Il était très tôt. Le soleil n’était pas encore tout à fait lever mais le rouquin savait qu’il faudrait qu’il s’en aille rapidement. Qu’il retourne à la forêt. Qu’il aille dormir. La nuit se terminait.

Je t’attendrais, on trouvera un bateau, ou un endroit d’où l’on voit l’océan. Si tu réussis à voir plus loin, si tu veux de tout ça et si tu me pardonnes, peu importe je t’attendrais.

Jessy fixait avec rage l’océan. On trouvera un bateau… Il n’y avait pas de bateau. Juste le bleu immense de l’océan. Il revenait des falaises, de là où ils avaient laissé une dernière trace de Lucy. Il fixa son attelle. Le tissu blanc qui l’avait aidé à supporter le poids de ces chaines supportait maintenant son pouce douloureux. Ces derniers jours, il s’était efforcé de survivre, laissant son instinct de conservation prendre le dessus.

Maintenant la Colère revenait. Plus forte que jamais. Elle dévorait sa lucidité. Elle dévorait son cœur. Assis sur le bord du ponton du port, il fixait un reflet dans l’eau. Les égratignures laissés par les deux coups répétés de Nevrabriel avaient facilement cicatrisé, il n’en gardait que quelques croutes qui finirait par tomber. Ne lui restait plus que sa fracture de l’os temporal. Ce n’était pas cela qu’il fixait, c’était le tissu blanc de sa main qui se reflétait dans l’eau. Sa propre image le dégoutait trop pour qu’il ne s’y attarde. Il avait jeté son bonnet dans l’eau, pour le faire disparaitre un peu plus tôt, ce reflet fatigué et terne de lui-même. Un geste stupide. Ce dernier avait coulé sous ses yeux. Il avait dû relever sa capuche pour abriter son visage et ces cheveux roux vifs des regards indiscrets. Et pourquoi finalement ? Son reflet était revenu caresser la surface de l’eau comme si rien de tout cela ne s’était produit.

Il avait pensé demander à Graham de rejoindre sa milice mais sans sa parfaite audition… Le bourdonnement ne le quittait plus. Une ombre persistante qui brûlait ces nuits. Il avait comme une radio mal réglée en permanence accroché à l’oreille. Son flanc, maintenant son oreille. Même s’il quittait cette île de malheur, pourrait-il continuer ce qu’il avait toujours fait ? Il avait perdu sa vivacité. Maintenant il perdait partiellement son audition. Le tout puissant Jessy tombait de haut.
Putain.

Il trouverait d’autres moyens… Il savait que ce serait difficile. Mais c’était la seule promesse qu’il ne soit jamais parvenu à tenir. Il déroula le bandage de sa main. Le tissu qui le reliait encore à elle. Le morveux idéaliste avait eu raison au moins sur un point. Il ne la méritait pas. Il ne l’aurait jamais mérité. Peut-être était-ce pour cela qu’il l’avait perdu. Il le jeta aussi fort et loin qu’il ne le put. Son geste ponctué d’un cri de rage. Il vit le tissu s’enfoncer, ballotter à son tour par l’eau. Mais au contraire du bonnet, le voir s’enfoncer dans l’eau ne faisait aucun bien à Jessy.

Putain.
Il n’hésita pas longtemps. Putain. Putain. Putain. Qu’il était con parfois. Il se laissa glisser du ponton, nagea en direction du dernier endroit où avait flotté le bout de tissu, et plongea dans l’eau salé. Il ne voyait rien dans les eaux troubles. Putain. Il brassa l’eau, s’enfonçant à la recherche du tissu. Sa main valide rencontra bien vite sa cible qu’il agrippa fermement. Son regard larmoyant à cause de l’eau salé dans ses yeux remonta vers la surface qui était faiblement éclairé par le lever du soleil. Ses vêtements imbibés d’eau le tiraient vers le bas. L’eau était comme une multitude de bras qui l’attirait vers le fond. Dans ce silence assourdissant, il ferma les yeux. L’eau n’avait rien avoir avec la texture poisseuse du sang de ces cauchemars. Elle avait quelque chose d’apaisant. Il aurait été simple de se laisser bercer par l’onde. De se laisser glisser dans des ténèbres toujours plus sombres.

