait d'une telle décision. Elle avait trop souffert dans cet Institut, et il était hors de question qu'Elpida s'en prenne encore à elle.
- Alors dis-nous Ophelia, que nous vaut l'honneur de cette invitation ? Une raison en particulier ?
Elle préférait la jouer franc jeu. C'était bizarre qu'elle les invite tous comme ça, sans préavis. Elle préférait être certaine qu'il n'y avait pas anguille sous roche.
- Ca va te faire plaisir Lyse, je n'ai que de l'eau.
Oh… Pas de thé alors. Pas de thé mais un Aeden. Quelque part, il se sentit trahi.
Cette déclaration et la pose de publicitaire qu’elle arborait laissa un blanc planer dans la chambre puisqu’apparemment, personne ne savait quoi ajouter. Enfin, personne à part Aeden qui se décida finalement à rompre le silence.
- Elle est bonne.
Ok, merci pour cette intervention l’ami. L’idée qu’une eau puisse être bonne le laissa perplexe. L’eau, c’était de l’eau, ça n’avait pas de goût. Sa définition même était d’être incolore, inodore et insipide comme le disait le Larousse et ses cours de base en chimie. Enfin, tout ça pour dire que ces quelques mots lui parurent comme une tentative franchement maladroite pour éviter à la gêne de s’installer trop longtemps. Enfin, jusqu’à la remarque d’Adèlys.
- De quoi parles-tu Aeden ? De l'eau ou de notre hôte ?
Et là, Alexander vit rouge. Ce n’était sûrement qu’une blague innocente mais couplé à ses soupçons, c’était comme du poison qui s’infiltrait dans sa tête et désormais c’était sûr. Aeden jouait les dragueurs.
Lorsqu’il y repenserait bien plus tard, il se mépriserait d’avoir pensé ça, lui qui était censé être un as en matière de psychologie, et en plus, de son meilleur ami de qui il n’aurait jamais dû douter. Mais pour l’heure, même s’il ne voulait pas se l’avouer, la jalousie troublait ses pensées.
Alors qu’Adèlys reprenait la parole, il attrapa la bouteille directement des mains d’Ophelia et avala une gorgée d’eau, dans une volonté inconsciente de bien montrer que ce contenant mais surtout sa propriétaire, c’était chasse-gardée.
- Effectivement. Très bonne cette eau.
Elle est bonne. »
Le sourire crispé d'Ophelia commençait à faire souffrir ses zygomatiques. Mais suite à cette remarque des plus pertinentes, la blonde ne fit qu'agrandir son rictus. A croire qu'elle essayait de tout sauver par une jolie moue.
Finalement, parce que sa respiration se bloquait et parce son dos la faisait souffrir, elle reprit une allure plus naturelle. Elle était tout de même tendue puisqu'Alexander n'arrêtait pas d'éviter son regard. Il était focalisé sur Aeden. D'abord il avait une conversation en tête à tête avec Adèlys, ensuite il n'avait d'yeux que pour ce toquard de W133... Elle pensait pourtant qu'il y avait une alchimie entre eux. Mais c'était une erreur puisque le Génie ne daignait pas même un regard.
A moins que ce soit Cap qui ait pris le contrôle ? Après tout Ophelia ne l'avait toujours pas rencontré. C'était bien pénible ces deux personnalités en un corps.
« De quoi parles-tu Aeden ? De l'eau ou de notre hôte ? »
Génial, et maintenant Adèlys se mettait au sarcasme. Ophelia savait qu'elle n'avait pas la tenue et le teint d'une bomba Latina, mais pas besoin d'en rajouter une couche avec cette ironie. Dire qu'elle pensait s'être réconciliées avec elle.
Alexander lui prit l'eau des mains et la but d'une traite. Sans lui demander. Comme ça.
« Effectivement. Très bonne cette eau. »
C'était absurde. Complètement absurde. L'eau. L'ironie. Alexander.
Elle n'était la bienvenue pour personne actuellement alors qu'elle était dans sa propre chambre. Entre Alexander qui l'évite, W133 qui ne l'apprécie pas et Adèlys qui se la joue misscritique, Ophelia n'était pas à l'aise.
« Vous savez quoi, je pense que vous devriez y aller finalement. »
Elle n'ajouta rien de plus, n'ayant pas envie d'expliquer. Bras croisés, les fesses contre le dossier de sa fenêtre, elle espérait juste dormir maintenant. C'était bien mieux lorsqu'elle fuyait, en fait.
