Je crois que je passe vraiment le plus clair de mon temps à chercher quelque chose à faire. Chercher du bois, pêcher alors que je suis clairement nul à chier, me promener inlassablement, telle une âme en peine dans l’au-delà. Mais non, je ne suis pas mort. Je suis bien vivant. On ne peut plus vivant, et la faim me le prouve. Un soupir m’échappe alors que je glisse ma main dans mes cheveux sales. Ce qui me manque, c’est vraiment une bonne douche bien chaude… Avec du savon… Et un vrai shampooing… D’ailleurs… Ça fait combien de temps que je n’ai pas senti bon ? Depuis qu’on n’a plus l’eau courante quoi… Le « bon » côté, c’est qu’on est tous dans ce cas, alors la mauvaise odeur ne fait plus vraiment barrière dans les conversations. Mais c’est quand même vachement triste.
La bande qui pue.
Un sourire espiègle étire mes traits alors que j’avance en direction de la plage. C’est quand même plutôt drôle. La bande qui pue… On ne devrait pas s’appeler les électrons libres, mais plutôt… Les odorants… Ouais. Les odorants. C’est marrant ça. Ou alors… Les putois ? Non… Non, ça c’est nul. Je préfère la première proposition.
Levant les yeux au ciel, je suis soudainement fasciné par le ciel noir parsemé de ses petites taches lumineuses. Un autre bon côté… On commence à se contenter du peu qu’on a. En temps normal, jamais je n’aurais fait attention aux étoiles plus de cinq minutes. Mais depuis que je n’ai rien à faire et que je suis coincé ici, j’y passe presque le plus clair de mon temps. Cherchant un spot confortable dans l’obscurité de la nuit, je m’approchais de plus en plus de la mer, le son des vagues m’indiquant que j’y étais presque.

Me guidant prudemment, j’entends subitement un cri de douleur qui me fila la chair de poule. Oh seigneur… Quelqu’un est mort ? C’est un fantôme ? Un spectre d’une victime qui ère sur la plage et effraie les jolis garçons en les attirant à l’aide de cri d’un douleur ? La voix était plutôt mignonne en plus. Je plisse les yeux, espérant que ma triste vision devienne meilleure, mais rien n’y fait. Même avec une vue parfaite ça n’aurait pas été efficace, alors avec mes lunettes de bigleux ? Pas moyen. Il fait trop noir. J’avançais tout de même avec hésitation, essayant de l’entendre de nouveau. Je crois que je l’entends se plaindre… Merde… T’es où ?
Pourquoi t’es là alors qu’il fait nuit noire ?! Bon… J’avoue que quand je suis arrivé à la place, on voyait encore un peu quelque chose… Mais en hiver, le jour est vite tombé, laissant place à la vie nocturne. Elle n’a pas pensé à ça ? Putain… Je ne sais même pas qui c’est en plus.

- Est-ce qu'il y a quelqu'un ? J'ai besoin d'aide !

Je sursaute à son hurlement. Ouah. Elle a du coffre ! Bon ! Elle n’a pas l’air très loin. Je devrais pouvoir la retrouver, mais pour ça, faut qu’elle continue de parler pour me guider avec sa voix.

- Je suis là ! Continue de parler ! Pour que je te trouve !

Puis un tsunami de paroles se déverse et je reste figé pendant un instant. O-ouah ! Qu’elle continue, et je la retrouverai sans problème, en plus de tout connaitre de sa vie ! Je ne peux pas retenir un sourire amusé d’étirer mes lèvres alors que je commence à me diriger vers sa voix guillerette avec prudence. Un foulage de cheville… Classique. Ça arrive souvent… Surtout dans le noir, et sur la plage. Je suis sûr qu’elle n’avait même pas de chaussures… Quand j’apprends que c’est la fille de Virgil, je me mets à réfléchir… Elle est aussi chez les électrons, donc je l’ai forcément déjà vue… La fille de Virgil… Il n’y a rien qui me vient. Pas de visage. Après, je ne suis pas extrêmement physionomiste… Je verrai ça demain matin.

- O-ok… je t’entends de plus en plus.

Je crois que je suis proche d’elle. Je sens aussi sa présence. Un peu perdu dans l’obscurité profonde de la nuit, je la cherche à tâtons. J’entends sa voix, sa respiration. Elle devrait être… là.
Je tends la main, entrant en contact avec quelque chose. Non, quelqu’un ! Qu’est-ce que c’est… oh seigneur, j’espère que je n’ai pas touché un endroit… compromettant… Comment est-elle installée au juste ? Quelque peu hésitant, ma main remonte et je crois que je devine son ventre.

