Depuis son réveil, quelque chose n'allait pas.
Il y avait des matins comme ça, où Astrid se réveillait avec une boule dans le ventre, une certaine envie de vomir, un poids dans le coeur. Comme un mauvais pressentiment.
Avec le temps, elle avait forcément apprise à faire avec; à toujours faire paraître, se donner un air calme, serein, prêt à tout. Mais quelque chose n'allait pas aujourd'hui. Cette sensation ne lui était pas revenue depuis des années maintenant, et elle ne pensait pas devoir la gérer de nouveau un jour. Au fond d'elle, elle était persuadée d'être passée aux dessus de ses peurs, du moins celles-ci. De ne plus avoir à hésiter avant de se lever le matin.
Alors pourquoi ? Etait-elle tombée malade ? Etait-ce la pluie constante, le ciel gris, ou bien l’événement d'aujourd'hui qui l'a mettait dans cet état ?
Cela ne semblait pas logique en elle. On lui avait bien évidemment parlé de se rendez-vous dés que la nouvelle fut déclarée; une sanction aura lieu dans la cour centrale de l'Institut, et c'est le docteur Barrabil, ou Ange, qui en sera le principal décisionnaire. Elle n'arrivait pas vraiment à saisir le pourquoi du comment mais avais hochée la tête docilement; en tant que secrétaire du médecin concerné, de toute manière, elle se devait d'y être.
Mais ce matin, c'était comme si ces questions qu'elle avait chassée de sa tête comme on le ferait pour des idées noires, lui revenaient profondément en mémoire et l'a hantaient. Dans un Institut, principalement peuplé d'ados, il était sûrement normal que d'administrer des sanctions lorsque cela s'avérait nécessaire. Mais pourquoi le faire en public ? Quelle était la démarche derrière tout ça ?
A part l'humiliation ?Non. A chaque fois que cette pensée lui venait, le visage d'Astrid se crispait, comme une vérité qu'elle n'arrivait pas à admettre au plus profond de son âme. Un établissement beau, un personnel chaleureux et des patients adorables...Là était sa vision de son lieu de travail, du lieu où elle s'était séparée de sa famille et son pays natal pour y vivre, depuis maintenant quelques mois. Depuis juste quelques mois. Ce lieu était là pour que des personnes comme Katerina, Lucy et Nev puissent guérir. Pour que des gens comme elle, Ange, Agnès et Hyppolite, puissent gagner leur vie. Rien de plus. Il n'y avait rien à voir de plus, rien caché là dessous.
Au fond, elle savait qu'elle avait prit confiance trop tôt, qu'elle n'était pas à l'abri de n'importe quelle désillusion. Au fond elle le savait, mais elle ne voulait pas le voir.
***
Astrid se regarde dans le miroir, perchant bien haut sur son crâne sa chevelure blonde et l'attachant d'un ruban sobre. Elle ne s'était pas apprêtée trop à l'avance, ce qui pourtant lui aurait mieux ressemblé. Aujourd'hui, elle n'était juste pas elle-même; son visage était pâle et son regard vide, résultat d'une journée de lutte à brider ses émotions. Elle voulait se débarrasser de cette soirée le plus vite possible et passer au lendemain, mais elle ne savait pas à quoi s'attendre. Tout en prenant son sac et en y rangeant de quoi prendre des notes, elle se rassurait intérieurement, se disant qu'elle surenchérissait comme elle le faisait trop souvent. Elle était trop émotionnelle, sûrement trop jeune, pour devoir jouer l'adulte observateur et hautin devant quelqu'un se faisant brimer.
Tout en emmenant avec elle un parapluie noir, elle marche la tête vide jusqu'au bâtiment principal de l'établissement, se concentrant sur le bruit de la pluie, comme pour tenter de stopper ses songes.
La vue de Lucy au loin et ses longs cheveux d'argent, se fit comme un rayon de soleil sous la bruine.
