Jessy avait mal. Dans un premier temps, cela l’avait empêché de dormir. Les premières nuits suivant sa dispute avec le chien avaient été particulièrement rudes. Les douleurs aigues dans sa mâchoire et sous sa pommette l’avait tenu réveillé, sans compter sa cicatrice à l’abdomen qui le brulait à nouveau. Mais le plus dur était la parano. Persuadé que cet évènement signait son arrêt de mort, il avait eu du mal à fermer l’œil. Il savait qu’il n’était pas apprécié au bunker, et que cet évènement pouvait avoir soulever des questions qui jusqu’ici étaient restées en suspens.

C’était le quatrième jour. La douleur et la fatigue s’était cumulée. Jessy n’avait jamais eu un sommeil très lourd. Il aurait probablement entendu Lucy marcher vers la salle commune s’il n’avait pas été pris dans un tourbillon de bruits, sensations, émotions. Et s’il n’avait pas été aussi exténué. Si la douleur ne l’avait pas rendu sourd au monde extérieur. Dans son sommeil agité, bien loin du bunker, son rêve n’avait pas le moindre sens.

Il était sur le banc. Sa fleur n’était pas là. Il était sur le banc, puis, lorsqu’il tournait la tête, il voyait au loin un homme. Sa fleur était avec lui. Elle se vidait doucement de son sang dans une immense baignoire. L’eau rougissait à vu d’œil. Personne ne pouvait contenir autant de sang… Alors il marchait vers elle, les pieds dans l’eau. Et la baignoire était une piscine. Sur le fond de l’eau, des tonnes de corps. Il en reconnaissait certains. Il les reconnaissait… Nauséeux, il avançait vers elle… Il l’appelait, il voulait lui parler, lui dire d’arrêter de mourir.

- Kalye… Kalye… arrête…

Les mains des corps au fond de l’eau s’accrochaient à ces chevilles, comme pour l’empêcher de rejoindre sa fleur. Il se débattait, mais plus il avançait, plus les mains étaient nombreuses. Alors, il se sentait couler dans le liquide poisseux de la piscine. Le sang s’infiltrait partout… Il parvenait à se dégager, sa tête remontait à la surface. C’était l’homme qui lui était venu en aide. Il était roux, petit, deux yeux dorés. Et derrière lui, sa fleur tombait. Non non non… Pourquoi son alter ego était il venu le sauver lui plutôt qu’elle…non non non….

- Non…non… Kalye…

Jessy s’agitait, ces cheveux roux étaient plaqués sur son front par la chaleur d’une poussée de fièvre. Il avait agrippé l’un des barreaux de sa prison d’une main, ces jambes étaient repliées vers son ventre comme pour le protéger de quelque chose. Il parlait dans son sommeil, mais peu de mots étaient articulés.

La peur de voir sa fleur mourir était plus forte que tout. Elle se mua en colère sourde. Ces mains poisseuses de sang agrippaient le cou de son alter-ego. Il était furieux. Pourquoi il la laissait mourir ? Mais alors qu’il l’étranglait, il avait plus de mal à respirer. Le gout métallique du sang sur sa langue devenait un supplice. Et le sang contenu dans la piscine lui renvoyait un reflet qui n’était pas le sien… Une voix lointaine l’appelait. Il serra plus fort…

La fraicheur d’une main sur la sienne et sur son front le ramenèrent brutalement à la réalité. C’était comme de sortir la tête de l’eau après une longue apnée. D’instinct, il enroula ces doigts autour de la peau douce qui s’était posée sur sa main. Il aurait pu aussi bien la broyer dans sa paume, de peur qu’elle n’appartienne à une personne malveillante, mais la fièvre le rendait stupide, fragile et incapable. Son regard effrayé croisa le visage familier de Lucy.

Hallucination ? Après la manière dont il l’avait congédié la dernière fois, il était étonné de la revoir. Surtout aussi prêt de lui. Il sentait pourtant sa peau sur la sienne. Sa deuxième main se rua sur celle qu’il tenait déjà. Se referma à son tour, sans serrer suffisamment pour l’emprisonner. Il se raccrochait à elle. Le cauchemar était encore encré à son esprit. On pouvait tuer sans être punis, mais on ne pouvait pas espérer ne pas être hanter par ses actes.

Les yeux plein de larmes qui ne voulaient pas couler, qui ne coulaient jamais, il supplia la jeune femme :

- Lucy… Je m’excuse. Ne me laisse pas s’il te plait…ne me laisse pas.

