Cela faisait deux semaines que Wendy avait un an. C'était une très bonne nouvelle pour W05 puisque cela signifiait qu'elle avait réussi à la maintenir en vie pendant cette période, et ce n'était clairement pas gagné. Heureusement, avec l'appui d'Aeden et des infirmières, Wendy apprenait petit à petit à parler puisque son idiote de mère a décidé de garder à jamais le silence. Pour le plus grand plaisir de sa mère, les deux demoiselles s'entendaient à merveille, bien que les caprices et pleurs réguliers de la petite rendaient la maman très frustrée.

Pour cette journée de travail, elle avait déposé Wendy aux infirmières. Il fallait qu'elle se concentre sur une mission très importante : prendre du temps pour elle pour effectuer à bien son travail. Ou plus précisément : être loin de sa fille puisqu'elle n'en pouvait plus d'être tout le temps avec elle malgré tout l'amour qu'elle lui portait. C'était comme avoir un chat : on l'adore, on pourrait passer ses journées avec lui, mais il fait tellement tout ce qu'il veut sans comprendre les ordres que ça en devient épuisant.

Elle regarda ainsi la suite de sa série, curieuse de comment les choses pouvaient se dérouler. Il fallait dire que c'était une émission qu'elle aimait tout particulièrement et qui la tenait en haleine. Elle n'avait jamais eu l'occasion de voir les productions télévisées, alors pouvoir les regarder quand elle le voulait juste avec un petit écran dans sa poche, c'était comme un renouveau de liberté. Comme une récompense de l'Institut pour sa loyauté sans failles.

On frappa soudainement à la porte. Elle rangea promptement l'objet incommodant dans sa poche et fit mine de lire quelques dossiers et emplois du temps. Dans dix minutes, elle devrait faire un tour dans l'aile X et passer le balai et la serpillière absolument partout. Et dire qu'elle contribuait à la bonne tenue de l'Institut, cela la mettait en joie.

Son futur interlocuteur n'attendit pas qu'elle lui ouvre la porte, il le fit lui-même. Assise, elle se tourna vers le garçon qui entra dans la pièce. Il était récemment rentré dans l'Institut, mais elle n'en savait pas plus. Elle savait juste qu'un dégénéré venait de passer le pas de sa porte. Peut-être venait-il de vomir quelque part et qu'elle devrait nettoyer son rendu ?

- Salut, je viens te voir parce qu’il parait que tu connais bien Aeden.

Elle haussa un sourcil, secrète. Elle n'avait pas été très discrète par rapport à leur... Relation ? A vrai dire, elle ne comprenait pas encore la teneur des sentiments qu'elle avait envers lui, mais c'était certain qu'il était devenu indispensable dans sa vie. Peut-être était-il son petit-ami finalement ?
Cette pensée la fit rougir légèrement avant de l'effacer. Elle devait rester professionnelle.
Et puis, pourquoi il lui demandait si elle connaissait Aeden ? Il lui était arrivé quelque chose ? Quel genre d'abruti avait osé lever la main sur lui ?!

Elle prit son carnet et lui montra :

- W111, oui je le connais. Il lui est arrivé quelque chose en particulier ?

Elle était bien consciente que, bien qu'elle n'était pas très bien définie, leur relation restait interdite. Après tout, c'était assez commun qu'ils s'embrassent ou qu'ils s'enlacent...

Il se mit à lui répondre du tac-o-tac, non sans oublier de refermer la porte derrière lui. Pour W05, cela ne voulait rien dire de plus qu'il fermait une porte. Elle ne savait pas lire entre les lignes, ou alors elle lisait très mal.

- J’aime l’Institut, et j’ai entendu dire que c’était ton cas aussi. Je ne veux pas qu’il soit détruit. Or certains patients gangrènent le système, s’en plaignent au point qu’ils voudraient détruire cet endroit formidable. S’en prendre à l’Institut. Ils se préparent, montent leur coup dans l’ombre. Je suis ici pour repérer ces personnes-là, histoire qu’on puisse soigner le trouble mental qui semble obscurcir leurs jugements.

W05 cligna plusieurs fois des yeux puis opina. Elle était parfaitement d'accord avec lui, les dégénérés de l'Institut avaient tous leur place à l'Asile. Elle ne comprenait pas pourquoi tout était si luxueux dans leur chambre par ailleurs mais l'Institut était tellement généreux, c'était normal qu'il les traite comme des rois. Et eux, ils les remerciaient avec des crises d'adolescence déplacées ou des journaux bizarres de propagande. Leurs idées pullulaient comme des cafards, et touchaient les autres encore sain de leur folie pour la propager davantage.
Elle le laissa parler, attentive. Elle savait qu'il était une bonne personne. Lui, au moins, avait les yeux grands ouverts.

- Et j’ai découvert qu’à leur tête se trouvait Aeden.

C'est à ce moment précis qu'elle commença à perdre pied. Aeden ? A leur tête ? C'était impossible. C'était un agneau trop tendre pour être à la tête d'un réseau d'abrutis finis. Elle le savait suffisamment intelligent pour ne pas se mêler à de telles histoires. C'était tout simplement impensable.
Elle haussa un sourcil et croisa les bras sous sa poitrine. Elle n'était pas convaincue.

- J’ai entendu dire que vous vous voyez souvent alors je venais te mettre en garde. Aeden n’est pas celui que tu crois. Est-ce qu’il t’a déjà parler de la Révolte qu’il prépare en secret ? N’est-ce pas toi qui garde les clés du bâtiment des patients ? Alors si tu veux protéger l’Institut et le protéger, je te conseille de le garder à l’œil.

Elizabeth haussa les épaules et se leva, ouvrant la porte qui se trouvait derrière le garçon. Si elle voulait rire, elle serait allée voir un comédien. Si elle voulait pleurer, elle aurait regardé un film triste. Hors, elle n'était d'aucune de ces deux humeurs, et cette blague de mauvais goût avait titillé sa patience.
Elle se posa contre le rebord de la porte, et montra de la tête la sortie.

Bah tiens, Aeden à la tête d'une révolte. C'était comme si Staline était une bonne sœur : totalement impossible.