Mais la rage de vivre qui avait maintenu Jessy en vie lors de chacune de ces altercations le priva de cette paix. Il battait des jambes pour remonter à la surface et y parvient sans grande difficulté, inspirant avec avidité l’air salin, malgré la chaine toujours accrocher à son pantalon qui l’alourdissait. Ces doigts atteignirent le bois sec d’un des piliers du ponton. Ses bras et ses jambes s’y accrochèrent. Il essaya de se hisser pour remonter sur le ponton.

Jessy avait du mal à remonter. Sa main blessée refermée sur le bout de tissu ou son ouïe qui le déséquilibrait, il n’aurait su dire lequel de ces facteurs l’en empêchait, mais il ne parvenait pas à se hisser sur la surface rugueuse du quai. Putain. Il était stupide… Il avait le cœur qui battait dans son cou sous l’effort.

Alors qu’il forçait sur ses jambes pour atteindre le ponton, une silhouette arriva en courant. Il cligna des yeux pour chasser les gouttes d’eau de mer qui l’aveuglait encore. Qui que ce soit, il espérait ne pas tomber sur quelqu’un qui lui en voulait de quelque chose et qui trouverait amusant de l’aider à retomber à l’eau…

Une main tendue, il n’allait pas prendre la peine de dévisager son sauveur avant d’être tirer de là mais cette main… Il ne put s’empêcher de laisser ses yeux glissés le long de cette main familière, pour remonter jusqu’à son visage. Il manqua de lâcher le pilier, sous le choc. Il cligna des yeux mais cette fois-ci pour s’assurer qu’il ne virait pas fou :

– Lucy ?

Un rêve ? Son imagination ? C’était-il finalement laisser couler ? Est-ce qu’il était mort ? Etait-elle en réalité une sirène qui l’envoutait pour l’entrainer dieu sait où ? Elle était là, à genou en robe de nuit, comme un fantôme qui viendrait le hanter. Mais Jessy ne croyait pas au fantôme. Ni aux sirènes. Ni à rien de tout cela. Et il n’était pas du genre à s’imaginer les morts. Les morts étaient bien où ils étaient. Alors… Que faisait-elle devant lui ?

Se sentant glisser, il attrapa finalement sa main. Il aurait cru passer au travers. Il aurait presque pu croire qu’il devenait cinglé. Mais non. Il tenait sa main dans la sienne. Il s’aida de ce nouvel appui pour se hisser définitivement hors de l’eau et se laisser tomber sur le bord du quai, Son cœur battait toujours très vite et il était un peu essoufflé. Il avait l’oreille qui sifflait, comme si le contact avec l’eau et la pression du liquide n’avait pas été apprécié par son tympan abimé. Il dégoulinait d’eau de mer. De l’eau glacée.

Mais ce n’était pas tout ça qui comptait. Il se sentait bizarre. Rempli de colère l’instant d’avant, il se sentait… il ne savait pas. Juste bizarre. Jamais il n’avait ressenti ça auparavant. Il tourna la tête vers la jeune femme agenouillée à côté de lui comme s’il la découvrait, comme s’il la voyait pour la première fois.

– Tu… n’es pas… morte…

Il ne comprenait pas. Les membres du bunker lui avait mentit ? Tout cela était-il un immense complot ? Pourquoi alors Donatien Elpida lui paressait si blessé ? Et pourquoi Lucy l’aurait-il aidé à sortir de l’eau alors ? Pourquoi le morveux l’aurait-il libéré ? Il ne comprenait rien. Sa cage thoracique se soulevait et s’abaissait au rythme de son souffle. Il ne comprenait pas… Il ne comprenait pas. Peut-être n’osait-il pas y croire de peur de la chute qui suivrait si tout cela n’était pas réel. Peut-être était-ce pour cela aussi qu'il n'osait plus cligner des yeux, son regard perdu sur le visage de Lucy.

- J’avais promis...