C’était cruel. Il ne savait même pas pourquoi il s’excusait au juste. Ces paroles de la dernière fois ou le traumatisme qu’elle avait subi en été ? Il essayait de calmer sa respiration sifflante, ne fut-ce que pour calmer la douleur qui émanait de son abdomen. Et pour remettre de l’ordre dans ces idées. Les deux yeux foncés de Kalye flottaient encore derrière ces paupières lorsqu’il clignait des yeux.

La main de Lucy dans ses cheveux était apaisante. Depuis combien de temps n’avait-il plus connu cela ? Une éternité. Et à la fois, un instant si court. Trop beau pour durer. Il avait si peur qu’elle ne s’en aille… Qu’il ne lui arrive malheur à elle aussi. C’était insensé après qu’il ai tenté de l’assassiner, mais il avait besoin de sa présence. Cette présence qu’il redécouvrait après en avoir été privé pendant si longtemps.

- Je ne vais pas te laisser, respire...doucement.

Il força sa respiration à plus de calme. Le sang, les visages de ces morts, Kalye… Il se raccrocha à l’œil unique de Lucy. Mais n’était-ce pas un prolongement de son cauchemar ? N’allait-elle pas sortir le couteau qu’elle gardait précieusement pour le planter dans la gorge du rouquin ? Non. Elle se contenta de passer son pouce sur la joue de l’homme. Geste rempli de douceur. Qui ne l’apaisait pourtant pas. Il se sentait vulnérable. Elle le rendait vulnérable.

- Si tu as besoin de pleurer vas-y. Je ne vais pas le dire... je peux même fermer les yeux si tu veux...

Malgré la chaleur qui émanait de lui, il se sentait frissonnant. Jessy tombait rarement malade, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. S’il avait pu, il aurait pleuré. Mais il n’en était pas capable. Même pour Kalye, il n’avait pas versé une larme. Les seules qu’il n’avait jamais versées était aussi fausses que lui. Les paroles de la jeune femme lui remontaient en tête. Elle avait vu juste. Elle avait vu le vrai Jessy et l’avait repoussé. Pourquoi Lucy n’en faisait pas de même ? Il secoua la tête à la négative.

Le cauchemar s’éloignait doucement, le garçon retrouvait un semblant d’esprit à travers la fièvre. Il tenait dans ses mains moites celle de Lucy. S’il refermait sa prise, il ne lui faudrait qu’un geste pour la coincer contre la cage. Une prise d’otage pour se libérer. Une vie pour une vie. Vu les derniers évènements, c’était la chose à faire. Pour se sauver.

Il ne bougea pas cependant. Inexplicable, à moins que ce ne soit à cause de la fièvre. Oui, c’était forcément la fièvre, sans ça, il n’aurait pas eu de doutes. Jessy ne doutait pas. Ces yeux quittèrent la main de la jeune femme où ils s’étaient perdus lors de sa réflexion pour retrouver son œil.

- Lucy… Que vois-tu quand tu me regardes ? Moi je ne vois ni haine, ni colère dans tes yeux. Je ne vois pas de jugement ou de mépris. Pourtant, tu sais qui je suis. Tu as vu qui j'étais...

- Je vois... je ne sais pas, Juste Jessy.

Juste Jessy…

- Oui j’ai vue... j’étais là cet été. Je ne peux pas te pardonner ce que tu as fais à Béatrice ni aux autres. Je n’en ai pas le droit. Je-non. Si tout ça fait partie de toi Jessy... je ne pense pas que tu te limites à ça.

Elle pleurait. Et il était assez prêt pour passer une main sur sa joue. Pour chasser cette larme. Il resta immobile cependant. Bien sur qu’elle ne pouvait pas le pardonner. Il ne cherchait le pardon de personne. Jamais on ne lui avait rien pardonné. Ni sa mère, ni sa fleur, ni personne. Pour les autres, il n’y avait jamais eu que le Jessy monstrueux. Elle avait tort de croire qu’il ne se limitait pas à ça. Il avait voué sa vie entière à prendre celle des autres. A devenir ce qu’il avait toujours été aux yeux de tous. Et cela ne l’avait jamais dérangé.

- Jessy regarde-moi.