-Alors dis-nous Ophelia, que nous vaut l'honneur de cette invitation ? Une raison en particulier ?
Avant que cette dernière n’ait pu répondre à cette question qui laissait le surdoué perplexe, Alexander se dirigea vers la Cannibale en deux enjambées raides et lui prit sa bouteille des mains. Aeden ne savait plus ou mettre de la tête tant il se passait de choses cringe à la seconde ici. Quelqu’un allait il sortir de dessous du lit pour leur souhaiter la bonne année ou était-ce tout ?
- Effectivement. Très bonne cette eau.
Que ? Autant ce genre de réaction bizarre était typique du surdoué, autant de la part d’Alexander s’était vraiment… Un peu dans l’incompréhension, il n’osait plus trop bougé. Il pensa à Cap mais c’était pourtant bien le Génie aux commandes, il en aurait mis sa main à couper. Peut-être avait-il juste soif depuis tantôt et n’avait pas la patience d’attendre ? Mais alors ça devait être une sacrée soif.
« Vous savez quoi, je pense que vous devriez y aller finalement. »
La Ophélia d’Alexander semblait en position de défense, les bras croisés sans la moindre envie de leur parler encore. Pas étonnant, le surdoué était de son avis. Honnêtement s’était déjà compliqué de converser avec les gens mais alors avec eux 3 c’était carrément impossible. Il avait beau essayer de faire des efforts pour Alexander, il n’avait rien à dire à sa copine. C’était comme s’ils étaient tous les deux totalement hermétiques à une conversation entre eux. Quant à Adèlys, elle lui faisait un peu peur parfois. Peut-être parce qu’il ne l’avait pas rencontré dans de très bonnes conditions. N’empêche qu’il avait toujours l’impression qu’elle allait le réprimander et le secouer comme un prunier. Il avait toujours peur de ce qu’il pouvait dire quand elle était là.
Il resta donc silencieux mais fit tout de même un ou deux pas qu’il voulait discret mais qui ne l’était pas du tout en direction de la porte. Il ne serait pas contre une petite fuite pour s’abriter loin de l’agitation de cette chambre. D’autant que le Génie, le seul qui aurait pu lui conférer un sentiment de sécurité dans cette conversation du troisième type, semblait avoir développé une troisième personnalité qui le laissait peu à l’aise.
Puis il se rappela de ces résolutions. Ne pas fuir l’adversité et être là pour Alexander. Il n’allait quand même pas se laisser démonter maintenant ? Dans un élan soudain de courage, il prit tout de même la parole :
- Non mais ça va hein, c’est pas grave de ne pas avoir de café ou de thé. C’est très bien l’eau.
Ok. Sa fulgurance aurait pu laisser pantois le plus rapide et éclairé des paresseux. Ces résolutions auraient raison de lui. Si cette réunion ne l’achevait pas. En tout cas, il essayait d’encourager une forme de sociabilisassions avec la Ophélia d’Alexander, et espérait que ce dernier saluerait cet effort.
En même temps, voir deux coqs se battre pour une poule, c'était assez amusant à voir. Au moins, ils étaient de forces - ou de faiblesses - égales. Aucun ne surpassait l'autre, à croire qu'Ophelia était entourée d'hommes si intelligents qu'ils en devenaient bêtes.
Elle s'apprêta à se joindre à eux et à les imiter, en s'exclamant à son tour que l'eau était fraîche, ce qui la rendait bonne, mais voilà que l'hôte se mit à en avoir assez de tant de nombrilisme :
« Vous savez quoi, je pense que vous devriez y aller finalement. »
Le silence qui suivit n'aidait pas à stabiliser l'ambiance de la chambre. Tout le monde était sous tension, mal à l'aise et n'avait pas envie d'être là. Adèlys lança un regard neutre à Ophelia, perdant son esprit taquin. Décidément, même lorsqu'elle voulait s'amuser un peu, il y avait toujours quelqu'un pour lui mettre des bâtons dans les roues.
Elle expira alors, un air sévère sur le visage. Elle partait dans peu de temps, pourquoi lui ôter les seuls moments de bonheur - que disait-elle - les derniers moments de bonheur qu'elle avait avec eux quand elle, la Cannibale, pouvait les avoir quand elle le souhaitait après son départ ? C'était d'un égoïsme et d'une immaturité sans nom de réagir ainsi. Et si elle ne voulait pas les voir, pourquoi les inviter ? Cette fille n'avait aucun sens. Aucun. Une véritable girouette.
