Prothèses mécaniques à la jambe gauche et au bras droit.

Bonjour, désolée je suis en retard! Rooh ça va, deux minutes c'est pas la mort!Bon d'accord, dix minutes... Pardon? Vous me demandez sérieusement de me décrire moi-même? De manière objective? Mais qui sait faire ça sérieux! Je saurai certainement vous lister mes innombrables défauts mais pour les qualités, vous irez demander ailleurs. Quoi, je dois les trouver aussi? Vous en demandez trop mais je vais essayer... Foutu docteur, je préférais l'ancien... Hein quoi, j'ai parlé trop fort?

Comme vous avez pu le constater, j'ai horreur de parler de moi, ça fait tellement narcissique puisqu'on est obligé de dire "moi', je" et puis aussi "je suis comme ci comme ça gnagna" bref c'est nul. C'est comme aller à la pêche aux compliments ou à la compassion vous voyez? Ridicule. En contrepartie, je ne mâche pas mes mots sur vous non plus, l'honnêteté est la base d'une relation saine. Vous diriez peut-être "trop sincère" vous non? Tant pis, nos opinions divergent. Oui, je sais que la vérité peut blesser des gens mais c'est seulement à court terme, le mensonge est bien plus ravageur il me semble. Donc, en un sens, c'est prendre soin des autres. Je trouve qu'aider les gens c'est vraiment important, c'est bien le principe d'une communauté non? Et puis ne pas juger les autres aussi, c'est absolument nécessaire, je ne comprends pas ceux qui appliquent des différences de traitement (pas au sens médical, soyez pas c-stupide) sous prétexte que la personne en face n'est pas pareil. Non vraiment, c'est même plutôt une richesse la différence! J'adore parler ou débattre avec des gens qui ne sont pas de mon avis, ça m'apprend des trucs! Et avec un peu de chance, l'autre en face aussi évolue! Voire même devient un ami, et ici ils ne sont jamais trop nombreux, face à des médecins aux pratiques violentes, je ne citerai pas de nom vous voyez très bien de qui je veux parler. Nan n'insistez pas vraiment, vous devez même le savoir mieux que moi mais vous fermez les yeux. Mais un jour ça changera, j'y crois dur comme fer.

C'est bon j'ai fini là! Non?! Comment ça c'est "pas assez"? Mais je vois pas quoi dire de plus moi! Pfff... Sont chiants vos formulaires hein...

Y'en a, comme une certaine personne ici présente (suivez mon regard), qui disent que je suis trop bruyante et têtue mais c'est pas vrai. Non, c'est juste que je suis... obstinée c'est le mot. Un peu comme tout le monde, je sais ce que je veux et je sais aussi ce que je ne veux pas faire ou ce que je ne supporte pas. L'intolérance typiquement, mais aussi la méchanceté gratuite mais ça, vous devriez avoir compris. Ah aussi, si je vous taquine un peu, comme là, c'est pas de l'irrespect, arrêtez d'en voir partout ça devient lourd, mais disons que je m'amuse à vous voir réagir, parfois c'est tellement ridicule ahah! Quoi, vous croyez vraiment que votre regard noir me fait peur? Peuh, vous êtes tout rouge il y a bien plus impressionnant! Ahah, trop facile de vous provoquer.

Bon ça comment à faire vraiment long là... J'ai terminé? C'est vrai? YES!
Zyra quitta la salle avec un grand sourire, sautillant presque de retrouver du temps libre, sous le regard désespéré de son médecin.

Bah là, il y a une photo en fait, sinon je suis face à vous, vous pouvez remplir votre fiche tout seul comme un grand hein... Je rajouterai des trucs au besoin si vous voulez.
Le médecin soupira et commença à remplir la case du formulaire.