Elle avait promis… Jessy le savait. Il avait été tellement en colère lorsqu’il avait pensé qu’elle avait trahit sa promesse. Vidé une seconde fois de tout le reste. Pas une seconde il n’avait pensé que ce n’était pas le cas. Il avait d’abord cru à un complot, puis avait dû se faire à l’évidence. Lucy était morte. Et maintenant, elle était devant lui ? Mais alors… Qui avaient-ils retrouver en bas de la falaise ? Il se remémorait ces passages sur la croix de Lucy. Il comprenait mieux pourquoi elle se trouvait sur les rochers. Ils n’avaient pas trouvé de corps… Elle n’’était pas morte… Il n’avait donc pas besoin de terre pour enterrer qui que ce soit… Lucy n’était pas morte…

Un millier d’autres questions lui traversèrent l’esprit. Etait-ce pour cela que son pote lui avait ouvert la cage ? Etait-ce pour cela qu’il n’avait pas l’air assez triste ? Est-ce qu’elle se cachait de Donatien ? Ou de lui ? Ces questions furent balayées par les mots qui sortaient de la bouche de la jeune femme.

- J’attendais...

Elle attendait… Elle l’attendait ? Il cligna des yeux. Ces yeux le picotaient, c’était… agaçant. Ils restèrent encore un moment à se regarder sans bouger. Comme si le moindre mouvement pouvait faire basculer la balance. Comme si Lucy pouvait disparaitre à nouveau. Autour d’eux il n’y avait plus rien. Il n’y avait plus qu’elle. Il avait l’impression d’avoir coincé un truc dans sa gorge. Il avait tant de choses à dire, mais rien ne venait… Il avait toujours sa main blessée fermée sur le tissu qu’il venait de repêcher. Il le tenait si fort que ça en devenait ridicule.

Il se redressa, s’appuyant sur sa main valide. Au lieu de se lever, il resta à genou comme Lucy, restant à sa hauteur. Après avoir frotter sa main sur ces vêtements pour en chasser les crasses, il attrapa celle de Lucy doucement. Il redécouvrait cette main, sa douceur, il glissait ces doigts le long des siens, comme s’il voulait en retenir chaque détail. Les yeux rivés sur ce contact entre eux.

Malgré sa baignade, les doigts de Jessy restaient brulants en comparaison avec ceux de la jeune Canadienne. Pourtant c’était ce contact qui le brulait. Mais au lieu de le fuir comme il avait pu le faire dans sa cage, il l’embrassa en se jetant dans les flammes. Il l’attira contre lui autant qu’il ne se jeta dans ses bras. Tant pis s’il était trempé, tant pis si tout cela était contre nature, tant pis s’il la blessait parce qu’il n’était pas fait pour construire, parce qu’il n’était qu’un monstre enragé. Il s’en fichait. Il l’avait retrouvé. Elle l’avait attendue…

Ces bras se refermèrent sur son corps frêle. Les yeux fermés, la tête enfouis contre son épaule, il respirait à nouveau son odeur.  Cette fois-ci, aucuns barreaux entre eux pour l’empêcher de la serrer contre lui. Ces yeux picotaient toujours, il les ferma. Un peu d’eau de mer dégoulinait le long de sa joue. Ce n’était pas des larmes… Jessy ne pleurait pas… Il ne savait même pas comment faire… Il la serrait si fort contre lui qu’il aurait presque eu peur de la briser, mais il avait besoin de la sentir là. De la sentir vivante. Il ferma la mâchoire pour empêcher ces lèvres de tremblées.

Il découvrait une émotion nouvelle. Il découvrait l’immense soulagement de retrouver quelqu’un qui vous attendait. Il découvrait ce que c’était que de ne pas être seul contre tous, à chercher à assouvir une Colère qui n’en avait jamais assez. Il aurait voulu s'excuser de l'avoir fait attendre... Mais le jeune homme n'avait pas l'habitude de s'excuser. Puis l'émotion qu'il ressentait l'empêchait de s'exprimer.

Elle passa une main dans ces cheveux trempés, faisant tomber des gouttelettes salées dans son cou. Retrouver un contact humain, mais surtout la retrouver elle lui laissait une sensation bizarre. Comme s’il reprenait lui aussi un peu vie. Comme si elle venait de le sauver de la noyade.

-Tu es là.

Sa voix… Il eut un petit rire soulagé. C’était stupide. Tous ces jours à se trainer, ce vide à l’intérieur de lui dans lequel il avait eu peur de sombrer définitivement. Cette horrible vérité qu’il l’avait détruite. Qui l’avait poussé dans ces retranchements. Mais elle était là… Elle était là… Il la serrait contre lui. Il entendait son cœur battre, sa respiration s’échapper de ces lèvres. Il lâcha le bout de tissus pour mieux la tenir, comme s’il avait peur qu’elle lui échappe. Elle tremblait… était-ce à cause de lui ? Lui faisait-il peur ? Ou était-ce le froid du vent sur ces vêtements trempés ? Il savait comment l’aider à avoir moins froid.