"Bonsoir mademoiselle Astrid…"
La concernée lève doucement les yeux avant de remarquer la demoiselle, trempée et les vêtements collants sur sa peau. Encore une fois, Lucy s'exposait dehors alors que la météo était à risque. Nevrabriel serait sûrement mort d’inquiétude si elle tombait malade, et Astrid n'en démordrait pas également.
"Lucy, qu'est-ce que tu fais sous la pluie ? Approche donc !" lui lança vivement la jeune femme tout en saisissant le bras de la patiente et en la tirant doucement jusque sous son parapluie.
"Je sais que je n’ai rien à faire ici, je rentrais justement vers l’institut, il paraît que l’on doit se présenter pour assister à…"
La deux jeunes femmes baissèrent les yeux. Un léger silence s'installa, où régnait à la fois compréhension et amertume. Mais Onyx finit par redresser la tête, regardant au loin.
"La sanction, oui. Nous devrions nous dépêcher avant d'arriver en retard." répondit-elle d'un ton neutre, presque monotone.
Aussitôt, elle prit l'initiative de prendre la main de Lucy, tout en serrant ses doigts entre les siens. Elle voulait réfugier ses doutes dans la chaleur de son amie, histoire de la rassurer. Histoire de se rassurer elle même également, et de pouvoir arriver droite et digne sur l'estrade comme son patron l'attendrait d'elle. Histoire de pouvoir assumer ce qu'elle risque de voir Ange faire devant ses yeux.
Durant toute la marche, son regard était vague, ailleurs. Elle ne voulait pas laisser voir à Lucy le mal qui la rongeait depuis ce matin.
Après tout, elle se faisait des idées, se rendait malade pour rien, comme elle le fait trop souvent. Tout allait bien se passer; c'est juste un enfant qui va se faire gronder, pour l'exemple, devant ses camarades. Ce sera peu agréable à voir mais cela fait partie de la vie.
Mais elle avait beau le nier, tout en elle semblait la mettre en garde.
***
Les deux femmes arrivent vers la cour, commençant à se remplir peu à peu de nouvelles silhouettes sur l'herbe humide. Astrid ne reconnaissait pas les visages; elle se contentait d’avancer, le visage pâle à faire peur. Son estomac faisait toujours aussi mal, propageant une sensation de nausée dans tout son corps qu'elle s'efforçait d'ignorer.
Alors qu'elle avait lâchée la main de Lucy, celle-ci l'a reprit vivement au moment de monter sur l'estrade; Astrid ne put s'empêcher de tourner le visage vers elle, serrant fortement sa main tout en lui envoyant un regard doux, se voulant des vertues rassurantes auxquelles elle-même ne croyait pas. Tout en montant, elle remarque alors les installation de sécurité et les gardes qui les entouraient. Il y en avait énormément, beaucoup trop, et cela n'aidait pas à rassurer la jeune femme qui, tout en observant, pliait chacun de ses doigts tout en se mordant la lèvre. Ce n'était pas comme elle l'imaginait, non. C'est pire, beaucoup trop pire, et les fondations intérieures qu'elle s'était forcée à bâtir commençaient à flancher. Quelque chose n'était clairement pas normal ici.
Elle remarque tout de suite la silhouette stricte et longiligne de son supérieur, avant de poser son regard sur la jeune fille d'en face. Une enfant à lunette dont l'expression était brisée; cela se voyait d'ici, ce à quel point elle se faisait violence pour se donner du courage. Certaines personnes étaient proches de la grille, lui faisaient des signes...Mais les yeux d'Astrid étaient retournés vers Ange, bloqués sur lui.