Aeden faisait le bon choix en tentant de partir avec discrétion, mais il ne dupait personne. Elle l'observa silencieusement, mais toujours avec le visage crispé. Elle s'empêchait de s'égosiller, cela n'apporterait rien à la situation à part davantage de tensions.
- Non mais ça va hein, c’est pas grave de ne pas avoir de café ou de thé. C’est très bien l’eau.
Adèlys expira bruyamment. Elle ne cacha pas son exaspération, loin de là. Elle voulait repartir d'un bon pied avec Ophelia, mais elles semblaient destinées à ne pas s'apprécier. Soit. Elle allait s'en donner à coeur joie.
Elle se tourna vers l'hôte la plus incompétente de l'histoire et n'hésita pas à lui dire :
- Je vois qu'en plus de nous envoyer balader après nous avoir invité un à un, tu refuses de répondre à ma question. Si je n'étais pas la bienvenue, ou aucun de nous, tu aurais mieux fait de t'abstenir de nous inviter ici.
La franchise d'Adèlys n'était plus une surprise pour elle-même. C'était un trait de caractère qu'elle s'était découvert qu'après s'être rendue compte que la date butoir était pour bientôt. Alors sa réputation ou même ses relations lui étaient bien égales, surtout si elle pouvait se permettre de dire ce qu'elle pensait, elle qui s'y était toujours prise avec des pincettes pour ne froisser personne. Mais elle n'était plus l'auteure du Journal, et bientôt elle n'était plus patiente à l'Institut. Alors, pourquoi continuer à brosser dans le sens du poil tout le monde ?
- Et si c'est vraiment ce que tu souhaites, alors je m'en irai.
Dans un mouvement, elle se dirigea vers la porte.
Le Génie regarda Ophelia. Celle-ci semblait regretter profondément son invitation. Peut-être aurait-elle préféré rester seule avec Aeden. Il secoua légèrement la tête. Cette situation n’avait aucun sens et il se mettait à faire partie du délire ambiant en oubliant complétement ses bonnes manières. Maintenant qu’il avait la bouteille d’eau dans les mains, il ne savait même plus quoi en faire et il se retrouvait, là, les bras stupidement ballants. Comment cette journée avait-elle pu tourner de la sorte ? Lui qui s’était tellement réjoui de sortir de l’asile, de retrouver ses amis et d’être un peu plus actif envers Ophelia… Ah bon sang. Si Cap avait été là, tout aurait été tellement plus simple. Lui au moins, il savait détendre ce genre de situations.
- Non mais ça va hein, c’est pas grave de ne pas avoir de café ou de thé. C’est très bien l’eau.
Il jeta un œil à Aeden, se demandant s’il valait mieux approuver à voix haute son affirmation pour détendre l’atmosphère ou se taire pour ne pas détruire sa crédibilité déjà bien entamée. Mais Adèlys ne lui laissa pas l’occasion de faire son choix, intervenant avec un soupir franchement pas discret.
- Je vois qu'en plus de nous envoyer balader après nous avoir invité un à un, tu refuses de répondre à ma question. Si je n'étais pas la bienvenue, ou aucun de nous, tu aurais mieux fait de t'abstenir de nous inviter ici.
Sur ce point, il était d’accord avec elle mais… en même temps, est-ce qu’ils n’avaient pas tous contribué à cette ambiance aussi bizarre que désagréable ? Oh bon sang ! Pourquoi Cap ne se manifestait plus quand il avait le plus besoin de lui !
- Et si c'est vraiment ce que tu souhaites, alors je m'en irai.
L’hémiplégique effectua un demi-tour avec son fauteuil en direction de la sortie. D’une certaine manière, il était toujours impressionné par son aisance avec cette imposante nécessité. Mais le fait qu’elle cherche à s’en allait, même si c’était ce que souhaitait la Cannibale, le tirailla à plus profond de son âme. Rester avec Ophelia et l’empêcher de passer plus de temps seule à seul avec Aeden ou suivre son amie auprès de laquelle son temps était compté ? Il se mordilla la lèvre inférieure, complètement indécis. Alors que celle-ci ouvrait la porte, il prit la première décision qui s’imposa à lui. Prendre la parole. Gagner du temps. Ces jours-ci, tout était question de temps.
