Jessy y avait pensé tous les jours depuis ce soir-là. Lucy. Il ne pensait pas à leurs conversations. Au fait qu’elle lui pardonnait. Non. Il pensait sans cesse au fait que la jeune femme avait baissé sa garde au point qu’il aurait pu s’en servir. Alors pourquoi n’avait-il pas saisi l’occasion ? L’excuse de la fièvre, de la fatigue ou de la douleur ne le satisfaisait pas. Certes, ce soir-là, il avait été ans un état misérable. Au point que le lendemain, il avait eu du mal à s’en sortir ave ces tâches quotidiennes. Mais il avait déjà frôlé la mort et ce sans perdre son sang-froid.

Il avait besoin de sortir d’ici. Il aurait suffi qu’il se saisisse de Lucy, qu’il demande la clé à Donatien. Qu’il menace de briser le cou à sa précieuse fleur. Il ne comprenait pas ce qui clochait chez lui. Jamais il n’avait eu ce genre de moment de faiblesse depuis la mort de Kalye.

Assis dans sa cage, incapable de dormir, il cogitait. Il guettait un bruit. Il aurait voulu entendre les pas de Lucy dans le couloir. Ils n’avaient plus parler depuis sa forte fièvre. En journée, ils ne s’échangeaient pas de regard. Jessy avait vu Lucy sortir du bunker la veille. Cela l’avait agacé. Ils avaient l’air bien elle et le toutou de Donatien. Plus le temps passait et plus il doutait sortir un jour de derrière ce grillage.

Le rouquin était résistant mais ne se doutait pas que son mental commençait à s’user. Chaque jour qui passait se ressemblait un peu plus. Il dormait mal, le poids des chaines à ces poignets étaient devenus tellement naturelles, autant que les marques rouges qu’elles lui laissaient. Il avait une épée de Damoclès perpétuellement au-dessus de sa tête. Est-ce que son enfoiré de demi-frère resterait constant quant à son incapacité à le tuer ou finirait-il par changer d’avis ? Tous les jours qu’il passait avec cette putain de « Famille » de dégénéré lui prouvait à quel point il était mieux seul. A moins qu’au fond, cela ne lui prouve juste à quel point il était seul pour être en marge de ceux-là même qui était des marginaux.

Il repensait à l’état dans lequel le chien était rentré. Il espérait sincèrement que sa blessure s’infecte même s’il se doutait que son crétin de demi-frère avait fait du bon boulot. Il en était là dans ces pensées quand un bruit de pas ce fit entendre. Lucy apparut, son visage doux le fixant pensivement. Elle semblait réfléchir. Probablement pesait-elle le pour et le contre de sa démarche de venir voir le rouquin au cœur de la nuit, surtout que cette fois-ci, Nev dormait non loin, trop mal en point pour aller se balader au milieu de la nuit. Elle finit apparemment par décider qu’elle était contre puisqu’elle tourna les talons. Elle devait probablement s’inquiéter pour l’autre là.

Jessy recogna sa tête contre sa cage. Il n’était pas vraiment déçu. Parce qu’il s’y attendait. De toute manière, il n’attendait plus rien de personne. Lucy lui pardonnait peut-être, mais cela ne l’obligeait pas à venir lui faire la conversation. Elle finirait forcément par se lasser. Il n’avait jamais été de très bonne compagnie. Connor le lui répétait souvent. Cette pensée lui tira un sourire sarcastique.

Le silence de la pièce fut malgré tout interrompu à nouveau et la jeune femme réapparue finalement.

- Bonsoir Jessy, tu ne dors pas.

Il nota d’un regard qu’elle tenait du tissu en main. Il lui répliqua, sans relever son aller-retour :

- Toi non plus.

Il se tut. Oui… il n’était toujours pas spécialement de bonne compagnie… Il aurait dû pourtant. Il était doué pour faire semblant. Il suffisait qu’il enjôle Lucy, qu’il l’attire assez prêt pour qu’elle soit à porter de main et il serait libre. Elle était déjà pas mal proche de lui. Il ne lui manquait pas grand-chose pour pouvoir la saisir.