Il attrapa sa tête entre ces deux mains, malgré la foulure de son pouce, il n’avait pas mal. Observa son visage. Ce visage qu’il avait cru ne plus jamais revoir. Il caressa doucement sa joue de la main. Son regard fiévreux la dévorait. Détaillait chacun de ces traits qu’il retrouvait, qu’il redécouvrait. Les mots ne suffisaient pas pour exprimer ce qu’il ressentait.

Il l’embrassa finalement, alors qu’une bourrasque de vent venait jouer dans leurs cheveux. Un baiser débridé, impétueux, presque enragé. Ces mains glissèrent, l’une lui caressant le dos, l’autre s’enroulant autour de sa nuque. Un baiser passionné, il attrapa délicatement sa lèvre inférieure du bout des dents avant de libérer ces lèvres. Ce baiser l’avait essoufflé, entrainant son cœur dans une chamade plus rapide. Puis comme une mer capricieuse, après ce geste violent, presque brûlant, il se contenta de faire glisser sa main de la nuque de la jeune femme jusque dans ses cheveux, puis à nouveau le long de sa joue avant de lui caresser les lèvres du bout des doigts.

Je t’aime.

Ces paroles… Depuis quand ne les avait-il plus entendus ? Il ne parlait pas des « je t’aime » glisser sensuellement à l’oreille au lit lorsqu’il couchait avec une femme. Pas ces faux « je t’aime » dont il avait dû se nourrir parce que c’était tout ce qu’il lui restait, des « je t’aime » qui ne l’aimait pas plus loin que l’oreiller. En réalité, il pouvait chercher autant qu’il voulait, ce n’était jamais arriver. Pas même avec Kalye. Encore moins avec sa mère.

Elle l’aidait à mettre un nom sur l’étrange sensation dans le creux de son ventre. Cette sensation qui prenait trop de place pour qu’il ne se sente vide, pour qu’il n’ai besoin de compenser. Cette sensation qu’il n’avait pensé ressentir que pour une femme avant. Il n’était même plus sûr que cela avait été de l’amour. Pas le même amour que celui-ci en tout cas. Il posa son front sur celui de Lucy, profitant de sa proximité, profitant qu’il ne puisse enfin la serrer dans ses bras, la toucher. Leurs deux respirations formaient des petits nuages dans l’air frais du matin, se mêlant l’une à l’autre. Le cœur de Jessy battait à toute allure.

– Je t’aime.

Jessy n’avait pas peur des mots ou de se tromper. Il n’avait pas peur de dire ce qu’il ressentait, même si en l’occurrence, prononcé ces paroles lui donnait l’impression de se mettre à nu. Heureusement, Jessy n’était pas pudique. Il avait passé une main dans les cheveux de Lucy, pour les glisser tendrement derrière son oreille. Il avait l’impression qu’ils étaient seuls au monde.

Il avait l’impression d’enfin construire quelque chose. Qu’enfin quelque chose tournait rond dans sa vie. Qu’il se raccrochait finalement à quelque chose de vrai, d’existant. Il avait bien pu prétendre n’avoir jamais rien eu à perdre, Jessy n’était qu’un homme. Il pouvait mentir à tout le monde, se mentir à lui-même, il n’existait qu’une seule vérité. Il n’avait jamais rien eu à perdre avant Lucy.

Il embrassa la jeune femme jusqu’à manquer d’air. La perdre avait été une douleur intolérable. La retrouver le plongeait dans une étrange euphorie. Cet amour était intense, ravageur. Cet amour n’avait pas de sens mais il existait, alors il n’y avait pas de questions à se poser. Jessy embrassa son visage, puis ses lèvres se plongèrent dans son cou. Il voulait gouter chaque centimètre de son corps. Il n’avait plus juste les doigts et le visage chaud, il était brulant.

Ce fut Lucy qui rompit le contact la première.

Jessy... je... nous devons te sécher, tu vas attraper la mort. Je suis là, j’ai promis.