- D-désolé. Je ne peux pas te voir… Tu peux prendre tes affaires si tu en as ? Garde-les proche de toi, je vais te porter.

J’espère vraiment qu’elle ne m’en voudra pas si je la tripote sans le vouloir… C’est compliqué dans le noir… J’attends qu’elle ait tout récupéré et doucement, je glisse ma main dans son dos, puis sous ses jambes pour la soulever. Me concentrant, je contracte mes abdos, et les muscles de mes cuisses pour me redresse en expirant. Ok… Ça va, elle est pas trop lourde. Maintenant… Comment on y retourne… ? Surtout dans le noir…

Franchement… il fallait vraiment qu’elle vienne ici sans lumière ?... Ah. Je pourrais dire la même chose de moi en fait. Je me tais, me sentant un peu mal de l’avoir touchée comme ça mais, je n’avais pas vraiment le choix. Il fallait que je comprenne sa position pour pouvoir agir en conséquence. J’espère qu’elle comprend… et qu’elle ne va pas me traiter de pervers… C’est la fille de Virgil de ce que j’ai compris de son monologue… Je n’ai pas trop envie d’avoir des problèmes avec lui alors que je voulais tout simplement aider sa fille.
Elle m’informe qu’elle doit récupérer son manteau, et je la sens bouger pour l’enfiler. Puis ses mains glissent et viennent s’enrouler autour de mon cou avant qu’elle me dise qu’elle est prête. Ok… Parfait.
Je me concentre, usant de mes abdos pour me redresser avec elle dans mes bras. Maintenant, il faut retourner à la grotte. La serrant bien contre moi pour ne pas qu’elle tombe, j’essaie de deviner le chemin, plissant les yeux dans l’obscurité. Je vais devoir y aller à tâtons… mais avec les pieds puisque mes mains sont quelque peu… occupées. Je pousse un soupir, inspirant profondément pour me donner du courage. J’avoue que j’ai un peu peur de me prendre les pieds dans quelque chose. La mission de sauvetage aurait été… un peu ratée quoi.

- Si ça peut aider, j'ai longé le long de la plage, de la grotte jusqu'ici...
- Ça…ça marche.

Par réflexe, je réponds en français, trop concentré pour réfléchir à la traduction en anglais. Longé la plage… okay… Mais de quel côté ? C’est ça la question. Je suis venu de par là je crois… il faut juste que je fasse gaffe aux bouts de bois et autres obstacles sur le chemin. Au bout d’un moment, je devrais voir les torches de la grotte. Ça devrait aller.
Je commence donc à marcher, prudemment, lentement, longeant la plage comme elle me l’a conseillé, la faisant doucement remonter dans mes bras quand je sens qu’elle glisse un peu.

- Est-ce que je peux connaître le nom de mon mystérieux sauveur ?

À ses mots, je ne peux pas m’empêcher de rire doucement. À l’entendre, j’ai l’impression d’être Zorro ou un autre super héros masqué tout droit sortir d’un film. J’avoue que je ne vais pas m’en plaindre, c’est plutôt flatteur. Qui n’a jamais rêvé d’être le super héros sexy qui sauve la plus jolie femme sur terre ? Pas moi !
Et pour elle, ça doit être une expérience plutôt hors du commun. Elle se foule la cheville en faisant je ne sais quoi, et c’est un homme, qu’elle ne peut pas voir qui la sauve de cette situation. En vérité, c’est vrai qu’à sa place je serais plutôt effrayé… Si je n’avais pas été là, elle aurait certainement passé la nuit ici. Et ce n’est pas spécialement une bonne nouvelle. Un sauveur, hein ? Je n’arrive pas à m’empêcher de sourire alors que je réponds.

- Bae. C’est Bae.

Un nouveau rire m’échappe. Si j’avais cru que j’aurais ce rôle un jour. C’est vraiment pas déplaisant.

- Qu’est-ce que tu faisais ici toute seule ? Tu dansais ?

Il n’y a aucun jugement dans ma voix, juste de la curiosité. Si elle ne savait pas faire de feu, elle aurait peut-être dû venir avec une amie qui pouvait ? J’espère qu’elle fera ça les prochaines fois… Ou alors… si je la vois filer en douce au crépuscule, je la suivrai avec une torche… Ça nous évitera des problèmes à l’avenir.