En effet...

Elle montra ces jolies dents. Quand elle souriait, il la trouvait particulièrement belle.

J’ai pensé à quelque chose.

Elle montra son tissu. Etait-ce pour ça qu’elle était partie un peu plus tôt ? Jessy devait avouer qu’il ne comprenait pas ce qu’elle avait derrière la tête. Il l’observa donc, l’air sarcastique, un sourcil levé, dans l’expectative.

J’ai vu tes poignets la dernière fois, ça ne semble pas très agréable... je sais pas si ça peut aider mais si on te met ça entre ta peau et le métal ça peut peut-être aider.

Il tourna les yeux vers ces poignets. S’il est vrai qu’au début, ces chaines le gênaient au possible, et irritaient sa peau, il s’y était peu à peu habitué. Il ne remarquait même plus l’usure sur ses poignets. Lorsqu’on le libérait de ces chaines, il se sentait tellement léger qu’il aurait presque cru qu’elle était en réalité une nouvelle extension de son corps.

Si tu veux essayer... Jessy je n’ai pas envie de te les lancer, tu n’es pas un chien. Je peux t’aider à les passer, mais je te demande de me promettre que tu ne feras rien de regrettable si je m’approche.

Il eut un sourire mauvais. Pour quoi est-ce qu’elle le prenait au juste ? Il devait avouer qu’il était touché qu’elle ai remarqué ça, et qu’elle essaye de l’aider. Il aurait pu juste accepter sans faire de son nez. Lucy aurait probablement été contente qu’il le fasse. Et puis, cela lui aurait permis de l’atteindre…

Si tu ne t’en sens pas capable, je peux les laisser rouler d’ici.
Pensait-elle vraiment que les choses soient si simples ? Il la regarda de ces yeux dorés, sans effectuer le moindre geste. Il la trouvait fascinante. Il lui répondit finalement :

- Je n’ai jamais eu peur de trahir une promesse, tu devrais éviter ce genre de deal avec des personnes comme moi. Tu serais forcément déçue à la fin.

Lucy ne pouvait pas espérer faire un pacte de ce genre avec lui. Il aurait probablement juste du lui promettre et en profiter, mais il avait peur qu’elle ne reproduise ce genre de comportement avec d’autres personnes, bien moins intentionné que lui. Il voulait juste sortir, il ne souhaitait pas la blesser. Pas certains que ce soit le cas de tout le monde dehors. En même temps il aimait cette imprudence qu’elle avait de croire ce que les autres disaient. Sans cela, elle ne serait probablement pas là, à lui parler.
Puis, brisant probablement ces espoirs de l’aider, il continua :

- Mais que crois-tu que Donatien Elpida dira demain lorsqu’il me trouvera affubler de ça. C’est peut-être un parfait imbécile, mais je suppose qu’il le remarquera.

Donatien n’est pas un imbécile Jessy. Mais peu importe. Donc je suppose que tu ne les prendras pas et que tu ne souhaites pas mon aide. Tu aurais pu les cacher et au moins les utiliser la nuit.

Il haussa les épaules. Donatien était un abruti. Qui d’autre pour engager son demi-frère en lui spécifiant vouloir le voir détruire l’institut pierre par pierre, et après, regrette qu’il n’ai a buté un ou deux patients ? Franchement, niveau cohérence, il avait vu mieux. Ce petit con ne savait pas la chance qu’il avait eu que son père ne dirige pareil empire. Il avait fait n’importe quoi, et voilà où il échouait. Le père de Jessy lui ne l’avait même jamais reconnu. Il regarda Lucy s’asseoir, très prêt…

Je voulais simplement te proposer une trêve.