- Je suis vraiment désolé que ma sortie d’asile se passe comme ça. J’aurai vraiment aimé qu’on arrive à s’entendre tous les quatre.
Il jeta un œil à Aeden tout en pensant un « pas trop quand même ». Mais en tout cas, l’animosité d’Adèlys pour Ophelia était palpable. Il passa une main sur le visage, ostensiblement contrarié.
- Cap, lui, aurait certainement réussi à détendre l’atmosphère et à nous faire repartir à zéro. Je regrette qu’il ne soit pas là. Mais puisque je ne suis pas lui, je suppose qu’il vaut mieux que je m’en aille avant que les choses n’empirent.
Il tendit la bouteille à Ophelia, la laissant s’en emparer. Il en profita pour prolonger plus longuement que nécessaire le contact de leurs deux mains et de leurs deux yeux, dans un regard intense qui lui demandait, sans la supplier, de ne pas l’oublier au profit de… quelqu’un d’autre. Quelqu’un d’autre dont il s’obligea à ne pas recroiser de nouveau le regard. Adèlys, elle, semblait définitivement décidée à partir et puisqu’il venait d’annoncer le sien aussi… Il aurait aimé qu’on le retienne mais apparemment, ce n’était dans les projets de personne. Il s’obligea également à faire comme s’il s’en foutait alors que ça lui brisait le cœur.
Attrapant les poignées du fauteuil d’Adèlys, il se retourna à peine en leur souhaitant une bonne journée d’une voix moins assurée qu’il ne l’aurait voulu. Entre Aeden qui aimait un peu trop Ophelia et Adèlys qui la détestait, finalement, il aurait préféré que cette rencontre n’eut jamais lieu.
Ophelia jetait des coups d'oeil langoureux à son peignoir qui pendait sur le rebord de son lit. Pourquoi s'en était-elle débarrassée ? Ces derniers temps elle avait l'impression d'avoir la peau sur les os et d'être hypersensible à une température fraîche. Pourquoi diable avait-elle alors jeté son habit chaud ?
Elle connaissait la réponse mais elle n'osait pas se l'avouer.
W133 et Adèlys poursuivait la conversation, mais la blonde n'arrivait pas à la suivre. Elle n'avait plus d'appétit non plus, et le manque de vitamine lui brouiller les sens par intermittence. Mais la sensation de vertiges qui la troublait ne l'empêchait pas de d'entendre combien W133 avait des réponses plus creuses qu'un puits sans fonds et le sous-ton acerbe d'Adèlys à l'égard de notre blondinette. A croire que rien ne s'arrangerait entre ces deux-là. Pourtant, depuis leur rencontre imprévue dans le cabinet du concierge, Ophelia avait cru que la brune avait fait un pas vers elle. Finalement, elle avait de nouveau reculé.
Le Génie s'en mêla aussi, ramenant sur le tapis sa sortie d'Asile. La Cannibale eut un pincement au cœur. Déjà que l'hiver l'empêchait de voir d'autres camarades, si en plus on enfermait le Génie ...
Elle s'autorisa un soupir, puis posa le bout de ses fesses sur le rebord de sa fenêtre. Elle observait le trio en face d'elle comme s'il était un tableau. Le fauteuil d'Adèlys tourné vers la sortie, W133 les bras ballants plus loin, Alexander comme entre les deux. Tableau dont elle avait essayé de faire partie, en vain ; sinon, pourquoi en serait-elle la spectatrice ?
" Cap, lui, aurait certainement réussi à détendre l’atmosphère et à nous faire repartir à zéro. Je regrette qu’il ne soit pas là. Mais puisque je ne suis pas lui, je suppose qu’il vaut mieux que je m’en aille avant que les choses n’empirent."
Cap aimait Avengers.
Cap savait détendre une atmosphère tendue.
Ophelia releva la tête lorsque le Génie l'évoqua. Elle ne savait que deux choses sur cette double personnalité. Cette façon que le Génie avait de parler de lui, regretter son absence ... Ophelia avait l'impression qu'il parlait d'une véritable personne, en chair et os. Elle fut mal à l'aise. Il y avait eu un fossé entre elle et le Génie lorsqu'elle tomba régulièrement malade au début de l'hiver, il se creusa lorsqu'il fut jeté dans l'asile mais Cap était sûrement la barrière de trop. Lorsqu'il plongea longtemps son regard dans le sien, elle reconnut ses yeux gris familiers. Et, bien qu'elle s'y accrocha longuement, un frisson étrange parcourut son échine.