Zyra est d'une taille légèrement inférieure à la moyenne et d'un poids moyen pour son âge, avec des formes assez généreuses et une fine musculature qui démontre des capacités athlétiques. Ses cheveux blonds arrivent un peu en-dessous de ses épaules et sont presque toujours tressés. Ses yeux en amande ont la couleur particulière de l'or, quelle que soit la luminosité, bien que le tour de la pupille s'assombrisse légèrement quand celle-ci baisse. Les traits de son visage sont fins et élégants quand elle ne tire pas la langue ou ne vous gratifie pas d'un sourire en coin espiègle. Evidemment, on ne peut que remarquer les prothèses mécaniques qui poursuivent son bras droit et sa jambe gauche, qui ont abîmé sa peau à la jonction, c'est-à-dire à l'épaule jusqu'à la clavicule et la fin de l'omoplate dans le dos, et à mi-cuisse.
Concernant ses habitudes vestimentaires, même si l'uniforme est obligatoire, la patiente porte toujours une longue veste rouge avec une large capuche, rabattue quand nécessaire, dont le dos est orné par un motif noir mystérieux, une croix entourée d'un serpent et surmontée d'une couronne ailée. Quand la température chute, cette veste s'épaissit et le col est doublé par une sorte de fausse fourrure blanche. Elle porte toujours des gants blancs et de lourdes bottes noires pour cacher ses prothèses mécaniques.

Il lui tendit la description, demandant si elle approuvait. Avec un grand sourire, elle lui répondit par un pouce en l'air et se réinstalla confortablement dans le fauteuil.

Mon histoire... Vous croyez vraiment qu'à dix-sept ans on a une histoire, des trucs à raconter? Mais si vous insistez, voici l'illustre Histoire de Zyra Shane.

Je suis née le 6 mai 2001 dans un petit hôpital de la banlieue de Londres, dans une famille tout ce qu'il y a de plus normal : deux parents aimants, un grand frère, un poisson rouge et un labrador. Je déconne pour les animaux, j'en avais pas jusqu'à ce que j'insiste pour prendre un chat que j'avais trouvé dans la rue. Apparemment, la grossesse et l'accouchement ont été compliqués, je suis née très en avance, deux mois je crois, donc j'ai eu la joie d'être particulièrement fragile et petite. Ce qui n'a pas trop changé sur le deuxième point j'admets. Mes os et mes nerfs avaient réellement une solidité réduite mais depuis que j'ai deux membres en métal, ça va mieux.

La jeune fille rigolait toute seule devant la mine déconfite de son médecin face à cette auto-dérision à toute épreuve.
Bon ça va je reprends.

J'avais rien de particulier, des résultats corrects à l'école sans être un génie, des blessures insignifiantes comme tous les enfants, mais apparemment j'en avais plus que les filles de mon âge. Pas étonnant, je préférais jouer avec les garçons, ils étaient moins.... moins chiants ouais, jouer à la Barbie et à la maman ça va deux secondes, moi j'aimais bien faire la pirate, pas la coiffeuse. J'aimais beaucoup mon frère pour ça aussi, il m'a initiée aux jeux vidéos et d'autres activités considérées comme "masculines", mais j'y reviens après. Bon, je faisais des trucs plus calmes aussi, j'aimais bien lire par exemple, et j'aime toujours! Je jouais souvent avec mon petit chat aussi, si bien que mes mains étaient régulièrement couvertes de griffures. Comment ça quel chat? Mais si je vous ai dit, le chat noir que j'avais trouvé dans la rue! Voilà, Nano, c'est bien vous suivez. Bref, j'avais une vie normale quoi. Jusqu'à ce que je découvre le parcours. J'étais pas très grande, je devais avoir entre 10 et 11 ans, mon frère en faisait déjà depuis un bout de temps et il m'avait promis de m'apprendre un jour. J'avais tellement insisté qu'il avait fini par le faire à ce moment-là. D'abord les mouvements de base, genre le saut de chat, le passe-murailles, et j'en passe. D'abord je grimpais seulement des murs, puis des petites maisons, la nôtre y est passée aussi, et j'en suis arrivée à escalader des petits immeubles, trois ou quatre étages mais c'était visiblement excessif pour ma taille et mon âge, parce que j'étais déjà pas très grande. "En-dessous de la moyenne" comme vous dîtes. J'étais presque arrivée sur le toit mais mon pied n'était pas assuré et j'ai glissé. Je me rappelle pas vraiment de la chute, tout ce que je sais c'est que je me suis réveillée à l'hôpital, alors que le soleil commençait à tomber.