Elle avait l’air déçue. Mais bon… ce n’était pas vraiment la faute du rouquin. Il ne prendrait jamais le risque d’être prit avec quelque chose qui ne lui appartenait pas. D’ici là que son frangin ne décide de lui couper la main pour lui apprendre…

Bon alors ne promet pas,

Il la regarda s’approcher des barreaux. Comme la dernière fois… C’est une occasion qui ne se représenterait pas. Il DEVAIT sauter dessus. Elle ne pourrait pas dire qu’il ne l’avait pas prévenue.

Donne une main, je vais voir si ça fait l’affaire.

Elle tendit sa main par-delà les barreaux. Il se saisit de sa main, la tira sans ménagement vers l’intérieur de la cage. Le reste de son corps à elle suivi en direction de la cage, il passa sa main libre -si l’on négligeait ces chaines bien sur- de l’autre côté des barreaux pour attraper sa tête avant qu’elle ne heurte l’acier. Sa main rentra en contact avec la joue fraiche de la jeune femme. Leurs visages étaient proches, séparé par à peine plus que l’épaisseur des barreaux. Il tenait toujours son bras, sa main agrippée à son poignet. Le geste avait été violent, vif et précis. Elle n’avait pas poussée le cri qu’il se serait attendu à entendre et qui aurait alerté les autres. Ne tenait-elle donc pas à la vie ? Il n’avait jamais scruté son regard d’aussi prêt. Il l’alerta :

- Tu joues avec le feu Lucy…

Elle le regardait comme si elle ne le voyait pas tel qu’il était. Ou plutôt, elle ne le regardait comme personne ne l’avait regardé. Comme s’il lui mentait depuis tout ce temps. Comme s’il lui avait fait croire qu’il était une autre personne. Comme on aurait pu le regarder avant les incidents de l’été, quand il jouait encore la comédie. Comme s’il était moins mauvais qu’il ne le laissait paraitre. Elle avait tort. Il était exactement ce qu’il laissait transparaitre lorsqu’il était avec elle.

La main de Lucy caressa doucement la joue de l’homme. Un geste bien loin de ce qu’il aurait pu imaginer. Il relâcha la pression sur son poignet, imperceptiblement. Il aurait su quoi faire si elle s’était débattue, si elle s’était laissé faire en pleurant ou en étant terrorisé. Il aurait su quoi faire s’il avait lu du regret dans son regard, un sentiment de trahison ou tout simplement de la peur. Là, il ne savait pas.

- Je suis désolée Jessy... mais je n’ai pas peur de toi.

Il affrontait son regard. Elle ne flanchait pas. Ses yeux dorés étaient menaçants pourtant, il se sentait vraiment en colère, perdu par cette situation, il savait la force de son regard. Elle ne flanchait pas. Et ce qu’il lisait dans ses yeux, ce qu’il n’avait jamais lu nulle part, il ne voulait pas le perdre.

Alors, après de longues minutes à se regarder dans le blanc des yeux, il relâcha toute la tension en une fois. Ces doigts libérèrent le visage et le bras de Lucy.  Ses yeux dorés, qui n’avait pas pour habitude de se détourner pour autre chose que faire preuve de dédain, allèrent se ficher dans le sol. Il poussa un long soupir dont il était difficile de définir ce qu’il signifiait. La main de Lucy lui brûlait presque la peau alors qu’elle était si fraiche. Il recula vers le fond de sa cage, fuyant son contact.  

Il se sentait perdre la bataille. Il se sentait perdre la bataille et il savait ce que cella lui coutait. Il ne comprenait pas. Il était en colère, agacé de sa propre réaction. Était-ce à force de vivre en cage qu’il ne finissait par s’en contenter ? Était-il en train de devenir un petit animal docile que l’on nourrit et avec lequel on joue le soir ?