Le jeune homme hocha la tête. Elle avait raison… Elle aussi risquait d’attraper froid. Sa main tomba alors sur la raison qui l’avait poussé au plongeon de tout à l’heure. Jessy détourna les yeux gênés. C’était ridicule. Mais elle se contenta de glisser le bout de tissu dans sa main avant de se relever. Il hésita à récupérer le bout de bois qui lui servait d’attèle et qu’il avait déposé après avoir déroulé le tissu d’autour de son pouce. Renonça. Il n’avait pas vraiment envie qu’elle s’imagine qu’il puisse être en mauvais état. Il avait trop de fierté pour ça. Il attrapa la main qu’elle lui tendait pour se relever, et la garda dans la sienne. Il n’avait pas l’intention de la lâcher. Il se laissait guider, encore sous le choc de la savoir bien vivante. Le cliquetis des chaines accroché à sa ceinture les accompagnèrent.

Il la suivit, n’ayant pas la moindre idée de l’endroit où elle se cachait. Ils arrivèrent dans une espèce de local réaménagé juste à côté du quai, en haut d’une volée d’escalier. Il détailla la pièce, une fois à l’intérieur, avec une certaine méfiance. Il n’aurait su dire pourquoi mais il se sentait à l’étroit entre ces quatre murs. L’endroit était fort sombre, mais drôlement bien aménagé… Lucy n’avait pas eu le temps de faire tout ça toute seule… L’autre morveux devait être dans la combine, c’était certain maintenant…

Toujours le sourire aux lèvres, Lucy l’entraina vers le feu, qu’elle attisa un peu. Il se laissa faire, s’asseyant sans un mot. Comme un contrecoup de ce trop pleins d’émotions qu’il avait ressentit en redécouvrant la jeune femme, ou alors parce que son horloge biologique complètement déréglée le suppliait d’aller se coucher, il se sentait épuisé. La chaleur du foyer tranchait avec tout ce qu’il avait vécu depuis qu’il était sortit du bunker. La pluie, le vent, le froid. Jusqu’ici, il ne s’était pas vraiment rendu compte des efforts qu’il avait demandé à son corps. Trop vide pour s’apercevoir qu’il n’allait pas bien. Ces longues marches nocturnes pour récupérer de son emprisonnement et de la raideur de sa blessure de cet été avaient été déraisonnées.

Il était en train de tremper le sol à côté des flammes. Il profita que Lucy ne s’éloigne un instant pour pencher la tête de côté, comme s’il espérait faire sortir de l’eau de son oreille qui était particulièrement douloureuse. Mais rien. Putain d’eau de mer. Il tourna les yeux vers le dos de la jeune femme qui cherchait un essuis, comme s’il avait peur qu’elle ne s’en aille.

Elle revient finalement vers lui, s’installant à ces côtés. Elle le détaillait des yeux. Presque soucieuse. Il lui adressa un sourire insolent, comme pour donner plus de relief à son visage. Il était trop orgueilleux pour s’avouer épuiser. La chaleur du feu devait aider à lui donner des couleurs même si elle fatiguait son regard. Il l’observa aussi, la détaillant de la tête au pied sans aucune pudeur. Il était encore euphorique de la voir en face de lui. Il n’aurait jamais pensé la revoir. Il retira sa veste, son pull et son t-shirt trempés, réfléchissant au sujet qu’il allait aborder. Il aurait voulu savoir pourquoi elle ne l’avait pas prévenu. Pourquoi elle était restée si vague. Il aurait voulu savoir ce qui l’avait décidé à faire ce qu’elle avait fait. Et en même temps… Le passé était passé. Jessy n’avait pas tellement envie de revenir dessus. Il demanda finalement :

– Est-ce que... Est-ce que je peux rester dormir ici ?

Etait-il réellement le bienvenu ici ? C‘était chez Lucy… Jessy n'avait pas encore la force nécessaire pour voir sur le long terme. Ce dont il avait besoin actuellement, c'était de savoir où il allait dormir, et s'il allait devoir laisser Lucy. Il n'avait pas envie de la laisser...

Oui, bien sûr... mais pas comme ça.