Elle était belle. Elle n’avait pas besoin de demander qu’il la regarde. Il ne la quittait pas des yeux. Il avait peur de revoir ces démons s’il fermait les paupières. Tant qu’elle était là, il avait l’impression étrange que rien ne pouvait lui arriver. Pourtant, c’est de sa bouche que sortirent les paroles qui le sonnèrent :

- Je te pardonne

Je…te…pardonne ? C’était la fièvre. C’était forcément la fièvre. Pourquoi était-ce si difficile à entendre, à accepter ? Si jusqu’ici il n’avait pas fait le moindre mouvement, de peur d’effrayer Lucy, il ne put se retenir. Lâchant ces mains, il s’assit, reculant légèrement, comme pour mettre de la distance entre eux. Il n’avait pas peur d’elle, il avait peur de ce qu’elle disait. Ce n’était certainement pas le genre de réaction qu’elle attendait de lui. Mais l’inverse était vrai aussi, et il refusait de la croire. Elle disait ça, mais ce n’était pas possible.

- Tu-tu ne dirais pas ça si j’étais parvenu à tuer Béatrice ce jour-là. Ou Nevrabriel cette semaine.

Elle lui avait dit que ce sale clébard était son meilleur ami. Elle lui disait qu’elle lui pardonnait alors qu’ils se seraient battus à mort sans l’intervention d’un tier ? Il secoua la tête négativement.

- Tu n’as pas le droit de dire ça… Tu n’as pas le droit. Tu mens forcément…

Mais même lui n’y croyait pas. Lucy ne savait pas mentir, ou en tout cas, elle ne le voulait pas. Il devait reprendre ces esprits. Les réactions à chaud n’apportaient jamais rien de bon. Il ne savait pas quoi dire cependant. Il ne savait pas comment réagir. Démuni. Jamais rien ne lui avait fait plus peur que ces trois mots.

Lucy se levait. Jessy sentit une boule se former dans sa gorge. Elle allait partir. Normal, il venait de la traiter de menteuse et de nier en bloc son pardon. C’était probablement stupide, mais il ne parvenait pas à assimiler ce qu’elle lui avait dit. Il n’avait jamais eu pour seul réponse que la colère ou la violence. Il n’avait aucunes idées de la manière dont il devait agir face au pardon. Il frissonna, se recroquevillant sur lui-même.

Sauf que Lucy ne partait pas. Elle revint avec un verre d’eau et un gant de toilette humide qu’elle lui tendait.

- Pour ton front... tu n’as pas tué Béatrice, ni Nev. Je ne te pardonne pas pour eux, je t’offre mon pardon, seulement le mien. Si tu ne le veux pas...

Il fixa le bout de tissus que Lucy tenait dans sa main.

- ...Je ne vais pas t’y obliger. Mais comprend bien Jessy, je ne mens pas. Je te pardonne pour ce que tu m’as faits cet été, c'est ainsi et c’est ma décision. Comprends-tu?

Le regard de Jessy se fixa inconsciemment sur le pansement qui recouvrait l’œil de la jeune femme. Pourquoi est-ce que cet œil en moins ne le dérangeait pas plus que ça ? Il s’avança en douceur en basculant son corps vers l’avant, se retrouvant sur les genoux, pour éviter de faire trop de bruit avec les chaines qui entravaient ces poignets, jusqu’à ce que son visage encore amoché par sa bagarre soit si proche de celui de Lucy qu’il sentait son souffle contre sa peau. Plongés dans son regard, il attrapa le chiffon qu’elle lui avait apporté, frôlant sa main et se rassit finalement en tailleur.

- Oui… Après tout, tu fais ce que tu veux.

Une voix faussement indifférente. Il posa la débarbouillette sur son front. La fraicheur du tissu au contact de sa tête lui faisait un bien fou. Il poussa un soupir soulagé, fermant les yeux. Le temps s’étira un peu. Jessy immobile, se sentait au bord du sommeil. Son corps penchait vers l’avant sous le poids de la fatigue. Il rouvrit finalement les yeux, retournant le tissu pour profiter de la fraicheur de son autre face. Il s’adressa à Lucy :

- C’est moi qui ai déclenché la bagarre de cette semaine… avec ton crétin d’ami là.

Une manière de la remercier ? Jessy était avare en compliment. Un échange d’informations sur celui à qui elle tenait était tout ce dont il serrait capable.

- Ah... Ça ne vous a pas réussi. Tu as été idiot de le provoquer et lui aussi a été idiot, la violence n’a rien réglé.

