La chaleur qui régnait sur l'île était insupportable pour le blondinet. Il n'aimait pas les hautes températures, et le mois de juillet était connu sur l'Institut pour battre des records de canicule. Dans son lit, à moitié habillé pour contrer cette chaleur insoutenable, il feuilletait son roman que sa mère lui avait envoyé quelques jours plus tôt. Il l'avait déjà fini, mais il ne lui restait plus que ça à faire et avait besoin de se vider l'esprit. Deux jours avant le soulèvement. Deux jours avant sa fuite. Et plus les secondes avançaient, plus il n'avait que ça en tête. Toute une vie avec Atsuka, c'était à la fois terrifiant et excitant. Il n'avait jamais connu un autre foyer que celui de sa famille, et savoir qu'il en construira un de lui-même avec elle, ça lui faisait de drôles de frisson dans le ventre.

Et alors qu'il est plongé dans son livre, des bruits de pas se multiplient dans le couloir et des voix s'élèvent. Ulysse lève les yeux de ces pages et fronce les sourcils. Qu'est-ce qui vaut une telle agitation ?
Il posa son roman sur son bureau après s'être levé, enfila un tee-shirt pour éviter d'en dire trop sur son corps que seule Atsuka est autorisée à voir, et ouvrit timidement la porte de sa chambre. Quelques patients discutèrent en dehors de leur chambre, quand l'un d'eux remarqua le blondinet et lui dit avec effroi :

- Ils ont trouvé le Journal. Un traître leur a dit où il était.

Ulysse écarquilla les yeux, et ferma brusquement la porte de sa chambre. Oh non.
Il se tourna vivement vers son lit et s'accroupit à terre à la recherche de sa valise déjà prête pour s'enfuir. L'avantage dans cette histoire, c'est qu'il n'y aura pas un jour de plus où il angoissera à l'idée de subir ce soulèvement. Non, il le vivra maintenant.
Il enfila ses chaussures et attrapa un second sac où il enfourna tous ses effets personnels qu'il lui était encore utile. Puis, il ferma la porte de sa chambre en y sortant, les pieds chaussés maladroitement.

Il se mit à courir, les bras chargés, le coeur battant à tout rompre, les joues rougies par l'inquiétude. Il savait qu'en tant qu'ami, il devait être présent pour cette révolte. Pour Nevrabriel. Pour Ophelia aussi peut-être. Mais il mentirait si le plus important n'était pas Atsuka. Alors oui, il s'enfuyait. Oui, il se dérogeait de ses fonctions. Mais il n'était pas fait pour se battre. Il était une tête. Il n'était pas un corps, ni même des muscles. La preuve, il peinait à soulever ses bagages.

Une fois devant les portes, là où il devait rejoindre Nevrabriel, il s'arrêta. Il voulait au moins lui dire au revoir. Et même lui proposer de venir avec eux. Parce que Nevrabriel ne devrait plus jamais subir les folies de son médecin.

Alors il cria :

- Nevrabriel ?

Ses bras commençaient à s'engourdir, ce qui l'obligea à mettre à terre ses sacs. Quand il disait qu'il n'était pas fait pour se battre, il n'exagèrait pas. Il connaissait suffisamment sa condition physique pour savoir que la révolution serait trop brutale pour lui, et il était conscient de son instinct de survie qui l'interdirait de se joindre à eux. Ou du moins se déplacer avec eux. Mentalement, il aurait pu les soutenir, peut-être même trouver des plans d'attaque. Mais il n'était pas un homme d'action. Il se savait suffisamment maladroit et faible pour être un boulet les empêchant d'avancer dans leur quête.
Mais il les soutenait. De tout son cœur.

Deux faibles voix se détachèrent des autres, appelant elles aussi Nevrabriel. C'était un garçon tellement sociable et amical, il n'était pas étonné de le voir lié à deux enfants. Il leur sourit, comme si c'était la chose à faire absolument.

Son ami ne tarda pas à se montrer, rapprochant les enfants de lui dans une aura protectrice :

_Tu pars ?

Ulysse jeta un œil à ses bagages, comme pour vérifier qu'elles étaient encore là. Puis il leva la tête vers lui, l'air désolé. Il savait qu'il l'abandonnait, lui et tous les autres, mais qu'avait-il comme choix ? C'était l'opportunité pour lui de se construire avec la seule femme qu'il aimait.
Il s'avança d'un pas, les mains jointes :

- Hum... Oui, en l'occurrence. Je suis désolé, mais je ne suis pas fait pour ça. Mais je vous soutiens à 100%.

Les deux enfants se détachèrent de son camarade de chambre et s'échappèrent de la foule, sans dire un au revoir. Ce n'était pas dangereux de les laisser seules ?
Il reporta son regard vers Nevrabriel, et hésita. Il devait bien pourtant se lancer.

- Je pars avec Atsuka. Et je voulais savoir si tu voulais venir avec nous ? Je sais que je serai plus rassuré de te savoir en sécurité, loin de tout ça.

Ulysse avait la sensation de faire ce qu'il fallait quand il lui demandait s'il voulait se joindre à eux. S'enfuir loin de cette île qui n'a pas fait que du mal puisqu'elle lui a permis de rencontrer Atsuka. Mais il ne pouvait pas ignorer la souffrance des autres, des lubies sadiques des médecins. Il se fit la promesse qu'une fois le doctorat en poche, il fera tout pour faire en sorte que ses patients soient les plus heureux de la Terre.