Il baissa les yeux sur ces vêtements dégoulinant. Quel idiot il faisait… Lucy l’aida à se déshabiller. Il se sentit frissonner au contact de sa peau, mais elle restait concentrée sur sa tâche. Elle détourna les yeux comme une enfant alors qu’elle lui ôtait son t-shirt. Il eut un sourire amusé. Elle était bien vite intimidée… D’un autre côté… C’était peut-être mieux comme ça… La cicatrice de sa blessure de cet été étirant son flanc était laide, et son corps n’avait plus rien avoir avec celui, athlétique du jeune homme qui était entré à l’institut. Il lui faudrait encore du temps pour le réacquérir. Son corps tel qu’il était aujourd’hui ne méritait probablement pas d’être regardé… Lucy posa la serviette chaude sur les épaules de Jessy. Mais c’était le contact de sa main qui lui laissa la trace la plus brulante, ne lui laissant qu’un désir avide de la serrer contre lui, de la déshabiller elle aussi... Il n’eut pas le temps de la retenir de la main pour lui voler un baiser qu’elle était déjà debout. Il calma les battements de son cœur, essayant de gérer le fil de sa pensée.

Je... je te laisse retirer ton bas.. je vais te trouver quelque chose pour te couvrir en attendant. Je reviens dans une minute.

Elle était rouge jusque derrière les oreilles. Cette réaction fit sourire le jeune homme. Lucy était une jeune fille innocente qu’un simple pantalon faisait rougir. Il ne savait pas pourquoi, mais il trouvait ça plutôt mignon… Il se rendait aussi compte qu’il allait devoir y aller par étape avec elle… Leur relation s’éloignait des coups d’un soir auquel il avait été habitué, il allait devoir faire les choses dans l’ordre avec Lucy, il ne voulait pas la brusquer… Il mourrait d’envie d’elle mais ce n’était peut-être pas réciproque. Il se demandait désormais s’il n’avait pas déjà exagéré lors de leurs retrouvailles…

Il enleva ces chaussures, puis les vêtements qui lui restait, ne gardant que son sous-vêtement. Force était de constater que son désir n’était pas d’une grande discrétion… Enfin bon… Il se rassit, se concentrant sur le bourdonnement désagréable dans son oreille pour calmer un peu ces ardeurs, qu’il serve au moins à ça. Il n’avait plus 16 ans, il était capable de gérer ce genre de chose.

Il attrapa la serviette sur ces épaules pour frictionner ces cheveux trempés en attendant le retour de Lucy.

Il n’avait pas entendu Lucy remonter. Lui dont l’ouïe n’avait jamais fait défaut jusqu’à sa rencontre avec la paroi du bunker ne remarqua la jeune femme que lorsque cette dernière entra dans son champ de vision, c’est-à-dire lorsqu’il a fini de se frictionner la tête. Il manqua de sursauter. Remarqua le mouvement rapide de son regard jusqu’à son visage. Elle était rouge comme une écrevisse. Elle baragouina, probablement mal à l’aise :

Je suis désolée je n’ai rie...

Elle baissa une nouvelle fois le regard… Bon clairement… C’était plutôt visible… Le rouquin n’était pas mal à l’aise sur ce genre de sujet, mais il sentait bien que la jeune femme était très intimidée. Et le fait qu’elle l’observe comme ça n’aidait pas vraiment… Jessy se contenta d’attraper la couverture que Lucy tenait contre elle, toujours mortifiée et s’enroula dedans, pour l’aider à s’en remettre. Il n’avait pas l’habitude de ce genre de gêne, il ne savait pas du tout comment il était sensé s’y prendre pour la dissipée :

– C’est rien… Je n’ai pas de problème avec ça, un corps est un corps.

Il lui adresse un sourire rassurant. Pas terrible comme phrase… Il aurait pu trouver mieux ? Il n’en savait trop rien. Il n’avait pas l’habitude de patauger sur un sujet… Et en même temps, il n’avait pas l’habitude de se retrouver dans une situation d’amour réciproque. C’était très loin de se rapprocher de ce qu’il connaissait. Il n’avait jamais eu besoin de rassurer un sex friend ou un plan cul d’un soir, tout en s’assurant de ne pas lui sauter dessus précipitamment…

– C’est pas moi qui vais te dire de regarder ailleurs.

Blague de mauvais gout ? Il ne sait pas trop si ça a un peu détendu Lucy qui semble sur le point de faire un arrêt cardiaque. Il tenta finalement de changer carrément de sujet :

– Et si tu te changeais toi aussi ? Sinon c’est toi qui va attraper la mort.

Je... tu as raison. Je reviens... reste te réchauffer.