Il glissa ses bras autour de ces jambes, ces deux yeux retournant à Lucy pour l’observer, une lueur étrange dans le regard, le visage figé par une colère différente. Comme une proie surveille que son prédateur ne s’apprête pas à la dévorer. Ce n’était peut-être pas elle qui avait peur de lui en effet. C’était peut-être lui qui avait peur d’elle…

Il n’avait pas dormi de la nuit. Malgré la fatigue, il ne parvenait pas plus à dormir ce soir… Il tenait dans sa main le morceau de tissus qu’elle lui avait laissé. Il ne s’était pas décidé à l’utiliser ni à le jeter discrètement. Il le regardait, coincé entre ces doigts, à se demander ce qui lui arrivait. En réalité il le savait très bien, il ne pensait juste pas cela possible. Il avait eu peur la veille. Parce qu’il se connaissait. Il savait qu’il n’était pas une bonne personne, et ça ne le dérangeait pas. Pas quand cela ne le concernait que lui. Mais au sujet de Lucy… c’était différent. Enfin ! De toute manière, vu sa réaction d’hier, il supposait que le problème était réglé…

Pensif, il sursauta lorsque Lucy pénétra dans la cuisine. Il cacha brusquement le bout de tissu dans son dos. Mais elle ne le regardait pas. Pas vraiment… elle déposa un coussin, sans bruit avant de repartir. Lorsqu’elle revient avec une couverture et s’apprêta à repartir, il l’interpella en chuchotant :

- Lucy.. Lucy qu’est-ce que tu fais ?

Elle l’ignora et continua son manège. D’abord interloqué, il ne comprenait pas. Et la jeune femme continuait obstinément de l’ignorer. Elle était en train de ramener toutes ses affaires dans la cuisine.

- Lucy, qu’est-ce que tu fous ? Qu’est-ce que Donatien Elpida va penser s’il te trouve là ? A quoi tu penses ?

Derrière sa voix pleine de reproches, une appréhension dissimulée. Lucy se rapprocha finalement. Une nouvelle fois, ces doigts touchèrent les barreaux. Jessy la regarda indécis. Elle semblait le voir sans le regarder… Il comprit enfin. Elle faisait une crise de somnambulisme. Il ne savait pas trop en quoi cela consistait mais il savait que cela pouvait être dangereux. Parce qu’elle aurait pu se blesser en tombant ou un truc du genre. Il attrapa donc sa main froide, l’enfermant entre ces doigts. Il ne savait pas trop s’il pouvait la réveiller ou comment s’y prendre. Il ne pensait déjà pas possible qu’un somnambule se mette à déplacer ces affaires comme elle venait de le faire.

Hors de question d’appeler son connard de demi-frère cela dit. Il redoutait de la réaction de ce dernier s’il trouvait Lucy ici. Et ce qu’il ferait pour empêcher la jeune somnambule de se promener jusque là au milieu de la nuit. Il savait le médecin capable de faire dormir Jessy dehors, à la porte du bunker au besoin.

Il lève les yeux vers elle lorsqu’elle se met à parler :

- Tu es perdu?

Sa question n’a pas de sens… Est-elle… Est-elle réveillée ? Décidemment, la jeune femme a l’art de le déstabilisé ces derniers temps. Deux soirs d’affilés, toujours de nouvelles surprises.

- Lucy ?

Pas de réponse. Elle dort. Elle dort éveillée. Et vu qu’il est tout seul avec une rêveuse, cela lui tire un sourire sincère. N’est-ce pas le propre de Lucy au fond ? Ne voit-elle pas toujours le monde à travers les yeux d’une rêveuse ? Pour continuer à lui parler, c’est forcément ça. Son visage dénué de sa verve habituel reprit cependant vite les formes auquel il était habitué. Sa bouche reprenant un air plus sérieux.[/b]

- Pourquoi tu ne me laisses pas entrer ?[/b]

Elle s’agite un peu. Il se redresse, sur ces genoux. Doit pencher la tête pour ne pas se cogner au haut de sa prison d’acier. Il se tourne complètement vers elle. Il essaye de trouver sa seconde main, mais elle lui échappe. Il essaye de la calmer juste en lui parlant, sans grand succès :

- Chuuut, ce n’est rien…

Il tente de l’apaiser mais ça ne fonctionne pas vraiment, elle n’a pas l’air de faire un rêve agréable. Son visage crispé le regarde sans le voir. Impossible de se saisir de son autre main. Il passe la sienne à travers les barreaux, essayant de rester discret malgré sa chaine qui teinte au contact des barreaux. Si son demi-frère se ramène, ça va être sa fête.