Ce mauvais pressentiment persistait en elle sans qu'elle ne sache pourquoi. Avec tout cela, elle ne vit même pas qu'Agnès et Nev n'étaient pas loin de là, ainsi que le fameux et souvent nommé
Docteur Elpida, l'homme étant en charge de ses deux précieux amis et très certainement de cette mise en scène. C'est uniquement lorsque sa collègue passa devant elle qu'Onyx la rermarqua; elle était partie dire quelque chose à l'écossais qui semblait très anxieux.
Nevrabriel... son coeur se serre lorsque ses yeux le reconnaissent au loin, aux côtés de son médecin. Maintenant, le fait de visualiser lui et Lucy en avant-ligne lui faisait irrémédiablement du mal. D'ailleurs, ce sentiment de mal-être s’amplifiait en elle sans qu'elle ne puisse l'empêcher; elle n'était pas prompt à aller saluer qui que ce soit, même les personnes qui lui faisaient profondément du bien. Elle ne savait pas comment se débarrasser de ces émotions gênantes qu'elle n'arrivait toujours pas à identifier, qu'elle mettait toujours sur le dos du "mauvais pressentiment" ou du stress à l'idée de devoir assister à un tel événement. Alors son regard vogue nerveusement autour; dans la foule dans face, elle voit des cheveux bleus forts atypiques qui lui rappellent sans aucun doute son collègue Hyppolite et son sourire en coin. Dans sa routine habituelle, le voir lui aurait toujours décrochée un sourire, mais pourtant...Ce jour là, son regard s'arrêta sur lui juste avec amertume avant d'aller voyager ailleurs, avec détresse.
"Au moindre mouvement suspect, je n'hésiterai pas."
Ces paroles réveillent violemment Onyx. Ses yeux sont attirés avec la force d'un aimant sur la scène, et sa vision la figea d'effroi.
Il avait une arme à feu.
Il avait une arme à feu, c'était réel. Il la montrait calmement du doigt, son ton n'avait pas changé; à la même fréquence que toutes les fois ou il lui avait parlé jusqu'à présent. Au bureau, lorsqu'ils discutaient autour d'un café, ou qu'ils échangeaient brièvement lors d'une consultation. Toujours sa voix calme, semblant absolument tout contrôler. Et pourtant.
Ange, le Docteur Barrabil, menaçait une gamine, avec une putain d'arme à feu, et ce sans que cela ne choque personne.
Onyx tourne violemment, machinalement la tête vers le docteur Elpida. Il observait sans bouger d'un cil; rien ne lui surprenait, tout semblait aller selon sa volonté, et pourtant. Ce n'était que lui qui avait pu accepter qu'Ange est un tel objet en sa possession. Et même si ce n'était pas le cas...Non, ça ne pouvait pas ne pas être le cas, ce n'était pas le genre d'Ange ! Ce n'était pas le médecin qu'elle connaissait, qu'elle visualisait en son estime, non ! Ces directives n'ont pues que lui être soumises, ça ne pouvait pas être autrement !
Le Docteur Elpida ne devrait même pas consentir à ce genre d'actes.
"Définissez un mouvement suspect docteur, je n'ai pas reçu la liste et je ne voudrais pas vous froisser." Répondit la punie. Elle haussa d'avantage la voix avant de rajouter ; "Faites attention avec ça, on ne sait jamais, vous pourriez blesser quelqu'un."
Astrid prend de profonde respiration alors que sa peau se fait de plus en plus pâle. Son regard se repose doucement sur l'estrade mais elle a peur. Elle ne sait absolument pas quoi faire, ce qui est en train de se passer. Elle ne pouvait juste pas quitter Ange des yeux.
Elle savait qu'il n'allait rien faire. Oui, elle avait confiance, tout cela était le résultat d'une calculation grossière et macabre venue par les gens d'au dessus. Mais ses pensées s'arrêtaient là. Pour le moment, elle n'avait juste pas la force de faire face au monde qui était en train de s'écrouler autour d'elle, rien que l'espace d'une soirée.
Elle ne se contentait que de regarder Ange, les yeux aussi vides que ceux d'une poupée.