Les yeux de Zyra s'étaient perdus dans le vide et son air jovial avait disparu, comme à chaque foi qu'elle évoquait ces souvenirs. Elle n'était plus dans la pièce de l'Institut avec un docteur, mais de retour dans sa chambre d'hôpital.

A cause de la fragilité due à ma naissance prématurée, on m'avait expliqué que je n'aurais jamais dû faire ça. Après m'avoir expliqué que j'avais évité un traumatisme crânien mais que j'avais quand même dormi une semaine, on m'avait demandé de ne pas bouger ni de soulever la couette. Ce que je mourrais d'envie de faire, d'autant qu'il y a des parties de mon corps que je ne sentais plus. Evidemment, je n'ai pas écouté et, dans la nuit qui a suivi, à la lumière de ma lampe de chevet, j'avais regardé. Et hurlé. Ma jambe gauche avait disparu à mi-cuisse, idem pour mon bras droit, à partir de l'épaule. Des infirmières étaient venues, et ont fini par avouer qu'on avait dû me les amputer, parce que les connexions nerveuses étaient mortes. Je ne voulais plus voir personne, pas même mes parents ou mon amoureux de l'époque. Je ne sais comment mais un chirurgien de renom était finalement venu, mes parents avaient dû jouer de leurs relations, et avait parlé d'une technique encore en phase de test, mais il avait justement besoin de gens pour en tester l'efficacité. Il avait évoqué les prothèses que vous voyez là, très innovantes puisqu'elles contenaient un circuit électrique qui recevait les stimuli du cerveau, comme les vrais nerfs. Par contre, l'opération était extrêmement douloureuse car l'anesthésie n'était pas possible, vu qu'on devait lier ces circuits aux nerfs encore existants. Mais je voulais absolument en bénéficier, pour pouvoir bouger comme avant parce que je ne supportais pas le fauteuil roulant. Mes parents étaient réticents au début, mais je les ai supplié et vous avez le résultat devant vous. C'est quand même plus avantageux que garder des moignons, même si la rééducation a été extrêmement douloureuse, même si j'ai souvent un peu mal à cause des températures, froides, chaudes ou humides, que je peux pas me baigner et que je dois prendre des anti-inflammatoires toute ma vie. Au moins, je suis libre de mes mouvements et c'est ça qui compte non? Ah, comme c'était quand même très contraignant pour mes parents, et que l'entretien de tout ça leur coûtait trop cher, ils m'ont envoyé à l'Institut il y a de ça... quatre ans maintenant. C'est fou ce que ça passe vite! Entre temps j'ai gagné le surnom Walkyrie, peut-être parce que j'aime bien foncer dans le tas et ne pas avoir de tact. Mais en vrai c'est moi qui l'ait voulu, c'est déjà un nom que mon frère me donnait. Il est cool non?

Son expression mélancolique disparut et son air s'assombrit.

Par contre, ne jouez pas la comédie du gentil médecin, ici ils sont trop rares. Prenez pas votre air étonné, vous croyez vraiment qu'après quatre ans sur cette île de malheur, on n'entente pas parler de ce qu'il se passe dans les salles de soins et l'asile? Non, malgré ce que je viens de vous dire je ne suis pas du tout heureuse d'être ici et dès que je peux je me barre, mais pas sans avoir foutu le feu aux responsables. A votre avis, pourquoi j'ai insisté sur le changement avant? Débile.

Son grand sourire réapparut et, après un doigt d'honneur tout en délicatesse et en finesse, la demoiselle quitta la salle en s'assurant de bien claquer la porte. Et tant pis pour la sanction.