- Tu ferais quoi si tu n’avais pas peur ?

Elle dort toujours alors… Il lui répond, avec une honnêteté confondante :

- Si je n’avais pas peur de tomber amoureux ? Je t’embrasserais probablement… Allez… calme toi maintenant.

De toute manière, elle dort. Il se concentre plutôt sur un moyen de lui venir en aide malgré les barreaux. Il tient toujours l’une de ces mains, qu’il a emprisonnée. En se collant à sa cage, le cou un peu tordu, ses cheveux frottant sur le haut de sa prison, il parvient finalement à l’attirer un peu plus prêt, son bras venant se poser dans le dos de la jeune femme. Il remonte la main jusque dans ses cheveux blancs, l’attire jusqu’à ce que sa tête rencontre son épaule, qui se trouve maintenant coincée entre les barreaux.

De profil, comme ça, il ne peut l’observer que du coup d’un œil. Ce n’est probablement pas la position la plus confortable, mais il ne sait pas trop comment la réconforter d’autre. Il faut qu’elle se calme. Il faudrait aussi qu’elle se réveille d’ailleurs… Mais une chose à la fois.

Elle sembla enfin s’apaiser un peu. Jessy l’observait. Son œil se fermait doucement… Un somnambule pouvait-il doublement s’endormir ? Il n’en avait pas la moindre idée. Mais malgré l’inconfort de sa position, et la peur que Lucy ne glisse sous le poids du sommeil,
Jessy a lui aussi les yeux qui se fermaient. Probablement des résidus de sa nuit blanche. Il lutte encore quelques minutes, puis il se sent glissé doucement, bercé par la respiration de sa rêveuse. Il ne dort que d’un œil cependant, à peine plongé dans le confort du sommeil.

Sa main enchainée finit par glisser doucement. L’autre est toujours bien agrippée. C’est là que Lucy émerge. Sa main échappe à Jessy, ce qui le surprend et le réveil en sursaut lui aussi. Elle tape avec ces mains, touche le visage du rouquin mais pas fort, car elle est bloquée par les barreaux. Par contre, lorsqu’il se prend un coup dans le flanc, Jessy se retient de ne pas pousser un cri surpris. Se mordant la langue, il retient la douleur réveillée de sa blessure de cet été. Il a déjà vécu bien pire.

Le calme d’il y a quelques secondes se transforment en une espèce de chaos. Lucy porte ces mains à son visage, trop écartée de lui désormais. Elle porte ces mains à son œil absent. Celui qu’il lui a transpercé sans la moindre hésitation. Elle semble à deux doigts de pleurer ou de pousser un cri de détresse. Jessy la regarde impuissant. Une main accrochée à ces barreaux, l’autre en direction de la jeune femme. Il ne la touche pas cependant. Elle est trop loin. Trop loin de lui. Il chuchote mais un peu trop fort :

- Lucy… Calme toi Lucy… Arrête !

Il a peur qu’elle ne s’arrache son bandage. Qu’elle ne se blesse. Qu’est-ce qu’elle fout putain ? Il pousse sur ces barreaux, comme si cela pouvait lui permettre de venir en aide à la jeune femme. Mais il est impuissant. Une nouvelle fois. Des souvenirs qu’il préfère oublier remonte à la surface. Il pousse plus fort sur les barreaux, se fait violence, son épaule entière passe à travers désormais. Mais cela coince toujours au niveau du torse. Il agite le bras, impuissant. Putain de merde.