L'émotion qui prit d'assaut le visage de son ami le laissa dubitatif. Était-il triste de le voir partir ou ému d'avoir une occasion de fuite entre ses mains ? Il resta attentif, scrutant avec attention la moindre de ses réactions.

_Ulysse … je …

Ses larmes qui se libérèrent inquiétèrent le blondinet. Avait-il dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Il se mit à légèrement paniquer, ignorant le chahut à côté d'eux. Seules les émotions de Nevrabriel comptaient en cet instant. Il n'avait aucunement l'objectif d'attrister son ami. Parce qu'il était son ami. Et c'était tellement un exploit pour lui qu'il ne voulait en aucun cas lui faire du mal.

Le rouquin tendit les bras à Ulysse, l'invitant à une embrassade peu virile mais forte en émotions. Il accepta, s'avançant vers lui et le serrant contre lui dans l'espoir de faire taire ses larmes. Ulysse ne comprenait pas ce qu'il le mettait dans cet état et ses pensées se bousculèrent, tentant de trouver une explication à cet état submergé par les émotions.

_C’est certainement le plus beau cadeau qu’on ait pu me faire depuis des années. Merci …

Le cœur d'Ulysse fut soudain plus léger. Soulagé de savoir que c'était une chose positive, il se mit à sourire timidement. Nevrabriel méritait de partir. Il méritait de s'en aller loin de son médecin étrange et sadique, de se reconstruire plus sainement, de vivre une vie sans drames et heureuse.
Ce cadeau, il semblait naturel pour Ulysse de lui offrir. Nevrabriel faisait partie des personnes les plus sincères et émotives qu'il ait jamais connu, et il avait contribué au développement du blond. Un développement envers la compréhension des autres.

_Je ne peux pas partir, ils ont besoin de moi, mais savoir que j’ai une place, même infime, quelque part dans ce mode, me fait chaud au cœur.

Il appuya ses paroles en se séparant de Ulysse. C'est grâce à ce geste qu'il sut qu'il était sérieux et qu'il ne devrait pas insister. Il n'exprima pas sa déception quant à son refus puisqu'il comprenait son combat, et qu'il ne pourrait l'en défaire.
Il le laissa également s'exprimer, sentant que Nevrabriel avait encore des choses à dire.

_Promet moi d’être heureux et je viendrais vous voir dès que je le pourrais, promis.
- Je te le promets.

Il ne pensait pas que cet au revoir serait si douloureux. Il sentait son ventre se tordre et ses yeux s'humidifier. C'était comme lorsqu'il avait quitté sa famille pour rejoindre l'Institut, à la différence qu'il avait la certitude qu'il les reverrait. Nevrabriel, il n'en savait rien. Et cette perspective lui était terrifiante.
Il inspira et le regarda fouiller dans ses affaires. Il en sortit une pochette et un carnet. Perplexe, il jeta un oeil vers son ami, la gorge serrée, en prenant les objets qu'il lui confiait.

_Je vais te demander un service. Lorsque tu seras loin d’ici et en sécurité avec Atsuka, peux-tu envoyer ça pour moi ?
- Bien sûr, articula-t-il, ému.

Nevrabriel lui indiqua où les envoyer, adresses gravées à jamais dans la mémoire d'Ulysse. Plus cette conversation avançait, plus le blond avait du mal à retenir ses larmes qui se mirent à couler toutes seules. C'était une des rares fois où elles osaient sortir, lui qui avait du mal avec ses propres émotions.
Cet au revoir ressemblait tellement à des adieux qu'il ne voulait pas y croire. Et pourtant, c'était le cas. Ils étaient l'un devant l'autre, à se regarder, les yeux larmoyants. Tout changeait si soudainement, c'était trop dur à croire.
Dans un dernier geste de tendresse, Nevrabriel lui prit la main et lui avoua :

_Ulysse ... Je suis très heureux d’être ton ami.

Il déglutit, un peu dans les vapes. Il savait que ce qui l'attendait allait le remplir de bonheur, des jours et des jours aux côtés d'Atsuka Nozomi. Mais laisser son ami derrière lui, ses compagnons, lui laissait un goût amer.

- Je vais continuer mes études à Harvard. Si jamais tu veux me trouver, j'y serai.

La poignée de main se transforma en une dernière étreinte, les joues humides et rougies par le chemin tracé par ses larmes. Il avait besoin de ce dernier contact avec lui, se souvenir en détail de cet instant.
Puis il se détacha et lui dit à son tour, prenant de nouveau ses affaires :

- Merci, Nevrabriel. Pour tout. Et désolé de ne pas pouvoir être avec vous ce soir. Excuse moi auprès de Ophelia.

Il amorça un pas, avant de se retourner, l'air reconnaissant :

- Si jamais tu changes d'avis, je serais au port. Je ne t'oublierai jamais, Nev.

Il lui adressa un sourire et se mit à marcher rapidement vers le bâtiment du personnel, me.visage ravagé par la tristesse. Il n'avait aucun regret, mais il ne put s'empêcher de se sentir coupable de la souffrance des autres sans pouvoir les aider.
Mais lui et Atsuka en avait parlé.
Ils s'enfuieraient ensemble.

Pardon Nevrabriel. Pardon Ophelia. Pardon à tous.