Il hocha la tête. Profita de la perdre de son champ de vision pour se calmer un peu. Putain. Il n’avait plus l’âge de s’emballer si facilement… Il fit mine de bailler, ce qui réveilla la douleur de son os temporal. Douleur aigue qui le calma définitivement alors qu’elle se propageait. Il s’enroula davantage dans la couverture. Elle était confortable… ça et la chaleur du feu aurait largement suffit à ce qu’il s’endorme. Il avait encore du mal à se rendre compte de ce qui se passait. Il devrait en parler à Lucy, comprendre ce qui s’était vraiment passé ce soir-là… Mais plus tard. Ils avaient le temps désormais. En tout cas, il le supposait.

Il se tourna quand cette dernière se mit à déplacer des objets, curieux de savoir ce qu’elle faisait. Il était touché qu’elle ne déplace sa paillasse juste pour le rapprocher de la chaleur du foyer. Il n’y avait rien à faire, Lucy était toujours prévenante, comme si elle était capable de deviner les besoins des autres sans qu’ils n’aient à parler. C’était loin d’être le cas du rouquin et il voyait presque ça comme un pouvoir magique.  

Tu peux prendre mon lit pour te reposer, viens.

Elle tira les couvertures, comme une invitation pour Jessy. Ce dernier se releva, tenant fermement la couverture qu’elle lui avait passé d’une main. De l’autre il attrapa celle de Lucy :

- T’es pas obligé de faire tout ça pour moi…

Elle le savait bien évidemment mais derrière cette formulation se cachait peut-être un merci. Jessy n’avait pas l’habitude qu’on soit au petit soin pour lui et il avait du mal à s’imaginer que cela puisse être naturel, il supposait que cela demandait des efforts.

Si tu veux retirer ton dernier vêtement une fois sous les couvertures je vais le mettre à sécher...

Il hocha la tête, quittant finalement le rassurant contact de sa main sous ces doigts, retira son sous-vêtement trempé, toute nudité toujours cachée par la couette qu’elle lui avait passé et se glissa dans les couvertures. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait plus dormit dans ce qui se rapprochait d’un lit que rien que le fait de s’y glisser lui laissa une impression d’apaisement. Par réflexe, il se tourna sur le côté et ramena ces jambes vers le haut, malgré qu’il ai la place de les étirés dans le lit. Il ferma les yeux juste quelques secondes, savourant la douceur des couvertures et d’un coussin sous sa tête.

Lorsqu’il les rouvrit, la jeune femme lui tournait le dos, probablement pour aller mettre ces vêtements à sécher ou dieu sait quoi. Une drôle de sensation lui tordit l’estomac. Il se revoyait dans sa prison, il revoyait Lucy partir. Son dos, puis lui qui ne pouvait rien y faire. C’était totalement irrationnel mais Jessy ne put s’empêcher de lui demander :

– Ne me laisse pas.

Il s’était finalement redressé, la main tendue vers la jeune femme.[/b]

Il n’aimait pas les aveux de faiblesse mais il ne savait pas comment la retenir autrement. Il ne pouvait pas décemment menacer quelqu’un qu’il aimait. Et il se voyait mal la manipuler. Sa phrase sembla suffire puisque Lucy revient à son chevet, le repoussant sur le dos. Elle vérifia sa température de la main avant de s’agenouiller à côté de lui.

Je reste avec toi, ferme les yeux je serais là quand tu te réveilleras.

La jeune femme lui embrassa le front. Un geste tendre qu’il se surprit à apprécier. Lucy entoura l’une de ces mains et il en fit de même avec l’une des siennes. Il avait besoin de sentir sa peau contre lui. Il avait presque peur de se réveiller en s’endormant et que tout cela n’ai été qu’un rêve. Il ferma les yeux. Malgré le désagréable bourdonnement, il ne mit pas autant de temps à s’endormir que lorsqu’il somnolait en haut des arbres, bercé par la chaleur de la pièce. Son sommeil restait léger, agité, mais depuis qu’il avait l’oreille défectueuse, ce n’était plus les bruits extérieurs qui le réveillait. Juste ces propres dérèglements internes qui le sabordait.

Il se sentait en sécurité, ses mains contre celle de Lucy. Apaisé par sa présence. La colère lui laissait enfin un peu de répit, durant lequel il pouvait se reposer vraiment. Ces mains enlacées dans celle de Lucy s’alourdir alors qu’il laissait le sommeil faire son œuvre.