Dort-elle toujours ? Doit-il appeler Donatien ? Cette idée le répugne au plus haut point, mais il n’a pas vraiment le choix… Il s’apprête à appeler son ainé à regret. Il ne peut pas regarder Lucy se blesser sans rien faire…

Alors qu’il manque d’appeler apprès quelqu’un, Lucy se calme finalement. Il n’est pas sur qu’elle soit réveillée cela dit. Elle pourrait encore se blesser. Il l’observe, se frotter l’œil qu’il lui reste. S’il ne l’avait pas poignardée rien de tout ça… Il balaya cette pensée aussi vite qu’elle était venue se loger dans son esprit. Il lui avait dit qu’il ne regrettait pas. Ce n’était pas son genre. Les regrets, c’était bon pour ceux qui pensaient avoir commis des erreurs. Lui ne commettait pas d’erreur. Lucy semble réveillée parce qu’elle regarde autour d’elle, étonnée d’être là.

- Jessy... tu m’as appelé. Je t’ai entendu...

Il laisse retomber sa main. C’est bon. Il est soulagé. Cette crétine va laisser son bandage tranquille. Il ne va pas avoir à prévenir les imbéciles de la pièce d’à côté. Il espère juste ne pas avoir fait trop de bruit.

Je ne comprends pas...

Jessy n’ose pas bouger, comme prit en flagrant délit. Il faudrait qu’il dégage son épaule, la pression des barreaux sur son acromion et le début de sa clavicule lui laisse une sensation désagréable. Lui non plus ne comprenait pas. Il savait que cette idiote était somnambule pourtant. Il l’avait appris autour d’une tasse de thé. Mais c’était la première fois qu’il la voyait en action.

Jessy... je suis désolée.

Elle pouvait bien s’excuser… Il finit par dégager son épaule, se laissant glisser sur les fesses, seul le bras dépassant encore de sa prison. Elle se rapproche, prend la main du rouquin pour la poser sur sa joue. Elle a toujours la peau si froide…  Il trouvait cela apaisant. Et en même temps, il aurait voulu la tenir contre lui pour l’aider à se réchauffer.

Merci de m’avoir appelé... merci.

Jessy ne peut empêcher une caresse de son pouce sur la pommette de la jeune femme. Lorsqu’il s’en rend compte, il cesse son mouvement.

- Putain.

Il parait énervé sur elle. Comme si tout cela était de sa faute. Ces yeux dorés brulent de quelque chose qui se rapporte à une forme de colère. Le problème est qu’il ne sait pas contre qui la diriger.

-  Ne me refait plus jamais ça.

La phrase sort comme une menace. En tout cas, il a déjà menacé des gens en utilisant exactement ces mêmes mots. S’il y a une chose que l’homme déteste par-dessus tout, c’est cette impuissance. Depuis qu’il était enfermé, il n’avait plus le contrôle sur rien. Aujourd’hui plus que jamais, cela le rendait amer et furieux.

Tu acceptes que je reste encore un peu ?

Il hocha la tête, le visage fermé. En temps normal, il aurait probablement refusé. Oui il aurait fini par se décider à se servir de Lucy comme d’un laisser passer pour quitter le bunker. A vrai dire, depuis qu’il y avait pensé la première fois, cette idée qu’il ne parvenait à accomplir était presque devenu une obsession. Enfin, c’était ce dont il se persuadait. Pourquoi d’autres aurait il pensé à Lucy autrement ?

Tu veux bien, juste un peu, me flatter les cheveux..?

Décidemment… Elle lui en demandait beaucoup... Elle ne se rendait probablement pas compte à quel point. Il poussa un soupir, comme si on lui demandait une corvée, mais pourtant il s’exécuta sans discuter. Sentir sa tête sous sa main était apaisant. Il glissait les doigts dans ses cheveux avec douceur. Jessy n’était pas un homme totalement solitaire. Il avait eu pas mal d’aventures d’un soir depuis la mort de Kalye. Mais plus jamais il n’avait caressé les cheveux d’une femme comme ça. Tout comme il n’avait plus jamais discuté à cœur ouvert, comme il avait discuté avec Lucy.

Quand est-ce que les choses basculeraient ? A quel moment se rendrait-elle compte de son erreur ? Il continuait de lui caresser doucement les cheveux, pensif. Il la revoyait au sol, ces mains cherchant à retrouver la vue. Sa voix retentit sans qu’il ne lui ai permis de prendre la parole :

- Lucy ?