Jessy eut un sourire sarcastique. Elle avait raison, cela n’avait rien réglé, il savait la situation délicate dans laquelle cela le mettait. Il doutait que la prochaine « réunion de famille » ne se passe aussi bien que les autres. La muette sauterait certainement sur l’occasion. Mais si la violence ne réglait rien, les pourparlers non plus. Et puis, il n’aimait pas la manière dont le chien le jugeait. Il avait détesté sa manière de le traiter de lâche. Il n’était pas lâche. Il était peut-être malveillant, mais il n’était pas lâche.
La main de Lucy sur son front et sa nuque était délicieusement rafraichissante. Bien plus que le tissu déjà réchauffer qu’il tenait désormais en main.

- Tu devrais boire un peu... veux-tu me parler de ton cauchemar ? Ça peut aider de le sortir pour ne pas qu’il ne revienne dès qu’on referme les yeux...

Il était un peu nauséeux, il ne se sentait pas la force de boire.

- Je n’ai pas soif.

Pour ce qui était des cauchemars, elle avait sans doute raison. Mais pouvait-il parler à Lucy de ces mauvais rêves ? Les corps amoncelés, les visages défigurés par la mort. L’œil bleu coulé dans le fond de l’eau. Tué ne le dérangeait pas, plus que ça, il trouvait cela satisfaisant. Il n’avait jamais ressenti la moindre compassion envers ces victimes. Il faisait ce qu’il faisait. Il avait commencé ces cauchemars le jour où un gars avait tenté de le tuer dans son sommeil. Apparemment, il avait buté son frère. Pour ce qu’il en savait, il avait juste été étonné que ce type d’apparence stupide parvienne à remonter jusqu’à lui. Il n’empêchait, il n’avait eu aucun mal à se débarrasser de lui. Mais c’était là qu’il avait commencé les cauchemars chroniques.
Il hésita. Il aurait bien aimé lui mentir. Il pouvait se le permettre, de toute façon ce n’était pas comme s’il ne lui avait pas déjà mentit. Lui dire qu’il ne s’en souvenait plus. Nier l’existence de ces mauvais rêves. Mais qu’est-ce que cela lui apporterait ? Lucy ne l’aimerait pas plus ou moins s’il parlait de ces cauchemars. Et ils ne se matérialiseraient pas pour autant. Il n’aimait pas le déni. Cela lui faisait trop penser à ce crétin de sous-fifre de Donatien.
Il posa la barbouillette humide. Se recentra sur le visage de la jeune femme.

- Dans mes cauchemars, les morts se vengent. Ça se termine souvent de la même manière. Je suis face à moi-même, et je me tue.

Il eut un sourire, le regard brillant. Dit comme ça, franchement, c’était stupide. Il se demandait d’ailleurs si l’on pouvait vraiment considérer ça comme un mauvais rêve. Ou comment cela pouvait le réveiller en sueur. Inconsciemment, il n’avait pas parler de sa fleur. Peut-être que s’il s’était penché un peu plus sur son cauchemar, il l’aurait mieux compris. Mais Jessy n’aimait pas y penser, il préférait mille fois croire que tout cela n’était lié qu’à son funeste palmarès de mercenaire.

- Mais les morts sont morts. Ce sont des rêves stupides.

Ce n’était pas la première à le lui dire. Lui ne croyait pas qu’il soit autre chose que stupide. Rien n’avait de sens dans un rêve. Ce n’était que des parodies ratées de réalité.

- Tu dois boire, même si tu n’en as pas envie.

Elle amena le verre aux lèvres du garçon. Il fit la grimace mais bu tout de même une gorgée. Il trouvait la Lucy autoritaire amusante. L’eau lui rafraichissait la gorge, elle avait eu raison d’insister.

- Tu appelais quelqu’un quand je suis arrivée tantôt... tu lui demandais d’arrêter.

Il regarda Lucy, interdit. Il parlait en dormant ? Qu’avait-il dit d’autre ?

- Si tu ne cherches pas à les comprendre ils reviendront. Mais bon... à toi de voir ce que tu veux en faire.  Je te laisse un autre essai si tu le souhaites, veux-tu en parler ?

Dans un premier temps, il secoua la tête à la négative. Il avait déjà parler de ces cauchemars à certaines de ces victimes avant de les buter. Ça n’avait pas vraiment fonctionné. Puis, de toute manière, il s’en fichait pas mal. C’était la fièvre qui le rendait malade, pas ces mauvais rêves à la noix. Mais s’il parlait dans son sommeil… Après tout, qu’est-ce qui l’empêchait de lui en parler si ce n’était qu’un stupide cauchemar ? Il n’en avait pas peur.

- Tu y tiens, n’est-ce pas ? Promets-moi de garder ça pour toi.