Ainsi, elle ne retint pas les deux fuyards. C'était évident que, finalement, elle ne savait pas encore se faire des amis. Aller à la rencontre des autres c'était bien sympa, mais ce n'était pas suffisant. Si elle voulait libérer les âmes en sang de ces murs, elle devait apprendre à aller plus loin, et avec plus de monde.
Encore un soupir. Elle avait la chair de poule. Elle eut tout de même la force de regarder W133, un peu désabusée.
" Tu peux y aller aussi. L'eau est meilleure ailleurs."
Elle avait, au fond, sûrement était envieuse du trio qu'était Alexander-Aeden-Adèlys (que des A, si ce n'était pas un signe). Ils étaient ensemble parfois à la cantine, et avaient l'air de bien rire. Quand ils se regardaient, une complicité qui leur était propre émanait de leurs échanges. Et Ophelia avait inconsciemment voulu en faire partie. Devenir un quatuor. Partager leur repas et leur complicité. Mais il fallait qu'elle se rende à l'évidence : ils n'étaient pas fait pour être un quatuor. Ils seraient à jamais un trio.
Aeden grinça des dents. La situation n’allait désespérément pas en s’améliorant, et d’une certaine manière, il commençait à se sentir désolé, autant pour Adèlys que pour Ophélia.
- Et si c'est vraiment ce que tu souhaites, alors je m'en irai.
Ça avait le mérite d’être clair. Aeden se rappela la manière dont la jeune hémiplégique l’avait remis à sa place lorsque le Génie était venu leur parler de la disparition et les envies suicidaires de Cap. Toujours aussi sèche, mais toujours aussi honnête. Il avait à la fois beaucoup d’admiration et de craintes pour les gens comme ça.
- Je suis vraiment désolé que ma sortie d’asile se passe comme ça. J’aurai vraiment aimé qu’on arrive à s’entendre tous les quatre.
Ca y était. Maintenant, il se sentait mal pour tout le monde. C’était vrai qu’Alexander aurait mérité un meilleur accueil. Et là, peut-être que plus que de ce sentir mal pour tous les membres de la pièce, il était juste mal parce qu’il n’était pas capable d’animer une conversation correctement ou d’apaiser les tensions.
- Cap, lui, aurait certainement réussi à détendre l’atmosphère et à nous faire repartir à zéro. Je regrette qu’il ne soit pas là. Mais puisque je ne suis pas lui, je suppose qu’il vaut mieux que je m’en aille avant que les choses n’empirent.
Aeden était un bon spectateur. C’était à peu près tout ce en quoi il était bon. Aussi, il regarda Alexander tendre la bouteille d’eau à Ophélia. Il le regarda attraper le fauteuil d’Adèlys, et il les regarda sortir, après avoir souhaité une bonne journée d’une voix qui trahissait le malaise qui régnait dans la pièce depuis la seconde où le surdoué était entré. Décidemment, malgré qu’il se fût mis, tout doucement à apprendre à discuter avec des gens, il semblait encore incapable de choisir les bons mots ou les bonnes phrases en fonction des situations. Il avait encore du boulot.
Et là, une nouvelle fois, il ne savait pas quoi faire. Dire quelque chose de gentil à Ophélia ? S’en aller aussi ? Il n’allait pas rester planter là comme un piquet dans tous les cas. Il n’eut pas besoin de réfléchir plus longtemps à ce qu’il allait faire ou non, la chère amie d’Alexander lui donna une solution toute faite :
" Tu peux y aller aussi. L'eau est meilleure ailleurs."
Ce n’était pas exactement la solution parfaite dont il aurait rêvé, mais vu où ils en étaient, c’était probablement la plus simple. Alors, sans chercher à se compliquer la vie, il hocha bêtement la tête. Il aurait bien hâché la tête de l’empathie qui lui enserrait la gorge à l’instant, et qui lui soufflait que peut-être, il avait mal jugé Ophélia depuis le début. Mais non. Pas question d’écouter cette voix-là. Elle ne lui attirait toujours que des ennuis. Alors qu’il se dirigeait maladroitement vers la porte, essayant de ne pas avoir l’air de s’enfuir, il répondit :
- Ok. Heu… à la prochaine ?
C’était peut-être l’intention qui comptait, mais il était persuadé que sortir en fermant sa gueule pour une fois, aurait été plus approprié que ça.