Elle avait créé une brèche. Peut-être qu’après ce « Lucy » interrogatif, il aurait voulu s’excuser. Mais s’excuser, c’était renoncer à être lui-même. Alors rien ne suivit, et il continua de lui flatter la tête. C’était agréable d’être juste là. Tout proche d’une présence humaine bienveillante. Ce n’était peut-être pas très confortable, mais c’était déjà pas si mal.

Apparemment, sa question en demi-teinte n’était pas passé dans l’oreille d’une sourde. Lucy demanda finalement :

- Oui ?

Elle attendait une suite. Il resta silencieux. Comment comble-t-on un silence que l’on a soit même initié ? Il aurait pu s’enterrer dans le mutisme, mais ce n’était pas son genre de fuir face aux autres. Il cessa son mouvement dans les cheveux de la Canadienne. Il devait être sincère avec ce qu’il ressentait. Il n’était pas totalement imbécile. Il avait toujours fait corps avec ces émotions, particulièrement avec sa colère et sa haine. Il n’avait pas eu peur d’aimer la première fois, s’il avait peur maintenant, il se trahissait.
Lucy n’avait pas besoin de savoir cela dit. Il était des choses qui étaient mieux lorsqu’elles restaient enfuies. Ils n’étaient pas bon de tout dire. Sa main commença à se balader naturellement le long de la tempe de la jeune femme. Il reprit finalement :

- Si un jour tu es tellement déçu par le monde que tu ne souhaites plus en faire partie…

Il savait ce qui était effrayant. C’était de ressentir quelque chose dans le vide infini qui le rongeait depuis des années. Sentir quelque chose qui pouvait potentiellement disparaitre pour le renvoyer au vide justement.

- Laisse-moi le temps d’arranger les choses.

C’était présomptueux de sa part de penser cela. Probablement parce que c’était en cherchant à arranger les choses qu’il avait perdu Kalye. Mais il ne reproduirait pas les mêmes erreurs… Il devait juste faire en sorte que Lucy soit au courant qu’il était là pour elle. Qu’il serait là pour elle en cas de soucis. Et qu’elle n’avait pas besoin de fuir le monde. Qu’il serait capable de la débarrasser de tout ce qui l’y gênait.

- Arranger les choses... tu ferais ça pour moi ?

Jessy repassa doucement la main dans les cheveux de Lucy. Ils avaient probablement une vision différente de la manière d’arranger un problème, mais est-ce que le cheminement avait vraiment de l’intérêt ? Le résultat ne l’était-il pas plus ? Jessy ne se rendait pas compte à quel point il n’avait pas appris de sa première relation.

- Tu... non...Je ne veux pas que tu arranges les choses pour moi... on arrangera les choses.

Ensemble ? Pouvaient-ils arranger les choses ensemble ? Jessy en doutait. Ils étaient trop différents. Ils n’auraient jamais la même vision du monde, et de toute manière, ce n’était pas ce que souhaitait le rouquin. Il ne cherchait pas un double de lui-même. Il ne cherchait pas un être rempli de tout ce qu’il détestait. De tout ce qu’il était.

Mais ils n’auraient qu’à faire chacun leurs parts. Lui serait l’ombre, elle la lumière. Il trouvait ça beau. Mais la lumière pouvait-elle survivre à l’ombre ? Son ombre dévorante qui progressait sans se poser de questions. S’il détruisait tout ce qu’il y avait de beau en Lucy, lui faudrait-il ensuite l’anéantir ?

Il n’avait rien raté du spectacle auquel il avait assisté. Le chien avait bien ramassé et la situation l’aurait presque ravi. Parce qu’elle révélait enfin la vraie nature de Donatien. Et parce que c’était son petit toutou qui en avait subi les conséquences cette fois-ci. Il caressa doucement la tête de Lucy. Il revoyait son visage ce jour-là. Donatien était un abruti.

- On fera de notre mieux alors…