Il savait qu’elle le ferait. Il ne faisait pas confiance à grand monde. A sa fleur à l’époque, à Lucy maintenant. C’était tout. Il n’avait jamais compté que sur lui-même pendant les 2 années qui l’avait vu grandir. Mais tout comme Kalye à l’époque, Lucy était là. Elle prenait soin de lui. Et elle portait un regard différent sur lui. Contrairement à sa fleur, Lucy n’était pas encore dégoutée de ce qu’il était. Il ne savait pas combien de temps cela durerait, mais il voulait en profiter tant que c’était possible.
Il glissa sa main enchainée vers celle de la jeune femme. L’enlaça de ces doigts. La main du garçon sur celle de la jeune femme était bouillante. Au-delà de la fièvre, il avait toujours eu les mains chaudes, et celle de Lucy semblait naturellement fraiche.

- Je suis sur un banc. Je trainais souvent là-bas quand j’avais 16 piges. C’était là que je discutais avec elle… Sauf que dans mon rêve, je suis déjà seul. Et elle est plus loin. Avec un type, mais de loin, je vois pas qui c’est. Tout ce que je sais, c’est qu’elle se vide de son sang. Et elle est dans un genre de bassin d’eau. Je vais vers eux et c’est là que les corps apparaissent. Ils sont dans le fond du bassin, et il essaye de m’empêcher de la rejoindre. Ils m’entrainent vers le fond, je sens que je commence à me noyer, à manquer d’oxygène, et là, le type qui était avec elle m’aide à sortir de l’eau. Et derrière lui, c’est elle qui tombe, qui meurt parce qu’il l’a laissé pour venir m’aider. Et ce type, c’est moi. Mais je suis tellement en colère que je veux juste qu’il meurt. Alors je l’étrangle.

Il se tut. Il ne parlerait pas de la suite du cauchemar. Celle qui n’avait pas eu lieu ce soir après que Lucy ne l’ai tiré du sommeil. Son reflet à travers la surface de l’eau, c’était trop stupide. Un détail inutile, puis il en avait déjà dit assez. Son pouce qui jusque là caressait doucement la main de Lucy qu’il tenait dans la sienne s’arrêta lorsqu’il eut fini de parler. Il la taquina avec légèreté, comme si son récit, comme si son cauchemar n’avait pas le moindre impact sur lui :

– Alors miss Autoritaire, des questions ?

La main libre de Lucy rejoignit celle de Jessy. Sa peau était douce, bien loin de la rugosité des mains calleuses du rouquin.

-Je te remercie de ta confiance Jessy. Tu n’es pas obligé de faire comme si ce n’était rien, je ne vais pas me moquer de toi. Je garderais pour moi ce que tu m’as dit, je te le promets.

Il haussa les épaules. Pas la peine de le remercier, il n’avait rien fait d’exceptionnel. La chaleur de sa fièvre se propageait à ces joues. Il se sentait toujours un peu assommé par la fatigue mais la présence de Lucy lui avait vraiment fait du bien.

-Est-ce que je peux faire quelque chose pour que tu te sentes un peu mieux ce soir ? Je peux aller rafraîchir la compresse si tu veux...

Il secoua la tête négativement. Une mèche de cheveux blancs de la jeune femme passait devant son pansement. Cela ne devait pas la déranger étant donné qu’elle ne voyait plus de ce côté-là, mais il ne put s’empêcher d’avancer sa main libre dans un cliquetis de chaine pour la saisir et la repousser derrière son oreille. Ses doigts frôlèrent sa compresse. Malgré le peu de soin disponible dans le bunker, ces cheveux étaient doux. Il ramena sa main contre lui. Il avait encore mal aux côtes. Maudit soit le chiot de Donatien, il espérait que ce dernier avait au moins aussi mal au cou.

- Tu n’as pas besoin d’en faire autant.

On ne lui avait jamais vraiment appris la reconnaissance, mais c’était presque un merci. Personne ne s’était jamais occupé de lui comme Lucy l’avait fait. Il n’était pas vraiment habitué à ce que l’on s’inquiète de son état. Encore plus dans ces derniers mois. Il dégagea sa main, s’écartant de la jeune femme à regret. En vérité, il aurait voulu qu’elle reste le temps qu’il s’endorme, qu’elle ne veille sur sa nuit. Il lui adressa un sourire qui lui donnait moins mauvaise mine :

- Tu devrais y aller, tu aurais des ennuis si on te surprend ici. Je saurai me débrouiller.